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OEUVRES MAJEURES

Avec « Turba », la danse de civilisation de Maguy Marin.

Qu’écrire sur cette oeuvre chorégraphique non identifiée que même Télérama est incapable d’entendre et de voir par paresse et démagogie? Elle résiste à toutes les classifications. Est-ce de la danse, du théâtre ? Mais à quoi peut bien servir cette question aujourd’hui ?

Elle ne fait référence à aucun courant des arts de la scène. On n’y danse pas au sens strict du terme, mais on y célèbre le mouvement. Nuance. Elle fait parfois tousser le public du Corum de Montpellier (à croire qu’une épidémie de tuberculose s’est abattue sur la ville), provoque des passages à l’acte (au Théâtre de la Ville à Paris, certains spectateurs sont montés sur scène), rend la critique incompétente (la Voix du Nord, Nord Eclair), clive le public à partir d’un débat impossible (car de quoi, de qui parle-t-on ?). « Turba » de Maguy Marin est donc dans un « ailleurs » qui bouleverse la place et le rôle du spectateur et nous oblige, avec radicalité dirons certains, à nous déplacer.

Cette oeuvre propose un espace, mais ne fait rien à notre place. C’est à nous de construire notre chemin entre des extraits de « la nature des choses » du poète – philosophe Lucrèce  et une scène, elle-même délimitée par des acteurs – spectateurs, métaphore du cimetière de nos certitudes et du chaos naissant. Le poète René Char écrivait : « De quoi souffres-tu ? De l’irréel intact dans le réel dévasté ». Aujourd’hui, notre réel est dévasté et Maguy Marin nous propose sa révolution poétique, faite de pluralité culturelle, linguistique, et de grande mobilité à l’heure où certains s’imaginent encore un monde constitué de murs infranchissables.

Ici, la collectivité poétique pense l’action politique.  « Turba » n’est donc pas un spectacle de divertissement, mais une oeuvre de civilisation. Elle « civilise » le spectateur en ces temps de perte des valeurs, d’incommunicabilité, de refus de la diversité comme levier du changement. Elle ne nous apprend rien, mais nous rend l’essentiel.  Cette oeuvre est sur scène, mais elle pourrait être ailleurs (dans nos rêves alors que nous rêvons de maman, des frères et soeurs ; en plein désert alors que nous hallucinons). Elle est sur scène, nous  sommes ailleurs, mais nous donnons. Nous donnons de notre imaginaire pour communiquer avec les acteurs, pour chorégraphier les corps à mesure qu’ils s’avancent vers nous, pour créer la musique des mots en nous appuyant sur nos ressources poétiques.

« Turba » peut nous redonner confiance en nos capacités à lâcher prise. Ce théâtre-là s’inscrit dans la durée (elle dépasse le cadre horaire de la représentation). Intuitivement, nous ressentons qu’il se passe quelque chose d’essentiel sur scène, mais il nous faudra du temps, de la distance, pour repérer  cet événement.

« Turba » est à l’image d’un frémissement démocratique : alors que l’on croyait que tout était fini, le théâtre est là pour nous encourager à retrouver dans le passé ce qui pourrait nous aider à  réinventer le monde.

Pascal Bély – Le Tadorne

“Turba” de Maguy Marin et Denis Mariotte a été joué le 12 mars 2009 au Corum de Montpellier dans le cadre de la saison de “Montpellier Danse”.

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

Correspondances (Nadia Beugré, Kettly Noël, François Bergoin).

Pour Louis Jouvet, il faut une dose de vanité pour oser monter sur scène et une autre pour y rester : « Le renoncement de soi pour l’avancement de soi-même ». Trois ?uvres m’ont permis de ressentir ce dépassement de soi, ce qui échappe à l’acteur et confère à l’art ce « je ne sais quoi » d’indispensable pour donner du sens à la vie.

Le Théâtre du Merlan à Marseille nous a donné rendez-vous pour deux propositions. La première est un solo de trente minutes, « un espace vide : moi », de la chorégraphe et interprète ivoirienne Nadia Beugré.  Le titre surprend par sa formulation paradoxale. Je suis au premier rang ; la scène paraît si immense qu’elle est délimitée par quelques roses plantées dans des pots. Est-ce un cimetière, un jardin, les deux ? Nadia soufre. Son corps courbé se relève parfois, mais ses mots, sa plainte, sont étouffés. Un musicien l’accompagne, mais elle est seule dans cette introspection. Sa danse semble être un rituel de passage pris dans un entre-deux, dans lequel elle nous maintient à (bonne?) distance. Son corps imposant, se perd, se cache, s’ouvre à nouveau. Elle danse le « je » et le « nous », porte-parole des femmes d’Afrique. C’est la danse d’une femme qui souffre dans un « espace vide » que notre présence ne comble pas. Passivité du spectateur face à une artiste dont on souhaite le dépassement du « soi » dans un collectif divers et coloré pour inscrire son art dans une transmission porteuse d’ouverture.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=cR7qHosU8_k&w=425&h=344]

Une heure plus tard, la chorégraphe Kettly Noël (haïtienne, elle vit et travaille à Bamako) nous propose avec Nelisiwe Xaba, « Correspondances », duo décapant où s’enchevêtre le burlesque (Laurel et Hardy rôdent sur scène) avec une tragédie des temps modernes où la relation de pouvoir régule leur animalité, leurs pulsions de guerrières. Ces deux femmes ont appris à se connaître par correspondance, en couchant sur le papier bien des mots, pour les chorégraphier ensuite. La scène est cet espace où elles se déshabillent (au sens propre comme au figuré), où elles multiplient les contextes pour complexifier leur identité et leur relation. Ainsi, la femme de pouvoir déterminée devient fragile et leur duo fait émerger le mythe de Marylin Monroe. Puis la danseuse se piège dans les filets de la chorégraphe ou de la musique d’une boîte de nuit : moments subtils tandis que la femme se moule dans le corps et les mots de l’autre.  Leur rencontre les fait renoncer à leurs postures égo-centrées et révéle la figure de l’acteur dans laquelle nous projetons nos peurs, nos désirs et nos fantasmes. La danse peut alors véhiculer ce langage intrapsychique qui nous relie à elles. C’est ainsi que la dernière scène nous propulse tel un retour aux sources, à la recherche de l’objet perdu de l’enfance.  A moins que cela ne soit l’origine du monde ? Sublime.


Le couple, toujours lui. Le service culturel de la ville de Gardanne nous a réservé une bien jolie surprise en programmant « Occident » d’après Rémi de Vos, mise en scène et joué par François Bergoin avec Catherine Graziani. Pièce à la noirceur décapante qui voit un couple tout à la fois se déchirer, maintenir l’équilibre précaire de leur relation de pouvoir, dans un contexte social et politique qui exclut la différence. C’est un théâtre où l’acteur s’accroche aux mots de Rémi de Vos telle une bouée de secours alors qu’il tangue, danse, sur  un plateau fait de matelas mousse. La mise en scène accentue les injonctions paradoxales qui minent et nourrissent le couple (« si tu m’aimes, ne m’aime pas ») en multipliant les espaces par l’utilisation intelligente de la vidéo et des parois amovibles du décor.

« Occident » est un hymne à la complexité, au refus du réductionnisme. Un hommage à l’acteur qui renonce au “je” au prix d’un jeu sans cesse déstabilisé par les mots, le bruit sourd du chaos et les rires nerveux du public. La puissance d’« Occident » est de propulser l’acteur et le spectateur dans un espace d’où l’ont peut voir le jeu et donner à chacun la force d’en modifier certaines règles.

Envahissons les théâtres. Renonçons. Avançons.

Pascal Bély

www.festivalier.net


“Un espace vide: moi” et “Correspondances” de Kettly Noël et Nelisiwe Xaba ont été joués le 8 mars au Théâtre du Merlan à Marseille;

“Occident” de Rémi De Vos par la Compagnie Théâtre Alibi (Bastia) a été joué le 6 mars 2009 à la Maison du Peuple de Gardanne. Cette pièce sera reprise au Festival Off d’Avignon à la Manufacture.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Crise à l’Université: le Making of, par Nanouk Broche et Martin Crimp.

Ils sont 23 comédiens des cursus théâtre de l’Université de Provence. Ce soir, ils occupent la scène du Théâtre Antoine Vitez, les coulisses, les gradins. Les spectateurs sont cernés, encerclés, contenus, presque choyés. Ces jeunes nous ont à l’?il, mais avec bienveillance ! Le plateau est une esplanade d’où se dégage une fraternité qui réchauffe. Pas de rideau ici : les comédiens sont aussi machinistes, spect’acteurs silencieux et “observateurs – metteurs en scène”. Ils sont enthousiastes, manifestement heureux d’habiter la scène. Ce sont de beaux conquérants. Ils sont notre avenir de spectateur et de citoyen. Ils sont ma base, mes racines, mes espoirs.


Entre enseignement et direction d’acteurs, la metteuse en scène Nanouk Broche réussit à créer des ouvertures pour eux (que de belles individualités) mais aussi pour nous. « Personne ne voit la vidéo » de Martin Crimp (dénonciation de la société britannique, contaminée par l’idéologie néolibérale de Thatcher) multiplie différents espaces où les jeux sur scène s’articulent avec le montage de la pièce à l’image d’un « making of ». Cette trouvaille, loin d’être un gadget, est la réponse du « théâtre » à l’envahissement des valeurs de la sphère financière et marchande dans les liens interpersonnels (jetez un coup d’?il sur les sites de rencontres sur internet où l’on se vend avec le même vocabulaire que celui du management et du marketing). En proposant d’inclure métaphoriquement le « montage » sur scène, elle permet au groupe de jouer sa partition silencieuse, de projeter le texte de Grimp dans l’espace collectif où nous sommes inclus. La présence immobile de certains comédiens n’est pas sans rappeler les expressions artistiques urbaines actuelles telles que le « freeze » où les citoyens provoquent un happening dans l’espace public.

Cette mise en scène vous absorbe, fait de nous un voyeur (l’une des valeurs de nos sociétés « transparentes ») et nous conduit à « travailler », à ne pas se laisser envahir par  (les) l’accessoire(s), à revenir aux corps et aux mots, à reprendre place sur le terrain politique par le théâtre. Alors qu’une actrice « pilier de bar » joue avec l’accent de Jean-Claude Gaudin (délicieux), je fais le lien avec la pensée politique locale qui paralyse l’innovation et la visée.

A l’image d’un jeu de pistes, le spectateur circule pour chercher le sens, comme si nous n’avions pas le choix. Pendant deux heures, la tension ne baisse jamais, car Nanouk Broche véhicule de belles valeurs alors que Crimp donne à entendre la dégénérescence du lien social et amoureux. L’Université porte ce soir des valeurs d’avenir: loin de l’individualisme (un rôle est joué par plusieurs comédiens), rejet de la réduction (la scène est ouverte), utilisation de la technologie au service du sens et de l’humain (beau moment alors que deux acteurs soulèvent à bout de bras un tableau blanc où se projette la vidéo d’un visage, telle une peinture postmoderne).  

Lors du salut final, je me prends à rêver d’envahir la scène pour une fête dont les clameurs rejoindraient les chants guadeloupéens et s’inscriraient dans le manifeste poétique d’Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau.

Pas de doute, le théâtre est « un produit de haute nécessité ».

Pascal Bély

www.festivalier.net


Cela ne peut signifier qu’une chose :

non pas qu’il n’y a pas de route pour en sortir,

mais que l’heure est venue d’abandonner toutes les vieilles routes.

Aimé Césaire.

Lettre à Maurice Thorez.

“Personne de voit la vidéo” de Martin Crimp (making of) par Nanouk Broche est joué judsqu’au 7 mars 2009 au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence, à l’Université de Provence.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Aux Hivernales d’Avignon, la danse contemporaine fut.

Rarement un festival m’a positionné dans un espace aussi inconfortable qui coupe la parole, sidère, écarte, isole. J’ai cherché sa dynamique, mais ne reste que des images d’une galerie d’art contemporain où la danse, faute d’en être le commissaire, ne fut qu’un faire – valoir! Le thème de l’étrange choisi par « les Hivernales » d’Avignon pour décliner sa programmation n’a pas facilité les processus d’ouverture, instrumentalisant la danse dans des champs pluridisciplinaires à défaut de l’enrichir. Pour chaque proposition, je me suis souvent contenté d’observer une dynamique qui se jouait en dehors de mes affects, de tout contexte sociétal à croire que la danse n’aurait donc rien à nous dire en ces temps perturbés ! J’ai plusieurs fois eu la sensation de me trouver dans un espace d’art contemporain, en décalage avec ma place de spectateur assis, accentuant la distance entre le propos, la dynamique de scène et la salle.

Avec Joseph Nadj dans « Entracte, j’ai additionné les images, les propositions à un rythme si effréné que j’en ai perdu le sens. La danse n’a qu’un espace réduit pour s’articuler avec l’orchestre de jazz et les nombreuses formes métaphoriques issues de l’imaginaire florissant de Nadj. Au final, la danse s’est appauvrie, victime de la saturation. Incontestablement, l’expérience de Joseph Nadj avec le peintre Miquel Barcelo lors du festival d’Avignon 2006 a laissé des traces, l’orientant vers la performance. La scène est-elle alors l’espace le plus approprié ? 

La chorégraphe, interprète et plasticienne Anna Ventura nous a proposé une relecture du Faune à partir de la mise en scène des différents textes de Mallarmé et en s’appuyant sur une proposition plastique (une petite scène de glace) pour nous emmener dans un univers tout à la fois poétique et chorégraphique. Je n’en suis resté qu’à la forme. Ici aussi, l’articulation entre l’?uvre plastique et la scène ne développe pas suffisamment d’espace pour être touché. La performance fige le regard sur ce bloc de glace, le conduit à observer bien plus l’artiste à l’?uvre que l’?uvre elle-même. La danse ne joue pas sa fonction de catalyseur, car sa gestuelle plastique finit elle aussi par saturer un imaginaire finalement peu stimulé.


[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=7ZrKWrwmHtI&w=425&h=344]

Saturation aussi avec « Black !…White ? » de la chorégraphe sud-africaine Nelisiwe Xaba qui croise danse, animation vidéo et stylisme pour explorer les stéréotypes raciaux et sociaux. Une heure pour observer statiquement et de loin  une proposition où l’on filme la danse, où les corps entrent en symétrie avec les objets, réduisant un propos complexe à une ligne de démarcation entre le noir et le blanc. Complètement décalé.

mr zero

Le seul à avoir réussi l’inscription de la danse dans un champ pluridisciplinaire est Alexandre Castres avec « Monsieur Zéro, famous when dead ? ». En questionnant l’image de sa mort à partir d’un personnage de théâtre, il parvient là où tant d’autres ne ce sont pas aventuré : nous inclure, nous parler. Ici, un homme danse avec des objets comme prolongement et non comme une fin en soit. Mais le voyage, manifestement trop court, semble s’être abîmé sur une petite scène inappropriée au propos. Pourquoi si peu ?


Pourquoi tant, serais-je tenté de demandé à Thomas Lebrun ? Pourtant, point d’objets ici à part quelques cravates (joliment alignées pour former la robe de monsieur) et des masques. « Switch » aurait pu être une proposition intéressante sur la notion d’identité, décrite avec pudeur et parfois panache par quatre danseurs. Alors que le masque de soi est porté par d’autres, on se débat avec cette danse qui nous perd. Thomas Lebrun s’engage tant dans son propos qu’il semble ne plus se préoccuper de nous donner des repères. L’homme « masqué » danse et finit par devenir étrange. Étranger. Danse hivernale ?

Pascal Bély

www.festivalier.net


“Les hivernales” en Avignon du 19 au 28 février 2009.

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A lire sur les Hivernales 2009: Aux Hivernales d’Avignon, étrange spectateur.

Alexandre Castres à Uzès Danse.

Consulter la rubrique danse du site.

 
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EN COURS DE REFORMATAGE

L’étonnante génuflexion de « Vice-Versa ».

Le bonheur est total.

Cela n’a coûté que quelques euros pour un moment unique de théâtre décomplexé et complexe, respectueux, drôle, intelligent, créatif, accessible, ouvert, communiquant, contagieux, stimulant.

Quelques euros pour une table, une lampe au plafond qui monte et descend comme le jouet d’un enfant, deux comédiens échappés d’un film de Woody Allen, une « actrice – metteuse en scène » qui se délecte de brouiller les genres et la vue du spectateur, aidée par des projecteurs de chaque côté, pour plateau de télévision ou de cinéma c’est au choix , selon votre humeur. Cela ne dure que 45 minutes, car le temps ici n’est plus un repère. Cela dépasse effectivement toutes les bornes.

Quelques euros  et c’est à Montévidéo, institution marseillaise positionnée autour des écritures contemporaines.

« Vice – Versa » : tout est dans ce titre jubilatoire du roman de l’écrivain britannique Will Self où il est question d’un rugbyman qui se découvre un vagin dans la cuisse.

« ildi !eldi » : tout est dans le nom de cette compagnie, dans ce ping-pong de corps exclamés, articulés aux mots, où la ponctuation (symbolisée par des arrêts sur images lors des jeux d’acteurs) est une respiration pour repartir à nouveau vers cette intrigue inextricable !

Il y a dans cette mise en scène une créativité propre à cette génération de trentenaire, qui ose arborer le T-shirt avec le logo de la compagnie en lieu et place du célèbre “Che“, qui intègre les codes de la culture internet et de la télévision tout en veillant toujours à ce que le théâtre ait le dernier mot !

« Vice – Versa », c’est une relation qui se tend et se détend tel un élastique entre un patient et son médecin, et qui finit par vous toucher là où cela fait mal mais avec respect et proximité. Ces trois-là ne jouent pas de haut, mais à côté du spectateur tout en gardant la bonne distance qui sied aux acteurs affranchis.

Et l’on se surprend d’être heureux au théâtre, apaisé de ressentir tout à la fois le travail de chacun d’entre eux (Sophie Cattani, François Sabourin et Antoine Oppenheim) et leur dynamique fraternelle dont on a trop vite oublié qu’elle aide à partir au combat.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“VICE – VERSA” de Will Self par le collectif Ildi! eldi a été joué du 17 au 25 février 2009 à Montévidéo à Marseille.

En tournée:
Les 27 et 28 mars à la ferme du buisson (Noisiel)
Les 2-3 et 4 avril la rose des vents (Villeneuve d’Asque)
Du 14 mai au 6 juin au théâtre de la cité internationale (Paris)
Les 13 et 14 juin à l’hippodrome (Douai)
et pour un nouveau projet en collaboration avec Dan Safer aux Subsistances (Lyon) les 23-24-25 et 26 avril

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

Alain Buffard renverse Montpellier Danse et bouleverse le Théâtre du Merlan.

Incident grave au Théâtre du Merlan de Marseille, situé dans les quartiers nord de la ville, lors de la représentation le samedi 21 février 2009, de « (Not) a love song » du chorégraphe Alain Buffard. Après seulement trois minutes de représentation, le guitariste Vincent Ségal a ordonné le départ de (jeunes) spectateurs manifestement trop bruyants. Alain Buffard est ensuite monté sur scène pour exiger que tout un groupe quitte la salle. Manifestation du public, départ de spectateurs (dont des représentants de tutelles), impuissance de la direction du Théâtre.  

Nous reviendrons plus tard sur cet incident afin de porter un regard distancié sur ce qu’il est aujourd’hui : le symptôme d’une désarticulation.

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L’époque est aux chansons d’amour. Après le magnifique dernier film de Christophe Honoré, la danse s’empare du sujet avec jubilation, gravité et dérision. Le chorégraphe Alain Buffard fait l’évènement (et salle comble) à Montpellier Danse avec « (Not) a Love Song ». À l’issue de la représentation, le public fait un triomphe à celui qui vient de le faire rire jusqu’aux larmes, de l’émouvoir jusqu’aux frissons. Cette création est une performance d’acteurs où le moindre mouvement du corps et la plus petite note de musique participent à une fresque cinématographique chantée, dansée où s’incarne tout à la fois Marlene Dietrich, Bette Davis, Lou Reed, David Bowie et James Brown ! Pour réaliser cette prouesse, Alain Buffard a réuni sur le plateau quatre artistes d’exception : le performer – danseur-chanteur- musicien américain Miguel Gutierrez, la chorégraphe et chanteuse Portugaise Vera Mantero, l’Italienne Claudia Triozzi et le musicien français Vincent Segal. À eux quatre, ils redessinent les contours d’une oeuvre transdisciplinaire où le spectateur lâche prise à l’infini et finit pas se sentir agréablement vulnérable !
Elles sont deux femmes, stars déchues du cinéma. Les fans les abandonnent à leur quotidien, réduit à cet espace scénique où le miroir les renvoie à leur passé glorieux, leur garde-robe à leurs anciennes coulisses et les quelques marches du salon à leur palais des Festivals. Elles ont tout perdu et la scène leur offre l’opportunité pour tout balancer. À partir de répliques extraites des grands classiques du cinéma, elles chantent ce qu’elles ne peuvent plus dire. Elles vont au cinéma pour permettre aux fans « les plus intelligents »  de les observer se regarder à l’écran ! Ainsi qualifié, le public de Montpellier Danse peut s’en donner à c?ur joie pour scruter le moindre fait et geste de ce duo hors pair. Nous serions presque au cinéma si la présence du musicien et du chanteur ? performer n’étaient là pour nous rappeler qu’entre danse, théâtre, 7ème art, défilé de mode, les frontières ne tiennent plus à grand-chose, face à cette tragédie des temps modernes, où la starisation conduit à la perte de soi.

Alain Buffard aime ces deux actrices, car, au-delà des apparences, c’est d’amour et toujours d’amour dont il s’agit. Cette tragi-comédie s’inscrit dans un espace tout à la fois vertical et horizontal, où votre regard ne se perd jamais tant le tout est cohérent. Les corps sont là pour nous rappeler que la danse n’est pas l’art du divertissement, mais de la transformation pour comprendre l’indicible. À quatre, ils métamorphosent tout sur leur passage comme s’il fallait réapprendre le lien, le sentiment amoureux (quitte à clamer « je ne t’aime pas») loin des codes hystériques des fans. Et aussi étrange que cela puisse paraître, Alain Buffard nous replace dans leur histoire (de fous et de folles) où le rire est le plus beau des chants d’amour.

Pascal Bély – Le Tadorne

“(Not) a love song” d’Alain Buffard a été joué les 23 et 24 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

  Crédit photo: Marc Domage

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ETRE SPECTATEUR

« Le conseil de la création artistique » par Mathilde Monnier.

En 2008, j’ai cherché de nouvelles articulations entre le spectateur – blogueur et les institutions culturelles. Rares sont les théâtres qui qualifient positivement ma démarche. Rares sont les responsables des relations avec le public qui ont « relationné » autour du blog. Quasiment aucun commentaire des professionnels de la profession sur le site à l’exception des artistes qui manifestent un intérêt pour mon engagement. Pour simplifier, on m’a souvent catalogué de « critique amateur », de « spectateur emmerdeur », rarement comme une émergence de ces nouvelles figures de l’amateur en provenance de l’Internet. Dans l’ancien modèle, celui des organisations pyramidales, je n’ai aucune place. Dans le nouveau, celui des réseaux et des structures transversales, j’en suis un des éléments dynamiques. Pourtant, l’intention d’écouter autrement le public, de l’aider à faire son « travail » de spectateur n’a jamais été autant affichée par le management culturel, autant déclinée sur des terrains “sensibles” par des médiateurs. Il est probable que le blog ne soit pas la meilleure façon de s’articuler. On y réfléchit, car finalement personne ne sait comment décliner le nouveau modèle. La chorégraphe Mathilde Monnier en saurait-elle un peu plus lors de cette soirée au Centre Chorégraphique National de Montpellier, lucidement nommée  ]domaine public[ ? Est-ce le commencement de la fin comme elle le laisse entendre dès le début de la représentation ?

Justement, tout commence par la fin, par un jeu de rôles improvisé sur scène. Des spectateurs face à des artistes un soir de clôture d’un festival fictif (sur les « émergences »…toute ressemblance avec…). On y évoque une pièce qui a fait l’événement. L’auteur, le metteur en scène, les comédiens, le directeur, le journaliste, et le public campent sur leurs positions dans un jeu de rôles écrit d’avance. On s’y voit déjà car vu et entendu tant de fois ! Un caméraman filme pour que nous puissions scruter le visage des artistes interviewés. C’est de la télé-réalité. Nous voilà donc observateurs d’un jeu, d’un système, qui s’est progressivement installé dans les théâtres et les festivals sans que les artistes et la presse n’interrogent ce modèle interactionnel rigide, dépassé, qui consolide des relations verticales d’une autre époque. Le jeu est drôle, subtilement joué. Personne n’occupe sa fonction dans la durée ; chacun est invité à changer de place à mesure que le jeu se déroule. Ainsi, le directeur du festival se retrouve quelques diatribes plus tard, spectateur et l’on cherche en vain la différence. C’est un jeu de rôles sur un jeu de rôles. La critique est acide, mais salvatrice.

La deuxième partie de la soirée étonne ! Les danseurs de Mathilde Monnier jouent la pièce en question. Les frontières entre réalité et fiction brouillent : et que ce serait-il passé si nous avions vu ce spectacle en premier ? Aurions-nous ri ainsi ? En inversant les prémices, Mathilde Monnier insinuerait-elle que le regard que nous portons sur l’oeuvre est déterminé par notre positionnement de spectateur à l’égard des artistes et des institutions ou par ce que nous savons de la critique sur elle ? Je ressens un malaise intérieur. Bien joué.

Mathilde Monnier poursuit sa modélisation à l’image d’une pyramide qu’elle inverserait. Place au terrain ! C’est ainsi qu’arrivent 30 amateurs, briefés le temps d’un week-end, moniteur vidéo en appui (ici la télévision guide…) pour une danse apaisante de vingt minutes. Comme un puzzle qui s’agencerait sous la forme d’une fresque, adultes et enfants dansent un langage des signes, métaphore d’une communication différente, où finalement la figure de l’amateur a toute sa place. La scène devient alors cet espace partagé, où la créativité du «terrain » peut s’y exprimer. C’est là que pourrait se jouer l’ouverture des institutions où artiste- public- professionnels expérimenterait des modalités transversales de communication. C’est peut-être de cela que nous avons besoin dans cette période chaotique, comme le moteur d’une nouvelle croissance. Et ce n’est pas un hasard si, à la fin du spectacle, nous sommes nombreux dans le hall du Centre Chorégraphique à échanger nos impressions sans le recours à une table ronde d’après spectacle !

C’est cela que comprend Mathilde Monnier, plus accessible que jamais ce soir là, à qui j’envoie un amical remerciement pour ce domaine ouvert vers une société métissée.

Pascal Bély – www.festivalier.net

]domaine public[  a été joué le 31 janvier au Centre Chorégraphique de Montpellier

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EN COURS DE REFORMATAGE

Aux Hivernales d’Avignon, étrange spectateur (Compagnie Mossoux-Bonté).

Quelles sont les intentions du Festival « Les Hivernales » d’Avignon de choisir chaque année un thème (« l’étrange » pour la 31ème édition) ?

N’est-il pas décalé pour une institution culturelle de créer en 2009 une case dont la fonction aujourd’hui, n’est autre que de simplifier, de rendre lisible le complexe? Précisément, c’est d’ouvertures, de passerelles, d’articulations dont nous avons besoin. « L’étrange » peut-il donc remplir cette fonction de nous éclairer sur la complexité  de nos sociétés globalisées? Attendons la suite de la programmation, mais au regard du premier spectacle présenté (« Nuit sur le monde » de la Compagnie Mossoux-Bonté), il y a de quoi douter et être passagèrement de mauvaise humeur.

Coller « l’étrange » à la danse ne la réduit-elle pas à l’illustrer, à lui donner une fonction qui n’est pas la sienne. La danse n’illustre pas, ne démontre pas ; elle ouvre des espaces pour penser l’impensable, elle dépasse le clivage statique / mouvement pour être sur la dynamique du sens. Or, cet après-midi, dans un cadre dont il est bien difficile de se défaire (la thématique de l’étrange est rappelée avant et après le spectacle via les affiches, les annonces au micro, les commentaires à la sortie), la danse a donc illustré, déboussolant un public qui applaudit mollement les pièces d’un puzzle difficile à agencer. La thématique rend donc le spectateur paresseux puisqu’il l’oblige à relier le complexe à une rationalisation.

Comment donc évoquer ce spectacle sans tomber dans le travers de l’illustration, de la simplification? En essayant malgré tout de “travailler” un tout petit peu. Au cours de la représentation, je me suis étonné à ne jamais lâcher la thème de l’étrange ; il m’obsédait. J’ai tenté quelques échappatoires pour finir par comparer le travail de Nicole Mossoux et Patrick Bonté à celui d’autres chorégraphes. À vouloir sortir d’une thématique, j’en ai créé peut-être une autre ! A vous de juger.

Ce n’est pas la danse de l’étrange dont il s’agit ici, mais bien celle d’un courant chorégraphique dans lequel le spectateur est régulièrement invité à s’immiscer dans les différents festivals (Avignon, Bruxelles, Montpellier, Paris, …).

Une danse de l’humanité, symbolisée par des fresques comme pour mieux revenir aux origines (merveilleusement dépeint par Maguy Marin dans « May B“, joliment dansé par Paco Décina dans « Fresque, femmes regardant à gauche », ancrée dans l’argile de Miquel Barcelo par Joseph Nadj). L’art rupestre pour inscrire la danse dans les profondeurs de l’histoire. Ici, c’est beau à voir.

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Une danse de l’humanité, où les procédures de la société moderne font danser les bas-reliefs statiques des représentations figées d’antan. Lors du deuxième tableau, nos six danseurs recouverts d’un peignoir, quittent la terre pour la lumière blafarde de la modernité. Dans une mécanique immuable, la danse se veut contemporaine, conceptuelle, en dehors des affects. En représentation. L’image est danse. L’influence de Roméo Castellucci est palpable là où j’aurais aimé le culot de Christian Rizzo, le propos provocateur de Kris Verdonck. Ici, c’est lassant à regarder.

Une danse de l’humanité où l’on ne sait plus très bien où nous allons. Dans ce dernier tableau, nos danseurs groupés, assis par terre, finissent par venir vers nous dans une lumière rouge sang, jambes coupées puis finalement debout. Ils reculent puis s’effacent. Il y a pourtant à ce moment précis, une possibilité pour la danse d’ouvrir un chemin pour ce futur que l’on nous promet si chaotique. La poésie, la vision effleure et disparaît là ou le chorégraphe Joseph Nadj aurait débuté son propos. C’est frustrant de l’imaginer.

« Nuit sur le monde » est une jolie danse conceptuelle où le mouvement s’incarne par la  dynamique de l’évolution de la condition humaine et de ses paradigmes. Mais ce « courant » vu tant de fois ailleurs, donne l’étrange impression que la Compagnie Mossoux-Bonté arrive un peu tard.

Étrange d’être à ce point décalé.

Pascal Bély – www.festivalier.net

” Nuit sur le monde” par la Compagnie Mossoux-Bonté a été joué le 21 févrrier 2009 dans le cadre du Festival “Les Hivernales” d’Avignon.

Photo: M. Wajnrych.

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A lire aussi, Aux Hivernales d'Avignon, la danse contemporaine fut.

 

 
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ETRE SPECTATEUR

Spectateurs, artistes: et si nous prenions ensemble la parole ?

Est-ce un frémissement ? Le Théâtre de la Colline de Paris affiche complet : des spectateurs de tous âges sont amassés partout, entre les gradins, pour une parole à l’unisson entre artistes et public. Comme le fait remarquer une spectatrice : « notre réunion est en soi un acte artistique ». Sylvain Bourmeau, journaliste à Mediapart, demande à tous un effort de transdisciplinarité.

Objet d’un tel rassemblement : le Ministère de la Culture fête cette année ses 50 ans et semble  menacé. Pour l’ensemble des participants, l’initiative du Gouvernement de créer un conseil de la création artistique présidé par Martin Karmitz, et supervisé par Nicolas Sarkozy, converge vers le modèle anglo-saxon qui prône le désengagement de l’Etat en matière culturelle et semble sonner le glas du ministère créé sous l’impulsion de Jean Vilar en 1959.

A plusieurs reprises au cours de la soirée, les intervenants font référence à l’article d’Olivier Py dans le Monde du 14 février où il reprend une phrase écrite par André Malraux à Jean Vilar: « peu importe que vous soyez communiste ou non, votre projet est d’intérêt général, c’est ce qui importe ». On cite également la loi Lang du 10 août 1981 (une émergence de la volonté des acteurs de terrain) qui permet à Nicolas Bourriaud d’indiquer l’aspect incantatoire des politiques culturelles menées depuis lors et particulièrement la volonté de démocratisation réitérée au fil des mandatures.

Sylvain Bourmeau fait le lien avec la récente initiative de Pascale Ferran à propos des « films du milieu ». Pour la cinéaste couronnée aux Césars, il s’agit de fédérer « la chaîne de coopération » qui existe dans toute entreprise culturelle, et notamment dans celle du cinéma. En s’entourant des différents métiers de la chaîne cinématographique, Pascale Ferran a créé un groupe de travail idoine avec pour mot d’ordre « si on se fait chier, on arrête ». Tel ne fut pas le cas. Après avoir été reprises par les instances du Centre National de la Cinématographie, leurs propositions sont actuellement en cours de validation par le ministère de la culture. Avec la perspective d’une probable approbation.

Alors, que peut faire le spectacle vivant pour reprendre l’initiative ? Pour Robert Cantarella, l’ouverture en octobre dernier, du « 104 » à Paris est une des réponses, à savoir un lieu voulu comme un outil de la « transmission permanente » entre l’artiste et le spectateur, où l’animation et la création sont intiment liées. Ainsi, les artistes en résidence ont pour obligation d’ouvrir les portes de leurs ateliers aux spectateurs. Pour donner à voir le processus artistique. Car il s’agit « d’être préhensible avant d’être compréhensible ». Ils n’ont pour l’instant rencontré aucune résistance de la part des artistes invités.

Robert Cantarella constate que dans le domaine du spectacle vivant, l’argent est essentiellement placé « sur la scène ». Peu hors de son périmètre. Alors même que le secteur privé se préoccupe de ces alentours (il cite en plaisantant les glaces Häagen-Dazs, partenaires de nombreuses structures du secteur privé).

A ce titre, Jean-Louis Fabiani indique que 284 formations de médiation culturelle ont été recensées en France en 2008. Pour Robert Cantarella ce chiffre est porteur de sens. Il ne s’agit pas d’une « couche graisseuse » inutile entre les artistes et les spectateurs. Au contraire. Pour Nicolas Bourriaud, la « couche graisseuse » actuelle est la critique.

Car loin de la volonté gouvernementale d’instaurer des « pôles d’excellence », ces médiateurs permettent de faire émerger, de rendre visibles, les initiatives artistiques.  La survisibilité de ces « pôles d’excellence » vise à couper ce qui fait tenir le visible. Tous soulignent le rôle de ce « terreau » d’initiatives, de ces viviers d’artistes, du « saupoudrage » dénoncé de subventions qui permet l’entretien du visible. Tous dénoncent la montée en puissance d’un populisme qui préfère le  bon mot à un accompagnement parfois laborieux. Tous estiment que ce sont les prises de position des artistes qui permettent de travailler la transversalité si nécessaire pour produire des propositions à la fois adéquates et pertinentes.


Alors, comment prolonger le débat de la Colline, ici et là, à Paris et en région ?

Les contributeurs du Tadorne se proposent d’impulser,  d’animer, au sein des théâtres, des collectivités publiques, des entreprises, les rencontres entre artistes et spectateurs autour de quelques questions :

–          Dans une société ouverte et mondialisée, comment impulser une communication créative entre acteurs culturels et publics capable d’être une force de proposition auprès des pouvoirs publics?

–          Comment rendre lisibles les nombreuses actions innovantes qui relient la création et l’animation ? Quels rôles peut y jouer Internet ?

–          Comment initier et promouvoir les actions transversales qui participent à l’élaboration d’une politique culturelle globale ?

–          Alors que Jean-Luc Godard répondait à un spectateur qui se
plaignait de ne pas avoir compris son film « c’est parce que vous n’avez pas assez travaillé », quels sont les espaces de travail qu’il faut créer ?


Si toutes ces questions font écho chez vous, sur votre territoire, dans votre collectif, alors co-animons ce débat et alimentons la démarche initiée au Théâtre de la Colline.

Contacts:


elsa.gomis@gmail.com

pascal.bely@free.fr

www.festivalier.net

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D’un ministère de la culture à un conseil de la création artistique“,
une soirée-débat au théâtre de la Colline en partenariat avec Mediapart, le 16 février 2009

Aux côtés de Sylvain Bourmeau, journaliste à Mediapart chargé d’animer les débats : Pascale Ferran, cinéaste, Jean-Louis Fabiani, sociologue, Robert Cantarella, directeur artistique du 104 et Nicolas Bourriaud, directeur de la Tate Britain à Londres.


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EN COURS DE REFORMATAGE

Evelyne a disparu (La Zouze Compagnie).

C’est la chronique d’une fête désenchantée. Pourtant, j’y suis allé avec envie, confiance et détermination.

Parce que c’est eux. “La Zouze”, compagnie animée par le chorégraphe Christophe Haleb. En 2008, elle nous avait fait divaguer dans un hôpital psychiatrique d’Uzès puis embarqué dans un « Domestic Flight » turbulent sur le genre.

Parce que c’est moi. Depuis le début de cette année de crise, je veux bouger, m’inclure dans un flux artistique et non me cantonner dans une posture qui pourrait se rigidifier.

Parce que c’est nous. En ces temps anxiogènes, de tape-à-l’?il et de « bling – bling », il est si rare d’être invité pour 10 euros à passer une soirée avec « Evelyne », héroïne de cette soirée, une parfaite inconnue.

Le rendez-vous. Samedi soir, 20h30, au Palais de la Bourse, siège de la Chambre Economique et d’Industrie de Marseille, sur la Canebière. Le Théâtre du Merlan squatte ce lieu du second Empire pour deux soirées avec « Evelyne House of Shame », articulation prometteuse entre le cabaret, le bal, et l’underground de Marseille (sic).

L’ambiance. Comme pour une réception chez l’Ambassadeur, nous sommes nombreux à divaguer dans le hall de la Chambre. Au c?ur de ce lieu du commerce, nous voilà, pauvres consommateurs fauchés par la crise, à attendre. Quelques groupes se forment ; le monde est si petit à Marseille. Pas assez connu (je suis aixois !), je cherche ma place, mais c’est sans compter sur l’un des acteurs de la Zouze qui s’avance dans le hall. Déguisé pour le bal, il s’approche. J’évoque “Uzès Danse “; il me présente à une spectatrice. C’est cela La Zouze : lier.

Vive la crise !  Le public monte les escaliers. Une dizaine d’acteurs, costumés de perruques et d’ornements d’une époque passée et à venir, gravit les marches main dans la main avec les spectateurs, pour les descendre aussi tôt. Le Festival de Cannes n’a qu’à bien se tenir. Cette montée, au c?ur de ce palais économique et financier, démontre que l’art peut y circuler et faire bon ménage avec le capital. Alors que la « Princess Hanz » chante « Money money » en jetant des ronds de papier, j’hurle avec eux du haut du troisième étage en pensant aux 13 milliards d’euros de bénéfice de Total. On croirait à une manif où le citoyen réinvestirait avec les artistes une sphère dont il est de plus en plus exclu. Mais en reliant la Chambre de Commerce à l’argent qui coule à flot, la Zouze se prive de l’investir comme le lieu d’un commerce de l’immatériel, celui qui nous aidera à sortir de la crise.


Le retour à l’ordre. Le peuple est là, auprès de La Zouze, à circuler verre de champagne à la main, dans cette salle de réception. Les personnages rodent autour de cette Evelyne absente et omniprésente. Elle est l’Autre, le « je » caché, cette diversité, cette créativité, que notre société censure. Nous buvons à la santé des comédiens, au retour des artistes sur la scène économique et politique ! Du haut de la barricade faite de plastique à l’image d’une ?uvre d’art contemporain, l’acteur Arnaud Saury nous invite délicieusement avec son texte baroque, à nous métamorphoser en « Evelyne », à baisser nos barrières de défense.

Mais la suite du bal, n’apportera rien de plus. On nous habille de robes en crépon pour les dames, d’uniformes en papier pour les messieurs ; nous défilons à l’image d’une société qui ne promeut que l’individu. On nous fait danser à deux, puis en farandole, dans des mouvements si mécaniques que l’on en perd le sens. Les rituels d’une soirée de mariage émergent peu à peu. L’art se dilue dans des pratiques collectives si connues que l’on en vient à s’ennuyer ferme. L’artiste signe son impuissance à créer le « vivre ensemble » en dehors des sentiers battus.

Evelyne a disparu. L’absence d’articulation entre les dernières séquences (mini cabaret où le public est assis au pied des artistes ; séance de relaxation pour quinze spectateurs « élus » dans une salle d’un conseil d’administration !) dilue le propos artistique et la dynamique sociale.

Il manque à ce bal artistique un ancrage. Alors que Marseille s’apprête à être capitale européenne de la culture en 2013, que souhaitons-nous faire ensemble ? Peut-on continuer à se retrouver entre blancs, entre professionnels et amateurs de culture, dans un lieu à ce point coupé de la ville et de ses réalités sociales. La suite, programmée dans le trés huppé Festival de Marseille, n’annonce rien de bon.

Mais que nous arrive-t-il pour avoir si peur de nous ouvrir ?

Pascal Bély

www.festivalier.net

Evelyne House Of Shame” de Christophe Haleb par la Zouze Compagnie a été présenté les 13 et 14 février 2008 dans le cadre de la programmation du Théâtre du Merlan. Suite au Festival de Marseille en juin prochain. On préfera danser à Montpellier ou Avignon.