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Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/3) !

Le chorégraphe Michel Kelemenis est de nouveau sur ma route. En 2005 lors du feu Festival « Danse à Aix », ses « Aphorismes géométriques » changèrent radicalement mon regard sur la danse et mon écriture de spectateur. En novembre dernier, il accepta que j’assiste aux répétitions prévues au Centre Chorégraphique National d’Aix en Provence où il y présentera dès le 29 janvier, trois ?uvres écrites pour d’autres danseurs de sa compagnie (“Aléa“, “Viiiiite“, “Tattoo“). Pour eux, comme pour moi, le contexte génère une tension : il convient d’épouser une dynamique, un propos, pensé pour d’autres ; il s’agit d’écrire sur un processus d’avant plateau.

Le soleil illumine Aix en Provence et Michel Kelemenis m’accueille chaleureusement au 3e étage du Pavillon Noir. Il restitue à Caroline Blanc et Marianne Descamps le sens de ma démarche, celle d’un « spectateur engagé ». Trois ans après, les « aphorismes » nous relient toujours, au-delà de l’?uvre.  Me voilà donc assis, en observateur, tel un intru ou un voyeur qui assiste à quelque chose qu’il ne devrait pas voir. « La chose » comme l’expliquent les lacaniens m’impressionne. Je tremble intérieurement, intimidé.

A mon corps statique, répond l’énergie de leur engagement. Caroline Blanc connaît déjà le duo « viiiiite », alors que Marianne le découvre. Elle le dansera en mai prochain. Deux processus semblent s’entrechoquer : accueillir Marianne alors qu’elle n’a peut-être pas vécu le contexte particulier de cette création (écrite en urgence, en avril dernier à quelques mois de la fermeture du studio Kelemenis à Marseille), créer l’articulation entre les deux danseuses : cette autre urgence est palpable (elles ne s’arrêtent jamais). Michel parait travailler ce double processus en simultané alors qu’il dansera ce duo dès le 29 janvier.

Les deux femmes se connaissent : la « fragilité » de Marianne, leur présence au Pavillon Noir, semble recontextualiser la pièce et donner à la disparition du geste (c’est le propos de « viiiiite »), une autre apparition, celle de leur trio ! J’observe Marianne par identification (elle est l’ouverture), je m’accroche à Caroline pour aller chercher l’axe vertical tandis que je m’appuie sur Michel qui contient la tension de l’articulation.

Mon attention ne faiblit pas comme si je soutenais une partie du processus (mais laquelle ?), happé par l’émergence d’un « viiiiite » tendu. Ils sont « beaux » dans leur communication (je n’ai jamais vu cela entre professionnels, en France tout au moins) : confiance, empathie, accompagnement, qualification positive même dans l’erreur, sympathie, humour. Un processus d’accueil, une ouverture, une force se dégagent de cette répétition comme si « viiiiite » se déformait de son propos initial.

Il est 17h, déjà deux heures avec eux. Je pars, comme par effraction, « viiiiite », avec un geste d’au revoir, déjà disparu.

Pascal Bély

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A lire:

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).




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Bilan 2008 (4/4) : mon Facebook.

En 2008, j’ai fait de nouvelles rencontres, au croisement de l’internet, de ma posture de spectateur engagé et de chemins détournés. FaceBook a renforcé le réseau de blogueurs « Scènes 2.0 » après notre réunion du 11 octobre 2008, des liens se sont créés avec trois journalistes (Martine Silber, ex-journaliste critique au Monde), Marie Mai Corbel de la Revue Mouvement et Lionel Vicari de Radio Grenouille à Marseille. Des lecteurs assidus se sont manifestés (Sylvie Lefrère, Sylvain Pack, Evelyne Biausser, et tant d’autres) tandis que deux spectateurs ont écrit pour le Tadorne (Diane Fonsegrives, Laurent Bourbousson).

Certains lecteurs silencieux m’en ont dit un peu plus sur eux à partir d’un sondage lancé cet automne.

En 2008, Internet a facilité l’émergence de nouveaux liens, d’articulations innovantes où nos fonctionnements par « cases » ont souffert et ce n’est qu’un début. Démonstration !


1- La Vouivre, « Oups + opus », Festival de Marseille.

2- Robin Decourcy, « Lettre au Mexique », La Friche Belle de Mai, Marseille.

3- Thomas Ferrand, « Idiot cherche village », CCN de Montpellier.

4- Ivo Dimchev, “Lili Handel – blood, poetry and music from the white whore’s boudoir, Festival Tanz im August, Berlin.

5- Anaïs Durien, Olivia Sabra, « Essai de rêves avec Chiens », Festival « Les rencontres à l’échelle », Marseille.

6- Rebekah Rousi, “The longest lecture marathon“, KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

7- Haïm Adri, « Quelle est l’utilité d’une couverture », Festival « Les rencontres à l’échelle », Marseille.

8- François Cerventes, « Une île », Théâtre Massilia, Marseille.

9- Jacques Descordes, « Hiver », Festival Off d’Avignon.

10- Sylvain Groud, « Bataille intime », Pavillon Noir, Aix en Provence.


[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=3jrMMdjhsoc&w=425&h=344]

Etait-ce de la danse, du théâtre ? Le chorégraphe Michel Kéléménis les a accueillis dans son studio lors du Festival de Marseille. Samuel Faccioli et Bérengère Fournier de la Compagnie « La Vouivre » (vidéo) ont créé l’espace transversal de l’imaginaire. Rencontre inoubliable, car leur créativité a laissé des traces durables.

Robin Decourcy est un artiste au croisement du son, du corps et du voyage. Son spectacle “Lettre au Mexique » est indéfinissable et c’est de l’art. Vivant.

Tout comme la performance de Rebekah Rousi : avec sa plus longue présentation d’un PowerPoint du monde, elle a décalé la place statique du spectateur face au savoir pour leapropulser dans un métalangage.

Thomas Ferrand est un artiste « croisé » dont l’art se déploie dans un maillage où il entraîne le public. « Idiot cherche village » était une expérience qui dépassait bien des discours creux sur « la place du spectateur ».

Elles, c’est Anaïs Durien et Olivia Sabra. Découverte au festival « Les rencontres à l’échelle », leur pièce de théâtre (« Essai de rêves avec chiens ») était un subtil jeu de masques où le spectateur perdait sa place pendant qu’elles allaient à la chasse. Superbe !

François Cerventes est un homme de théâtre, installé en résidence à Marseille. Son « île » était un voyage masqué qui nous invitait à franchir la ligne. On n’en revient pas tout à fait pareil.

Lui aussi a tombé le masque, un soir d’été à Berlin. Ivo Dimchev est un artiste bulgare époustouflant. En offrant son sang au public, j’ai sursauté pour découvrir que « le genre » est aussi un « art » de vivre.

Haïm Adri possède une danse où le masque le chorégraphie. Entre lui et lui, il nous masquait. Inoubliable artiste.

Sylvain Groud avec « Bataille intime » danse la folie. Son double sur scène est un masque vivant qu’il a nous tendu. Prégnant.

Un soir d’été, dernier jour du Festival d’Avignon Off. Épuisé, j’assistais à « Hiver » de Jacques Descordes. Pièce dépouillée pour affronter la saison froide qui approchait. Cet homme-là m’a plu.

M’accepterait-il comme « ami » ?

Pascal Bély

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Bilan 2008 (2/5) : Le top de la danse contemporaine !

Bilan 2008 (3/5): le théâtre fait sa crise.

Pour se souvenir, le bilan culturel de l’année 2007, 2006.

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Bilan 2008 (3/4): le théâtre fait sa crise.

En 2008, les metteurs en scène français ont salué l’anniversaire de la mort d’un auteur, sa naissance, les 40 ans de 1968, De Gaulle…Alors que le Festival d’Automne et d’Avignon programmaient le triptyque sur le pouvoir du flamand Guy Cassiers, notre théâtre hexagonal est resté bien silencieux sur le vacarme du monde et la crise des valeurs que nous traversons.

Seuls Joël Pommerat et son répertoire ont fait le tour de France des théâtres, servant de caution « politique » pour masquer la frilosité de certains programmateurs qui préfèrent maintenir leur public dans des schémas gauchisants dépassés plutôt que vers des paradigmes plus ouverts.

 

1- Thomas Ostermeier, « Hamlet », Festival d’Avignon.

2- Hubert Colas, « Chto, interdit au moins de 15 ans », Festival Actoral, Marseille.

3- Toshiki Okada, « Free time », KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

4- Beatriz Catani, « Finales », KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

5- Maarja Leena Junker , « Je suis Adolf Eichmann», Festival « Off » d’Avignon.

6- Alvis Hermanis, « Sonia », Festival d’Avignon.

7- Eva Doumbia, « ExilS4 », Théâtre des Bernardines, Marseille.

8- Joël Pommerat, « Pinocchio », « Je tremble (1) », Théâtre des Salins, Martigues / Théâtre du Merlan , Marseille.

9- Amir Reza Kootestani, « Quartet : A journey to north », KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

10- Arthur Nauziciel, « Ordet », Festival d’Avignon.


Thomas Ostermeier a provoqué la Cour d’Honneur d’Avignon avec un « Hamlet » (photo) suffocant, métaphore d’un système politique européen en totale déliquescence entre valeurs « bling-bling » et capitalisme finissant. Au festival Off d’Avignon, la presse française a quasiment ignoré la Luxembourgeoise Maarja Leena Junker qui, avec « Je suis Adolf Eichmann», a perturbé bon nombre de spectateurs en jouant avec les valeurs crétines de notre système médiatique. Eva Doubia avec « ExilS4 » démontra avec tact la crise identitaire de l’émigré d’aujourd’hui, du citoyen mondialisé de demain. Hubert Colas avec « CHTO, interdit au moins de 15 ans » fit résonner avec intelligence la voix d’une jeune tchétchène dans les rues de Marseille.

Hors de nos frontières, le théâtre a fait preuve de vivacité pour décrire notre époque et la crise des valeurs qui la ronge.  Amir Reza Kootestani avec « Quartet : A journey to North » nous plongea dans les paradoxes d’une société iranienne avec une mise en scène qui ne l’était pas moins. Le Létonien Alvis Hermanis, l’Argentine Béatriz Catani, le japonais Toshiki Okada ont, à partir d’un huit clos souvent étouffant, repéré avec justesse les limites d’un système familial et sociétal.

Mais pourquoi la société française est-elle à ce point absente de nos scènes ? Comment expliquer qu’un metteur en scène aussi talentueux qu’Arthur Nauziciel, partagé entre la France et les États-Unis, soit allé chercher comme réponse à notre crise un « Ordet », aussi beau soit-il ?

Je m’étonnais l’été dernier de la faiblesse du propos politique d’Avignon. En 2009, le théâtre pourra-t-il nous éclairer ?  À moins qu’il ne soit, lui aussi, en crise de représentation.

Pascal Bély

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Bilan 2008 (2/4) : Le top de la danse contemporaine !

À Aix en Provence trône, triomphant, le Pavillon Noir des Ballets Preljocaj. Le chorégraphe désirait pour la ville, lors de son inauguration en 2006, « un lieu dédié à la danse ». Deux années plus tard, sa programmation consensuelle et sans relief m’a contraint à faire de nombreux kilomètres afin de dessiner un paysage chorégraphique divers, européen, en phase avec notre époque et pas seulement réduit au succès de « Blanche-Neige » de Preljocaj ou du « Gershwin » de Montalvo-Hervieu.

2008 fut assurément une année détonante, démontrant une fois de plus le potentiel créatif de cet art si fragile.


1- Jeanne Balibar, Boris Charmatz, « La danseuse malade », Festival d’Automne, Paris.

2- Olivier Dubois, « Faune (s) », Festival d’Avignon.

3- Christophe Haleb, « Domestic Flight », Hivernales d’Avignon.

4- Eszter Salamon, « Dance ? 1/driftworks , Montpellier Danse.

5- Germana Civera, « Fuero(n) », Montpellier Danse.

6- Odile Duboc, « Rien ne laisse présager de l’état de l’eau », Pavillon Noir, Aix en Provence.

7- Gilles Jobin, « Text to speech », Scène Nationale d’Annecy.

8- Kris Verdonck, “End“, KunstenfestivaldesArts, Bruxelles.

9- Christian Ubl, “Klap! Klap!”, 3bisF, Aix en Provence.

10- Jennifer Lacey, « Les assistantes », Festival d’Automne, Paris.

11- Latifa Laâbissi, « Histoire par celui qui la raconte », Festival d’Automne, Paris.

12- Sylvain Prunenec, « About you », Festival « C’est de la danse contemporaine », Toulouse.


Aux origines…

Jeanne Balibar et Boris Charmatz ont fait danser le théâtre avec leur camion, espace rupestre pour revenir aux origines du bûto. Olivier Dubois a dépoussiéré ce « Faune(s) » pour l’habiller de peaux de bêtes et remonter aux sources du désir. Latifa Laâbissi a osé danser notre sauvagerie à partir d’un récit préhistorique postmoderne.


Au final…

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=AbpHod9Y_Ac&w=425&h=344]

Signe des temps, l’apocalypse a fortement inspiré. Le flamand Kris Verdonck ne se définit pas comme un chorégraphe. Et pourtant, « End » restera l’une des chorégraphies les plus perturbantes sur notre fin du monde. À l’opposé, la Catalane Germana Civera nous a proposé avec « Fuero(n) » (voir vidéo) l’un des plus beaux débuts de la fin.


Le corps postmoderne…

Trois chorégraphes ont saisi toute la complexité de notre époque, en se préservant de la réduire. Ils ont choisi nos gestes quotidiens pour les déployer dans un espace restreint, qu’une chorégraphie intelligente réussit à élargir.  Le Suisse Gilles Jobin a brillamment démontré comment l’économie de l’information et de la communication intégrée dans nos corps est une formidable machine de guerre. Jennifer Lacey, avec ses « assistantes », nous a offert l’un des tableaux les plus réjouissants sur la postmodernité, où sept femmes éclaireuses donnent corps à notre utopie d’une société bien différente de celle construite par la Sarkozie. Avec Christophe Haleb, le corps n’est pas tant féminin ou masculin que sociétal.  « Domestic Flight » restera l’un des spectacles le plus abouti sur la transformation sociale du corps.


Le corps hybride.

Eszter Salamon nous a éblouis avec sa chorégraphie où les corps s’articulent et se désarticulent pour faire émerger des formes hybrides étonnantes au carrefour du théâtre, de la danse, du chant, voire du cinéma ! Odile Duboc a fait corps avec l’eau et la terre pour fluidifier notre regard sur la danse, tandis que Sylvain Prunenec provoquait la collision des corps, telles des particules, pour en dégager l’énergie collective.

KLAP KLAP au 3bisf

Et le spectateur, danse-t-il? Oui, avec ses mains! Il chorégraphie même le salut final. Remercions Christian Ubl avec “Klap! Klap!” d’avoir dénoncer la paraisse des applaudissements, métaphore du consensus mou qui gagne bien des programmations. Même le Pavillon Noir d’Aix en Provence?

Sifflet final.

Pascal Bély

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Bilan 2008 (1/4) : les dix chefs d’?uvre débordants du spectacle vivant.

1) Le bilan du Tadorne.

En 2008, l’art du « débordement » a inspiré de nombreux artistes pour qui le spectateur, loin d’être un consommateur, fut considéré comme un « acteur » au « travail », au sens psychanalytique du terme. Rarement, mes capacités à m’émouvoir, à penser, ont été à ce point stimulées. Ces dix artistes ont fait de moi, de vous, de nous, de beaux « Homo Spectator », titre du dernier ouvrage de la philosophe Marie-José Mondzain.


1- Pippo Delbono, « Questo Buio Feroce », Théâtre du Merlan, Marseille.

2- William Forsythe, « Hétérotopia », Montpellier Danse.

3- Ivo Van Hove, « Tragédies Romaines », Festival d’Avignon.

4- Raimund Hoghe, « Boléro Variations », Montpellier Danse.

5- Christophe Haleb, « Résidence secondaire », Uzès Danse.

6- Wajdi Mouawad, « Seuls », Théâtre d’Arles

7- Oriza Hirata, « Tokyo Notes », Théâtre2Genevilliers, Festival d’Automne, Paris.

8- Philippe Quesne, « La mélancolie des dragons », Festival d’Avignon.

9- Heiner Goebbels, « Stiffers Dingue », KunstenfestivaldesArts, Bruxelles.

10- Emma Dante, « Vita mia », “Mishelle di Sant’Oliva“, Amis du Théâtre Populaire d’Aix en Provence.


On n’oubliera pas de si tôt, la force du théâtre de Pippo Delbono qui guida le spectateur aux frontières de l’amour à mort. On reste encore habité par l’immense travail déambulatoire de William Forsythe où notre errance sur le plateau du Corum de Montpellier structurait la relation avec le danseur. A quelques kilomètres de là, le chorégraphe Christophe Haleb nous guidait dans les allées de l’Hôpital psychiatrique d’Uzès pour danser et nous faire danser dans les entrailles d’une société française complètement folle. Le metteur en scène néerlandais Ivo Van Hove a osé lui aussi nous bousculer pour que nos corps se déplacent sur scène, au c?ur de la tragédie shakespearienne.

Le débordement n’est pas vain quand je repense à Wadji Mouawad se métamorphosant par la peinture pour nous accompagner lors de notre voyage dans l’invisible. C’est en voyant l’invisible, que Raimund Hoghe m’a bouleversé avec son « Boléro » de Ravel.

La famille, espace de l’invisible, fut habité par le metteur en scène japonais Oriza Hirata et la sicilienne Emma Dante avec les corps et les mots jusqu’à tisser la toile de mes résonances.

De cet invisible, je n’en avais pas vu grand-chose, un soir de mistral, au Cloître des Célestins d’Avignon, lors de « La mélancolie des dragons » de Philippe Quesne. Acte de résistance au « travailler plus pour gagner plus », cette mélancolie a fait son travail, bien des jours après.

A l’image de la mécanique poétique d’Heiner Goebbels qui, alors qu’aucun comédien n’était sur scène, vous envahissait du dedans pour vous plonger au dehors.


Pascal Bély

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Pour se souvenir, le bilan culturel de l’année 2007, 2006.

2) Le bilan de Laurent Bourbousson, contributeur du Tadorne.


L’année 2008 aura fait place au théâtre de l’humain, comme pour mieux souligner l’importance d’être, de l’être. Ce théâtre nous illustre, nous attaque, nous fait vivre. Des ?uvres politiques aux ?uvres sentimentales, de l’engagement au militantisme, l’urgence de l’art vivant est de montrer le monde dans lequel nous vivons, un monde fait de questions, de cruauté et d’amour. Tel serait l’antagonisme humain…

“La Rabbia” et « Questo Buio Feroce », de Pippo Delbono, font parti de ces ?uvres qui continuent d’évoluer au fil du temps. Indispensable et incontournable, Pippo illustre l’homme du XXIème siècle tout comme Wadji Mouawad, avec « Seuls ». La parabole du cadre identitaire et l’appartenance à un monde nous laissaient alors entrevoir que nous sommes tous semblables, donc seuls. Formidable.

La découverte des écrits de Louis Calaferte s’est faite par l’intermédiaire de Je veux qu’on me parle, mise en scène d’Alain Timar et de Tu as bien fait de venir Paul ” mis en scène de Didier Moine.  Véritable voyage au centre des relations humaines, l’auteur livre ses visions sans concessions, avec une parole toujours juste. Auteur voué au démon de son vivant, il serait de bon ton de le redécouvrir pour mieux nous connaître.

Parce que l’enfant que l’on était s’est construit pour devenir ce que nous sommes, Joël Pommerat et son Pinocchio” contemporain nous content la difficulté de grandir dans ce monde en perpétuel mouvement qui ne laisse plus de place au souffle.

A contrario de Claire Le Michel et de son “Homme Approximatif”  offrant une vision intimiste de l’être humain, plus sereine et pleine d’amour.  L’amour, ce sentiment si compliqué ! Dostoïevski avec Les nuits blanches, mis en scène par Xavier Gallais et Florient Azoulay, laissent le charme du sentiment amoureux se développer, avec des mots purs, issus d’un autre temps.

La seconde surprise de l’amour de Marivaux couplé à “Douleur Exquise” de Sophie Calle nous démontre que l’amour est bel et bien encore et toujours un sentiment existant.

Je suis donc un homme amoureux, dont le cadre identitaire défini vole en éclat lorsque je m’assois dans une salle de spectacle. Continuons à nous interroger et à nous regarder en 2009…

Laurent Bourbousson.

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Avec Bruno Meyssat, le spect’auteur malmené.

Marseille, samedi 20 décembre. 15h. Dans les rues, la crise de la consommation fait un vacarme d’enfer. Comme je l’avais prévu, j’entre au Théâtre des Bernardines, dans la continuité de mon engagement de spectateur. En préface au spectacle « Séance » de Bruno Meyssat, la philosophe Marie-José Mondzain écrit : « L’image ne produit aucune évidence, aucune vérité et ne peut montrer que ce que produit le regard que l’on porte sur elle. Voir ensemble, ce n’est pas partager une vision, car jamais personne ne verra ce que l’autre voit. On ne partage que ce que l’on ne voit pas. C’est cela l’invisible ». Magnifique.

À partir de ce postulat, Bruno Meyssat nous convie à un théâtre qui « encourage des apparitions » où les événements sont appropriés par celui qui les regarde. Plus d’histoire, mais des « situations ouvertes » qu’il nous invite à restituer le temps d’un dialogue avec lui, pour revoir ensuite un extrait du spectacle enrichi de nos échanges. Beau, magnifique programme pour le spectateur – blogueur qui s’est engagé en 2005 à former son regard pour devenir un spect’acteur. Je ne connais pas le travail de Bruno Meyssat mais j’entends le titre de son spectacle comme un « travail » qui pourrait se poursuivre au-delà de cette journée.

Nous sommes peu dans la salle, essentiellement composée de jeunes. Étrange. « Séance » débute. Quatre comédiens apparaissent dans un décor qui n’est pas sans me rappeler l’atmosphère de François Tanguy ou celle plus récente de Philippe Eustachon et Jambenoix Mollet où j’étais resté au dehors. Je le ressens : si l’espace n’est pas résonant, je ne franchirais pas la porte.

Cela ne tarde pas. Des objets, des rituels, des déplacements, des lumières, des enfermements, des ouvertures : tout me semble codé, échappé d’un scénario improvisé, où le sens a dû émerger d’une étincelle, à un instant précis, dans un contexte donné. L’?uvre a bien du mal à m’atteindre comme si ce théâtre-là m’intimidait, réservé à ceux qui comprennent au-delà du miroir tout en préservant leurs barrières de défense. Ce n’est pas un théâtre fait pour la parole, car il communique peu : il apparaît, disparaît sans que les liens s’opèrent. Espace de la sidération factuelle, il consolide des visions sans pour autant les mettre en mouvement. À mesure que les séquences se révèlent puis s’effacent, j’entends le bruit du dehors et le vacarme des embouteillages. Les lampes du plafond entrent alors dans la danse ; je les suis du regard. Je pars. C’est terminé.

La lumière s’allume. Bruno Meyssat s’assoit sur les marches du gradin, derrière moi, tel un psychanalyste. Les comédiens sont sur scène, face à nous, objets du rêve, du cauchemar. Les questions fusent…sur la technique du spectacle! Je suis entouré d’élèves acteurs qui n’ont strictement rien à dire sur ce qu’ils viennent de voir.  La prof prend des notes. Je bouillonne face à ce dialogue aussi pauvre. Pas un mot sur leur ressenti. Je lance un provocant : « vos questions sont chiantes ». J’ose le tout pour le tout : « je quitte le rituel de Noël pour les vôtres qui m’ont profondément ennuyé ».  J’évoque Pippo Delbono, Joël Pommerat et la dernière scène, plus poétique. « Ce n’est pas la plus intéressante » me rétorque Bruno Meyssat. Fermez le ban !  Une dame m’agresse et me balance ses références picturales et cinématographiques. Cela ne décolle pas. L’escalade se met en place. Meyssat observe et laisse filer. Les acteurs semblent emmurés, à se demander ce qu’ils font là. J’aurais envie de les entendre, hors la présence pesante du metteur en scène. Une jeune femme ose la question : « qu’attendez-vous de nous ? ». Bruno Meyssat s’emmêle, dit trois banalités sur l’importance de la parole du spectateur. Les acteurs se lèvent, installent le décor et rejouent un extrait.

Bruno Meyssat lit Marie-José Mondzain. Il a raison. Cette philosophe est passionnante. Elle conceptualise la place du spectateur, pensé comme un auteur dans sa relation à l’auteur. Mais comment envisager une parole dans un groupe dont je ne connais aucun des membres, dans un contexte où l’?uvre ne « parle » justement pas ? Comment être « auteur » dans un espace où je ne peux « relationner » convenablement (comme à l’école, les uns derrière les autres, cernés de toute part) ? Une parole singulière s’entend dans un collectif contenant, où l’on ne sent pas en danger, où l’on s’éloigne du jugement binaire, « je n’aime, je n’aime pas ». Être « auteur », c’est pouvoir aller au-delà des mots (on aurait pu me demander ce que représentait « l’ennui » pour moi). Marie-José Mondzain ignore-t-elle que la parole, ce n’est pas simplement « dire » ?

Cette « séance » ne change rien : elle est à l’image des « après spectacles », si peu circulaires, organisés par les théâtres en présence des auteurs et du management. On aurait pu imaginer qu’acteurs et metteur en scène inventent un espace, se positionnent dans un « dedans dehors » contenant plutôt que de nous laisser déborder, ici par la recherche de la réponse technique, là par l’étalement du savoir, ailleurs par un ressenti brut. J’y étais sincérement prêt pour pouvoir « approcher » autrement cette ?uvre à partir de mes émotions et des réflexions du collectif. 

La parole, sans espace démocratique, sans positionnement de l’écoutant, n’est qu’une « matière » volatile au service d’un concept, rarement d’une créativité.

 

Pascal Bély – www.festivalier.net

?????? “Séance” de Bruno Meyssat a été joué le 20 décembre 2008 au Théâtre des Bernardines de Marseille.

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La douce Tunisie d’Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou.

Pour m’éloigner de la pesanteur des leitmotivs journalistiques de fin d’année, je prends mon envol pour le Théâtre d’Arles avec la Compagnie Chatha et leurs « Khaddem Hazem » (« hazem » signifiant bassin, jeu de mots pour traduire « ouvrier du bassin »). C’est mon dernier spectacle de l’année 2008, autant dire que la pression est assez forte, après une rentrée théâtrale assez molle.

Les lumières baissent et le son d’une radio tunisienne déverse son flot de paroles. Je revois les rues d’un petit village de Tunisie et des images oubliées refont surface : les champs, les hommes, les enfants, les femmes, la médina… Je voyage tout en étant assis. Puis, la lumière éclaire les corps. Ces fameux « Khaddem Hazem » sont ici. Ils s’ouvrent au son, comme l’on s’éveille à la lumière du jour. Tout doucement. Ils entreprennent leur travail, leur tâche journalière, s’échangent leurs identités en s’habillant des vêtements posés à même le sol. Les Khaddem Hazem sont eux, moi, vous, nous. Ils nous prennent par la main, instaurent une confiance, un dialogue. On se sent bercé par un ronronnement, par le déroulement d’une journée classique de travail. Une certaine lassitude s’installe. Cela m’effraie. Leurs roulements de bassin ne visent-ils pas à nous endormir pour laisser filer notre destin entre nos doigts ?

Comme un électrochoc,  la tendance se renverse et des petits Brésiliens jouent au foot avec les canettes en aluminium pour croire en leur futur, j’imagine Kaboul sous les bombes avec  l’envie de vivre, je regarde les corps dérivés des clandestins dans la mer salée s’échouant sur les rives de la méditerranée à la recherche d’un eldorado. Autant de destinées bousculées par un effet papillon ou provoqués par un soubresaut intime.  La force se puise au fond des êtres. Avec les Khaddem Hazem, il faut croire en son destin, le saisir à même le corps, le tordre, le faire sien, sans pour autant le subir.

La danse de Aïcha M’Barek et de Hafiz Dhaou est impressionniste où le corps, sans artifice, sans surenchère, prend toute sa place, sans concept pour vampiriser un propos. Certes, leur danse n’invente rien, mais elle est généreuse.

De la danse dansée. Ouf, il était temps.

Laurent Bourbousson- www.festivalier.net


?????? “Khaddem Hazem” par Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou a été joué le 16 décembre 2008 au Théâtre d’Arles.

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« Les Talents Danse » de l’ADAMI : la force (trop) tranquille de la jeunesse ?

En novembre dernier, je participais au jury régional « Talents danse » à Marseille organisé par l’ADAMI. Deux danseuses interprètes furent sélectionnées et invitées pour l’audition finale du 13 décembre à Paris.

Ils sont dix, lauréats des régions, à entrer en compétition pour cette troisième édition. Un jury de « débatteurs » est convoqué pour la circonstance. Une vidéo d’une minute présente les candidates avant chaque prestation, pour poser le contexte. C’est souvent drôle et osé. Le propos bouscule avec humour l’ordre établi, replace l’audition dans un environnement plus large. La vidéo ouvre, là où le concours réduit (ils ne seront que quatre à être choisis pour passer une année avec deux chorégraphes). Présent comme spectateur, je soutiens Mélodie Gonzales, l’une des candidates qui  nous avaient tant époustouflés à Marseille.

Au final, les dix propositions de cinq minutes chacune reflètent un paysage chorégraphique assez uniforme et consensuel (absence du hip-hop, du bûto, de la non-danse, un seul homme et des peaux toutes blanches) comme si la diversité des auditions régionales s’était uniformisée pour concourir à Paris. Ils sont quelques-uns à s’emparer sans complexe de tous les codes possibles (influence évidente du théâtre et des arts plastiques) pour jeter un regard parfois amusé, souvent distant ou désabusé sur la place du danseur, tandis que d’autres semblent fusionner avec le propos du chorégraphe. Masqué, affublé de tenues improbables, d’objets insensés et d’attitudes pour le moins désarticulées, le danseur perd souvent de sa superbe pour épouser les maux de notre société (la peur hante bien des propositions) où la technique dansée cède la place à un jeu où le corps habite plus qu’il ne se prolonge dans un mouvement. Il est fréquemment question d’identité, de sa perte, où la folie côtoie la dissonance, les désarticulations. Ainsi donc, cette jeunesse concours avec ses malaises, la fragilité de son statut (doit-on rappeler ici le sort des intermittents), occupe la scène avec une énergie fragile. On en voudrait presque à ce concours de ne pas former une compagnie ad’ hoc pour l’ouvrir sur l’Europe et le monde !

Le jury a donc voté. Il se dégage un savant équilibre (peut-il en être autrement), là où j’aurais préféré un parti pris. Il aurait fallu inclure Mélodie Gonzales, l’une des rares à habiter un personnage avec une force étonnante. Vivant à  Londres, elle fait preuve d’une insouciance revigorante alors que notre pays semble s’enfoncer dans la dépression.

Saluons deux gagnantes : Mélanie Chartreux sur une chorégraphie de Pierre Rigal avec « Que serai-je, serai-je », solo éblouissant sur la vulnérabilité en ces temps de maîtrise et  Pauline Simon avec « Pays sage » de Laurent Falguieras, danse où l’embryon scénarise, pendant que le spectateur voit cette belle danseuse éclore.

« Talents Danse » est un projet intéressant qui mériterait de s’ouvrir au transdisciplinaire (n’est-il pas là le défi du danseur interprète dans les années qui viennent ?), de varier ses prix et ses récompenses en s’appuyant sur les régions pour créer des maillages plus fins (est-il possible de quitter ce lien vertical entre province et Paris ?). Il pourrait inclure des spectateurs à tous niveaux pour diversifier les regards dans une finalité démocratique, et élargir le cadre strict des cinq minutes réglementaires !

N’est-il pas là le projet pour notre jeunesse ?


Pascal Bély – www.festivalier.net

A lire le compte-rendu de l’audition régionale à Marseille: L'ADAMI conjuguerait-elle les talents ?

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Latifa Laâbissi, bête de scène.

A l’entrée de la salle, on préfère nous avertir : « certaines scènes seront jouées dans l’obscurité la plus totale ». Le principe de précaution s’immisce décidément partout. Aurions-nous peur, même du noir ? C’est fort possible.

Avec la chorégrapheLatifa Laâbissi, nous y voilà immergés dès les vingt premières minutes. « Histoire par celui qui la raconte » remonte le temps, celui où plongés dans l’obscurité des cavernes, nous éructions, nous chassions sans ménagement, à la recherche de la proie facile, mais résistante. Je ne vois rien ou plutôt je ressens tout. Le noir sculpte les corps, les cris les dessinent. Je me sens en totale sécurité, protégé du dehors où bruissent les consommateurs, vraies bêtes de la consommation, affolées par la période des fêtes.  

Soudain, la lumière s’allume. Sur la scène, trône deux micros, une enceinte, dans un décor de  studio d’enregistrement de musique contemporaine, caverne efficace pour étouffer le son. Pris par surprise,  le public rit comme si nous étions les proies d’une  “chasse”  au c?ur d’un théâtre ! Une, puis deux bêtes de scène arrivent (surprenantes Jessica Batut et Latifa Laâbissi) : habillées de peaux d’animaux, en bottes blanches, l’une se la joue contemporaine avec son accent belge incompréhensible (très tendance dans le monde de la danse !), mélange de langage global et d’intonations locales. L’animal est en nous, le poil est de retour et les humeurs sociales avec ! Et lorsqu’un homme apparaît, le manège de nos comportements contemporains se met à danser, à se statufier, à s’écrire symboliquement sur les parois de nos cavernes imaginaires.

Latifa Laâbissi sculpte notre présent à partir d’un récit jubilatoire, entre poésie et théâtralité ! Telle une sociologue, elle redessine le corps social contemporain, mais à partir de notre imaginaire sur la préhistoire. Elle créée le chaos en fredonnant une Marseillaise déconstruite avec l’accent maghrébin, où s’immisce la chronique de nos peurs contemporaines. Notre société reproduirait-elle des cavernes pour y enfermer les « non civilisés » ? D’autres personnages s’invitent, toujours par surprise, mais avec respect et humilité. Elle introduit notre responsabilité collective envers « l’espèce » humaine tout en célébrant le retour d’une sauvagerie ritualisée. Je me sens totalement envahi par l’énergie profondément positive de ce spectacle comme immergé dans un humanisme intégral.

À sa manière, elle pose le changement de civilisation que la crise annonce. Des bêtes sont prêtes à se jeter sur nous. Arrêtons l’angélisme, rouvrons les cavernes et faisons du vacarme.

Pascal Bély – www.festivalier.net


A lire  la chronique de Guy Degeorges sur Un soir ou un Autre.

?????? ” Histoire par celui qui la raconte” de Latifa laâbissi  a été joué le 13 décembre 2008 au Centre Georges Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.


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La crise. Encore ?

Nos théâtres provençaux vont-ils bientôt se réveiller et arrêter de nous endormir avec leurs numéros de cirque et de foire dont la performance pour le spectateur consiste à bailler pour ne pas sombrer ? Ce soir, dans un Théâtre des Salins congelé, je m’interroge : pourquoi « ça »? En nous proposant trois moments (deux solos, un duo), on pouvait légitimement s’attendre à une diversité vivifiante en lieu et place de ces numéros qui nous enfoncent dans le vide par les bons sentiments et des formes esthétisantes qui courent après le sens.

Le premier solo de Chloé Moglia aurait pu suffire. « Nimbus » fragilise notre regard sur la performance où la force s’éclipse pour le doute, l’égarement, l’imaginaire. Elle arrive avec son échelle pour atteindre son trapèze. Je plonge dans un ailleurs fait d’équilibres, de fragilité, où la lumière suspend le corps. C’est un espace immatériel ouvert alors que le vide l’entoure. Elle déploie son corps pour se mouvoir dans des ouvertures symboliques qui font référence à la créativité en temps d’enfermement. J’aurais aimé une descente moins brutale alors qu’elle rejoint la scène. Je ressens un propos épuisé, là où les danseurs auraient exploré bien d’autres pistes.

Le duo qui suit, « Ali » avec Mathurin Bolze et Hedi Thabet, propose une performance entre deux hommes dont l’un est unijambiste. Vingt-cinq minutes d’escalades, de liens conflictuels et amoureux, de recherches d’articulations entre le 1 et le 2. C’est le handicap qui fait le spectacle et Mathurin Bolze s’appuie sur lui pour parler d’eux. La bête de foire ne tarde pas à émerger et faire rire le public tandis que les applaudissements ponctuent les performances. Face au chahut, les voilà contraints de faire un signe pour réclamer le silence. Je décroche rapidement dans ce zapping de numéros où l’autre différent n’est finalement réduit qu’à ce qui le handicape. Tout est effleuré avec pudibonderie et finit par produire un consensus mou. Il aurait fallu toute la poésie d’un Pippo Delbono pour oser faire du handicap, un travail du regard et non ce jeu de béquilles trop voyant qui masque cruellement le processus d’exclusion. Le “corps social” n’existerait-il donc pas? Le public, point dérangé dans ses certitudes, peut applaudir la paresse du propos.

Le dernier solo s’enlise dans le vide sidéral. « Croc » par la Compagnie Moglice, interprété par Mélissa Von Vépy consterne. Imaginez un énorme crochet industriel sur scène. La dame se l’empare, tourne autour, fait joujou et finit par totalement me faire sombrer. La forme phallique de l’objet réduit cette petite performance à un exercice de contritions. On en viendrait presque à regretter les godemichés de « Pâquerette » vus à Berlin. A Martigues, pays de Total, on se contentera du crochet. Pour le symbole, j’imagine.

Pascal Bély – www.festivalier.net

??????« Nimbus » par la compagnie Moglice – Von Verx

?????? « Ali » par la compagnie MPTA.

?????? « Croc » par la compagnie Moglice – Von Verx

Trois spectacles joués au Théâtre des Salins de Martigues le 12 décembre 2008.

Crédits photo: Arnaud Sardoy, Florence Delaye, Arnaud Sardoy.

A lire sur TELERAMA, la critique positive de Mathieu Braunstein.