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ETRE SPECTATEUR

Spectateurs et professionnels de la culture: sommes-nous encore ensemble?

photo extraite de la galerie de photos de Heidi Kuisma

En octobre, en fin de journée, les rues d'Avignon sont calmes. L'événement crée par Le Centre de Développement Chorégraphique  d'Avignon (« Les Hivernales ») n'y change rien. Pour fêter l'arrivée  de son jeune directeur (Emmanuel Serafini)  et le début de la saison 2009-2010, le public a rendez-vous à l'extérieur du centre pour assister à la performance d'Antoine le Ménestrel. L'homme s'agrippe à cette façade verticale face à une trentaine de spectateurs amassés le long du trottoir. Il cherche les points d'appui, peine à aller très haut. Doté d'un masque type H1N1, il finit son escapade pris dans un filet qui lui colle au corps, accroché à un croc de boucher (sic). La métaphore est saisissante: sommes-nous conviés à assiéger cette institution pour nous en libérer? Souhaitons à ce jeune directeur d'ouvrir la relation (notre faible nombre devrait l'interpeller), de créer des porosités et des « zones de contact » pour mailler les publics à partir de ses projets artistiques. Il y a manifestement urgence, car ce soir, l'auditoire s'est atrophié, la verticalité finit par donner le vertige d'une violence sociale qui ne dit pas encore son nom.

 

Même jour, une heure plus tard. Hortense Archambault et Vincent Baudriller, les co-directeurs du Festival d'Avignon, convient les spectateurs à une rencontre-débat autour du bilan de la dernière édition. Ils sont assis dans un coin de la scène, tandis que le public (majoritairement âgé et féminin) est sagement installé dans les gradins. Du bas vers le haut et inversement : entre nous et l'institution, le lien est une mécanique bien huilée. Tout commence donc par un spectateur qui regrette l'époque de Jean Vilar et dénonce les « bourgeois ». Bruits dans la salle. La réponse ne se fait pas attendre et finit par des remerciements appuyés envers la direction actuelle. Applaudissements. Entre ces deux caricatures, comment être un spectateur citoyen éclairé ? À défaut d'un regard critique, deux personnes relient les ?uvres en veillant à se mettre à distance tandis que d'autres se positionnent en « spectateur consommateur » quand ils évoquent la qualité des sièges lors des représentations ! Il faut alors attendre la prise de parole d'une jeune étudiante en BEP pour ressentir un frisson dans la salle et sur la scène : après avoir découvert le festival l'an dernier, elle regrette que l'on ne vienne pas vers les élèves des BEP-CAP pour communiquer avec « ceux qui ne connaissent pas le monde du théâtre ». Cette intervention (à la 47′ de la vidéo) arrive à point nommé au moment où le débat tourne sur lui-même, à l'image d'un système autarcique. La réaction sincère d'Hortense Archambault (« donnez-nous des pistes et des idées ») sonne comme un aveu : comment communiquer autrement pour que l'on se rencontre? Le festival associera-t-il cette jeune fille et ses camarades pour inventer un nouvel espace de rencontre où l'humain, avec ses forces et ses fragilités, contourne les codes rationnels du lien développés par les experts de la communication promotionnelle ? L'époque n'appelle-t-elle pas les réseaux sociaux au détriment des tuyaux (encombrés) de l'information ?

Toujours en octobre, le Festival Actoral à Marseille bat son plein. Les nouvelles formes d'écritures, y compris la relation avec le public, sont au coeur du projet. L'actrice belge Viviane de Muynck nous promet donc un débat sur le théâtre. Au préalable, elle lit une correspondance entre un metteur en scène et une comédienne. Nous assistons à une vivifiante leçon de théâtre énoncée avec brio par cette « maîtresse » hors pair. À la fin de sa lecture, elle se lève et vient vers nous pour entamer l'échange tout en maintenant sa position haute. Je tente quelques retours, mais cela tombe à plat. Elle a son scénario en tête et continue sa « leçon ». Un spectateur s'en agace (« si nous parlions d'autre chose que de vous-même ») mais la salle reste impassible, hypnotisée par son charisme. Point de débat, juste une mise en scène où nous sommes de bien mauvais acteurs piégés par nos enfermements.

Mais alors, est-ce encore possible d'innover ? « Y’a des Ho ! Y'a debat ! », est une rencontre que j'ai co-animé  avec Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins de Martigues, le 29 septembre. Une quarantaine de spectateurs a fait le déplacement (des habitués et des professionnels de la culture). La scène est volontairement vide pour ce premier débat de la saison (« quel spectateur, quel programmateur êtes-vous ? ») et nous sommes fondus dans le public, disposé en U. Annette Breuil et moi-même improvisons sur l'historique de notre rencontre où comment j'en suis venu à créer un blog après le spectacle de Jérôme Bel (« the show must go on ») présenté au Théâtre des Salins en 2005 puis comment nous sommes parvenus, elle et moi, à nouer une relation non hiérarchisée. À ce moment précis, nous posons le cadre du débat : échanger loin des cases qui nous enferment. L'assemblée paraît apprécier la chaleur humaine que nous instaurons et semble prêt pour un petit exercice : écrire sur un papier rose ( !), « une question que l'on n'a jamais osé poser à Annette Breuil », sur un papier jaune « une question destinée à votre voisin ». Incontestablement, ce cadre crée une dynamique. Les interrogations fusent en direction d'Annette Breuil (sur ses choix de programmation essentiellement) tandis que celles entre nous peinent à émerger. Nous ne savons manifestement pas nous interpeller! Même si nous abordons la posture du spectateur (« pourquoi quittons-nous un
spectacle avant sa fin ? 
», « quel rôle joue pour nous la plaquette de saison ?»), force est de constater que la forme ouverte de l'échange n'a en rien modifié le fond : ce sont souvent les spectateurs inclus dans le réseau culturel qui ont pris la parole pour un débat autour de la fonction d'Annette Breuil sans qu'émerge un questionnement sur le positionnement du spectateur. Il y a là un enseignement majeur : nos institutions ont « normé » le lien avec le public dans une logique verticale descendante. Pas étonnant que les retours s'inscrivent dans ce lien et maintiennent des postures finalement assez figées.

Dès lors, peut-on imaginer l'ouverture de la relation entre spectateurs et professionnels de la culture à partir des institutions ? N'y a-t-il pas un paradoxe à vouloir créer un lien transversal dans un cadre qui trouve sa légitimité dans un lien descendant ? Pour l'instant, il est difficile de  s'appuyer sur internet pour « bouleverser » les institutions tant les professionnels peinent à utiliser cet outil pour communiquer en transversalité (pour s'en convaincre, Facebook est manié par les structures culturelles comme un panneau d'information !).

Nous avons donc, collectivement, à imaginer de nouveaux espaces. Est-ce à la marge qu'ils émergeront?

Pascal Bély ? www.festivalier.net

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OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avec Mathilde Monnier, la danse est contemporaine.

À trois mois d’intervalle, trois chorégraphes ont posé un acte artistique fort dans un contexte de perte du sens qui n’épargne pas la danse. Lors du dernier Festival d’Avignon, le Canadien Dave St Pierre avec «un peu de tendresse bordel de merde »  questionnait le lien amoureux, malmené par nos sociétés globalisées où presque tout se marchande. Début octobre à Nîmes, Anne Teresa de Keersmaeker avec « The Song » nous projetait dans un espace ouvert, loin des conventions, pour stimuler nos imaginaires dans un temps (1h50) particulièrement inhabituel. Au Centre Chorégraphique National de Montpellier, Mathilde Monnier revisite un bref solo mythique de la danse contemporaine,  “La mort du cygne”, écrit par Fokine en 1907 pour la danseuse Anna Pavlova. Elle l’étire tant et plus jusqu’à casser la corde qui enferme nos représentations sur le mouvement. Ce souffle novateur impulsé par le  collectif plonge à chaque fois le public dans un océan de sensualité où le corps du danseur catalyse des contraires pour restituer de l’humain, certes turbulent, mais magnifiquement vivant. Loin d’un propos conceptualisé, ces chorégraphes nous offrent la possibilité de questionner notre rapport à la danse, à notre futur pour nous conduire inéluctablement à interroger nos façons de communiquer.

À Montpellier, Mathilde Monnier a donc frappé fort. Neuf danseurs, vont et viennent suivant une même mécanique qui, tout en se perpétuant, change de forme et de nature. Une alarme retentit, le groupe avance puis s’effondre comme pris d’épilepsie, un solo émerge (une « mort du cygne » sans cesse réinterprétée), le chaos s’installe puis l’ensemble disparaît, happé dans les coulisses. Cette forme n’est pas sans rappeler les « Flash Mob » (« foule éclair » ou « mobilisation éclair ») qui bouleversent les codes classiques de la manifestation en dynamisant le collectif à partir de l’outil interactif et participatif qu’est internet. Car cette danse est une riposte : réinventons le mouvement semble proclamer Mathilde Monnier, puisqu’il nous permet de mettre en dynamique notre vision d’un futur, dont l’espace s’est considérablement réduit !

L’urgence est palpable : alors que le présent file à toute vitesse, comment s’appuyer sur nos mythes fondateurs pour transformer notre avenir à partir d’une mémoire commune? Comment appréhender ce « cygne », symbole de notre angoisse face à un futur incertain? Mathilde Monnier et sa superbe compagnie de danseurs s’en emparent afin que ce solo révolutionnaire en 1907 (il signait un changement de paradigme entre le classique et le contemporain), le soit de nouveau en 2009, alors que nous vivons une grave crise de système. Elle  réussit ce pari d’articuler le solo (le sens) avec le groupe (la communication). Tout ce que la société du spectacle réduit, elle l’interroge pour nous propulser vers un changement de civilisation: pourquoi chercher à tout prix le mouvement s’il n’est pas vecteur de sens, si le corps nous empêche de nous confronter au « politique », s’il n’éveille pas une conscience individuelle et collective. À partir du mythe, elle nous permet aussi de questionner notre rapport à la danse, métaphore de l’articulation passé-présent-futur.

Pour nous aider, à l’image d’un match de rugby, de nombreux objets circulent, non pour leur fonction plastique, mais parce qu’ils sont vecteurs du mouvement. Ce collectif ouvre tellement l’espace, que cela en est prodigieux : la poésie finit par vous emporter. La danse est le groupe, le corps est la matière du sensible et nous sommes des spectateurs inclus dans le mouvement, car c’est à nous de relier pour sculpter ce corps social, seul espace où nous pouvons inventer notre futur commun. « Pavlova 3’23 » nous traverse, bien plus qu’elle nous tétaniserait par sa beauté. À côté des objets, viennent s’ajouter des rideaux de plastique noir, positionnés sur chaque côté de la scène, qui montent et descendent, et produisent un son quasiment “liquide”, si cher à Christophe Haleb (chef d’oeuvre présenté à Uzès Danse). Le fluide est partout et finit par vous caresser la peau comme chez Dave St Pierre où les corps glissent sur l’eau, tandis qu’une bâche du plafond tombe à terre et devient liquide mélodieux chez Anne Teresa De Keersmaeker.

Mais cette ouverture vers le futur serait impossible sans l’engagement des danseurs dans leur interprétation du solo. Cécilia Bengolea est impressionnante en Dalida fragile et évanescente, Olivier Normand vous emporte dans ses ondulations féeriques, I-Fang LI vous écartèle avec son grand écart, Julien Gallée-Ferré vous subjugue dans sa fuite mortuaire, et Thiago Granato nous fait pitié en roi déchu. Alors que les musiques d’Heiner Goebbels et Rodolphe Burger finissent de vous envelopper, vous ne rêvez plus : la danse contemporaine a signé l’un de ses plus beaux manifestes pour un nouveau langage des cygnes.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Pavlova 3’23 » a été présenté du 12 au 16 octobre au CCN de Montpellier dans le cadre de la saison Montpellier Danse.

En tournée au Festival “Automne en Normandie” à Evreux le 31 octobre 2010; puis au Théâtre de la Ville de Paris du 2 au 6 février 2010.

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EN COURS DE REFORMATAGE

« La décadanse » d’Anne Teresa De Keersmaeker .

C'est une semaine turbulente, dans un climat de persécution et de décadence qui enveloppe tout le pays. La peur s'immisce partout, les barrières se dressent, le népotisme s'invite au plus haut niveau de l'Etat, l'argent infiltre les lieux du savoir, les commentaires sur les sites internet des journaux concernant Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, sont d'une violence inouïe. La société du spectacle et du jeu, érigée en propos artistique à la Biennale d'Art Contemporain de Lyon, entame sa descente aux enfers. Il ne manque plus qu'à installer nos politiques dans une émission de “télé réalité” pour qu'ils décident de notre avenir tout en dévoilant leurs penchants sadiques envers des fonctionnaires de La Poste.

Dans ce contexte,  où trouver l'apaisement pour ne pas perdre son sens critique et l'amplifier? Alors que l'inculture nous est proposée comme modèle de développement, que les artistes s'inquiètent de devoir se plier à des impératifs de marketing, pousser la porte d'un théâtre devient un acte de résistance. Celui de Nîmes accueille la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker pour sa dernière création «The Song». Le hall d'entrée est glacial, entre monument historique et lounge pour cadres fatigués. Assurément spectaculaire, mais si peu chaleureux. Tout y semble statufié. Le contraste est saisissant avec le décor de « The Song » : pas de tentures noires, un ciment à nu où l'on perçoit  toute la machinerie théâtrale. Les murs ne sont que raccords, replâtrages, poulies et rouages. La fin de notre société industrielle servirait-elle la scénographie, à moins que la rudesse du béton ne nous renvoie à la dureté de l'époque. Malgré tout, plane sur le plateau, une bâche brillante qui jouera tout au long de l'?uvre sa fonction : nous rappeler qu'avec une matière fragile, on peut illuminer un propos.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=HlQuhLfEfbY&w=404&h=246]

(superbe vidéo à voir et revoir!)

Ils sont neuf danseurs masculins accompagnés de Céline Bernard, bruiteuse (magnifique présence, en totale écoute empathique). Tout semble ouvert afin que la danse soit une chanson que l'on fredonnerait le temps d'un bonheur retrouvé. Ils ont donc poussé le décor pour faire place au groupe, à leur projet : prolonger leurs mouvements dans notre imaginaire pour que leurs pas soient notre partition. Car tout n'est que silence, mis à part les bruits produits par Céline Bernard, des chansons jouées a cappella, et des chants d'oiseaux créés par ses danseurs à l'agilité volatile.

Rarement, je me suis senti autant inclus dans une ?uvre.  Leurs allers ? retour entre le centre et les bords de scène provoquent l'ouverture qui stimule tous mes sens et me plonge dans un abyme de beauté, de légèreté et d'apesanteur. Pendant une heure et cinquante minutes (cette durée inhabituelle est le signe d'une danse qui s'autorégénère), je suis un spectateur contemplatif actif. Ils incarnent tout ce que notre société industrielle ne peut assimiler : le déséquilibre est une force, « essayer » participe de l'?uvre, le silence est un espace sur lequel on s'appuie pour que le sens soit un bruit, la circularité (même fragile) est préférée aux ruptures linéaires. Ici, les hommes forment une toile où l'intensité de leurs liens propulse leur danse vers cette chanson virtuelle et entêtante, où les rapports de force et sentiments amicaux font partie intégrante du “jeu musical”. En l'absence d'instrument de musique, ils font de l'invisible, une matière immatérielle, celle qui se moque du spectaculaire, mais se nourrit d'échanges humains au c?ur d'une société écologique. L'optimisme nous contamine, car ces danseurs ne lâchent rien : leur sensibilité à fleur de peau est leur force qui nous empêche d'intellectualiser la danse. En jouant avec les éclairages (on allume puis on éteint), avec la bâche (voile enveloppant puis liquide mélodieux quand elle tombe à terre), les scénographes Ann Veronica Janssens et Michel François provoquent notre sidération et notre lâcher-prise qui participent au processus de création d'une musique partagée. L'énergie de la scène se propage telle une vague. À force d'inclusion, « The song »  frôle la comédie musicale qui conduit certains spectateurs à taper du pied, bouger leur corps, dans ce silence si chantant.

Anne Teresa de Keersmaeker chorégraphie le « sensible » et signe un manifeste pour une société où l'art serait au service d'une économie de l'immatérialité. Mais pour cela, elle convoque aussi les Beatles avec « Helter Skelter » pour ouvrir nos mélodies avec le rock, seule musique capable de nous rendre chaleureux dans le chaos.

Cette énergie nous revient lors du final tandis qu'un faisceau lumineux éclaire les rangées de spectateurs. Je reçois cette lumière sur mon visage, je ferme les yeux, j'ouvre mes bras et me voilà propulsé dans un ailleurs, si loin de la décadence de l'Empire.

Pascal Bély – www.festivalier.net


“The song” d’Anne Teresa de Keersmaeker a été joué les 6 et 7 octobre 2009 au Théâtre de Nîmes.

En tournée française:

– 13 et 14 octobre à Mulhouse

– 10 décembre, Amiens

– 19 janvier, Caen,

– du 26 au 28 janvier, Grenoble.

– du 6 au 9 février, Limoges,

– 17 février, Bordeaux,

– 24 et 24 février, Orléans.



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EN COURS DE REFORMATAGE

Rachid Ouramdane célèbre la mémoire des âmes torturées.

 

« Les témoins ordinaires » de Rachid Ouramdane est actuellement à l’affiche du Festival d’Automne à Paris jusqu’au 18 octobre 2009. Rendez-vous au Théâtre de Genevilliers pour une ?uvre rare, fragile, complexe. Retour sur cette pièce vue au dernier Festival d’Avignon.

« Les témoins ordinaires” vous traverse et tisse sa toile avec la dernière création de Maguy Marin,  « Description d’un combat ».  Il y a chez ces deux chorégraphes, l’impérieuse nécessité de donner la parole à ceux qui ne l’ont plus. Avec eux, la danse a un propos parce qu’elle écoute ses contemporains et positionne le public dans un travail, avec respect, pour l’aider à  se projeter dans une vision assumée.

Ici, ce sont les invisibles, ceux que l’on n’entend plus dans nos espaces médiatisés à outrance, où le temps de l’humain se réduit à une variable d’ajustement. Ce sont ceux qui ont vécu la torture aux quatre coins du monde, dans des contextes politiques et économiques différents des nôtres, mais dont les vies brisées sont incluses dans notre histoire, n’en déplaise à nos autorités qui n’ont toujours pas entamé le devoir de mémoire.

Comment la danse peut-elle offrir un lieu de parole, restituer l’innommable sans voyeurisme, ni interprétations abusives ? En posant d’abord un cadre, radical, à peine le spectacle commencé: des petits hauts parleurs perchés diffusent les mots de torturés. Progressivement, la lumière s’éteint. Nous ne voyons plus, nous cherchons l’espace de la représentation. Il est en nous. Dans notre capacité d’écoute. Rachid Ouramdane nous positionnerait-il dans une fonction thérapeutique ? Les témoignages se succèdent, se répondent. Le son engourdit nos corps comme s’il provoquait un lâcher-prise salvateur : il n’y a plus rien à comprendre, c’est au-delà de la raison. Lâchons.

L’obscurité disparaît peu à peu : un mur de projecteurs illumine la scène pour « mettre en lumières ». Comme chez Maguy Marin, la lumière amplifie le sens. Un danseur arrive et règle une guitare électrique posée à terre. Elle diffuse un son strident, une sonnerie aux morts-vivants : une onde de choc se prépare. Un son pour recréer le fil de la vie. L’art va donc s’emparer du sujet, le célébrer, avec modestie, respect et mise à distance.

Ils sont cinq danseurs à errer sur scène, entre la vie et la mort. On devine à peine leurs visages : ils sont silhouettes. Un écran posé à terre projette les visages resserrés des témoins. Aux têtes sans corps répondent les corps sans tête. C’est sublime dans l’horreur. Ils déambulent, se croisent sans se voir. Et cela dure. Ces corps torturés cherchent leur cimetière : Rachid Ouramdane leur offre l’espace de la réparation, celui où l’on remet en lien les membres désarticulés, celui où les mots se font entendre par le corps. Coûte que coûte, revenir vers le corps.

Mais il faut écouter ce qu’ils nous disent. Les danseurs, magnifiques porte-parole, incarnent avec force ces corps qui semblent avoir perdu toute fonction biologique. Certains  mouvements répètent inlassablement la même histoire, comme les images en boucle à la télévision les jours d’attentats. Le « corps politique »  dévoile une à une ses peaux composées d’armures fracassées. Les jambes et les bras se désarticulent.  Le corps du danseur devient alors une masse informe et vulnérable : le bourreau soulève, joue avec et prépare le charnier. L’instant est sidérant.

À d’autres moments, ces âmes torturées ont le corps d’un f?tus se contractant sous les coups extérieurs. La mort est un prélude à la renaissance. Et puis, la cérémonie bascule : la danse se fait douleur. La danseuse tourne sur elle-même au cours de minutes interminables : elle risque à tout moment de perdre son centre de gravité, de se brûler les pieds par contact avec le sol. Cette torche vivante fait tomber les bras et la tête. L’art se niche au c?ur de la torture : beau et troublant à la fois.

Alors que la lumière s’intensifie, que l’errance se poursuit, nos âmes torturées s’apaisent peu à peu. Nous avons écouté. La guitare s’élève et se balance : la pendule du temps fonctionne à nouveau, à moins que cela ne soit un hommage aux pendus, à leur dernière danse.

Le témoignage d’une femme réapparaît à l’image et les mots préparent la fin de ce cérémonial majestueux. Pour Rachid Ouramdane, rien ne peut remplacer la parole. Beau geste d’un chorégraphe qui ose immobiliser sa danse pour s’effacer : seuls les mots peuvent faire entendre l’innommable.

Et le public ne s’y trompe pas : il applaudit avec respect ce qu’il ne peut ovationner.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

“Des témoins ordinaires” de Rachid Ouramdane, au Festival d’Avignon, du 19 au 28 juillet 2009 puis au Festival d’Automne de Paris du 8 au 18 octobre 2009.

Crédit photos: Christophe Raynaud de Lage.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Les fous sauveront-ils Actoral ?

Dans un temps très réduit, un festival nous aide à ressentir notre époque, à repérer les processus émergents de la création à l’image d’ACTORAL, festival international des arts et des écritures contemporaines de Marseille. Après une semaine, on à l'étrange impression que les propositions s'« institutionnalisent » et que l'on pourrait les retrouver dans les programmations parallèles des grands théâtres.  On aurait aimé être transporté, déplacé ; percuté; nous sommes juste légèrement décalé, parfois surpris. Cela signe-t-il l'inquiétante paralysie des programmateurs à l'heure de la réduction des budgets et de la précarisation croissante des artistes ? N'est-il pas surprenant que l'éditorial d'Hubert Colas, metteur en scène et directeur d'Actoral, porte sur les espoirs envers « Marseille 2013 » comme si cette célébration pouvait à elle seule être une réponse au défi global de la création contemporaine en France ?

Retour sur une semaine trop vite passée?

Cet été, au Festival d'Avignon, le metteur en scène italien Pippo Delbono avec « La Menzogna » nous offrait un final éblouissant : seul le « fou » pouvait nous sauver de la débâcle. À Marseille, le fou est un roi qui se moque bien de notre triste sort ! Personnifié par Etienne Saglio dans « le soir des monstres », cette ?uvre de cirque étonne par son langage (entre tours de magie et théâtre burlesque sans texte). Le pouvoir s'incarne, mais Étienne Saglio peine à s'amuser avec le corps « institué » et nous inflige des mouvements plus proche d'un « one man show » que notre petit président jouent d'ailleurs à merveille. Malgré une réelle sincérité dans le jeu, l'ennui guette. Étienne Saglio a un talent prometteur, mais on aurait aimé un peu plus d'audace en lieu et place de ses numéros tuyautés qui finissent par lasser.

À côté, le fou incarné par Bonaventure Gacon détonne ! « Par le boudu » nous donne à voir l'un des clowns les plus complexes jamais rencontré. Il perd toutes notions d'espace et de verticalité. Assassin d'enfant, il va jusqu'à le manger. Pour s'asseoir ou se lever, il prend de tels chemins de traverse, qu'il peine à retrouver la mécanique de son corps. C'est un clown contaminé par notre société de consommation qui s'amourache d'un poêlon. Il finit même par engloutir n'importe quoi au risque de se casser les dents. Pour incarner nos névroses obsessionnelles d'ordre et de sécurité, il imite un soldat obéissant, prêt à tendre le bras vers Jean-Marie. Tout au long de ce spectacle drôle et subtil, me revient l'année 2002, celle où la France s'est couverte de honte. Étrange coïncidence, c'est la date de création de « Par le boudu ». Huit ans que ce clown cauchemardesque envahit nos théâtres et torture nos mauvaises consciences. Réussira-t-il à nous sauver ?

Elle aussi pourrait être un clown, mais elle est chorégraphe. Pour son anniversaire, les amis d'Antonia Baehr  lui ont offert différents « morceaux » qui forment « Rire », « spectacle » qui fait le tour des festivals de création contemporaine (KunstenFestivalDesARTs, Toulouse et Actoral à Marseille). Ici aussi, le rire véhicule bien des maux de notre société. Il n'est plus cantonné à la sphère intime, mais a  contaminé depuis les années soixante-dix le langage social, jusqu'à devenir un outil de domination (en référence à son omniprésence à la télévision et ailleurs), une arme du politique pour étouffer toute réflexion sur le sens. Antonia Baehr semble dire au public : « Vous voulez vous marrez, ne pas vous prendre la tête et bien vous allez être servi ! ». Alors, elle rit, nous avec, même si nous finissons par ne plus rire du tout. Nous décrochons quand la forme se perd dans sa propre démonstration. En effet, si le rire est un langage des langages, Antonia Baehr retombe parfois dans la facilité du langage?pour nous faire rire !  C'est cette rupture dans les niveaux logiques qui fait de « Rire » une forme en émergence. Sera-t-elle un jour un texte de théâtre?

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=OlidaYBMBXY&w=387&h=249]

 

Il est 23h15 et l'on ne rit plus. Le collectif italien « Ricci et Forte » invite cinq spectateurs toutes les 25 minutes à monter un étage pour s'installer dans une salle de bains de la maison de Montevideo, lieu de création et de diffusion dirigé par Hubert Colas. Un homme dans une baignoire, caresse  des petits canards, troublé comme s'il avait  retrouvé l'objet perdu de l'enfance.  À la fois loge de l'artiste et scène de théâtre, le lieu est une caisse de résonance qui finit par m'emporter. Il ne parle pas, mais nous devinons le chaos intérieur. Alors qu'il quitte le bain, sa peau porte les stigmates de l'amour à mort. Ce simple mouvement de l'eau vers nous est une séparation symbolique incarnée par le corps de cet artiste merveilleux (Guiseppe Sartori). La douleur est telle qu'il en pleure, qu'il se déchire et finit par nous exposer, sous le nez, tout ce que nous projetons dans la rupture d'un lien d'amour.  Tout dégouline,  tout est (à)fleur de peau et me revient subitement l'ami perdu il y a vingt ans, jour pour jour. Cet acteur, reine d'un soir, qui sublime la beauté (féminine) par peur d'aimer se trouver laid, réveille en moi une séparation qui a bouleversé ma vie. Quand le théâtre ose l'indécence avec respect, permet de sonder l’insondable, on espère retrouver Stefano Ricci et Gianni Forte.

Avec les Québécoises Renée Gagnon et Mylène Lauzon, il est aussi question de lien. Ici, c'est leur amitié qu'elle propose de mettre en espace avec une performance, « Somme : S?urs », qui laisse perplexe. Entre vidéos sur leur dialogue à distance, numéros un peu téléphonés sur leur complicité, lecture de textes souvent obscurs, on ne saisit pas  les intentions des auteuses. Le malaise est d'autant plus palpable qu'à trop conceptualiser ce lien, elles finissent par le contrôler. Étonnant à l'heure où le « sensible » déploie tant de possibles.

Dans quelques temps, Pippo poursuivra notre sauvetage au cours de sa tournée en France, tandis que les artistes belges continueront d'ouvrir ce que nous verrouillons avec nos rêves d'ancien régime.
Pascal Bély – www.festivalier.net

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EN COURS DE REFORMATAGE

A Actoral, rions, la poule caquette.

Imaginez une poule sur scène. Deux spectacles. Une symphonie riante. Une soirée de festival. Un caprice. Cherchez l’intru.

Peut-on faire parler le corps par le rire? La chorégraphe Antonia Baehr relève le défi avec sa performance qui fait actuellement le tour des festivals de création contemporaine, dont Actoral à Marseille. Qu'il soit de complaisance, gêné, moqueur, sarcastique, diabolique, le rire est communication et prolonge nos corps. Il reflète notre surmoi et nourrit le lien social.

Le rire d’Antonia Baehr est joué grâce à différentes partitions « musicales » écrites par ses amis comme cadeau d’anniversaire. Il  va au delà des mots car il est langage et finit par nous habiter. Bilingue, trilingue, il exploite les différentes facettes de l’humain. Du petit rire mélodieux de l’enfant, à celui qui convoque le jeu de balles de Laurel et Hardy, elle nous glace avec son rire diabolique et satanique, et finit par nous jeter en pâture aux dictateurs passés et futurs.
Le rire du public est subtilement instrumentalisé. Provoqué artificiellement, il n'a de valeur que dans son acte. Mais rire pourquoi ? La mère d'Antonia Baehr intervient lors d’un dialogue enregistré : « Tu ris pour rien mais pas moi. Tu ne me fais pas rire ». C’est ainsi que l'écriture scénique met un rire final à la démonstration : nous aussi, nous avons ri inutilement. Mais le paradoxe nourrit le sens : convier le rire, coûte que coûte, quelle que soit la situation, fût-elle artificielle, pour mieux appréhender toute la compléxité de l’humain.

Mais avant Antonia,  le performer Thomas Ferrand proposait  « Et les vivants ne mourront pas ». Comme programme, une tentative de provocation gratuite et lassante. En 2008, lors d’une étape de création au Centre Chorégraphique National de Montpellier, il avait étonné par son audace et sa mise en espace. A Marseille, il gravite autour de son thème de prédilection: avant le commencement, il y a toujours eu un avant et pour (sur)vivre à la réalité, nous avons introduit de la fictionnalité. Il convoque les mots mais son écriture se noie dans des artifices scéniques certes imposants (des néons tombent et s'explosent au contact du sol, un néon rouge où s’inscrit CUMSHOT, des incessants bruits d'orage) mais qui nous laissent aux portes de l'enfer. N’est pas Dante qui veut malgré la présence du circacien Xavier Kim qui, droit devant nous tenant son micro, disloque à peine son corps et peine à faire vivre les mots.

L'intérêt du public se déplace alors vers une poule qui nous avait accueilli dans la salle. Elle suscite un intérêt certain comme pour échapper à un univers qui n’est pas le notre. Dans le « Ferrand Land », nous sommes des êtres de débauches, nous regardons des films pornos sur nos Black Berry et nous nous masturbons dans la rue (image somme toute assez amusante). Vivants, sommes nous ? Certainement pas: les vivants ne vont pas à Actoral !A la fin de cet hymne à la survie de l'espèce humaine, le public a toujours les yeux rivés vers la poule. Réfugiée sous les chaises du premier rang, elle provoque des fous rires éloignés de la teneur tragique du discours.

Avec ce positionnement d’enfant capricieux, Thomas Ferrand perd en inventivité. Il ne suffit pas de convoquer la provocation. Encore faut-il lui donner sens en la prolongeant dans un discours qui ne se laisse pas contaminer par les codes superficiels de l’époque.
L’acte oral ne suffit pas.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

 “Rire” d’Antonia Baehr et « Et les vivants ne mourront pas » de Thomas Ferrand ont été joués les 29 et 30 septembre 2009 lors du Festival Actoral à Marseille.

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CONCERTS

“Agent Ribbons” nous embobine.

 

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Une gracieuse jeune femme qui, des étoiles plein les yeux, a décidé de remuer intensément son auditoire, par ses gestes et sa voix exaltée. Il y eut bien Björk (en 1995 avec It’s oh so quiet) pour exporter ça sur toutes les ondes. Près de 15 ans plus tard, il s’avère possible de refaire une telle rencontre musicale, située entre séduction et étonnement. Le 06 octobre, l’Embobineuse, à Marseille, accueillera Agent Ribbons et enfin rallumera cette flamme-là.

 

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On a bien vu Regina Spektor, Joanna Newsom et Scout Niblett tenter de prendre le maquis de cette pop cabaret. Mais les trois filles d’Agent Ribbons y parviennent naturellement, tout en restant pour l’instant un secret bien gardé par la presse US spécialisée. Nul doute pourtant que leur fraîcheur et leur talent feraient rougir une scène pop/folk indé plutôt timorée. Natalie Gordon (voix, guitare), Lauren Hess (batterie, accordéon) et Naomi Cherie (violon) viendront pour un concert immanquable à l’Embobineuse, cette salle si singulière située à la Belle de Mai… 

 

Jonathan – www.festivalier.net

 

En tournée:

3 oct. 2009 20:00
Le Coup de Monocle Nancy, France
4 oct. 2009 20:00
Grnnnnnd Zero Lyon, France
5 oct. 2009 20:00
TBA St. Etienne, France
6 oct. 2009 20:00
L'embobineuse Marseille, France
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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LES EXPOSITIONS PAS CONTENT

Lyon, ses « Sens Interdits » et sa spectaculaire biennale.

Je l’observe près d’une fontaine avec ses ballons publicitaires siglés des différentes marques d’un grand groupe de l’agro-alimentaire. Le vent joue le trouble fête. Le jeune homme passe son temps à les rattraper pour les donner ensuite aux enfants et à leurs parents. Triste spectacle d’un quotidien où le jeu avec l’enfant est marchandisé.

Quelques minutes plus tard, c’est un gigantesque ballon qu’une bande de jeunes tentent d’élever sur la place Bellecour. Ici,  la Biennale de Lyon (dont le thème est «le spectacle du quotidien») fait l’événement publicitaire. Cela n’intéresse pas grand monde. Triste spectacle d’un quotidien où la culture se fond dans le marketing le plus bête. La biennale serait donc objet de spectacle.

Démonstration et petite sélection d’oeuvres qui font débat.

En entrant à la Fondation Bullukian, ce ne sont pas des ballons, mais des dessins tenus par des épingles à linge. Il faut éviter que le message s’envole. Laura Genz a dessiné pendant plus d’un an l’occupation de la bourse du travail par des sans-papiers. Les reproductions sont vendues au bénéfice de « la cause ». À côté de ses oeuvres, l’artiste signe quelques slogans et une revue de presse est accrochée au mur. Je fulmine. La Biennale utilise les mêmes codes que les organisations humanitaires. L’art est objet et le spectateur y est asservi. Comment dans ce contexte évaluer la portée artistique de ces dessins au risque de passer pour insensible à la cause des sans-papiers ? Cette culpabilisation permanente, devenue notre spectacle quotidien à la télé, à la radio, dans les rues, au travail, est reproduite telle quelle. Paresse.

À la Sucrière, un autre dessinateur. L’un des plus talentueux en Europe. Remarqué au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en 2008, le roumain Dan Perjovschi dessine comme il voit le monde. Deux murs noirs lui sont dédiés pour que jour après jour, ses dessins à la craie nous percutent. Le trait ne montre pas, mais joue le fil entre l’actualité et notre conscience collective d’Européen. Comme dans une galerie commerciale, peu de personnes s’arrêtent  et me voilà bien seul pour débattre. Triste « spectacle ». On passe sans rien voir comme s’il fallait fuir, à l’image de la vidéo proposée par Lin Yilin où un homme menotté à sa cheville déambule dans les rues chics de Paris. Les passants ne font guère attention à lui. Certains visiteurs de la Biennale rient de cette vidéo. Nous sommes au spectacle. Victoire de la société du divertissement.

Adel Abdessemed sait se faire remarquer et arrêter le spectateur. Ses photos et vidéos jouent sur l’opposition. Là des sangliers sur un trottoir, ici un lion quasiment tenu en laisse dans la rue. La ville est  vue comme violente et sauvage. Le son d’autres films projetées à proximité (un homme hurle tel un  vampire dans la rue, l’explosion d’une canette de coca à terre) amplifie la violence. Mais pourquoi cela ne touche pas ? Adel Abdessemed emprisonne son propos dans une vision dépassée à l’heure où la ville se dote de projets plus humains et plus écologiques. Est-ce pour cette raison que la vidéo proposée par le collectif  HeHe percute ? On y voit une voiture miniature téléguidée dans les rues d’une métropole américaine qui fait échapper de la fumée de toutes les couleurs. C’est la théorie du battement d’ailes du papillon qui provoque la tempête, ou la métaphore de la pollution de ces gros bolides qui envahissent nos villes. Bien vu parce qu’on s’en amuse.

Mais à mesure que l’on déambule à la Sucrière, on ressent le besoin de fuir le vacarme de la dénonciation spectaculaire. L’allemand Oliver Herring est là avec ses petits films posés tels des écrins sur le mur blanc. Au hasard de ses rencontres, il improvise avec les habitants des chorégraphies urbaines saisissantes de beauté. Ici, le « corps social » vous serre à la gorge  parce qu’il véhicule de belles valeurs : solidarité collective, appui sur les articulations, jeu avec les éléments naturels pour fluidifier la relation, respect de la différence. Ici, l’humain reprend ses droits, à l’image du Festival de théâtre « Sens Interdits » qui se tient au même moment où la veille, dix vieux de Russie nous avaient fait traverser notre histoire commune de la Deuxième Guerre mondiale à nos jours. Comme le metteur en scène Didier Ruiz, Olivier Herring ne filme pas du « spectacle », mais nous renvoie du sens sans se mettre en position de nous culpabiliser.

Sarah Sze prolonge en nous proposant l’une des oeuvres les plus touchantes de cette biennale. À l’heure où l’on nous parle de « crise systémique », elle a créé une sculpture faite de liens complexes. Tout est lié et l’on s’amuse à imaginer des ruptures, des croisements, des transformations. C’est beau parce qu’elle nous projette dans un Nouveau Monde (celui du développement durable, de la société de l’information) qui ne fonctionnera que si nous mobilisons nos capacités de reliances et de communication autour d’un imaginaire partagé. Et l’on n’est guère étonné d’échanger avec un enfant et sa mère sur l’effet qu’aurait un battement d’ailes de papillon dans cette structure fragile et impressionnante. Rien de spectaculaire. Juste prémonitoire.

Pascal Bély –Le Tadorne.

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PAS CONTENT

En région PACA, la « rentrée » du spectateur serait-elle proche de la sortie ?

Le mois de septembre est celui des lectures assidues de toutes les « plaquettes » avec ce sentiment d'excitation qui caractérise tout spectateur curieux. En région PACA et notamment dans l'axe Aix ? Marseille, les programmateurs nous laissent le temps vu que quasiment tous les théâtres sont fermés. Calée sur le calendrier scolaire, l'offre culturelle frôlera l'indigestion en octobre et novembre.

Si certains lieux ouvrent leur programmation (à l'instar du Théâtre d'Arles autour de la performance), d'autres nous (re)servent des artistes avec qui les liens sont institués (le Merlan revendique les « artistes majeurs », la Scène Nationale de Cavaillon parle d'amis) comme si le concept d' « artiste associé » cher au Festival d'Avignon faisait des émules. Dit autrement, on se demande si promouvoir ses “amis” ne finit pas par être un art de la programmation. Les éditos des directeurs de lieux de diffusion nous rassurent : ils ouvrent leurs portes à l' «émergence». L'ouverture semble si étroite que l'on doute aujourd'hui de leurs capacités à prendre des risques et à inclure le spectateur dans un processus, celui de perdre une certitude au profit d'un questionnement. Il est aisé, grâce au web, de parcourir la France à travers ses scènes nationales, scènes conventionnées et autres espace de création. Une évidence s'impose alors : c'est souvent le découpage en régions qui joue sur les programmations des théâtres.

La culture est politique nous dit-on à longueur d’éditos mais à la lecture des programmes, nous avons l'impression qu'elle est surtout « territoriale ». Il revient à dire qu’hormis les «stars» du théâtre et de la danse contemporaine (Pipo Delbonno, Joël Pomerat, Christophe Honoré, Angelin Preljocaj, Jan Lauwers, Maguy Marin?) qui sillonnent les routes de France, les compagnies débutantes se cantonnent à rester dans leur territoire au nom de la rentabilité. Il est rare qu'un programmateur seul promeuve un artiste d'une autre région pour une date. Sauf si ce théâtre fonctionne en réseau et arrive à imposer son choix aux autres lieux de diffusion voisins, mais avec le risque d'uniformiser les programmations. La logique économique prend bien souvent le pas sur le parti pris artistique. Comment expliquer la quasi-disparition de la danse pour la saison 2009/2010 si ce n'est pour se prémunir d'un propos politique, d'une turbulence ?

Où donc trouver les nouveaux réceptacles de créations et d'artistes émergents ? Essentiellement dans des espaces à la marge. Le festival Actoral tente l'exploit de nous proposer un panorama souvent intéressant de la création contemporaine (qu'il perpétue le reste de l'année dans la programmation de Montevideo). Les Bancs Publics osent des traversées étonnantes à l'articulation de la danse, du théâtre et des arts performatifs. «Domaines» du Centre Chorégraphique Nationale de Montpellier Danse permet à des artistes d'explorer le processus de création par des voies détournées. On salue le Théâtre Antoine Vitez d'Aix en Provence qui offre, au c?ur de l'Université, une programmation risquée ouverte aux jeunes talents. Bureaux de recherche et d'expérimentation pour certains, propositions multidisciplinaires pour d'autres, c'est dans cet acte de création que la parole du spectateur peut se faire entendre et surtout être féconde.

Car la place du spectateur dans les lieux institutionnels se résume à la fonction d'«abonné » avec des formules chocs empruntées au marketing : « Devenez spectateur privilégié » ou «spectateur associé ». Ces désignations fourre-tout ne permettent pas de relier le spectateur aux enjeux politiques, économiques et sociaux de la culture. Enfermé dans un lien « producteur ? consommateur », les services de relations publiques font de l'information, institutionnalisent et instrumentalisent le spectateur, mais ne créent pas de la communication. Il est impératif aujourd'hui de réfléchir à la fonction de chargé de «communication», de « relations publiques » pour la redéfinir dans un contexte où le spectateur croule sous l'information, mais où l'on ne communique plus avec lui. Alors que l'on évoque notre « émancipation », notre « citoyenneté », pourquoi les formes de démocratie participative semblent absentes des lieux de culture ? N'est-ce pas là un paradoxe?

Malgré tout, certains théâtres créent leur blog afin de dynamiser leur relation au public. C'est le cas de la Scène Nationale de Cavaillon. Peu utilisé, car quasiment invisible, on espère que la refonte du site facilite l'expression du public. Encore faudrait-il que les équipes osent la question avant de penser l'outil : « quel lien désirons-nous avec le public ? ». À ce jour, on attend des propositions innovantes qui peinent à venir.

Avec le réseau social Facebook, un nouvel espace de communication semble s'ouvrir. Peine perdue. Quasiment toutes les institutions vous invitent à devenir leurs « amis » pour diffuser ensuite les informations disponibles sur leur plaquette et dans leur newsletter. Il y a là une difficulté à imaginer « le réseau social », c’est-à-dire un lien transversal où circulent aussi des affects, des visions, des débats. Saluons le positionnement récent du Festival d'Uzès Danse qui nous informe sur leur dynamique de projet d'équipe. N'est-ce pas une nouvelle manière de stimuler l'envie, le désir du festivalier ?

D'autres semblent vouloir aller plus loin dans la démarche en créant l'espace du blog vivant! C'est dans cette perspective qu'il faudra suivre l'initiative d'Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins à Martigues, qui a instauré pour cette saison une série de trois débats, avec son public, animé par Pascal Bély, l'auteur du présent blog. La prise de risque est à saluer puisqu'elle ouvre les portes du théâtre à un regard extérieur pour créer de nouveaux liens avec le public. Cette démarche
(re)donnera-t-elle la place au spectateur, celle d'un être réfléchi et réfléchissant ?

La transparence, tant recherchée en politique, pourrait se jouer dans les lieux de diffusion pour permettre à la création de participer à la vie de la cité et d'être plus en phase avec des spectateurs dont on sent bien qu'ils marchandent de plus en plus leur relation avec le milieu culturel.

Laurent Bourbousson ? www.festivalier.net

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

A Lyon, la résistance s’organise.

 

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Lyon est la ville des lumières et de la résistance. Rien d'étonnant à ce que le « Festival Sens Interdits » y voit le jour pour célébrer nos valeurs fondatrices : qu'est-ce qui fait notre culture commune européenne, celle qui va au-delà des frontières de l'Union ? Au moment même où se multiplient les événements mémoriels (n'avons-nous pas célébré le premier anniversaire de la crise financière ?), alors que nous avons accès à l'histoire avec un simple clic, où l'information instantanée réduit le temps de l'humain à une variable d'ajustement, comment le théâtre peut-il nous aider à retrouver le passé pour construire le futur ? Peut-il remettre l'humain au centre de tout d'autant plus que l'accélération de l'information minore le temps de la communication ? Le théâtre peut-il nous défendre face aux rationalités écrasantes de toutes sortes et promouvoir l'humain dans ses forces et ses fragilités? Au cours d'une journée, deux  metteurs en scène s'y sont essayés lors de ce festival prometteur, organisé par le Théâtre des Célestins.

« Je pense à vous, épisode XX » de Didier Ruiz fera date. Imaginez dix personnes âgées russes, assises  face à nous, issues de différents milieux sociaux. Tout commence par la projection d'un album photo, comme si nous étions côte à côte. C'est le début d'une « photo romance » qui prend le temps, quitte à ce que les trous de mémoire s'invitent et que la traductrice, un peu seule dans sa cabine, soit prise de signes de fatigue. A tour de rôles, ils nous racontent un instant de leur histoire qu'ils restituent avec leurs cinq sens pour nous y inclure : le parfum posé sur la peau, le goût  du premier baiser, l'odeur d’un champ de fleurs, les objets et les chansons de l'enfance. Malgré la guerre, ils ont poursuivi leur route qui les conduit jusqu'à nous. Ils semblent avoir eu peur de tout, « même d'une souris » mais ils ont  surmontés. Ils nous délivrent un message percutant : nous sommes aussi acteurs de nos propres peurs. Ces dix femmes et hommes sont au c?ur du théâtre du monde où ils ont traversé la seconde guerre mondiale, le totalitarisme soviétique, l'avènement de l'économie de marché. Ils ont cherché un père, une s?ur, disparus sans savoir ni où, ni comment. L'une en a même perdu la parole, tandis qu'une autre s'est mise à bégayer à l'adolescence. L'histoire est ainsi : elle se répète parfois, devient mutique quand les états refusent leur travail de mémoire. 

C'est un moment unique, fragile, car ces hommes et ces femmes sont les derniers témoins d'une époque qui a vu naître l'idée d'une Europe politique. Didier Ruiz s'appuie sur eux et leur offre une mise en scène de la transmission : les objets qu'ils nous tendent font maintenant partie de notre imaginaire, leurs photos sont un patrimoine de l'humanité et leurs chants résonnent tels des hymnes à la joie.

 

Quelques heures plus tard, nous retrouvons à nouveau dix témoins. Ils sont Allemands, Polonais, Ukrainiens et on tous vécus enfants et jeune adulte l'enfer de la Deuxième Guerre mondiale. Pour « Transfer ! »  du polonais Jan Klata, ils sont assis face à nous, mais au fond de la scène.  Ils viennent un à un raconter leur guerre.  On s'émeut, on sourit, on apprend ce que l'on ne nous a jamais dit : sur l'agonie des Polonais humiliés de toute part, sur la douloureuse introspection des Allemands, sur l'horreur vécue par les Russes au cours de cette boucherie. Ils sont tous exceptionnels à poursuivre leur devoir  de mémoire sur une scène de théâtre comme si la guerre ne s'était jamais arrêtée. Il y a dans leur regard, une détermination à interroger les valeurs de l'époque pour nous aider à les projeter dans un futur certes incertain, mais ouvert. 

Mais Jan Klata ne leur fait manifestement pas confiance. Il leur soumet une scène surélevée où officient trois comédiens dans les rôles de Staline, Roosevelt et Churchill. Entre les témoignages, ils s'imposent pour jouer un concert rock ( ?) et débiter des dialogues censés nous faire comprendre que décidément, quelles que soient les époques, les dirigeants sont d'une bêtise crasse. Cette farce n'apporte strictement rien, elle fait violence à la mémoire tel un spot de publicité au c?ur d'un film sur un génocide. Cette scène lacère le plateau, nous éloignent des acteurs ? témoins. Elle nous prouve que la résistance doit aussi s'organiser contre cette société du spectacle qui tend à brutaliser ce qu'il y a de plus fragile : notre capacité d'indignation.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

 

“Je pense à vous, Episode XX” de Didier Ruiz et “Tranfer!” de Jan Klata, joué le 19 septembre 2009 dans le cadre du festival “Sens Interdits” à Lyon (jusqu’au 26 septembre).

“Transfer!” sera joué dans le cadre du Festival d’Automne à Créteil les 5, 6 et 7 novembre 2009.