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ETRE SPECTATEUR

Chronique d’une spectatrice ordinaire.

Au lendemain du sacro Saint Valentin, deux histoires d’amour, mais hélas, pas deux histoires de l’art.
« Je t’ai épousée par allégresse »
, une pièce de Natalia Ginzburg mise en scène par Marie-Louise Bischof Berger avec Valéria Bruni-Tedeschi et Stéphane Freiss puis, en début de soirée, « Elle et lui », un film réalisé en 1957 par Leo Mac Carey avec Gary Grant et Deborah Kerr.

Se retrouver d’abord avec des amis au Théâtre de la Madeleine. Pour un rendez-vous avec la vacuité. Au point de ne savoir qu’écrire. Car comment décrire le vide ? Ce n’est ni drôle, ni intelligent, ni engagé, ni percutant, ni triste, ni rien.

C’est le théâtre du consensus mou, de la légitimation par la scène des acteurs de cinéma. Cela ne suffit pas pour donner du sens à une démarche artistique. Et c’est dommage pour Valéria Bruni-Tedeschi qui m’avait pourtant beaucoup touchée dans ses réalisations et tout particulièrement dans son premier film : « Il est plus facile pour un chameau… ».

Aujourd’hui il est plus facile de rester dans sa case sociale. Valéria a sans doute souhaité en sortir. C’est déjà louable, même si cela ne nous a pas permis de passer un bon moment.

Avant la séance de cinéma, une visite imprévue chez une amie. Elle vient de terminer un contrat de six mois à la Croix-Rouge, au sein de la permanence  d’accueil de demandeurs d’asile à l’aéroport de Roissy, la première par le nombre de demandeurs, soit presque 95% des demandes d’asile à la frontière.

Elle n’a tenu que six mois, mais elle en est fière, car au royaume de l’injustice humaine quotidienne, six mois c’est une éternité.

Elle a besoin de parler. De parler pour exorciser.

Alors, elle parle de son impuissance à accueillir dans des conditions dignes des gens venus chercher en France l’eldorado de la Liberté, de l’Égalité et surtout, de la Fraternité.

Absence de moyens, mais surtout, absence de c?ur, d’humanité. Besoin de rappeler les valeurs pour retrouver le sens de tout ça. Et en tête, les grands principes fondateurs du mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : « Humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité ».

Au sein d’eux, et avec le vécu du terrain : d’accord pour la neutralité, pas d’accord pour l’humanité.

Quelle humanité quand sa responsable lui fait une crise d’autoritarisme alors qu’elle prend l’initiative d’accompagner un réfugié malade chez le médecin ? Quelle humanité quand il est malade d’avoir passé une nuit de décembre dans la rue, devant la Préfecture de la République française à tenter d’obtenir un titre de séjour ? Quelle humanité, après tous ces reproches, de lui demander en plus et avant tout s’il était contagieux ?

Des exemples plein la tête de journées comme celle-ci où la Croix-Rouge fait du zèle avec la neutralité pour jouer la complaisance avec les objectifs de reconduite du Gouvernement.

Besoin de témoigner. Besoin de dire qu’être un humain dans un monde où seule la rationalité du nombre de reconduites à la frontière compte, souvent, ce n’est rien. Besoin de ne pas avoir à se faire de carapace pour regarder la réalité en face.

Et s’interroger sur la place pour l’humanité dans tout ça. Que ressentent les policiers chargés des reconduites quand ils lient et insonorisent les sans-papiers. Que se passe-t-il au fond de leur c?ur ? Quelle est la place de l’amour dans tout ça ?

Et puis la quitter pour aller au Festival du film romantique pour voir « Elle et lui ».Une histoire d’amour. Une histoire qui débute par une comédie, par un chassé-croisé amoureux, sous fond de croisière le long de la Côte d’Azur. Et puis la croisière ne s’amuse plus. Et après la légèreté, survient le drame. Subtilité du jeu des acteurs. Jolis jeux de regards. Dénouement subtil et happy end non souligné. Nous passons un délicieux moment au Studio 28. Un cinéma indépendant de la butte Montmartre entièrement refait, mais qui respire l’histoire du cinéma : il y a des traces des passages de Jean Marais, de Woody Allen et d’Agnès Varda notamment. L’équipe du cinéma est accueillante, investie, sympathique. Nous repartons conquises.

Alors quoi?

Relisons ensemble le Discours de Suède prononcé par Albert Camus lors de la cérémonie de remise de son prix Nobel de littérature. Cette même année 1957.

Je peux bien sûr indiquer par un lien l’intégralité de ce texte : http://pppculture.free.fr/camus.html. Mais je préfère au surplus vous en délivrer quelques morceaux choisis, comme pour mieux bâtir des passerelles avec les réalités de 2009.

Pour remercier le jury du Nobel, Albert Camus évoque sa condition d’écrivain : « riche de ses seuls doutes ». Ce pied-noir (et non, ils ne sont pas tous des suppôts en puissance de Jean-Marie), évoque d’abord sa condition d’écrivain : « L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes ».

Puis il ajoute que le seul parti qu’auraient à prend
re les artistes en ce monde serait «celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel. »

Conscient de l’ampleur de la tâche à accomplir, il ajoute « Aucun de nous n’est assez grand pour une pareille vocation. Mais, dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s’exprimer, l’écrivain peut retrouver le sentiment d’une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu’il accepte, autant qu’il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté ».

Ensuite, avec des mots d’une actualité intacte : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire, mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir ».

On pourra avancer que la démarche est pédante.

Facile. Oui, car faire appel à un grand auteur devenu une référence de la littérature mondiale est sans doute facile.

Mais ce blog n’a plus à prouver son soutien à la culturelle actuelle.

Et puis quoi de plus vivant que ces paroles prononcées il y a 50 ans? A l’heure où se signait le traité de Rome?

Que nous demandent-elles?

Elles nous rappellent que nous, tous, spectateurs, artistes, acteurs culturels, blogueurs, pas blogueurs, journalistes, aspirants journalistes, repousseurs de journalistes, lecteurs, nous tous là, les gens de ce petit monde pas si petit, nous sommes dans le même bateau.

Le bateau des valeurs humanistes, créatrices et résistantes, contre la vacuité de la société de la seule consommation. Contre la société où seules les têtes d’affiche suffisent à monter un spectacle des milliers d’euros. Contre la vacuité d’un produit culturel diffusé après étude de marché, et où dès lors, on est toujours sûr de ce sur quoi on va tomber. Où l’on n’est jamais surpris. Contre l’horreur d’une société où l’on demande d’abord s’il était contagieux, pas si aujourd’hui il est vivant. 

Alors, quoi encore?

Alors surprenons-nous les uns les autres. Nous qui sommes dans le même camp. Nous qui au fond, rassurez-moi, ne perdons pas de vue l’essentiel.

Travaillons ensemble avec ténacité et courage. Pourquoi pas à partir des propositions du Tadorne, pourquoi pas à partir d’autres.

La porte est ouverte et derrière, il n’y a que des mains tendues.

Alors oui, je connais la chanson. On me rétorquera que le spectacle de David Bobée  (« nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue ») est simpliste, naïf. Qu’il y a aussi cette scène, avec une femme blanche et un homme noir. Je les entends se pâmer : « oh ! C’est beau l’amour ! ». Et bien oui. Putain c’est beau l’amour.

Et on a du pain sur la planche les amis.

Elsa Gomis.

www.festivalier.net

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Washington-Paris-Mens-Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (2/2): le projet du blog « Le Tadorne ».

Nous avions beaucoup aimé, « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » par David Bobée.

Sur son invitation, nous sommes revenus le 7 février au Théâtre de Gennevilliers pour une nouvelle représentation dans le cadre d’une soirée de parrainages citoyens envers les sans-papiers. Fidèle à l’esprit de la Révolution Française, cette soirée fraternelle fut un acte de résistance. Des spectateurs se sont regardés, des enfants ont pu courir dans un théâtre, des étrangers ont pu sourire sur un plateau, et finir par applaudir debout l’?uvre percutante, généreuse et fébrile de David Bobée et Ronan Cheneau.

Le puzzle qui s’est agencé au travers du précédent article a donc dessiné la route. L’impulsion fut donnée par Martine Silber, auteure du blog Marsupilamima,  pour renouveler notre écriture de blogueur lors du prochain Festival d’Avignon.

La demande fut formulée par Pierre Quenehen, directeur du festival de Mens alors!, pour articuler la parole du public avec le blog du Tadorne.

Des professionnels du social et de la culture des collectivités locales nous ont contactés pour penser avec nous leur positionnement afin de créer une relation plus ouverte, plus créative envers le public.

Au final, le metteur en scène David Bobée a semé le doute puis suscité le désir de nous ouvrir autrement.

Ainsi, nous décidons d’orienter le blog « Le Tadorne », non plus vers une seule forme d’écriture, mais vers des contributions croisées (débats entre spectateurs notamment). Dans les prochaines semaines, nous allons :

– Créer différents groupes sur Facebook pour mettre en réseau les spectateurs, les artistes, les festivals, les institutions;

– Créer un forum pour croiser les expériences d’articulations et de mise en lien créatives qui dépasseront le seul cadre culturel ;

– Ecrire non plus sur ce que nous voyons (bien, pas bien) mais sur ce que nous articulons ;

– Nous appuyer sur un nouveau moteur de recherche, celui d’Un Air de Théâtre,  pour avoir une vision globale des différentes contributions des blogs culturels.

La notoriété du blog « Le Tadorne » nous permet maintenant d’offrir un espace d’expression à tous ceux qui sont engagés dans une parole et des actes décloisonnants.

Le lieu du lien.

Le lieu de la proposition et de l’action.

En clair, nous souhaitons fabriquer un outil de travail, un levier pour ensemble créer sur le terrain des articulations créatives.

« Le Tadorne » a besoin de tous ceux qui ont choisi une communication transversale pour :

– Promouvoir  les artistes qui accompagnent notre société à changer de paradigme (des schémas rationalistes enfermants au modèle ouvert de la communication circulaire ; de la pyramide au cercle).

– Articuler les fonctionnements institutionnels aux processus décloisonnants de la création artistique.

– Elargir les publics par une vision circulaire de la communication à partir de valeurs rassembleuses.

Cette démarche porteuse de sens est à nos yeux le moteur de la croissance dans un monde immatériel.

Pour travailler nous choisissons six axes d’inspiration :

-Les réflexions du philosophe Bernard Stigler : la culture est le moteur du développement ; la figure de l’amateur éclairé qualifie autrement le spectateur ;

-La pensée d’Edgar Morin : intégrer la culture dans le cadre d’une politique de civilisation ;

– Les travaux du sociologue Michel Maffesoli sur la postmodernité ;

– La cinéaste et plasticienne Agnès Varda, auteure des « Plages d’Agnès »: la sincérité, le lien de confiance, la créativité et la liberté ;

– « Le coeur glacé » roman d’Almudena Grandes,  David Bobée metteur en scène de “Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue” : la rage, la volonté de dépasser l’inacceptable ;

-« La mélancolie des dragons » Philippe Quesne et « Les Sisyphes » de Julie Nioche : l’éloge à l’inutile comme acte de résistance et de création.

Rendez-vous en Avignon, à Mens, dans votre collectivité, chez vous.

« L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous voulons faire » (Bergson).

Elsa Gomis – Pascal Bély

www.festivalier.net

elsa.gomis@gmail.com – pascal.bely@free.fr

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EN COURS DE REFORMATAGE

Le spectateur cuisiné, Au Ring, scène d’Avignon: 1er épisode.


Associer le spectateur au processus de la création est désormais habituel pour un lieu institutionnel. On participe régulièrement à des étapes de travail, des répétitions, durant lesquelles on se retrouve en situation de spectacle. Nous pensons alors avoir accès à l’inédit, à ce « quelque chose » que nous sommes seuls à voir. C’est souvent un temps répété dont la spontanéité est quasi absente.

La newsletter du « Ring », théâtre en Avignon, proposa le mois dernier d’assister à un travail de création, « en construction », de l’écriture jusqu’à la livraison finale lors du prochain Festival Off 09.  « Les culs de plomb », écrit par Hugo Paviot, mise en scène par Marie Pagès, avec David Arribe, Aïni Iften, Sophie Stalport et Coralie Trichard, se laisse donc voir dès sa genèse.

Tout commence à l’envers. Marie Pagès nous accueille et présente toute l’équipe artistique. Comme une fin de spectacle, les voici en ligne, prêts à saluer.

Personne ne sait le déroulement de la soirée, sauf qu’il va lever le voile sur son écriture. Les acteurs et le metteur en scène sont alors à la merci de l’auteur. Nous aussi. Mais comment  articuler un travail relevant de l’intime avec des comédiens?

Hugo Paviot prend la parole, nous raconte la rencontre avec Marie, leur envie de travailler ensemble, leur complicité, ce qu’il est, ses lectures, ce qui le nourrit. Il fait des tentatives avec les comédiens, avec Marie Pagès, afin de nous donner la substance même de ce que pourrait devenir le texte en écriture. On touche à l’inexplicable, au « pourquoi ».

Des essais imaginés prennent forme et la spontanéité fait son ?uvre : des images de guerre, des mots, la musique de Barber. La confiance s’installe. Ce moment de partage nous embarque tous, sans savoir où nous allons.

Après une heure de discussion autour de « la cuisine de l’auteur », Marie Pagès clôture. Est-ce la première scène ?

Ce soir-là, le théâtre retrouve de l’âme, car il concilie spectateur et créateur. Une réponse à la crise ?

Laurent Bourbousson.

www.festivalier.net


Cette première session intitulée “La cuisine interne de l’auteur” a été présentée le 9 janvier 2009.

A venir, le second volet : La livraison du “premier jet de la pièce”, le vendredi 13 février au Ring – Avignon

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EN COURS DE REFORMATAGE

Michel Kelemenis, chorégraphe.

Après avoir suivi le processus de répétition de « Viiiiite » et d’« Aléa » au cours du mois de janvier, la générale au Pavillon Noir m’impressionne. Je ressens la tension des corps après tant d’heures de travail. Nous sommes une cinquantaine dans la salle, comprenant les étudiants de Coline, structure menacée de disparition par les pouvoirs socialistes locaux. À la veille de la grève du 29 janvier, les trois ?uvres de Michel Kelemenis sont un espace protégé où il me plaît de me ressourcer. Avec lui, la danse est un propos. C’est l’un des rares à faire cette recherche « fondamentale », à communiquer par la danse pour la danse, avec sérieux, créativité et empathie.

Les étudiants de « Coline » sont derrière moi, visages fermés. Le dialogue s’amorce sur leur sort et la place que pourrait jouer internet pour sauver leur structure de formation Peu de répondant. J’ai envie d’échanger avec eux  sur la danse de Kelemenis…

« Viiiite »: Avec élégance, ils se présentent à nous, tout de blanc vêtu. Caroline Blanc et Michel Kelemenis font quelques pas, s’engagent dans des mouvements si harmonieux que l’on peut aisément étendre ses jambes et relâcher la pression. Mais à les voir enfiler de longs gants tout blancs, on comprend vite que le corps n’est plus qu’une apparition fugace, une émergence confirmée par la lumière d’un gyrophare. Il y aurait-il urgence tandis que les compagnies de danse sont priées d’entrer dans le moule d’une culture uniformisée ? Alors que notre société fait de la vitesse une échappatoire au sens, la force de « viiiiite » est d’en faire une forme en soi. Soucieux de nous accompagner dans ce processus « spiralé » descendant et ascendant, Kelemenis joue avec la figure du clown ou du Pierrot de la Comédia del’Arte pour enrichir le propos et tapisser notre imaginaire d’images tout aussi fugaces, mais ancrées.

Cette danse-là, forme le regard, c’est le moins que l’on puisse dire. Alors que la lumière fait apparaître puis disparaître, elle est à son tour un mouvement comme l’odeur évanescente, symbolisée par le rapprochement des deux corps dans une sphère intime. Ainsi, « viiiiite » est une danse concentrique qui finit par vous englober. Avec Michel Kelemenis, la danse est avant tout l’art de la reliance.

Pause. Je me retourne. Je cherche avec eux quelques mots qui ne viennent pas. Étonnés par mes questions, apeurés aussi. Il leur est difficile de franchir les barrières entre danseurs-étudiants et spectateur.

« Tatoo » : Vingt minutes de plaisir à l’état pur, comme si le spectateur pouvait enfin jouer à cache-cache avec la danse, qu’elle soit contemporaine ou classique. Michel Kelemenis s’amuse, nous aussi. En s’appuyant sur les codes (dont les pointes), il déséquilibre le clivage en huilant les mécaniques de nos représentations. Cela en deviendrait presque subversif. Cette danse accueille, ouvre les verrous, se repose sur la fragilité de l’humain pour consolider l’articulation entre classique et contemporain. Le plaisir vous contamine même si l’on regrette les corps pas totalement habités des danseurs. À danser au-dessus des parties, il n’en faudrait pas plus pour être déstabilisé.

Pause. Les étudiants sont toujours là, derrière moi.  Nous échangeons sur la technique des danseurs. J’évoque le plaisir de voir une ?uvre au dessus des clivages. Étonnés, comme s’ils n’entendaient jamais cette parole de spectateur. Pour Coline, on fait quoi ?

« Aléa » : La dynamique des sept danseurs impressionne. Elle est danse. Michel Kelemenis ne se perd pas dans des effets de style ou des figures conceptualisés : ne compte ici qu’une recherche entre l’autonomie de l’individu, l’émancipation du groupe et un désir collectif qui prend forme. Ce n’est pas une danse qui impose, elle propose. À sept, ils dessinent avec leurs costumes de couleurs, la toile du peintre où vient résonner la musique électronique de Christian Zanési, tumulte de nos sociétés contemporaines. Et je m’étonne d’entrer au c?ur de leur tresse, de n’en perdre aucun, de me mouler avec eux. « Aléa » est si fluide que chaque espace nous laisse une place. Le final, où chacun improvise dans le chaos, est le triomphe du « nous » sur le « je » concurrentiel, de l’art sur le « vide», de l’émancipation sur la soumission. C’est aussi une invitation pour le spectateur à entrer dans la danse, simplement. Sincèrement.

C’est fini. Ils sourient. Ils me tendent leur pétition papier pour les soutenir. Je signe, mais je les invite à constituer leur comité de soutien sur Internet. J’aurais bien envie de créer un collectif spectateur – danseur – chorégraphe. Comme un “Aléa” …juste  pour gripper.


Pascal Bély

www.festivalier.net

“Viiiiite”, “Aléa”, “Tatoo” ont été joués du 29 au 31 janvier au Pavillon Noir d’Aix en Provence.


A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/3) !
Le deuxième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !
Le troisième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).

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EN COURS DE REFORMATAGE

« Comme Une Fille Enlève sa robe » de Perrine Valli : trois blogueurs débattent.

Guy : J’hésite…J’ai été plutôt déconcerté. Sans trouver la bonne approche pour regarder cette proposition. Le sujet annoncé-la prostitution- est fort et particulier. Un sujet à risque !

Mais ce qu’on voit au début semble étranger à ce thème: une danse lente dans la lignée de ce qu’on a déjà vu de Perrine Valli (des poses bras tendus comme sur la photo qui illustre le site de Mains d’?uvres). On s’y fait …avant de découvrir des tableaux qui nous ramènent au thème central: les deux interprètes lourdement maquillées, la danseuse confrontée au déferlement de ces petits hommes virtuels…Je m’y suis un peu égaré, malgré les itinéraires dessinés en sparadraps pointillés… )

Jérôme : Il est vrai qu’on est loin de la prostitution réelle. C’est plus une idée de la prostitution, un fantasme de prostitution chez une jeune femme d’aujourd’hui. Rien de sordide ici. En fait, la pièce de Perrine Valli parle de bien d’autres choses. Elle est toute d’ambivalences et de miroirs: la gémellité de la pure et de la pute ; les pointillés formant chemin et frontière ; les petits bonshommes pouvant symboliser des clients – c’est l’interprétation de Rosita Boisseau dans sa critique du Monde – mais aussi des enfants, un désir d’enfants. La bande son, qui laisse percer des cris juvéniles, va dans ce sens, et la scène est aussi belle que légère, enfantine elle aussi, presque allègre. Cette scène peut aussi renvoyer à la représentation de Nout, la déesse egyptienne au corps étoilé (la voûte céleste, en somme) qui avale le soleil le soir et l’enfante au matin !

Guy : Cela m’a plutôt évoqué des images de space invaders. A chacun ses références…

Jérome : Je te rejoins sur la cohabitation étrange d’une danse abstraite, où l’on reconnaît que Perrine Valli est encore très fortement influencée par la gestuelle sémaphorique de Cindy van Acker (dans Obvie, par exemple), et d’une narration.

Guy: Mais dans l’ensemble, c’est tellement différent de ce que Perrine Valli a présenté précédemment-il faut signaler qu’il s’agit d’une toute jeune chorégraphe et interprète- qu’il s’agit presque d’une première pièce…


Jérôme : Pour ma part, j’apprécie que Perrine s’engage sur cette voie moins aride. De plus, sa pièce est parfaitement rythmée, et ponctuée par de simplissimes, mais très efficaces mises au noir, qui délimitent une succession de saynètes.

Pascal : Nous pourrions échanger encore longtemps sur le propos de cette ?uvre. Elle n’en manque pas mais entre- t- elle en résonance ? Les idées fusent, tel un brainstorming entre artistes inspirés par la question. La multiplication des espaces, des symboles ne créée pas la cohérence. Tout s’additionne sans se relier. L’escalade dans le propos métaphorique sature et ne permet plus aux corps de relier les symboles. La danse de Perrine Valli met au même niveau images, utilisation de l’adhésif et mouvement comme si le corps prostitué était langage au même titre qu’une statue ou un tableau. C’est une danse totalement « contaminée » par une esthétique de l’art contemporain alors que la danse est en soi un propos. En osant filer la métaphore, le spectateur enfile les tableaux, sans plaisir, en attendant que cela finisse.

Jérôme : Je ne comprends pas pourquoi ce que tu appelles art contemporain devrait s’arrêter aux portes de la danse. Du reste il n’en a jamais été ainsi : le spectacle vivant a toujours fait appel à l’art de son temps pour habiller ses artistes et la scène. Le dispositif scénographique de Perrine Valli est d’ailleurs d’une sobriété exemplaire. J’aime cette simplicité. Enfin, au risque de paraître te reprendre point par point, les tableaux ne s’additionnent pas mais se succèdent bel et bien. L’adhésif sert de fil conducteur et marque une progression, un dévoilement. De même que l’on découvre peu à peu que les jumelles du début, unies par leurs postiches, sont deux femmes tout à fait différentes.

Il y a aussi cet homme absent, qui rappelle de manière frappante celui de Solides Lisboa (Eléonore Didier – les deux pièces se rejoignent d’ailleurs sur de très nombreux points, jusqu’à troubler ; nous y reviendrons peut-être), peut aussi bien incarner le client ou le compagnon idéal.


Guy : Je ne vois dans le rapprochement avec Solides Lisboa que des coïncidences. On peut trouver trois points communs: la table, la nudité, la lenteur… Pour commencer on voit beaucoup de tables (Cf In-Contro !) en ce moment de même qu’on voyait beaucoup de perruques l’an dernier.. Disons que c’est fortuit ! Ensuite : la nudité, son emploi était difficilement évitable compte tenu du sujet. Cette nudité est traitée avec maîtrise et pudeur, allusive, quand les deux femmes avancent du même pas, l’une l’ombre nue et cachée de l’autre. Quant à la lenteur elle me pose problème. La lenteur…Autant la lenteur me parait consubstantielle au projet d’Eléonore Didier, autant ici plutôt je la subis. Sans forcement pouvoir l’expliciter. Ce que tu appelles des mises au noir, je les ress
ens comme des blancs entre des passages signifiants, des interstices qui se sont pas forcement raccords. Trop longs ces moments consacrés à arracher les rubans, bouger la table, des moments hors de la danse. La même lenteur mais utilitaire et démonstrative qui m’a gêné chez Marcella Levi.

Je rejoins Pascal là-dessus: il y a beaucoup de matière, et parfois forte et évocatrice. Mais trop accumulée, l’articulation ne semble pas encore maîtrisée. La cohérence ne s’impose vraiment qu’assez tard dans le déroulement de la pièce.
Jérôme : Avec Solides, Liboa, il s’agit bien de coïncidence, et elle me frappe lorsqu’elle va jusqu’à ce point. Tu oublies la place de l’homme : dans les deux pièces, chorégraphiées par des femmes, il est réduit à un figurant sans visage. La table d’Eléonore et de Perrine n’est pas celle d’In Contro: chez l’une comme chez l’autre, on porte cette table et on se couche sur elle. Le bruit d’ambiance, capté dans la rue, revient également dans les deux pièces. Ici la nudité n’avait, à mon avis, rien d’obligatoire. Elle ne renvoie pas tant à la prostitution (qui n’est guère compatible avec la pudeur que tu soulignes) qu’à une façon de s’exprimer en tant que femme d’aujourd’hui. A mon sens, les nombreux points communs de ces deux pièces a priori tout à fait indépendantes livrent un témoignage concordant sur la sensibilité féminine contemporaine ; et elles sont très intéressantes à ce titre. Que signifie, chez ces jeunes femmes, cet homme absent ? Une attente, une revendication, une déception ? Je suis un homme, elles m’interpellent. Quant à la lenteur, elle m’a moins frappé que son caractère cérémoniel, presque religieux : une série d’actes convenus à l’avance est exécutée avec précision et en silence. La danse elle-même n’est pas lente. On peut inverser la hiérarchie que tu établis : pour moi, c’est la danse qui fonctionne comme interstice, ou plutôt intermède, de ce que tu nommes interstice, et que je considère au contraire comme la trame dramatique de la pièce. Nous sommes dans des procédés classiques du théâtre.

Pascal : Je n’ai jamais attendu de la danse qu’elle fasse une démonstration. Or, Perrine Valli raconte, démontre, va ici puis là, occupe la scène, le mur, la coulisse. C’est fatigant cette manière si démonstrative de concevoir l’art chorégraphique ! Le tout s’étire sans que l’on puisse à aucun moment se raccrocher à une émotion, à une image poétique, à un geste, un mouvement.

Guy: Il y a quand même des images auxquelles on peut se raccrocher !

Pascal: Tout est maîtrisé jusqu’à délimiter la scène de façon quasi obsessionnelle avec un adhésif pour ne produire que des cases. Il y a dans cette ?uvre un contrôle de l’imaginaire assez effrayant qui positionne le spectateur à devoir apprendre une esthétique sur un sujet sensible et tabou. Une façon assez élégante de signifier au spectateur que la danse peut faire aussi « ennuyeux » qu’un classique au théâtre ! Au fond : je pense que ce spectacle n’est pas destiné à un public de danse (il suffisait de l’observer pendant le spectacle !). Mais qu’est-ce qu’un public de danse ? Je ne sais pas. En fait, j’aurais bien vu cette ?uvre à la biennale de Lyon d’Art Contemporain ou à la documenta de Kassel.

Jérome : J’avoue que tu me vois perplexe. Objectivement, Perrine danse 50 % du temps… pour les 50 % restants, on peut appeler cela de la performance… est-ce si rare ou étranger à la danse contemporaine actuelle ? En un mot, je n’ai pas vu de spécificité particulière à la pièce de Perrine dans ce domaine. Aurais-tu dit du Paso doble de Nadj qu’il était envahi par l’art contemporain ?


Guy : Conclusions ?

Pascal : Et si cette ?uvre s’inscrivait dans une articulation avec d’autres arts (vidéo, photo, danse, musique)? C’est peut-être cette articulation qui me pose problème. Et à regarder les photos prises par Jérome, j’ai comme l’intuition qu’il est un des acteurs de cette pièce, en tant que photographe et blogueur! Perrine a réussi à lui faire épouser son propos…

Jérome: Nous aurions pu poursuivre sur cette question de l’art contemporain, et il avait  d’autres choses que je n’ai pas pu dire sur les thèmes abordés par la pièce. Ce qui est vrai, c’est que la photographie rapproche sans doute des danseurs. On suit leurs mouvements physiquement avec l’appareil photo. En regardant dans le viseur, la vision est plus resserrée, plus intime. On est aussi plus sensible, sans doute, à la beauté formelle. Maintenant, cela dépend quand même aussi de la pièce.

 

Au sujet de « Comme Une Fille enlève sa robe » de Perrine Valli, présenté à Mains d’Oeuvre dans le cadre du Festival Faits d’Hiver à Paris.

 

Echanges par courriels entre Pascal Bely, Le Tadorne et Jerome Delatour (Images de danse), et Guy Degeorges (Un Soir Ou Un Autre), postsynchronisés par Guy.


Photos de Jérôme Delatour.

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ETRE SPECTATEUR

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).

Troisième épisode de mon immersion dans le travail collectif du chorégraphe Michel Kelemenis. Aujourd’hui, la répétition se déroule sur le plateau du Pavillon noir. Guidé dans le noir à prendre place dans la salle, je m’installe tandis que Michel Kelemenis et Caroline Blanc font un filage de « viiiiite ». Alors que les lumières s’allument, je découvre un public d’enfants qui applaudit mollement la performance. Michel s’en émeut, mais poursuit inlassablement son travail pédagogique bien que la pression soit évidente à deux jours de la générale. Beauté d’un artiste qui s’engage coûte que coûte à expliquer, promouvoir son art. Sont-ils si nombreux aujourd’hui ?

L’ambiance n’est plus la même. Entre le studio et le plateau, du 3ème au sous-sol, de la lumière à l’obscurité, le groupe est tendu. Michel l’est aussi. Les détails techniques s’effacent pour faciliter le repérage des « points de butée », ceux qui font obstacle au positionnement individuel dans la danse collective d’ «Aléa». Tel un coach, Michel conseille chacun. Les danseurs semblent plus isolés ; des duos, des trios se forment comme pour se rassurer en attendant son tour ! Je ne vois que les traits tirés des visages avec l’impression qu’ils ne sont pas prêts. Ils me paraissent fragilisés. Mais que ne savent-ils donc pas ? Que travaillent-ils encore ? Je cherche, je scrute le moindre détail de leur travail d’orfèvre. Je ne saisis pas de suite ce qui se joue mais je sens que le plateau est un changement d’échelle qui dramatise les enjeux.

D’autant plus que la matière de la scène (bois, plastique) freine de nombreux danseurs. Le sol fait du bruit et installe une mécanique sourde : à chaque pas, un son. Michel précise : « il vous fait démécaniser vos jambes ». Ce bruit augmente la tension, rajoute un tempo inutile. Alors, faute de bande-son, il s’y colle avec ses onomatopées impossibles à retranscrire ! Puis, il prévient : « si on réussit les entrées, c’est magique ; sinon, on piétine la sortie » (les hommes politiques pourraient s’inspirer de cette maxime).

Alors que le filage d’ »Aléa » se prépare, Bastien revoit sa technique, Christian réintègre le groupe et l’oeuvre après sa semaine parisienne (il y présenta « Klap ! Klap ! »), Caroline se concentre, Marianne se fait une place, Tuomas et Olivier se rapprochent tandis que Gildas fait le tour du plateau. Ils dégagent presque un côté animal, cernés par les limites de la scène. L’expression “se jeter dans la fosse aux lions » prend tout son sens. C’est un collectif divers, comme si « Aléa » se nourrissait de leurs différences d’approches du geste dansé, de leurs corps éloignés des stéréotypes du danseur, de la complexité née de leurs articulations.

Ils habitent « Aléa », ce mot qui porte nos espoirs de sortie de crise, qui guide dorénavant nos projets. J’ai eu ce privilège de les observer, en veillant à ne pas franchir la limite, en ayant ce regard respectueux et curieux qu’une société devrait avoir envers ses artistes. Comme un réflexe à la tentation du repli, je me suis approché d’eux. Ils m’ont nourri de leur énergie pour redevenir créatif au cours de cette année qui s’annonce chaotique. Ils sont le moteur de notre croissance.

Michel monte dans les gradins et lance, juste avant de donner le top départ du filage: « Soyez clair avec vos camarades ».

Un chaleureux merci à Michel Kelemenis, Caroline Blanc, Olivier Clargé, Marianne Descamps, Gildas Diquero, Tuomas Lahti, Bastien Lefèvre, Christian Ubl, Nathalie Ducoin, Marie Tardif et Laurent Meheust.

Pascal Bély ,www.festivalier.net

A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/4) !
et le deuxième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !
Et la générale: Michel Kelemenis, chorégraphe.

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PAS CONTENT

Les « Singularités Ordinaires » du Théâtre d’Arles!

Le collectif GdRA, animé par Christophe Rulhes, Julien Cassier, Sébastien Barrier, semble placer au coeur de leurs  “Singularités ordinaires”(série de trois portraits) une pensée de Paul Ricoeur : les individus ont tous une histoire qui, pour être viable, doit être simple pour ne pas la subir.

Il y est question de corps, de cadre identitaire, de personnalité, de quotidien, d’usure du temps, de rêverie ; le tout est acidulé de créations vidéo, d’envolées musicales, de chants et de trampoline. Tout se prêtait à faire de ce spectacle, une fiche de lecture, mais alors que je rassemblais mes idées sur le contenu…le grand vide.

La mise en lumière des trois portraits (un cultivateur fou de musique, une ancienne danseuse étoile retraitée qui trouve sa voie dans le post-modernisme, une femme d’origine algéro-togolaise des quartiers nord de Marseille qui refonde sa famille avec les personnes du bar où elle travaille), avec pour chacun un titre en forme de question (Folklore ?, Classique ?, Populaire ?) me laisse perplexe.

Pour un spectacle bravant la transdisciplinarité, le classement des individus selon des critères sociologiques flirte avec une politique de quotas. Même si le quatrième volet nous propose une vision commune (fabuleuse performance de Christophe Rulhes), sommes-nous tous des « Muriel » pour autant (titre de la conclusion), attendant un quelque chose, un meilleur, un mieux ou un pire?

“Singularités Ordinaires” laisse entrevoir  la possibilité de faire des individus des stars d’un soir, tel un Loft Story, et de les renvoyer à leur condition, sans rien en retour, juste de nous avoir montré ce que nous savons déjà : “c’est la vie”.

Une vidéo ici.

Et un article de “Clochettes” .

Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

“Singularités Ordinaires”, par le collectif GdRA (C. Rulhes, J. Cassier, S. Barrier) a été vu au Théâtre d’Arles, le 23 janvier 2009.

 

 

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ETRE SPECTATEUR

Washington-Paris-Mens-Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (1/2): David Bobée, l’artiste du puzzle, du peuple métissé.

20 janvier 2009, Washington :

Ils sont des milliers à se serrer dans le froid, prêts à l’écouter. De son estrade dressée à Washington, il s’élance. Et il évoque d’abord « un sentiment d’humilité, devant la tâche qui nous attend ».

20 janvier 2009, Paris :

À 18h30, le Théâtre du Rond-Point joue son rôle d’éclaireur. Le discours de Barack Obama « De la race en Amérique » prononcé  le 18 mars 2008 est incarné par Vincent Byrd Le Sage sous la direction de José Pliya. L’émotion est palpable dans la salle tant la sobriété du jeu de l’acteur résonne avec la gravité du moment. J’ai honte d’être français à mesure que le discours m’englobe car il entre en collision avec les paroles de Sarkozy à Dakar en juillet 2007. Envie de fuir ce petit pays. Désir de participer à « une politique de civilisation »

22 janvier 2009, dans un bistrot du 19e arrondissement de Paris :

Elsa Gomis (contributrice pour le Tadorne) et moi-même rencontrons Pierre Quenehen, le directeur du festival « Mens alors ! », petite ville de l’Isère. Il souhaite l’engagement du « Tadorne » comme blog du festival auprès d’Elsa, chargée  avec d’autres de l’accueil des 80 bénévoles et du public.

La discussion est animée, elle déborde d’allers-retours. Il y a tant à dire : le travail de Frédéric  Nevchehirlian l’artiste associé cette année, celui des autres chanteurs, musiciens, comédiens, qui au travers d’ateliers vont aller vers le public. Les publics. Parents, enfants, personnes âgées, valides, non valides, ruraux, urbains… Tant de parenthèses pour expliquer le contexte, de détours pour décrire les expériences passées. Nous flottons.

Nous n’entendons plus les paroles, nous écoutons la musique de la voix de Pierre. Alors même que Cités Musiques, l’association pour laquelle il travaille serait menacée, Pierre nous transmet son envie, son enthousiasme.

Nous sommes grisés, mais ravis. Prêts à découdre contre les lourdeurs institutionnelles. Décidés à activer le réseau d’artistes et d’amis engagés dans une communication transversale et volontaire pour accompagner les changements de paradigme. Bras-dessus bras dessous, le long de canal de l’Ourcq, nous partons.

“… En ce jour, nous sommes réunis parce que nous avons préféré l’espoir à la crainte, l’union au conflit et à la dissension.” (Barack Obama, 20 janvier 2009).

La première pièce du puzzle est posée.

Vendredi 23 janvier, bistrot Place Gambetta, Paris.

Je déjeune avec Martine. Une jeune dame journaliste, presque retraitée, aux yeux qui pétillent. Martine serait sûrement désigné non productive aujourd’hui par un grand quotidien du soir, trop âgée sans doute! Car trop agitatrice certainement. Au prochain Festival d’Avignon, elle veut mettre en lien tous ceux qui sont engagés dans une parole pour tracer des chemins à travers les clôtures de nos pensées. Après « les plages d’Agnès », voici venu le temps « des traverses de Martine ».

Vendredi 23 janvier, Fondation Cartier, Paris.

Il existe une Fondation Cartier. Pour l’art contemporain.

Deux hommes, déjà âgés, dénoncent.

Raymond Depardon, le documentariste fait l’éloge de l’immobilité.

Paul Virilio l’urbaniste accuse la vitesse : elle est notre incarcération. Car de la vitesse résulte le krach, l’effet de serre… elle entraîne la réduction du monde à rien. Il en découle que notre traçabilité (grâce aux puces RFID, aux satellites, aux téléphones cellulaires…) a remplacé notre identité territoriale.

D’autant que notre monde va être confronté à un problème sans précédent de repeuplement planétaire. Pour des raisons d’ordre divers (économie, écologie…), environ 1 milliard de personnes vont être déplacées d’ici 2020 sur Terre.

Grâce à l’immobilité de sa caméra, Raymond Depardon donne la parole à ceux qui ne l’ont pas. L’immobilité de la caméra dégage l’écoute. La parole brute qu’il donne à entendre est une vraie pensée. Immobilité de la caméra comme résistance au mouvement du monde. Ensemble, Paul Virilio et Raymond Depardon illustrent une forme de résistance à ce que le monde peut devenir.

Glacés par le vent qui souffle boulevard Raspail, nous quittons la Fondation.

Devant un auditoire qui s’étend à perte de vue, il  continue : …Notre réussite économique n’a pas été dépendante uniquement du montant de notre produit intérieur brut, mais également de l’étendue de notre prospérité, de notre capacité à offrir des opportunités à chaque homme ou femme de bonne volonté. Non pas par charité, mais parce que c’est la voie la plus sûre au bien-être commun. (Barack Obama, 20 janvier 2009).

La deuxième pièce du puzzle se présente à nous.

Samedi 24 janvier, au bar du Théâtre2Genevilliers.

Nous dînons avec Isabelle. Elle dit : « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Elle dit qu’elle veut soutenir les travailleurs sociaux, les animateurs, les responsables de centre de quartier… tous ceux qui font du lien avec la population dans sa collectivité. Isabelle veut les aider à accompagner les publics qu’ils côtoient vers la culture. Vers ce qui donne du sens.

Du haut de sa tribune, il évoque l’esprit de service, une volonté de trouver un sens dans quelque chose qui nous dépasse. Et justement, en ce moment, moment qui va marquer une génération, c’est précisément cet état d’esprit qui doit nous habiter ((Barack Obama, 20 janvier 2009).

Le puzzle s’agence sous nos yeux.

Samedi 24 janvier, Théâtre2Genevilliers, Ronan Chéneau, David Bobée, DeLa Vallet Bidiefono,  «Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue“.

Des danseurs congolais et français sont ensemble. Dans la même énergie, la même rage. Avec sincérité, avec toute la nudité d’un cri, ils disent ne pas se retrouver dans cette France. Les enfants de la France ne se reconnaissent pas dans l’identité institutionnalisée. L’institution est un mât en haut duquel on gesticule sans aller vers eux. Ils dénoncent Platon et le monde des idées qui les exclut parce qu’ils n’ont pas les mots. Cette fameuse « idée de la France » si chère à notre petit président qui leur fait perdre toute identité. Alors, ils crient, chantent, hurlent leur douleur jusqu’à nous atteindre, sans effraction. Ils métissent les arts (de la danse au théâtre, en passant par le cirque et la vidéo) ; le plateau est cette France traversée, non verticalisée par ce pouvoir aux accents fascistes.

Fasciste. Le mot est suggéré par cette danse aux accents militaires, par des mouvements si synchronisés qu’ils glacent le sang, par ce mur de Berlin d’un gris modernisé, par le tapis roulant où circulent ces valises de mots de la rhétorique dégoulinante de haine de la Sarkozie inculte. Notre petit président ne lit aucun livre, mais nos danseurs jouent les mots de l’écrivain Ronan Chéneau avec une telle empathie qu’ils ne sont pas sans nous évoquer la force d’Obama face à son peuple.  À mesure que « nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » avance, nous lâchons ce que ce pouvoir autoritaire cadenasse en nous. Nous tremblons avec eux. David Bobée et l’écrivain Ronan Cheneau nous redonnent la parole, confisquée sous le poids d’une pensée unique autoritaire. Nous n’apprenons rien que nous savons déjà mais cette mise en scène crée soudain l’espace collectif qui nous manque tant. Depuis quand n’avons-nous pas ressenti cela au théâtre ? Il est enfin là le vacarme que nous attendions.

Cette jeunesse veut dépasser les préjugés jusqu’à franchir les frontières de la scène. Ils montent sur les gradins. Ils crient. C’est la révolte par la créativité. Mais nous ne pleurons pas. Plus habitués. La bulle est en nous. La bulle de rage qui donne envie de ne pas en rester là.

De Washington à Paris, de Mens à Brazzaville, de bistrot en bistrot, le dessin du puzzle s’est tracé sous nos yeux. Des années maintenant. Des années de pratique professionnelle, artistique, de contacts riches, mais disparates. Et tout est clair. Il n’existe plus de barrières.

En 2009 nous allons faire ce que nous devons faire.

Ils applaudissent, ils sourient, pleurent parfois, ils savent maintenant ce qu’ils ont à faire. Il conclut en nous demandant de transmettre ce don merveilleux qu’est la liberté (Barack Obama, 20 janvier 2009).

Elsa Gomis – Pascal Bély – www.festivalier.net.

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EN COURS DE REFORMATAGE

« Le bruit des os qui craquent » de Suzanne Lebeau : le débat.

Laurent : As-tu vu le spectacle “Le bruit des os qui craquent” de Suzanne Lebeau, mis en scène par Gervais Gaudreault? Le sujet traite des enfants-soldats, de leur déshumanisation, de leur transformation. À l’issue de la représentation au Théâtre de Cavaillon, j’étais très ému, sidéré à ne plus pouvoir parler. J’ai applaudi en hommage aux enfants-soldats, pour le texte simple et sans artifice de Suzanne Lebeau.

Pascal: J’ai vu ce spectacle au Théâtre du Jeu de Paume à Aix en Provence. C’est un théâtre de témoignage, qui s’appuie sur une « sensiblerie » habituellement utilisée par les médias sur des sujets humanitaires. C’est rapidement insupportable, car la mise en scène évacue la question politique, symbolisée par une commission d’enquête virtuelle. Ce n’est pas le texte qui interroge mais cette mise en scène « misérabiliste » qui laisse peu de place au corps (or, il est central chez les enfants soldats comme l’a démontré Benjamin Verdonck avec « Nine Finger » lors du Festival d’Avignon 2007.). Tout est suggéré par cette infirmière qui lit sur le côté de la scène, le cahier de l’enfant soldat devant les membres de la commission. Deux comédiens s’immiscent entre les chapitres pour jouer derrière un film transparent (Elikia, enfant-soldat enrôlé par les rebelles et Joseph, son petit prisonnier). Cette « médiation » plombe la mise en scène tant sur le fond que sur la forme. C’est un théâtre un peu dépassé. Je ne comprends pas d’où peut bien venir cette émotion dont tu parles.

Laurent : Le sujet même est sensible. Il est donc normal que cela s’appuie sur une “sensiblerie” qui te semble insupportable. Pour un jeune public, les mots de l’infirmière décrivant le quotidien des enfants soldats est une réalité. Cette sensiblerie, évacuant la question du politique et le retour des membres de la commission, me paraît cohérente puisque ce problème dépasse les politiques eux-mêmes (impuissants à apporter des solutions) et les rebelles qui se font une guerre sans nom, sans être inquiétés. Le premier rebelle à être traduit devant la Cour Pénale Internationale est Lubanga, en date du 26 janvier 2009. Concernant le “peu de place au corps”, je trouve que la force des mots employés renvoie au public des images assez fortes. L’enfant a besoin de peu pour imaginer beaucoup. Peut-être est-ce la limite d’un spectacle jeune public vu par des adultes ?

Par contre, à l’instar des deux comédiens (jeu quelque peu superficiel ou lourd), je me suis raccroché au ton toujours juste des propos d’Elikia par l’infirmière.

Pascal : La feuille de salle ne précise pas que c’est un spectacle jeune public. Cette oeuvre colle précisément au réel. Or, le théâtre est là pour dépasser la réalité, la transcender. Ici, on s’en remet au jeu de cette infirmière, derrière sa table et son micro, car les deux autres comédiens surjouent dans leur petit espace où les mots ne peuvent plus « s’étirer », « résonner ». Cette mise en scène claustrophobe est une injonction pour le spectateur à enfermer le scandale des « enfants soldats » dans ce huit clos. On raconte pour finalement dire quoi ? Où est notre responsabilité collective dans ce crime contre l’humanité ? Si ce théâtre se veut poétique, où en sont les ressorts? L’alternance « lecture – illustration », jeu binaire, finit par lasser. La metteur en scène Gervais Gaudreault est en totale résonance avec le propos et peine à se mettre à distance pour dynamiser une mise en scène quelque peu « bisounours » !

Laurent : La feuille de salle était une présentation de la compagnie “Le Carroussel”, qui se revendique militante pour le jeune public. Peut-être qu’elle n’a pas été donnée à Aix. Sinon, pour la scène nationale de Cavaillon, “Le bruit des os qui craquent” figure dans leur programmation jeune public. 

Le théâtre, lieu fantasmagorique, est pluriel. Effectivement, il est là pour dépasser la réalité, la transcender, mais également pour être un témoignage du réel. Dans un article du Monde, Michel Vinaver donne une définition de la fonction du théâtre: “déplacer un peu les spectateurs, de les décaler par rapport à là où ils sont calés, à leurs habitudes mentales, affectives.” Avec un sujet tel que les enfants-soldats, cette définition se prête véritablement.

Le traitement du sujet des enfants-soldats en passant uniquement par cette infirmière, enferme le spectateur dans son rapport, le verrouille, le cadenasse, lui tient la tête sous l’eau. Effectivement, en matière de claustrophobie, on ne peut pas faire mieux. Mais justement, la problématique du sujet est d’une telle ampleur que miser sur un huis clos s’avère être la seule issue pour faire la démonstration du manque d’actions entreprises par les hautes autorités. Suzanne Lebeau dénonce les citoyens désemparés face à ce massacre, comme l’est l’infirmière qui quitte la salle d’audience avec le cahier d’Elikia. Elle nous responsabilise en portant à notre connaissance ce scandale qui ne préoccupe pas le politique ; à nous d’agir par l’intermédiaire d’O.N.G. et autres actions à soutenir.

Au contraire de toi, l’alternance “lecture-illustration” ne m’a pas lassé, mais m’a permis de respirer un tout petit peu. Loin de voir une mise en scène “bisounours”, j’ai repris mon souffle pour replonger dans le réel des enfants-soldats.

Le Bruit des os qui craquent” s’avère être un théâtre du témoignage qui pose une réalité et en pointant du doigt la responsabilité des politiques.

Pascal : pour moi, cette mise en scène s’inspire du traitement humanitaire médiatique des causes « perdues ». Elle en utilise tous les ressorts et diffuse une irresponsabilité collective (citoyenne et politique). Ce « déjà vu » sur une scène est inquiétant.  Le théâtre de l’émotion est une opération de séduction envers le public et les programmateurs qui se donnent bonne conscience pour faire du théâtre « politique ». Or, je n’a
ttends pas d’être conforté dans mes émotions (oui, la question des enfants-soldats est scandaleuse, comment ne pas être d’accord avec cela) mais déplacé, bousculé, sur cette question globale. J’aurais préféré que  la mise en scène de Gervais Gaudreault démontre comment nous sommes tous des « enfants soldats » en puissance.


Echanges par courriels entre Pascal Bely (Le Tadorne) et Laurent Bourbousson.

Vous souhaitez participer au débat? Cliquez sur l’onglet “Ajouter un commentaire”, en bas, à droite, en tout petit! Puis n’oubliez pas de recopier le pictogramme.


Au sujet de « Le bruit des os qui craquent» de Suzanne Lebeau joué à la Scène Nationale de Cavaillon et au Théâtre du jeu de Paume dans le cadre des Amis du Théâtre Populaire d’Aix en Provence, en janvier 2009.

 


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EN COURS DE REFORMATAGE

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !

Deuxième épisode de mon immersion dans le travail collectif du chorégraphe Michel Kelemenis. Lundi dernier, je l’avais laissé avec Caroline Blanc et Marianne Descamps alors qu’ils répétaient « viiiiite ». Leur trio circulaire fragile et déterminé m’avait ému par  leur engagement dans la relation créative. Aujourd’hui samedi, ils sont sept à occuper l’espace du troisième étage du Pavillon Noir d’Aix en Provence. La deuxième pièce, « Aléa» fait partie du tryptique («viiiite » et « Tatoo ») qui sera présentée dès le 29 janvier.

A mon arrivée, Caroline Blanc illumine à nouveau par sa présence tandis que Marianne Descamps semble si différente que je peine à la reconnaître. Que s’est-il donc passé? L’?uvre habite-t-elle a ce point les danseurs jusqu’à les métamorphoser, même en répétition ? Est-ce la force du collectif? Troublé, je les suis du regard pour entrer dans le groupe alors que je reconnais le danseur et chorégraphe Christian Ubl (actuellement à l’affiche du festival parisien « Faits d’Hiver » où il présente « Klap ! Klap ! »), celui-là même qui m’avait tant interpellé dans ma posture de spectateur l’an dernier. Le puzzle continue de se mettre en mouvement !

« Aléa» était à l’origine une pièce écrite pour quatre danseurs, lauréat des « Talents Danse » de l’Adami en 2005. Elle s’est élargie jusqu’à sept avec le collectif « Coline » à Istres (structure aujourd’hui injustement menacée), puis avec la Beijing Modern Dance Company. Très vite, je ressens que cette ?uvre travaille la dynamique collective tout en donnant à chacun la possibilité d’adopter une posture contenante à l’égard du groupe.

Le positionnement de Michel Kelemenis au cours de cette répétition semble épouser le propos si bien que le « management » du groupe est isomorphe avec le sens de l’?uvre . La figure de la tresse présente dans « Aléa » est d’une telle complexité qu’il faudra plus de trente minutes pour que chacun se calle. Michel entre, sort, va au centre, de côté. Il maille l’espace comme s’il tissait une toile pour que les danseurs travaillent en confiance. Il communique sur les processus (« il te faudrait avoir plus confiance », « que se passe-t-il chez vous pour que vous évitiez les tartignoles »), invite à la mise à distance avec humour (« quand Marianne commente ce qu’elle fait, elle ne sait pas ce qu’elle fait !»), alterne moments où il démontre la technique, s’attarde sur chacun d’entre eux, régule la dynamique, offre des espaces où des duos, trios répètent, intègre la vidéo, tout en ne perdant jamais le cadre contenant du groupe. Impressionnant ! Mais où va-t-il chercher une telle posture ? Où vont-ils puiser cette énergie, cet engagement, au risque de ne jamais s’arrêter pour souffler ? La technique d’animation de Michel est fascinante. Et si l’on proposait aux chorégraphes d’animer des sessions de management dans les Universités et les grandes écoles?

Une autre dynamique attire l’attention. C’est un mouvement à deux, à trois puis à sept où l’espace semble danser aussi ! Il provoque un débordement d’énergie: à la fois très technique, il fait travailler les processus de confiance, de reliance où le corps individuel épouse le corps du groupe, où le geste physique se fond dans le propos. L’apprentissage d’un langage dans le langage augmente la tension et l’intensité dramatique.

Arrive un bruit. Clac ! La peur. Caroline a bien failli se casser la mâchoire. Le danger, le risque du métier, là, devant moi. L’aurais-je oublié ? Elle sort quelques minutes pour entrer à nouveau. Olivier Clargé, Marianne Descamps, Gildas Diquero, Tuomas Lahti, Bastien Lefèvre et Christian Ubl semblent avoir intégré ce risque-là ; aucun signe de panique. Ils sont déterminés à poursuivre avec elle. Plus rassurant que jamais, le mouvement qui suit devient un baume.

Une télévision trône, tel un astre, où les danseurs s’agglutinent pour aller chercher le repère. Je m’amuse de les voir ainsi, imaginant la répétition comme une danse ! On commente devant la vidéo, on rit des autres danseurs filmés. C’est un tout petit espace de régulation, où l’on se régénère de cette position un peu haute. Puis, ils repartent essayer de nouveau, encore et encore.

Puis une pensée imagée me traverse : pour quoi la danse en 2009, là, avec la crise qui nous contraint par la peur ? Cela me plaît de les voir comme les bâtisseurs de nos futures cathédrales, alors que tout s’effondre et où la place vide, offre à la danse, le plus bel espace pour reconstruire nos imaginaires enfouis sous le poids de nos certitudes d’antan.

Pascal Bély

www.festivalier.net

A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/4) !

Le troisième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).

La générale: Michel Kelemenis, chorégraphe.