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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Quand le Festival d’Avignon rend fou!

6h30. J’ai rêvé de spectacles toute la nuit : « Ciels», « Une fête pour Boris », « Ode maritime »…

Nous sommes les 13 juin, jour d’ouverture de la billetterie du Festival «In » d’Avignon, réservée exclusivement aux habitants du Grand Avignon. Mais j’habite Aix en Provence. Peu importe. La stratégie d’attaque est décidée depuis longtemps. Des amis autochtones feront la queue, ici au Cloître Saint Louis (siège du Festival), là-bas à la Fnac. Tous se sont levés tôt (certains à 4h du matin !) pour récupérer un ticket de passage numéroté afin que l’ordre numérique ébranle tout désordre possible. Nous achetons des places de spectacles par nombre : 2 pour Amos Gitaï, 4 pour le triptyque de Mouawad, 2 pour Jouanneau, 3 pour Hubert Colas, 2 pour Christophe Honoré… Une orgie théâtrale se prépare. Nous serons nombreux à festoyer !
Je navigue en électron libre entre les deux points, fiévreux de commentaires captés dans ces files d’attente.
9h30. Retour au Cloître. Ce lieu n’a pas encore retrouvé toute son effervescence festivalière.  Pourtant, un homme y aurait acquis 73 places! Le public fidèle du festival est là : Avignonnais, journalistes locaux, et passionnés. Une amie bout d’impatience depuis 7h30 avec son numéro 436. On annonce qu’il n’y a plus de place pour « Ciels ». De mon I-phone, j’appelle mon autre contact dans la file d’attente de la Fnac. Où en est-il ? Combien de personnes avant lui ? Le besoin de posséder ces tickets magiques, crée fébrilement le syndrome de la rareté. Il me faut, sans exception, toutes les places dont j’ai rêvé cette nuit.
Il me rassure. C’est son tour. Il les a toutes !  Je cours. Il me tend la pochette aux feuillets si précieux. Quel soulagement ! Mais je réalise que ce n’est que le « In ».
Il restera le Festival « Off » à conquérir. Il requiert un flair d’expert pour viser juste. Mille spectacles seront joués cette année. Une déferlante, un peu comme une rentrée littéraire où se nicherait le livre rare. Pour nous guider, un programme de 360 pages aux allures de catalogue qui finira par devenir la bible du festivalier. Mais comment s’y retrouver ? Dès les premiers jours, il est conseillé de privilégier les scènes avignonnaises ouvertes toute l’année (« Le Chêne Noir », « Le Théâtre des Halles », « Le Ring », …), les régions ou pays qui font leur festival (la Belgique au Théâtre des Doms, les Hivernales, la Champagne Ardenne à la Caserne des Pompiers, les Pays de Loire au Grenier à Sel,…) et quelques scènes de réputation (la Manufacture ou le festival CCAS à la Barthelasse). Puis, progressivement, être à l’écoute de ce qui se dit à la Maison du Off, lire la presse et se tenir informé grâce au Tadorne (sur son blog, sur Twitter et Facebook) Le blog de Martine Silber offrira également de bons tuyaux.

Demain, le Festival d’Avignon commence. Comme chaque année depuis dix ans, je verrais plus de 50 spectacles. De la folie du début, il ne restera que la sagesse. Celle des hommes, qui le temps d’un festival, baissent les armes pour repenser le monde. Serez-vous de ceux-là?

Pascal Bély

Diane Fonsegrive

Laurent Bourbousson.

www.festivalier.net

 

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE LA VIE DU BLOG LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Montpellier Danse « l’hétérosexualité », le Festival d’Avignon la diversité.

J’avais prévu d’écrire sur le dernier spectacle vu à Montpellier Danse, « Do you remember no I don’t » de François Verret. Il est préférable de ne plus s’en souvenir. Certains artistes continuent d’infantiliser le public en leur proposant le discours antilibéral dernier cri. Cela se veut moderne, ce n’est que recyclage de “souffleries” déjà vues, de numéros d’acteurs usés jusqu’à la corde, d’influences artistiques si évidentes qu’on frôle le plagiat.

J’avais prévu de réagir aux propos douteux de Jean-Paul Montanari, Directeur de Montpellier Danse depuis 1983, qui déclarait sur France Culture le 3 juillet dernier : « C’est la fin d’une certaine forme de  danse contemporaine…le sida l’a tué. Il n’y  a plus de danse de pédés, mais une danse d’hommes, d’hétérosexuels ». Le journaliste (et artiste) Laurent Goumarre  n’a pas pipé mot (conflit d’intérêts ?), pas plus que la chorégraphe Héla Fattoumi. Ce propos purement réactionnaire et clivant ne correspond nullement à la vitalité de la danse aujourd’hui (renie-t-il l’édition 2009?) même si l’on peut regretter le consensus des créations des Centres Chorégraphiques Nationaux (sur ce point Monsieur Montanari a raison). Mais en proclamant, tel un tribun face au peuple affamé, qu’il fallait créer un autre festival, Mr Frêche (Président de la Région et cofinanceur de Montpellier Danse) donne une bien triste image de la démocratie française.

J’avais prévu d’évoquer la piteuse émission de France Culture, « le grain à moudre », consacrée à l’avenir de la critique dans le spectacle vivant. diffusée le 29 juin.  Ici aussi, la même génération pleure le temps passé, tient des propos réactionnaires, nie la créativité émergente dans le pays. Tels des rois déchus, ces critiques regrettent leur palais doré voué aux vents et marées de la nouvelle vague !

J’avais prévu…

Mais à  la veille de l’ouverture du Festival d’Avignon, la première plate-forme de  blogs en France, Over-Blog (1,5 million de visiteurs par jour), publie un éditorial du Tadorne ! Se positionnant comme un média alternatif, Over-blog promeut  les figures d’amateurs éclairés et apporte sa contribution au renouvellement des formes d’écritures sur le spectacle vivant.  Sur sa une, Over-Blog ouvre un dossier regroupant les articles de la blogosphère présente en Avignon. Enfin de l’air ! Vive la diversité !

Au même moment, le Festival Off énonce les prémices d’une réflexion globale sur l’articulation entre blogueurs et journalistes et choisit d’accréditer certains blogs (dont le Tadorne). Enfin des ouvertures !

De son côté, Martine Silber, ancienne journaliste au Monde pose  sur son blog les bonnes questions et ouvre le débat.

Demain, je serais sur Avignon pour trois semaines. J’ai déjà tout écrit sur le projet : ici et .

Envahissons les théâtres ! Le temps d’un été, nul besoin d’un emprunt national pour créer la relation créative.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

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FESTIVAL D'AVIGNON

A Villeneuve en Scène, Philippe Car, l’enchanteur de Molière.

Approchez, approchez, bienvenue au chapiteau de l’Agence de Voyages Imaginaires” aurions-nous envie de clamer alors qu’apparaît sur une grande bâche le visage de Philippe Car, co-fondateur et metteur en scène des Cartoun Sardines Théâtre. C’est donc en toute confiance que vous pouvez aller voir en l’adaptation du “Bourgeois gentilhomme“, présenté au festival “Villeneuve en scène“.

Philippe Car et Yves Fravega ont adapté le texte de Molière pour une comédie déjantée où marionnettes, personnages de carton-pâte et robots se croisent. Un délire s’empare de ce Monsieur Jourdain et nous fait redécouvrir un classique mené tambour battant. Le savoir-faire de la compagnie en matière de divertissement est irréfutable.

Bien que la forme se suffise à elle-même (on arrive à en oublier le texte de Molière parfois), le fond, véritable critique de l’humain et de son paraître, résonne sous ce chapiteau et encourage à rester soi-même.

Le Bourgeois Gentilhomme” est un divertissement de qualité et offre au jeune public, un Molière résolument moderne loin de son image classique.

Laurent Bourbousson

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Dans le cadre de “Villeneuve en scène” du 5 au 24 juillet 2009, à 21h00.

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Raimund Hoghe et Faustin Linyekula jettent leurs cailloux sur Montpellier Danse.

Dans le hall du Théâtre Universitaire Paul Valéry, une spectatrice attend. Elle semble avoir rendez-vous avec le chorégraphe allemand Raimund Hoghe qui, chaque année ici, renverse, bouleverse le public. Je m’approche d’elle ; nous échangeons quelques informations sur la météo locale, et l’environnement du théâtre. Nous abordons la vie culturelle à Montpellier. À ce moment précis, la danse nous sépare : elle la découvre au cours de ce festival. Les mots trébuchent, et l’intimidation la submerge. « Je n’ai pas les mots pour parler de danse » me dit-elle. À quoi lui répondis-je : « Vos mots sont vos ressentis ». Trente années de festival n’y ont rien fait : le discours autour de la danse reste excluant, presque anti démocratique. Mais qui cela intéresse-t-il ? Raimund Hoghe assurément. Nous entrons côte à côte. Nos langages se croisent déjà.
La scène est immense, totalement dépouillée à l’exception d’un petit tas de cailloux. Notre humanité est là : toute à la fois atrophiée et imposante. La danse a commencé. Ils arrivent ensemble, mais séparés. Lui, c’est Faustin Linyekula, chorégraphe congolais. Lui, c’est Raimund Hoghe, ancien dramaturge de Pina Bausch, chorégraphe et bossu depuis l’enfance. Leurs corps incarnent un territoire mêlé qu’une vision du monde éloigne. Les feuilles de papiers délicatement posés tout autour de la scène par Raimund  évoquent l’espace européen qui préserve son modèle de développement. Surtout ne pas se fier aux apparences : la douceur de Hoghe est une bombe à fragmentation. Ces stèles mortuaires glacent. Seraient-elles celles des sans-papiers ? Pendant ce rituel funéraire, Faustin trace avec son petit tas de cailloux des chemins sinueux. La rencontre entre les deux hommes est-elle possible ? Raimund ne bouge plus : notre modèle industriel, social et culturel ne créée plus la relation ouverte. Faustin erre, sans titre, sans papier. Il est notre héros qui marchait sur la lune il y seulement trente ans. Sa danse compliquée et tortueuse les éloigne. La scène symbolise l’écart : 20% de la population mondiale consomme 80% des ressources de la planète.

Alors, place à l’art ! Il va nous offrir d’autres itinéraires, non moins sinueux. Alors que les cailloux s’incrustent dans les corps et crée l’espace de la confrontation, ils tombent pour Faustin, sont jetés par Raimund. La danse met en mouvement le minéral dans le biologique et provoque la régénérescence. La rencontre artistique par le partage permet à chacun de faire son chemin, à partir de nouvelles formes esthétiques (la bosse de Raimund et les plis du corps musclé de Faustin forment le paysage de l’imaginaire). Symboliquement, la danse est un modèle d’élargissement : elle ne puise pas la ressource pour appauvrir l’autre, mais  créée le bien commun et les esthétiques de la rencontre (ndlr: et si les Centres Chorégraphiques se transformaient pour s’ouvrir?)

Avec un propos accessible,  « Sans titre » de Raimund Hoghe, libère le spectateur par la poésie. Il crée à l’aide d’une bougie, d’un tas de feuilles de papier et vingt cailloux. De la rareté éclot le sens. Point de langage descendant, tout nous revient et leur revient ; de la danse de Raimund Hoghe naît la rencontre à l’image de la dernière scène où le blanc et noir se fondent pour créer un corps commun riche de nouvelles articulations. Sublime !

Elle me regarde puis me dit : « Cette oeuvre est une émotion qui se niche dans toutes les parties de notre corps ».

Martine, traçons nos chemins avec nos cailloux, mêlons nos mots et ouvrons ensemble l’espace de la rencontre autour de la danse!  Il y a urgence. Un certain Président de Région (Monsieur Frêche), cofinanceur du Festival, a une tout autre idée de la danse.

Pascal Bély- Le Tadorne

"Sans titre" de Raimund Hoghe a été joué les 2 et 3 juillet 09 dans le cadre du festival Montpellier Danse.
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CONCERTS

Le nouvel opus (oups !) du Festival de Marseille.

En changeant de nom, le Festival de Marseille affirme cette année quelques partis pris : « Festival de danse et des arts multiples de Marseille ». Cette dernière appellation laisse songeur mais trouve sa traduction dans le spectacle «J’ai des milliers de gestes» par « Piano et compagnie ». Une pianiste (Nathalie Négro), un violoniste (Jean-Christophe Selmi), un slameur (Fréderic Nevchéhirlian), un vidéaste (Patrick Laffont), un compositeur (Olivier Stalla), François Combémorel (au marimba), tous marseillais ( !), nous proposent un « ciné-concert » éclectique, hypnotique et poétique.

Tout commence par une vidéo prise depuis le port de Sofia. Une vieille dame regarde la mer, apparaît puis disparaît. Cette symbolique du destin plonge le spectateur dans un ailleurs où la musique est un espace de projection, où nos ressentis, telle une boule de flipper, se cognent aux quatre coins de cette scénographie déroutante. Car, à qui, à quoi s’accrocher, s’arrimer alors que cette épopée musicale fait l’éloge de l’immobilité, de la lenteur, avec des musiciens « éléments » d’un décor, qu’un mur vidéo amovible dévoile, cache, comme des fantômes. Rarement une scène ne m’est apparue aussi sensuelle, à l’image d’une peau que l’on effleure avec la vidéo, que l’on caresse avec le piano et que l’on mord avec les mots.

On se laisse aller à la mélancolie, à contempler ce désordre bien ordonné quand ils improvisent, tapent sur les cloisons, détournent leurs instruments. Ici, les artistes ne nous regardent pas : de biais ou de dos, ils sont entre eux. La scène n’est ni frontale, ni bifrontale. Sa forme naît de notre imaginaire. Les textes d’Éric Vuillard et ceux de Frédéric Nevchéhirlian en dessinent les contours incertains dans un écho qui finit par nous habiter. La musique de Steve Reich, de Terry Riley et Arvo Pärt s’incarnent dans des instruments qui font corps avec le musicien.

Ici, le corps ne danse pas : il est surface de divagation et la vidéo s’y projette comme un tatouage amovible. À fleur de peau, la musique et la poésie laissent des traces par l’image subtile de Patrick Laffont. Le danseur n’est pas loin. Serait-il caché derrière un pan du décor ?

Et le temps poétique fait son oeuvre. À quelques minutes de la fin, une forme m’apparaît : ils sont les mécaniciens «fous» du piano monumental du metteur en scène et compositeur iconoclaste Heiner Goebbels. Cette installation, présentée au dernier festival d’Avignon, avait beaucoup troublé par sa mécanique musicale qui dégageait une émouvante poésie.

Et l’on se prend à rêver que ce collectif envahisse les machineries et les horlogeries de nos sociétés à bout de souffle pour nous aider à remettre l’humain au centre. Car, jusqu’à preuve du contraire, le corps ne sera jamais transparent et la musique n’est pas destinée à être seulement téléchargée.

Pascal Bély

www.festivalier.net

« J’ai des milliers de gestes » par « Piano et Compagnie » a été présenté le 29 juin 2009 dans le cadre du Festival de Marseille.

Crédit photo : © Agnes Mellon

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Tadorne, le blog du Festival d’Avignon : où serez-vous ?

Vous avez peut-être pris connaissance de notre première invitation. Voici la deuxième.

Le compte à rebours est enclenché. Plus que six jours et Avignon ressemblera au “plus grand théâtre du monde“. Nous nous croiserons dans les files d’attente, aux terrasses des cafés, face au panneau de revente des places au Cloître Saint Louis, pour le « In », et en lisant les revues de presse, pour le « off ». Nous en profiterons pour échanger sur nos cadres de réception, sur nos expériences théâtrales et sur notre « traversée » de spectateur. Nous envisageons même de faire votre portrait pour le publier sur « Le Tadorne » ! Bien plus qu’un échange vertical mené lors des rencontres public-institutions (à laquelle nous participerons[1]), laissons nous aller à la poésie de l’amateur éclairé comme nous y invite le sociologue et philosophe Edgar Morin qui déclarait au lendemain des élections européennes : « ll est temps de métamorphoser la civilisation pour poétiser la vie ” (il sera présent au Théâtre des Idées le 25 juillet).

Rencontrons-nous lors d’impromptus et poétisons notre festival ! Notre signe de reconnaissance sera un tee-shirt avec pour logo “Le Tadorne festivalier.net” pour nous et nos rendez-vous sur le site au jour le jour, pour vous. Comme une rencontre non définie à l’avance pour laisser place à l’instant.

Pari fou que cette expérience. Faire de nos échanges un moment repris sur la toile afin de désacraliser la pensée uniforme des critiques et revendiquer notre place de spectateur. Loin d’être des consommateurs de culture, croyons à notre valeur de jugement et relions le “In” et le “Off”, ces deux festivals qui se côtoient sans trouver de passerelles. Rapprochons-nous et échangeons sur des spectacles différents afin de mettre en lumière la création artistique, moteur d’une nouvelle croissance.

Celle du développement durable.

Pascal Bély

Laurent Bourbousson

Diane Fonsegrive.

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Photo: Diane Fonsegrive.


[1] Aux différentes rencontres entre artistes du « In » et public à l’Ecole d’Art, aux «rencontres critiques » à la Maison du Off

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EN COURS DE REFORMATAGE

Un dimanche avec Pina Bausch. Toute une vie.

 


Cet article a été écrit en avril 2006, à mes débuts de “spectateur blogueur”. Ce fut une révélation.

Il s'est donc passé quelque chose au Théâtre du Merlan en ce dimanche après-midi pour qu'aujourd'hui ma tête divague, pour qu'il soit si difficile de me centrer sur une tâche.
Il s'est donc passé quelque chose pour qu'encore une fois la danse y aille de son joli travail sur mon inconscient.
En ce lundi opaque, il y a l'image de cette femme magnifique et de sa jolie robe bleue (en photo). Elle est “âgée” comme ses 26 autres partenaires. Elle danse « Kontakthof » de Pina Bausch à Marseille devant une salle comble. Cette pièce créée en 1978 est rejouée en 2006 à l'identique mais avec des danseurs de plus de 65 ans. La scène se joue dans le hall d'une maison close avec autant d'hommes que de femmes. Le contexte est explosif. Au bout de 2h45, je sors hagard, lessivé, ailleurs.
Pendant cet espace temps, ces hommes et ces femmes vont s'aimer, se toucher, se haïr, se séduire, nous séduire, se manipuler (dans tous les sens du terme), nous manipuler, s'émouvoir, se tuer, s'embrasser, jouer à l'enfant, se fuir, s'enfuir, s'enlacer, nous larguer, se séparer, revenir, partir. D'un bout à l'autre de la scène, je les suis, je la suis. Elle me submerge d'émotions. Qui est cette femme ? C'est l'Allemagne que je chéris, c'est la femme qui m'a mis au monde, c'est elle que je défends contre l'oppression masculine, qui me laisse pour un autre sans me quitter. Je sais ce que je suis pour elle ; lui n'est là qu’un court instant. Et les autres ? Je fais avec. Ils tournent autour d'elle, elle s'amuse d'eux. Avec eux, elle tourne en rond mais elles les aiment?c'est plus fort qu'elle. Ils sont toute sa vie ; jusqu'à la mort.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=hZT5XIqlyUU&w=425&h=344]

Le hall de cette maison est l'espace où toutes leurs vies se rejouent en accéléré, comme dans un film animalier qui suivrait une couvée de canards, de la naissance à la mort?A 65 ans, leurs corps parlent plus que jamais. Leur moindre geste est une danse. Leurs lèvres dansent la séduction, leurs pieds chorégraphient leur inconscient.
A 65 ans, leurs corps sont façonnés, pétris par les mains de l'amour et par la brutalité des sentiments. Ces corps ont tout encaissé ; ils dansent devant nous. A 65 ans, je danserai comme eux, pour elle.
« Kontakthof » est un chef d'?uvre d'humanité. Il nous renvoie à notre propre histoire, à notre vieillesse, à notre corps.
« Kontakthof » est cette maison close dans laquelle nous jouons nos vies amoureuses.
Pina Bausch nous ouvre la porte pour aller danser ailleurs.
Pascal Bély – www.festivalier.net

 
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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

À Montpellier Danse, quand on arrive en ville…

Montpellier. Ville inaccessible en cette journée de départ en vacances. Il nous a fallu trois heures pour atteindre la cité Gély où une chapelle trône au coeur de ce quartier populaire. Le contraste entre le centre ancien flamboyant, les nouveaux immeubles surgissant de terre pour accueillir les arrivants et cet îlot est saisissant. Tel un sanctuaire de la danse, nous entrons pour découvrir la dernière création de Mathilde Monnier, « City Maquette », interprétée par 60 amateurs répartis en plusieurs groupes (enfants de sept à huit ans, adolescents en cours de formation au conservatoire de danse,  adultes pratiquant les arts martiaux, seniors). Cette diversité donne l’opportunité à Mathilde Monnier de nous délivrer sa vision du corps social comme moteur de la dynamique de l’espace urbain. La musique d’Heiner Goebbels (extraits de l’opéra « Surrogate cities ») et la scénographie d’Anne Tolleter accompagnent cet opus souvent lent, rigide et sans perspectives notables.

Pourtant, tout commence par un délicieux maillage. Alors que les adultes, tels des professeurs, dessinent sur le sol noir des lignes brisées, les enfants débarquent et font avec leur craie de bien jolis tourbillons. Le territoire, ainsi fluidifié, aurait pu accueillir une danse de courbes et de liens, de traversées chaotiques articulées à des lignes droites. Mais rien de tout cela.

Nos enfants (quasiment tous blancs !) reviennent avec un nouveau matériel, composé de boîtes et de cartons empruntés à notre société de consommation. Ils les posent, les rangent puis les déposent à nouveau. Certes, c’est une maquette, mais encore ? C’est de la scénographie et rien de plus à l’image des architectes de nos villes qui plantent leurs bâtiments déjà vieux, sans place, ni fontaine, mais avec des cases bien gardées. Nous les reverrons à plusieurs reprises, danser par petits groupes devant un écran vidéo. Leur chorégraphie est un langage d’adultes plaqué, projection de metteurs en scène et chorégraphes qui font jouer aux enfants ce qu’ils ne peuvent pas dire. Le  procédé est contestable. Décidément, nos villes ne sont pas pensées pour les enfants. Était-ce dans l’intention de Mathilde Monnier de nous proposer un tel aveu d’échec jusqu’à provoquer l’assoupissement des quelques gosses présent dans le public ?

Pendant plus d’une heure, nous passons de génération en génération comme si l’humain dans toute sa complexité se réduisait à son âge, à une pratique (ici, d’ennuyeux mouvements d’arts martiaux, là une danse de salon avec des séniors). Comme si le corps social pouvait se résumer à ce qu’il produit (ah, le fameux modèle producteur – consommateur si cher à notre époque moderne !) et non à ce qu’il relie (approche du développement durable). Mathilde Monnier reproduit la vision véhiculée par les centres sociaux. Soit. Sauf qu’ici, la ville ainsi représentée, n’est qu’une succession d’approches verticales descendantes.  « City maquette » est déjà usée. Pourtant, un moment majestueux est prometteur : des jeunes danseurs, à terre sur une grande feuille blanche, en duo, dessinent des courbes au crayon noir qu’ils enroulent par la suite pour danser tout autour. La vision est fluide à l’image d’un lien social qui se co-construit. Une très belle respiration.

Le final, censé offrir une abstraction décloisonnée, tourne en rond : le lien a besoin d’un espace circulaire que la scénographie empêche.  À quelques minutes de la fin, alors que la porte de la Chapelle Gély s’ouvre, une odeur de barbecue nous stimule. J’ai rêvé de voir débarquer les habitants du quartier pour nous sortir de notre léthargie. Même pas. À la sortie, profitant de l’opportunité, quelques-uns nous proposent, pour trois euros, des merguez.

Producteur- consommateur.

Eux-nous.

Cette danse, au coeur de cette cité, n’y change rien.

Pascal Bély- Le Tadorne

“City maquette” de Mathilde Monnier a été joué les 27 et 28 juin dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

Photo: Marc Coudrais.

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LES EXPOSITIONS

A Apt, l’Afrique illuminée.

Il faut oser se perdre dans la zone d’entreprises de la ville Apt à la recherche de la Fondation Blachère, lieu d’art contemporain africain. Oser pour se laisser surprendre par le contraste : au c?ur de ces bâtiments industriels, un bus est posé là. Il déborde de partout. Signe d’une époque devenue folle : il nous faudrait peut-être prendre le temps de poser nos valises.

On entre, persuadé qu’il va se passer quelque chose. Une intuition. L’exposition « Animal Anima» va bel et bien chercher l’animalité qui est en nous. Et pas qu’un peu ! Mais avec retenue et délicatesse, à l’image de ces rideaux qui voilent des animaux empaillés à l’entrée. Serions-nous à ce point cachés ? Il est donc temps de lever le voile.

Tout commence par une histoire. D’ailleurs, « Animal Anima» expose les contes pour mieux les faire résonner. Tous les sens sont stimulés à partir d’une scénographie où tout est lié. Ici, on lit et ce n’est pas fastidieux.  Nous retrouvons l’émotion de l’enfance quand, avant de dormir, nous peuplions l’imaginaire de la somnolence par d’étranges créatures animales. Du lièvre et de la panthère (Frédéric Bruly Bouabre), nous retenons que les animaux ont aussi des troubles de l’identité. En posant notre regard sur d’extraordinaires vaches miniatures, nous comprenons que la place que nous leur réservons, parle du monde que nous créons (Cheikhou Ba). A ressentir les « femmes surchargées » du Pasteur Bobo, nous rêvons de monter aux arbres pour les alléger. Tout un programme. A se glisser dans les jambes étoilées de papillons d’Amal Kenawy, nous nous perdons à imaginer qu’elles appartiennent à la « femme debout ». Émouvant.

Un espace plus loin, nous retrouvons le temps où, enfant, nous construisions des tentes et des cabanes. Celle d’Aimé Mpané est de toutes les couleurs et habitée par des gorilles étincelants : véritable moment de grâce pour nous rappeler que notre ancêtre est une espèce menacée qui pourrait bien éteindre notre civilisation. Majestueux.

Je me souviens encore des hippopotames de Daniel Dewar et Grégory Gicquel vus au « Printemps de septembre » à Toulouse en 2007. Fait d’une terre humide, leur effritements parlaient de notre époque en voit de dislocation (quand l’art est prémonitoire). Ici, à Apt, c’est un éléphant de bois, sculpté par Andries Botha. Loin de s’effriter, il campe solide sur ses certitudes. Nous l’observons sous toutes ses coutures pour nous rassurer : l’ami animal ne nous veut aucun mal.

Ainsi, en quittant cette exposition fragile et enivrante, nous reprenons la route en veillant à ne pas klaxonner derrière le bus.

Pascal Bély

www.festivalier.net

« Animal Anima » à la Fondation Blachère à Apt (384 avenue des Argiles – 04 32 52 06 15) . Jusqu’au 11 octobre 2009, du mardi au dimanche, de 14h à 18h30 (entrée : 3 ?).

 


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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

A Montpellier Danse, Israel Galván : nous surmonterons…

C’est un triomphe. Un tonnerre d’applaudissements. Le public de Montpellier Danse, après s’être lâché dans les plis et replis orgiaques de Blanca Li quelques jours auparavant, reprend ses esprits pour admirer la tête haute et le regard fier, l’immense Israel Galván. On en oublie vite le titre : « El final de este estado de cosas, redux ». Incompréhensible. La feuille de salle précise un peu mieux l’intention: c’est une lecture très personnelle sur le texte biblique de l’Apocalypse, « unique manière de comprendre un texte comme celui-là ». Et puis, une promesse : que la patá, en atteignant des « dimensions stratosphériques », « abattra le monde » et nous aidera à faire face à n’importe quelle catastrophe, n’importe quel chagrin. Cela tombe plutôt bien, notre président est si petit.

Alors, il fait face. À lui-même. À son art. Masqué, il nous offre dès les premières minutes une mise en scène époustouflante. Dans un petit carré de sable, il danse l’essence, les sens. Pureté absolue. Le masque tombe. Tout peut commencer. Soudain, sur un écran vidéo, un extrait de NON, pièce musicale et chorégraphique conçue par le compositeur Zad Moultaka, créée le 2 juin 2006 à Beyrouth à l’occasion du premier anniversaire de l’assassinat de Samir Kassir. Yalda Younes, disciple d’Israel Galván, danse cette résistance à la guerre et à la violence sur la bande son faite à partir du bruit des tirs d’une nuit de guerre.  Le combat est là : la danse coûte que coûte. C’est de nouveau époustouflant. Et qu’importe la qualité de l’image : sur scène, le flou nous éclaire. Alors que le rideau se lève, il poursuit. La scène, montée sur ressorts, fait échapper la poussière. Sous ses pieds, il terrasse. Le pacifisme a sa danse de guerre. Exceptionnel.

J’en tremble.

Vous avez dit danse contemporaine ?

Non, c’est au-delà.

Il ose se travestir. En rouge et noir. Avec de gros seins. Le masculin dans le féminin ; le genre au-delà du sexué. La patá terrasse les clichés. Exceptionnel.

Ines Bacan s’assoit. Une voix, au milieu de tous ces hommes. Sur sa gauche, un ensemble traditionnel andalou ; sur sa droite, un groupe rock, Orthodox, dont les musiciens portent une capuche grise, genre Ku Klux Klan. “Il va falloir y aller” pense-t-il peut-être. Le rock, musique du diable, embarque la voix d’Ines Bacan dans des profondeurs inouïes, puis incarnées dans le corps d’Israel. À ce moment précis, le flamenco électrise. C’est un Nouveau Monde, celui où le rock enrôle. Exceptionnel.

Mais où va-t-il ? Ce n’est pas fini ?

Ma voisine de gauche pleure.

Mon voisin de droite serre la main de son amie.

Et le Corum applaudit. C’est plus fort que tout. C’est notre patá.

Il continue d’affronter les démons, les diables, les Satan. Il s’approche de sa destinée. Dans trente minutes, Angelin Preljocaj prend la relève à l’Opéra de Montpellier avec « le funambule » de Jean Genet. Il tremble aussi. Qui est le funambule de l’un, l’aimant de l’autre ?

C’est alors que le corps d’Israel Galván devient une caisse de résonance, une antichambre de la mort. Il danse et joue avec elle.  Son corps tambourine et se fracasse. L’orchestre est alors une symphonie mortuaire qui finit par l’aspirer. Rideau. Du jamais vu. Dans une heure, Angelin Preljocaj nous fera entendre lui aussi le corps brisé. Entre eux, une onde se propage: le corps est le bruit de l’ambivalence du danseur. Sur un fil.

Mais l’onde de choc est à venir. La dernière scène est un séisme. Nous retenons notre souffle. Des gravats de Beyrouth, Israel bâtit sa cathédrale pour y mourir.

« El final de este estado de cosas, redux » est une oeuvre sacrée

Pascal Bély – Le Tadorne

« El final de este estado de cosas, redux » d'Israel Galván a été joué les 23 et 24 juin 2009 dans le cadre de Montpellier Danse.

photos : Luis Castilla