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EN COURS DE REFORMATAGE

Sabine Tamisier joue sa « plus belle histoire d’amour ».

En entrant dans la salle, elle vous regarde pour ne perdre aucun spectateur de vue. Cette femme a l’écoute à fleur de peau. La scène est si petite qu’elle est quasiment acculée à ce mur sombre face à ce public si nombreux venu à Montevideo, espace de création contemporaine niché à Marseille. Nous l’envahissons comme si nous poussions la scène pour la réduire à une cellule de prison. Elle, c’est Sabine Tamisier. Sa robe rouge tranche avec la noirceur du lieu : « Casa nostra », monologue poétique sur l’amour, est à coup sûr un drame passionnel. Comment Héloïse peut-elle dire à Louis, qu’elle l’aime ? Comment Sabine peut-elle clamer au public, son amour du théâtre ?

Elle se lève, s’assoit, s’approche un peu, ne recule jamais. Elle joue avec les mots par le corps. Car Sabine Tamisier a le charisme d’une danseuse pour qui les mots sont mouvement.  Trois chaises (une à droite, au centre, à gauche) font office de points cardinaux pour tracer la voie de l’autonomie vis-à-vis de Louis, d’un chemin transversal pour surprendre son public. Avec Sabine Tamisier, le parcours de l’acteur est chaotique. J’ai peur pour elle. Je crains pour nous, car les mots vous prennent par surprise comme autant de lapsus qui nous feraient vaciller. Pendant quarante minutes, elle réussit à nous séduire, à nous énerver, à nous éloigner, puis à nous élever. Nous sommes Louis, elle est notre héroïne d’une société où la fragilité, l’hésitation ne sont pas encore marchandisées. À mesure qu’elle s’approche de son « Louis » pour se défaire des oripeaux de l’enfance, Sabine rejoint la tribu d’acteurs de Montevideo animée par le metteur en scène Hubert Colas. Je l’imagine déjà éponger le front d’un légionnaire incarné par Manuel Vallade dans « Mon képi blanc », « dont le corps transpirait tant comme autant d’émotions refrénées qui s’immiscaient dans le texte ». Je la ressens près de Claire Delaporte jouant une jeune femme tchétchène dans « Chto, interdit aux moins de quinze ans » où les mots épelés évitaient « soigneusement les élisions comme des balles qui passeraient au dessus de sa tête ».

«Ca ne me quitte pas ça tout en moi dans ma tête ça revient » disait Claire. Horreur de la guerre, tragédie du théâtre.

Bienvenue Sabine.

Pascal Bély

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“Casa Nostra” de et par Sabine Tamisier a été joué le 6 avril 2009 à Montévidéo à Marseille.

“Chto” et “Mon képi blanc” d’Hubert Colas seront à l’affiche du Festival d’Avignon en juillet 2009.

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PAS CONTENT

“Culture de la liberté, liberté de la culture”.

Pour sourire un peu…Ces photos sont celles de la Médiathèque du Cannet, ville UMP des Alpes-Maritimes, dont le Maire Michèle Tabarot se fait une haute idée de la culture. Merci à Evelyne Biausser pour sa promptitude à photographier l’état de nos institutions culturelles dans le sud de la France !

Pascal Bély

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EN COURS DE REFORMATAGE

François Chaignaud et Cecilia Bengolea, concepteurs cherchent chorégraphe.


François Chaignaud et Cecilia Bengolea sont appréciés du Théâtre du Merlan de Marseille. Trois de leurs créations y sont présentées en moins d’une semaine. Les honneurs d’une Scène Nationale sont au mieux un beau pari sur l’avenir, au pire une stratégie de communication où la forme prime sur le fond.  La première « Pâquerette » avait fait le plein d’audience à Berlin et Paris ainsi que sur les blogs de critique. Leurs « stratégies de pénétration » avaient pourtant provoqué un débat un peu mou parmi les spectateurs et la critique, faute d’un propos suffisamment fort et lisible. Même si « l’introduction d’un godemiché ne fait pas encore une danse », j’avais applaudi leur audace.

 

Leur deuxième proposition, « Sylphides », « pour adultes uniquement » (on se demande bien pourquoi), est un concept. Saluons le projet novateur de ce duo qui se nomme « concepteur » plutôt que « chorégraphe », pour « fabriquer » de la danse. Si les mots ont un sens, rendons hommage à cette autocritique.

Qu’attendre d’un concepteur si ce n’est qu’il nous propose des formes moins esthétisantes, porteuses de sens et de vision ? Or, « Sylphides » n’est qu’une très belle esthétique du corps. Difficile donc d’évoquer ce concept sans entrer dans une description un peu laborieuse. Ici, le corps est aérien puis perd toutes ses articulations, avant de devenir quasiment liquide. Par une étrange alchimie, il se transforme jusqu’à se métamorphoser en forme dansante sur un air de Madonna. L’ambiance est totalement mortifère (la série « Six feet under » aurait-elle inspiré ?) et l’on sourit lorsque nos trois danseurs, en état de larve, cherchent une issue de secours.  Le corps est dansé de l’intérieur, mais il ne véhicule que sa propre image. C’est elle qui fait sens et confère au propos une pauvreté déconcertante. J’observe une « recherche », je recherche une « poétique «  et me voilà positionné comme évaluateur d’un  concept (il en serait sûrement tout autrement dans un espace d’art contemporain). 

 

Conceptuellement, « Sylphides » se regarde, mais sa programmation par une Scène Nationale est en soi un aveu d’échec : le corps n’a donc plus rien à véhiculer ; la danse n’est plus un propos en soi.

Démission.

Pascal Bély

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« Sylphides» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué le 4 avril 2009 au Théâtre du Merlan de Marseille.

Photo: ©Alain Monot.


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François Chaignaud sur le Tadorne:
Je ne suis pas un artiste

L’anus horribilis de Cecilia Bengolea et François Chaignaud.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Marie-José Malis: une hirondelle en réponse aux « faucons ».

Il nous reste le théâtre, quoiqu’il arrive.

En quittant le Théâtre Universitaire Antoine Vitez d’Aix en Provence, nous sommes sereins, sûrs d’avoir été respectés, considérés comme des sujets échappés d’une société médiatique et politique qui ne sait plus nous parler sauf à nous abreuvoir de considérations stratégiques et d’incantations à consommer toujours plus. La metteuse en scène Marie-José Malis et sa compagnie « La Llevantina » ont présenté « Le prince de Hombourg » de Heinrich von Kleist dans ce petit théâtre au coeur d’une université en grève. La représentation fera date.

Pourtant, dans la file d’attente, nous sommes quelques-uns à nous inquiéter : « Trois heures ? Allons-nous résister ? ». La durée de l’oeuvre se confronte déjà avec le temps de la société de l’information et de la consommation. Derrière cette inquiétude, s’en cachent d’autres : « Serais-je compétent?», « Suis-je encore en capacité de penser après une journée de travail? », « Le théâtre de texte peut-il encore m’émouvoir dans une société de l’image? ». Je choisis le premier rang.

Les lumières éclairent le plateau, mais aussi les gradins. La sensation d’être dans un « dedans dehors », espace du sujet autonome, est immédiate. Le décor est celui d’une salle des fêtes des années soixante incluant une petite scène de théâtre d’où je distingue sur le fronton les initiales : « RF ». Le théâtre dans le théâtre : cette mise en abyme fait le pari de la complexité. La fête, le divertissement, la patrie, s’incluent dans le  débat philosophique : Marie-José Malis relie ce que notre société clive. Mon inquiétude disparaît.

C’est alors qu’il apparaît, éclairé par une lumière hypnotique. Ce prince (stupéfiant Victor Ponomarev) est un doux rêveur. Il est juste assez rond pour vous envelopper de ses mots d’amour destinés autant au théâtre qu’à sa fiancée Nathalie (troublante Sylvia Etcheto). La couleur de ses yeux cernés propage la tension du poète. Nous sommes en guerre (les Suédois approchent) mais il est ailleurs. Le temps s’étire, les voix caressent et le spectateur poétise. La mise en scène pose un principe : les acteurs n’ont nullement besoin d’hurler pour se faire entendre. Ils incarnent avec brio le corps « institué » pour affirmer le sens (intimidant Didier Sauvegrain dans le rôle du Grand Électeur, impressionnant Claude Lévèque dans la peau du colonel Kottwitz). Le corps « biologique » personnifie l’émotion et sa fragilité diffuse une énergie vitale communicative (inoubliable Hélène Delavault). La guerre est là et notre Prince poète est rappelé à cette réalité. Il doit partir au front, quitter la petite scène de sa vie pour celle de l’Histoire. Alors que le Prince désobéit et provoque l’assaut contre l’ennemi suédois, il gagne la guerre. L’Électeur de Brandebourg le condamne alors à mort pour désobéissance à la loi.

Par un jeu subtil de lumières, Marie-José Malis nous positionne au coeur du débat. Alors que les néons symbolisent le principe absolu de respect des règles qui protège la démocratie, les lumières orangées rappellent la décision intuitive du Prince.

La mise en scène enchevêtre l’ordre et le chaos par une utilisation recherchée de l’espace de la salle des fêtes et de sa petite scène de théâtre. Car il en est ainsi des questions complexes : loin de cliver, Marie-José Malis met en abyme (la force de la loi avec en arrière plan la tragédie du Prince). A l’écart du totalitarisme ambiant de notre société, la fragilité a toute sa place ici. Elle s’entend même alors que résonne la voix d’Anthony and the Johnsons dans “Hope”. Pour affronter ce débat, Marie-José Malis s’appuie sur la force du collectif et donne au jeu des acteurs l’espace pour que le sens ne soit jamais étouffé. Elle offre au spectateur les ressources pour qu’il ne tombe jamais dans une sensiblerie qui l’empêcherait de réfléchir aux enjeux politiques et sociétaux d’un tel dilemme.

Cette troupe nous fait aimer passionnément le théâtre : les comédiens, en incarnant l’humilité, nous libèrent du poids de leur statut et nous permettent d’élaborer notre pensée.  Et l’on s’interroge sur la confusion du dernier acte alors qu’Heinrich von Kleist permet une issue heureuse et où viennent s’immiscer des textes du philosophe Alain Badiou.

On ne résiste décidément pas au chaos sublime de Marie-José Malis. « Yes, we can ».

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Le Prince de Hombourg” par Marie-José Malis a été joué les 3 et 4 avril 2009 au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence.

A Arles les 7 et 8 avril puis au Forum de Blanc-Ménil les 14, 15 et 16 mai 2009.

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Le sexe recyclable de Pierre Meunier au Théâtre du Merlan.


Pour le Théâtre du Merlan, situé au nord de Marseille, « comment, entre refoulement et exhibitionnisme, représenter le sexe » ? Le théâtre, espace chaotique par excellence, pourrait donc s’emparer du sujet, pour proposer une troisième voie, « lever le voile » et « aller à la rencontre de l’imprésentable ». C’est à l’auteur et metteur en scène Pierre Meunier avec « Sexamor » que revient la responsabilité de répondre aux programmateurs du Merlan lors d’un cycle sur le sexe (sic).  Leur créativité est sans limites pour attirer vers eux les spectateurs déboussolés du centre-ville de Marseille et le cas échéant, ceux des quartiers nord dont on se demande s’ils n’ont pas déserté l’endroit. Le sujet, vu sous cet angle, ne relie pas les habitants de la ville…

Pierre Meunier se tient debout, entouré de poids suspendus avec lesquels il fait tanguer ses mots. Il clame tel un navigateur et part vers sa « destinée ». Métaphore d’un spectacle qui aura bien du mal à se délester de ses lourdeurs comme en témoigne l’arrivée sur scène de la promise (Nadège Prugnard). Emprisonnée dans une bulle (symbole du préservatif ?) suspendue et actionnée par deux machinistes, la scène n’en finit pas et le sens se dilue dans les contractions du plastique. Poussif.

Les voilà maintenant réunis pour vivre une série d’épreuves, de parcours d’obstacles où l’on navigue entre fête foraine, concours Lépine pour stimuler l’amour, séances sado-maso (autant mettre à contribution l’univers mécanique du plateau et les machinistes). Les textes sont souvent de toute beauté, où les mots jonglent, étourdissent et projettent le spectateur sur l’aire de jeux du fantasme amoureux. Mais, la poésie se perd dans cette scénographie envahie d’objets mécaniques, où l’un est toujours à la commande pendant que l’autre s’exécute. Le sexe est effleuré, bien souvent cantonné au dilemme posé par le Merlan donc rarement transcendé. La relation ne prend pas corps comme s’ils jouaient côte à côte. Cela devient puéril, sans beaucoup d’intensité dramatique, où la scène est un espace de démonstration plus que d’interpellation. Certes, on ne se décourage jamais. On attend juste d’en finir d’être observateur.

Le propos, si conformiste, serait-il à l’image d’un pays qui s’ennuie, même au lit ?

Pascal Bély – www.festivalier.net

A voir le reportage de France 3 sur CultureBox.

“Sexamor” de Pierre Meunier a été joué du 1er avril au 3 avril 2009 au Théâtre du Merlan de Marseille.

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600ème article sur le Tadorne: “Un hiver bouleversant”.

2009 a commencé sur le blog par le bilan culturel 2008. Vous avez apprécié celui consacré à la danse contemporaine.  Je m’étonne toujours de pouvoir relier les ?uvres, preuve que le spectacle vivant n’est constitué que de passerelles.

Démonstration.

Dynamiser les liens entre le blog, les spectateurs et les artistes.

  Le chorégraphe Michel Kelemenis a accepté ma présence aux répétitions d’ « Aléa » et de « viiiiite ». Cette expérience a renforcé mon écoute et élargit mon regard sur la danse. Je suis prêt à poursuivre ce travail. Quel artiste serait candidat pour prolonger?

Autre ouverture, grâce au débat. Celui autour du« bruit des os qui craquent » de Suzanne Lebeau avec Laurent Bourbousson, un des contributeurs du blog (il participe également à un processus de création au Ring, théâtre en Avignon).

Plaisir renouvelé avec deux blogueurs (« Un soir ou un autre », « Images de danse ») grâce à la chorégraphe Perinne Valli. Cette forme ouvre, renforce, dynamise la « critique ». Les artistes et les lecteurs semblent adhérer. Qui serait candidat pour poursuivre ?

Un autre projet pour le blog.

  Le metteur en scène David Bobée avec « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » m’a bouleversé. Avec Elsa Gomis, nous avons mis en résonance cette ?uvre avec d’autres jusqu’à réécrire le projet du blog qui nous conduira cet été au festival « Mens alors ! » et à couvrir autrement le Festival d’Avignon (le programme est décrypté ici). J’ai compris qu’il fallait élargir le positionnement du blogueur en écrivant au-delà de la scène, en s’ouvrant différemment aux institutions culturelles. Certaines commencent à réagir. Tout est à construire… en marchant. La chorégraphe Mathilde Monnier semble être dans la même démarche. Qui d’autre ?


De la tension dans les salles.

  La tension est palpable dans les salles. Certains spectateurs sont impatients et peinent à prendre le temps de se poser tandis que quelques théâtres sont déboussolés en l’absence d’un projet global. Le chorégraphe Alain Buffard en a payé les frais au Théâtre du Merlan à Marseille. Il en faudrait un peu plus pour décourager Maguy Marin. Avec « Turba », elle a provoqué quelques remous. Bouleversant. La chorégraphe Nacera Belaza pertube aussi les salles avec “le cri“. Il y a de quoi. Le metteur en scène japonais Oriza Hirata avec « Sables et soldats » projette les spectateurs dans un autre espace. Beaucoup résistent. Pas moi. Mais j’ai ressenti parfois le besoin de me sentir moins sur « la brèche ». Le collectif « ildi !eldi » avec « Vice-versa » m’y a joliment aidé tandis que la belle troupe d’étudiants – acteurs de l’Université de Provence m’a enchanté avec « personne ne voit la vidéo » de Martin Crimp dans une mise en scène de Nanouk Broche. Quant à Kettly Noël, sa « correspondance » fut une danse d’actrices. Inoubliable. Dans ce contexte, on a déjà oublié « Evelyne », star déchue de la compagnie marseillaise, « La Zouze » tandis que le festival chorégraphique des Hivernales en Avignon s’est perdu dans l’étrangeté de sa thématique. Reste Pierre Rigal avec “Press » qui nous a gentiment mis la pression, mais dont le propos aurait pu nous épargner le consensus.

Le printemps s’annonce riche : un festival à suivre à Marseille (Komm’n’act), un festival de danse brésilienne à Berlin en avril, le KunstenFestivaldesArts à Bruxelles en mai, Uzès Danse et Montpellier Danse en juin. Entre temps, des projets avec le Théâtre des Salins à Martigues et des liens à venir avec d’autres institutions. Pendant ce temps, Pascal Bély, le consultant en conduite du changement auprès des services publics ,crée des ponts avec son blog, le « Tadorne ».

Des « pontdornes ». Joli nom pour une passerelle ?

Pascal Bély – www.festivalier.net

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AUTOUR DE MONTPELLIER Vidéos

« Pierre Rigal m’a presser ».

J’ai donc fait l’aller-retour express entre Aix en Provence et Montpellier pour ne rater sous aucun prétexte, la chorégraphie claustrophobe de Pierre Rigal, «Press» . Alors que la crise nous met chaque jour la “pression”, comment la danse peut-elle explorer ce ressenti ? Cet artiste hors du commun, nous a déjà habitués à prospecter des territoires réduits par nos systèmes de représentation.  Avec «Arrêts de jeu», il fit du football une pratique chorégraphique particulièrement étonnante. Avec «Érection», il transforma le passage de la position couchée à la posture debout en un beau mouvement complexe. Ce soir, son espace est celui d’une pièce de quelques mètres carrés, d’une chaise, et d’un bras articulé censé l’éclairer. Il m’évoque les minuscules caméras vidéo qui quadrillent nos villes. Son terrain de jeu ne cesse de se resserrer alors que le plafond descend et remonte, accompagné d’un grondement, tel un «plafond de verre» assommant les bonnes volontés dans les entreprises, les organisations syndicales et politiques.

Les quarante-cinq premières minutes sont de toute beauté. Notre homme tente d’ignorer cet espace qui veut le réduire. Il le transforme en caverne où il semble dessiner des figures rupestres. Son corps se prolonge par ses mains ; il se fond dans la matière. Sa silhouette est une apparition, une image furtive. Il est le danseur qui s’extirpe du corps. Je suis le spectateur qui se projette à travers ses mains. Moment d’autant plus sublime que mon regard pousse les cloisons. Pierre Rigal dépasse la pression matérielle en puisant dans l’immatérialité de l’art. Le propos pourrait paraître évident et pourtant. Il réussit là où tant de chorégraphes échouent : nous inclure pour nous dégager de la pression qui pèse sur le spectateur de danse.

Mais pourquoi ces quinze dernières minutes? Pierre Rigal quitte les parois pour interagir et jouer avec le bras articulé qu’il dévisse du mur. L’homme des cavernes devient l’homme-machine qui finit par se faire engloutir et disparaître. La danse colle à la proposition : la machine prend le pouvoir, s’introduit dans le corps, joue avec les affects. Pierre Rigal semble subir sa démonstration : il ne résiste pas à la pression d’avoir un propos explicatif, presque rationnel pour justifier la pertinence de sa danse.

Je me sens alors dans une posture d’évaluer sa performance physique et d’adhérer à ce consensus mou.

Retour express à la case départ.

Pascal Bély – Le Tadorne.

" Press" de Pierre Rigal a été joué le 24 mars 2009 dans le cadre de la saison de Montpellier Danse.
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EN COURS DE REFORMATAGE

Le spectateur suspendu dans « Sables et soldats » d’Oriza Hirata.

On ose à peine applaudir. Le public quitte peu à peu les gradins pendant que les artistes entrent et sortent de scène, en rejouant inlassablement leur traversée du désert. Alors qu’un message écrit en haut d’un mur, nous informe que « la représentation est finie » et nous souhaite de « bien rentrer », nous sommes une dizaine de spectateurs à ne plus vouloir partir. Il plane un doute et me revient la phrase de Samuel Beckett dans « Fin de partie »: «Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir». À ce moment précis, le théâtre est intemporel et flotte une atmosphère enveloppante d’apocalypse avec ce sentiment étrange qu’un autre monde est peut-être possible, qu’un « autre soi » est en marche.  Avec « Sables et soldats » créé au Théâtre2Gennevilliers, Oriza Hirata nous convie dans un espace paradoxal où le sable mouvant posé sur une scène suspendue par des cordes s’inscrit dans une mise en scène répétitive : tout change, mais rien ne change. C’est dans ce paradoxe qu’Hirata puise l’extraordinaire force poétique de cette ?uvre qui voit la rencontre improbable, en plein désert, de civils et de militaires où le sable fait vaciller notre civilisation qui ne sait plus très bien où elle va, où ce sable est le territoire vivant de notre inconscient individuel et collectif en période de « bataille intime ».


C’est une guerre entre soldats français et l’ennemi où se croisent un couple français de jeunes mariés en voyage de noces, une femme à la recherche d’un mari soldat disparu, d’un père et sa fille à la poursuite d’une mère qui s’est enfuie. Autant de destins qui s’enchevêtrent, où le rôle de l’un pourrait se jouer dans la vie de l’autre. Si bien que le spectateur n’observe pas. Il s’immisce dans les articulations, les contraires, les paradoxes grâce à son écoute: entre une guerre globale et le chaos le plus intime, entre le bruit des balles médiatiques et des armes silencieuses parfois enfouies comme des vestiges archéologiques, entre mouvement linéaire des acteurs et perte du sens de l’orientation, entre une France en guerre et ses soldats qui « ne font que marcher » (allusion aux valeurs universelles de paix que Sarkozy piétine ?).

Cette scène est sublime, car s’y joue une part de nous-mêmes dans une guerre « mondialisée »: on n’y évoque que l’amour, l’enfance, l’autre – soi disparu. Chacun semble chercher l’objet perdu, la quête d’un idéal, la part de soi enfoui par une histoire qui n’est pas la sienne.

Cette ?uvre finit donc par cheminer intérieurement. Elle n’intimide pas. Elle donne la vie. Elle est un espace de liberté qui fait de vous un spectateur – écoutant, un sujet, à la fois fragile et fort car respecté.

« Sables et soldats » d’Oriza Hirata est une oeuvre qui s’étire en longueur parce que nous sommes parfois un peu courts. Elle s’inscrit dans la temporalité de l’humanité qui la hisse au rang d’un chef d’?uvre théâtral intemporel.

Pascal Bély

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“Sables et Soldats” d’Horiza Hirata est joué jusqu’au 11 avril 2009 au Théâtre2Gennevilliers.

Photo: : pierregrosbois.net


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Oriza Hirata sur le Tadorne:
Rencontrer Oriza Hirata.

Au Festival d’Avignon, Fréderic Fisbach rend les gens de Séoul ennuyeux.


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FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon 2009 : le programme pour traverser la crise.


Le Festival d’Avignon symbolise l’état de notre société. C’est une caisse de résonance et la conférence de presse du 18 mars autour de la présentation de la 63ème édition n’échappe pas à cette isomorphie. Avant d’entendre le directeur Vincent Baudriller, le discours des politiques a souvent consterné. De la pure cuisine politique locale, loin des enjeux de la crise sociale et de la fonction que pourrait y jouer le spectacle vivant. À voir ce mille-feuille (Mairie, Communauté d’Agglomération, Etat, Conseil Régional, Conseil Général) se transformer sous nos yeux en une strate fossilisée, on prend conscience du déficit démocratique dont souffre notre pays, de l’écart grandissant entre le milieu de la culture et ceux qui nous gouvernent.

Le Festival d’Avignon sera donc l’une des rares manifestations où les citoyens vont pouvoir discourir sur l’état du monde sans être pris en flagrant délit d’intelligence. Pour cela, la Direction a choisit d’élargir notre regard sur le théâtre par de multiples articulations avec le cinéma (Amos Gitai avec « la Guerre des fils de la lumière contre les fils des ténèbres », Federico Leon avec « Yo en el Futuro »), avec les nouvelles technologies (Denis Marleau avec « Une fête pour Böris »),  et en donnant au récit sa fonction de relier l’intime et le sociétal.

Entre Beyrouth et Montréal, Madagascar et Le Caire, Anvers et Marseille, Varsovie et Buenos Aires, Gand et Haïfa, Nantes et Brazzaville, Séville et Modène, jamais le festival ne m’est apparu aussi cosmopolite, ouvert sur les réalités d’un monde complexe. Pour appréhender la crise globale, le Festival nous offre l’opportunité de développer notre vision globale, en multipliant les angles de vue et les territoires. Ainsi, nous pourrions nous retrouver collectivement dans une “clairière“, espace émergeant qui échappe, d’après Wajdi Mouawad (l’artiste associé), à la maîtrise de l’homme et permet l’art de la conversation.

On commencera probablement par scruter le ciel de la Cour d’Honneur tout au long d’une nuit proposée par Wajdi Mouawad pour l’intégrale de ses trois pièces (« Littoral », « Incendies », « Forêts ») avant de voir la quatrième (« Ciels ») dans l’espace déshumanisé du Parc des Expositions de Chateaublanc. Cette « traversée » donnera  l’opportunité à Mouawad de remettre en question ce quatuor. Le public d’Avignon participera à coup sûr à ce processus !

L’intention est-elle la même pour le Marseillais Hubert Colas ? Il présentera sa trilogie (« Mon Képi Blanc », « Chto » et « Le livre d’or de Jan »). Deux furent jouées dans le cadre de l’excellent festival marseillais « Actoral ». C’est certain, Colas rencontrera le public d’Avignon.

À peine intronisé lors de l’édition de 2004, Jan Lauwers nous revient cinq ans plus tard avec lui aussi sa trilogie. Deux pièces sont déjà connues (la magnifique « Chambre d’Isabella » et en réchauffé, l’indigeste « bazard du homard ». On sera attentif à « La maison des cerfs », sa dernière création pour vérifier si Lauwers peut encore nous parler du monde en stimulant notre imaginaire.

Entre intime et sociétal, Pippo Delbono sait créer les passerelles. Avec « La menzogna », j’entends d’avance l’enceinte de la Cour du Lycée Saint-Joseph résonner. Du spectacle vivant. Hurlant.

Tout comme le chorégraphe Rachid Ouramdane qui avec « Des témoins ordinaires » et « Loin » évoquera sur scène la mémoire des exilés et des torturés. Beau partage en perspective. Autres plaies, avec le québécois Christian Lapointe qui avec son « CHS » donnera à voir et à entendre le corps brûlé. Les corps de Nacera Belaza avec “le cri » risquent par contre de provoquer le débat sur la relation particulière qu’elle entretient entre la danse et le public. On n’ose encore imaginer ce que nous prépare Maguy Marin. Mais du débat, du conflit, il y aura et l’on ne se privera pas de faire quelques liens avec le propos percutant que nous promet Jan Fabre avec son « orgie de la tolérance ». Le chorégraphe canadien Dave St-Pierre viendra poser par la suite un baume chorégraphique sur nos plaies ouvertes avec « Un peu de tendresse, bordel de merde ! ».

Vous l’aviez rêvé, le Festival programme le polonais Krzysztof Warlikowski dans la Cour d’Honneur avec « (A)pollonia » pour y dévoiler la complexité de notre humanité à partir d’extraits d’Euripide, Eschyle, Hanna Crall… On nous promet une ?uvre pluridisciplinaire. Ce sera aussi un détour par les Grecs pour Joël Jouanneau avec « Sous l’?il d’?dipe » d’après Sophocle et Euripide, avant que no
us plongions dans l’atmosphère de crise sociale et amoureuse de « Casimir et Caroline » par Johan Simons et Paul Koek dans la Cour d’Honneur.

La crise de civilisation va donc s’incarner cet été. La France ne sera pas en reste avec Jean-Michel Bruyère et « Le préau d’un seul » qui mettra en scène l’outil policier qu’est le camp de rétention. On reviendra avec Thierry Bedard et l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana sur les massacres de l’armée française à Madagascar en 1947 et sur le caractère inextricable des conflits au Proche-Orient avec Lina Saneh et Rabih Mroué (« Photo-Romance »). Le collectif Rimini Protokoll avec « Radio Muezzin » tentera d’humaniser notre vision sur l’Islam tandis que Christoph Marthaler (futur artiste associé en 2010 avec l’écrivain Olivier Cadiot) posera un regard poétique et provocateur sur une humanité déclassée avec « Butzbach-le-Gros, une colonie durable ».

Cette programmation ouverte nous permettra d’accueillir pour la première fois au Festival Claude Régy et son « Ode Maritime » de Fernando Pessoa, le cinéaste Christophe Honoré et son « Angelo, Tyran de Padoue » de Victor Hugo et le flamenco décapant d’Israel Galvan.


Avec une telle traversée, les mille-feuilles vont souffrir…


Pascal Bély

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Le Festival d’Avignon sur le Tadorne:



 

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Vertigineuse Nacera Belaza.

 « Un jour, je parlerais moins / jusqu’au jour où je ne parlerais plus »

Alain Bashung n’est plus.

« Le cri », chorégraphie de Nacera Belaza accueille ma profonde tristesse en ce dimanche ensoleillé sur Marseille. Elles sont deux s?urs à danser, à me tendre les bras, pour aller me chercher, là où je suis. Regard embrumé, je fixe leur toute première apparition. La lumière est douce et leurs corps émergent à peine. Elles semblent venir de loin. La Callas chante tandis que la voix sensuelle de Larbi Bestam se fait entendre comme un cantique. Elles sont deux à faire le même geste avec leurs bras et les pieds joints, telle une prière, comme pour forer l’insondable.

Leur danse vient peu à peu et m’approche.

Elles sont deux, l’une pour rassurer, l’autre pour tendre la main.

Elles sont deux, image du double, de forces antagonistes prélude au chaos, de l’art qui surpasse l’artiste.

Elles sont deux pour décupler l’imaginaire du spectateur avec leurs bras, armes du poète.

Elles sont deux tandis qu’une partie de moi est partie avec Bashung.  Il m’a laissé là, en rade : « Gaby, je sens comme un vide ».

Alors, elles s’approchent du bord de scène et la Callas chante la Traviata de Verdi. La voix d’Amy Winehouse s’en mêle. Je ressens le « vertige de l’amour » alors qu’elles s’éloignent en fond de scène, comme si le rock enchevêtré à l’opéra faisait v?u d’éternité.

Avec leurs bras, elles malaxent, « l’argile prend forme / l’homme de demain sera hors norme/ un peu de glaise avant la fournaise/ qui me durcira ».

Avec leurs bras et leurs pieds joints, elles transforment la scène en cathédrale pour la transcender.

Me voilà avec elles, pris de tourbillons, comme si à force de me faire tourner la tête, elles avaient puisé l’inépuisable : je n’en finirais donc jamais d’aimer les artistes.

« Madame rêve ad libitum
Comme si c’était tout comme
Dans les prières
Qui emprisonnent et vous libèrent
 »

Pascal Bély – Le Tadorne

” Le cri” de Nacera Belaza a été joué le 15 mars 2009 au Théâtre du Merlan de Marseille.