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Les quinze ?uvres majeures de 2009.

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Au total, 150 spectacles ont ponctué ma vie de spectateur migrateur. 2009 aura été l'année de la mémoire, de la folie, de l'enfermement et de pas mal de cris, d'appels à nous ressaisir.

 « Description d'un combat » – Maguy Marin– Festival d'Avignon / Théâtre du Merlan (Marseille)

 « Le père tralalère »Compagnie d'Ores et Déjà ? Festival d'Automne (Paris)

« Naître à jamais »  – Andras Visky – Théâtre des Halles (Avignon).

« Notre terreur » – Compagnie d'Ores et Déjà ? Théâtre des Célestins (Lyon)

 «Turba » – Maguy Marin ? Montpellier Danse.

« Food Court » – Bruce Gladwin ? KunstenFestivalDesArts (Bruxelles).

« La menzogna » – Pipo Delbono ? Festival d'Avignon.

« Un peu de tendresse, bordel de merde »Dave St Pierre ? Festival d'Avignon.

?Ode Maritime? ? Claude Régy ? Festival d'Avignon.

 « Madame Plazza » Bouchra Ouizguen ?- Festival Montpellier Danse.

 « Ad Vitam »- Carlotta Sagna ? Festival Reims Scènes d'Europe.

 « Sans titre » Raimund Hoghe et Faustin Linyekula? Festival Montpellier Danse.

« Aléa » et « Viiiiite » – Michel Kelemenis ?- Pavillon Noir (Aix en Provence)

« 12 s?urs slovaques » – Hubert Colas ? LU (Nantes)

« Le cri » – Nacera Belaza ? Théâtre du Merlan (Marseille).

 

2009 a été  l'année de Maguy Marin, chorégraphe inclassable. « Description d'un combat » et « Turba » resteront deux ?uvres de rupture où le décor, la lumière, le corps et les mots ont formé un tout sidérant qui bousculera durablement nos représentations sur la représentation. Maguy Marin a respecté notre imaginaire florissant pour dénoncer le bas monde et élever nos consciences en puisant dans notre mémoire collective.

Ce travail sur la mémoire a  habité bien des scènes, à commencer par celle du Théâtre des Halles lors du Festival (off) d'Avignon où le roumain Andras Visky avec « Naître à jamais » (photo) nous a proposé une ?uvre théâtrale sublime au croisement des mots et des corps sur la perte d'identité et la folie, en lien avec la Shoah. À quand une tournée en France ?

Les fous auront envahi les théâtres comme si nous n'avions plus qu'eux pour dénoncer nos folies. Avec « Food Court », le sud Africain Bruce Gladwin et sa troupe d'handicapés mentaux ont joué avec notre violence pour mieux la sublimer. La chorégraphe Carlotta Sagna y est allée seule pour incarner une schizophrène en proie à la folie du monde tandis que Naceza Belaza et sa s?ur nous ont offert un « cri » où le corps plonge dans l'insondable. Le metteur en scène Hubert Colas a libéré S?ur Rose de l'enfermement, personnifiée par Dominique Frot dans les « 12 s?urs slovaques », et nous a rendus pour le coup plus fraternel. Avec « Sans titre », les chorégraphes Raimund Hoghe et Faustin Linyekula, tout en dénonçant la violence des rapports nord-sud, nous ont offert une ode à la générosité et à la fraternité. Ils auraient pu inviter sur leur territoire les « Aïtas » de Bouchra Ouizguen : « Madame Plaza » a signé la vitalité de la danse marocaine.  

Pour l'italien Pipo Delbono dans « La menzogna », les temps sont si difficiles que seul le fou nous protégera de ce capitalisme inhumain. Pour le chorégraphe canadien Dave St Pierre il y a urgence à sauver l'amour, réduit lui aussi à une relation marchande. « Un peu de tendresse, bordel de merde » a résonné comme un cri drôle, salvateur et percutant. La folie s'est aussi emparée d'une famille jouée magistralement par la Compagnie d'Ores et Déjà. « Le père tralalère »  nous a fait trembler, car comment ne pas y discerner l'état de notre pays que seul le théâtre peut sauver du marasme ! « Notre terreur »,  leur deuxième pièce, a fait de nous des citoyens éclairés au moment même où une bande de bouffons piétinent l'héritage de la Révolution Française.

Perdre la raison, c'est aussi plonger dans la poésie. Au sens propre avec Claude Régy dans « Ode maritime » de Fernando Pesoa où Jean-Quentin Châtelain s'est avancé vers nous, sur un ponton métallique, vers un océan de spectateurs. Moment unique où le corps de l'acteur est un abîme.

Nous en revenons toujours au corps alors que le chorégraphe Michel Kélémenis nous rappele que le mouvement est en soi un poème, turbulent et magnifique (« Aléa » et « Viiiiite »).

Pascal Bély ? www.festivalier.net

 

Et vous, quelles sont vos oeuvres majeures en 2009 (dans la rubrique commentaire, ci-dessous)?

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« Être libre, c’est vouloir les autres libres ».

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« Le deuxième sexe est l'?uvre d'une frustrée ». Pour démontrer l'absence de véracité de ce lieu commun, la metteuse en scène Nadine Darmon met en parallèle, le manuscrit de Simone de Beauvoir et les lettres ?plus de 300 au total-, qu'elle a échangées à l'époque de la rédaction de son ?uvre maîtresse avec Nelson Algren, l'écrivain américain qu'elle a passionnément aimé dès leur rencontre en 1947.

À partir de ce scénario original, « La ballade de Simone » met en lumière cet épisode méconnu  de la vie de celle qui fut première à l'agrégation de philosophie, ex æquo avec Sartre.

« On ne naît pas femme? on le devient ! » s'écrit l'assistance du théâtre du Lucernaire.  Avec poésie et humour, avec chanson et accordéon, avec tout leur talent, les deux comédiennes, Odja Llorca et Michelle Brûlé  tracent des passerelles entre le courrier amoureux de la philosophe et l'?uvre qui l'a révélée.

À l'issue de la représentation, Michelle Brûlé propose au public de prolonger la discussion ensemble autour d'un café philo sur le thème « Qu'est-ce qu'être une femme libre ? ».

Dès les premières minutes, le c?ur du débat est posé autour de l’opposition entre le féminisme “universaliste” et “différentialiste”. D'un côté l'existence de la femme et de l'autre, le genre féminin, l'identité sexuelle qui ne sont que constructions sociales. Existe-t-il  une essence propre à la femme ? Une manière d'être, d'exprimer ses besoins, particulière aux femmes ? Qu'est-ce que la liberté d'une femme face au codage imposé par la société dès l'enfance ? L'existence précède-t-elle l'essence ?
Quelle marge de man?uvre pour être soi quand l'héritage social pose depuis des millénaires une répartition des rôles perpétuée par l'éducation et le marketing ? Est-ce que comme la définition de la liberté de Spinoza « Être libre c'est n'être déterminé que par soi-même à agir » peut totalement s'appliquer aux femmes aujourd'hui ?
Le credo existentialiste sera débattu jusqu'à l'issue de la discussion tant -ainsi que l'a montré Françoise Héritier-, notre mode de pensée a intégré cette dualité.
Pourtant, le projet de Simone de Beauvoir à l'origine de la rédaction du Deuxième sexe était de relater la liberté de l'être humain en général, pas d'écrire un manifeste féministe.  C'est Sartre qui orienta son travail vers sa liberté à elle, en tant que femme. À partir de là, son récit prit une dimension universelle en dénonçant la condition féminine de celles qui sont objet avant que d'être sujet. 
Sitôt le débat achevé, ceux qui n'avaient pas encore assisté à « La ballade de Simone »  partent réserver leurs places pour prolonger la réflexion. Du théâtre à partir d'un texte devenu classique pour comprendre des phénomènes qui restent contemporains. Du théâtre pour débattre ensemble et pointer les réflexes pavloviens de la société. Du théâtre pour aiguiser son esprit critique avec humour et intelligence. Du théâtre pour faire du lien.
Allant plus loin que Spinoza, Simone de Beauvoir conclut qu' « être libre, c'est vouloir les autres libres ». La parole d'une femme engagée. Un postulat d'humanité qui apparaît comme l'horizon indépassable de tous ceux qui en play-back, veulent changer le monde.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

 

La ballade de Simone (site web), Adaptation de Michelle Brûlé, Mise en scène de Nadine Darmon. Jusqu'au 23 janvier 2010. Du mardi au samedi à 21h. Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 57 34

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Maguy Marin, combattante.

La chorégraphe Maguy Marin s’installe au Théâtre du Merlan à Marseille pour quatre jours. C’est un événement: rare sont les théâtres à lui offrir dans la durée une telle rencontre  Retour sur cette oeuvre, vue au dernier Festival d’Avignon et qui restera pour longtemps, l’un des moments phare de ma vie de  modeste spectateur.

 

Ici, la pénombre éclaire, car nous avons soif de clarté. Ils sont neuf à arpenter la scène, à disparaître puis revenir, car le travail est long. Sera long. L’humain a besoin de temps.  A ceux qui attendent du mouvement dansé, je les invite à lâcher, pour une fois. La chorégraphe Maguy Marin n’a plus à répondre à ce type d’injonction.  Moi, je n’ai plus à accepter d’entendre cette paresse de la pensée (« mais ce n’est pas de la danse » !) née d’un imaginaire verrouillé qui laisse faire le « reste » tant que l’on n’a pas eu sa part de gâteau.

Ce soir, « Description d’un combat » me tombe dessus. Ils sont neuf, habités par les textes d’Homère, de Victor Hugo, de Peguy et de bien d’autres, convoqués pour la circonstance afin d’évoquer les combats entre les Argiens (une tribu grecque) et les Troyens. C’est le retour de ces textes mythiques récités par les danseurs comme s’ils déclinaient la liste des horreurs nées de toutes les guerres. Des costumes d’apparat dorés posés sur le sol se mêlent aux tissus rouge sang : cette orgie de couleurs rappelle le magma des doctrines concentrationnaires et des idéologies nationalistes. C’est impressionnant parce que les mouvements des corps les dévoilent peu à peu. En se déplaçant, les danseurs se transforment en étendards et le nationalisme se fait tableau. À ce moment précis, Maguy Marin s’adresse à notre conscience en convoquant le symbolique.

Alors que nous distinguons à peine leurs visages (mais d’où viennent ces voix ?), ils endossent ceux que nous avons ensevelis. À force de croire que l’histoire est un passif, nous ne voyons plus que nous construisons aujourd’hui une amnésie collective. À les voir ainsi, je pense à l’Allemagne et son courageux travail sur la mémoire. À l’opposé de notre pays qui même lors d’un conflit social dans les DOM-TOM, est incapable d’interroger sa mémoire vive.

Ils avancent puis disparaissent parfois dans le noir du fond de la scène. Comme un éternel recommencement.

Des corps, couverts d’armures, apparaissent peu à peu.

Le désastre.

Gorge nouée.

Leurs pas sur le gravier évoquent nos cimetières et la disparition du végétal.

Le génocide.

Tremblements.

Assis, au milieu de ces armures, il déclame un texte de Charles Peguy dont le sens m’échappe. Mais la tragédie m’envahit. De tout mon corps.

Je suis un homme de ce monde. Je suis traversé d’histoires. J’accepte d’en endosser le poids pour ne pas oublier : là-bas, leurs guerres, sont nos insomnies.

Pascal Bély – www.festivalier.net


A lire le débat avec le public: À l’École d’Art d’Avignon, les retours pacifiques des spectateurs illuminent Maguy Marin.

“Description d’un combat”, par Maguy Marin 8 au 16 juillet 2009 au Festival d’Avignon. Actuellement au Théâtre du Merlan à Marseille du 16 au 19 décembre 2009.

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

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Marseille Provence 2013 OEUVRES MAJEURES Vidéos

Marseille Provence 2013: la danse du ventre de Radhouane El Meddeb.

Nous sommes assis pour l’entourer, pour mieux contenir ce moment précieux offert lors de la clôture du Festival Dansem. Radhouane El Meddeb, danseur et chorégraphe tunisien, nous attend, patiemment, pour cuisiner son couscous. Tout est en place : ingrédients, instruments, plaques électriques, plats et couverts. On pourrait supposer qu’un tel agencement n’est pas le fruit du hasard : serait-il celui que préparait notre mère la veille, pour le petit déjeuner du lendemain? L’ambiance est studieuse, car la cuisine est une affaire sérieuse, au croisement de tant de cultures, d’histoires individuelles et collectives. La danse rencontre donc ce plat légendaire, populaire, complexe dans sa préparation, où le cuisinier, tel un alchimiste de l’amour, fait entrelacer le légume, la viande et le blé ! Le ton de cet article se veut lyrique, mais votre serviteur est né dans le sud-ouest, pays où la cuisine est un art engagé dans le  lien social !

La viande frémit, son corps s’élance. Le bouillon bout, il danse du ventre. La semoule lui file entre les doigts, il ouvre ses bras. Ses rondeurs accueillent la danse qui, jusqu’à preuve du contraire, est une affaire de plis et de bosses, de gras et du double, de liquides et de chairs. Entre deux préparations, il vient vers nous pour jouer avec le temps de cuisson qui s’accélère subitement. Il court autour de la scène comme si sa seule montre était les battements du coeur. Mais l’homme n’est pas dupe : il sait que nous l’envions, car il est vingt heures et que notre ventre est vide. Que regardons-nous, que ressentons-nous alors que les odeurs nous tenaillent ? Notre corps s’emballe tandis qu’il s’assoit tranquillement pour goûter quelques légumes. La faim rencontre notre désir de danse alors qu’il faut lutter contre nos pulsions de spectateur paresseux avide de folklore ! C’est dans ce chaos que s’opère la rencontre : ses mouvements nourrissent parce que je les ressens dans une transmission (de la mère vers le fils ?) qu’il métaphorise en s’avançant vers certains d’entre nous pour offrir une assiette. Le corps du danseur serait-il au croisement de plusieurs « nourritures », de dons transmis ? Mystère.


Alors que nous « bouillons », qu’il construit méticuleusement ses châteaux de semoule pour accueillir le liquide si précieux, il revient pour jeter à terre une nappe, des verres et des assiettes de pique-nique : le désordre avant l’ordre établi ! Interpelle-t-il notre soif de nourriture alors que les occidentaux gaspillent quarante pour cent des aliments qu’ils achètent ? Il y a peut-être dans ce geste brusque, un artiste découragé par la vanité de sa danse : nous en rions, lui aussi, pour conjurer le sort qui voudrait réduire les arts fragiles à des mécaniques divertissantes et abrutissantes.

Il nous invite à table puis disparaît. Alors que les spectateurs, tels des enfants après le théâtre, se jettent sur scène, j’observe puis quitte la salle. On ne touche pas l’objet artistique. J’aurais bien trop peur de trouver ce couscous délicieux et d’oublier que la danse a du goût.

Pascal Bély, le Tadorne.

« Je danse et je vous en donne à bouffer » de Radhouane El Meddeb a été présenté le 11 décembre 2009 au Théâtre de la Minoterie de Marseille dans le cadre du Festival Dansem. A voir les 11 et 12 septembre 2013 à 19h à la Friche Belle de Mai à Marseille dans le cadre du “Cuisines en Friche” puis les 15 et 15 septembre à 11h.

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Cédric ANDRIEUX : portrait d’artiste en homme

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Après Véronique DOISNEAU, Pichet KLUNCHUN, Isabelle TORRES et Lutz FORSTER c'est au tour de Cédric ANDRIEUX d'être sujet du beau projet du chorégraphe Jérôme BEL.

L'homme arrive sur scène, pose son sac, une bouteille d'eau et se positionne face au public. Il regarde en silence un moment avant de nous adresser un « Bonjour » d'une voix douce, presque intimidée. « Je m'appelle Cédric ANDRIEUX, ? »

C'est alors que sur ce grand plateau nu, vide de tout artifice et sans autre support qu'une voix et un corps, commence l'ébauche d'un portrait et d'un parcours de Brest à Paris, à Lyon, avec New York en point culte.

De l'enfant frêle qui se rêve en artiste, à qui l'on dit qu'il n'est pas fortiche mais que ça ne peut pas être mauvais pour son développement personnel, à l'homme artiste, objet de toutes les admirations. La voix est posée, toute douce, presque trop parfois, pour nous faire voyager dans la confidence et  partager ce qu'il y a derrière les sunlights.

L'homme est beau, il se montre dans son fragile, le pouce caresse l'index, le regard bleu s'embrume par instants. Il raconte Brest, l'enfant cabotin volontaire déjà tendu vers le dépassement; Paris, le Conservatoire, le jeune homme du solo gagnant? il nous dit ses doutes, ses envies, ses désirs, ses amours? et puis? New York? Merce CUNNINGHAM? le désir fou du meilleur? Le studio, les répétitions, les voyages de l'amour, le corps qui souffre pour aller au bord de l'abîme, au bout de ses possibles? D'un doigt, il pointe un angle de la scène vide?  Merce, 80 ans, là au coin du studio devant l'ordinateur qui supplée à son corps et guidant de la voix le mouvement imaginé? le corps du danseur, le corps encore et encore, qui donne tout pour arriver à faire vie de ce qui n'est que vision sur logiciel et que le corps du maître ne peut plus montrer. Le corps toujours?, Trisha BROWN qui fait moins mal à danser? Le corps, cet  «outil » que l'homme nous dit trouver souvent pas assez comme? pas assez grand?, la taille pas assez fine? et entre ses mots l'homme danse, il montre comme il a fait ici et là? le danseur est? magnifique.

Tout est là, l'homme est là, le danseur est là, les mots sont là, mais? l'émotion ne parvient pas à moi? les images ne viennent pas? Je n'arrive pas à m'approcher de l'homme, il reste des mots?

Sauf?  quand, dans le récit, Jérôme BEL prend place dans le parcours? « Là je vous montre, j'ai fait ça »? Et là? la force de ce moment m'emporte? Ça y est, il est là l'homme? avec le danseur, sans les mots, avec le regard, ici le corps presque immobile et pourtant? tout danse en lui?

Voilà?, 32 années ont traversé la scène?, que va-t-il faire demain ? De quoi et de qui aura-t-il le désir ?

« Show must go on » c'est ce qu'on souhaite à l'homme avec ou sans l'artiste. Et lui demander, pourquoi pas, de venir dans 10 ans, dans 20 ans, nous redire en corps vieillissant ce qui fait, de ce point de vue de l'homme qui danse si peu énoncé, l'Histoire de la danse.

Bernard Gaurier- www.festivalier.net

« Cédric ANDRIEUX » pièce de Jérôme BEL à été présenté en avant première française au LIFE à Saint Nazaire le 12 décembre 2009. A Paris au théâtre de la ville dans le cadre du Festival d'Automne du 14 au 16 décembre 20àç.

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Roulez jeunesse!

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Comment va la jeunesse ? Est-ce possible de répondre à cette question sans tomber dans les clichés d'autant plus qu'elle n'a pas qu'un seul visage? Deux tentatives de réponses lors du festival « Reims, Scènes d'Europe » par les metteurs en scène italiens Enrico Casagrande et Daniela Nicolo de la compagnie Motus.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=sLAjHt7UaJ8&w=320&h=265]

La première est un solo orchestré par Silvia Borghesi, danseuse patineuse, au look androgyne et percutant. Elle tourne en rond pendant qu'une spirale infernale se met en place sur fond de bruits urbains et agressifs. On y entend les grondements d'une manifestation contre les réformes de Darcos, le tumulte du congrès socialiste à Reims, des cris en italien d'une foule. Elle tourne, tombe, se fracasse, se replie comme s'il n'y avait plus de place pour le corps dans nos sociétés « berlusconisées » où la perte du sens produit un vacarme assourdissant. Elle finit par plonger dans un vide autistique, renforcé par cette capuche qui l'enferme un peu plus, pendant que sa danse malaxe la lumière et le son. On ne sait pas où va ce solo, pompeusement nommé « dérive non théâtrale » (du prochain spectacle présenté à 20h30) si ce n'est qu'il se perd dans les profondeurs du sol. La scène finale l'engloutit comme si le propos, à force de tourner en rond, devait laisser place à la poésie, seul langage qui nous relie à notre double dérivant.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=t4yJAWL0qUU&w=405&h=249]

Une heure trente plus tard, nous retrouvons Silvia Borghesi, toujours avec ses patins à roulettes mais sur la grande scène de la Comédie de Reims pour « X(ics) récits cruels de la jeunesse ». La troupe italienne Motus tente de nous faire le portrait de la jeunesse d'aujourd'hui après s'être installée en résidence dans plusieurs villes européennes dont Halle Neustadt, ville de l'ex-Allemagne de l'Est. Silvia va à la rencontre d'adolescents dés?uvrés en leur tendant un papier où est inscrit « je me cherche, si toi aussi t'es perdu, contactes ce numéro ». Les scènes sont filmées et projetées sur grand écran tandis que l'espace théâtral se réduit à la portion congrue. Le documentaire illustre alors que les acteurs appuient la démonstration. On nous exhibe une jeunesse isolée dans une mise en scène totalement claustrophobe, désarticulée, où si peu d'énergie circule que l'on se questionne sur l'utilité de présenter un tel travail dans un théâtre (un espace ouvert aurait été sûrement plus approprié).

Car de quoi s'agit-il ? Du dés?uvrement de la jeunesse ? Ne l'a-t-elle jamais été au cours de notre histoire ? De son enfermement ? Probable, mais n'est-ce pas notre regard sur elle qui l'enferme peu à peu ? Or, tout nous met à distance comme si, à refuser d'aller vers le théâtre en prenant les chemins détournés des formes de la performance et du documentaire, on évitait soigneusement d'approcher autrement cette jeunesse perdue. La compagnie Motus n'utilise-t-elle pas les mêmes outils qui, précisément, nous éloignent d'un lien nourrit avec ces jeunes ? Il ne suffit pas d'adopter son langage (la capuche, les patins, le look androgyne), de nous imposer un texte prétentieux et moralisateur, pour faire le portrait d'une jeunesse qui finalement n'a rien à attendre de ce théâtre là pour être entendu. Pour l'instant, elle a mieux à faire pour se faire écouter avec Internet et la musique.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

« Crac » et « X(ics) récits cruels de la jeunesse » par la compagnie Motus a été présenté à la Comédie de Reims les 5 et 6 décembre 2009 dans le cadre du festival « Reims, scènes d'Europe ».

 

 

 

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A tribut(e) to people

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La lumière s’éteint. Un fort sentiment d’appartenance au monde m'envahit, indissociable de nos tissus humains, du corps des femmes. Elles sont quatre sur le plateau pour une danse généreuse, sensible et poétique. Elles tissent les liens qui les unissent, les différencient pour nous raconter leur histoire, leur nationalité. Elles nous promènent dans leurs steppes, dans leur désert, dans leur for intérieur.
Cette ode à la femme questionne la natalité, la filiation et l’héritage ancestral d’un univers qui nous composent. Nous sommes enfants de l’une, frère de l’autre. Avec le thème universel de la mère nourricière, nous sommes l'un et l'autre, moi et lui, ma culture et celle de l'étranger. Avec empathie, elles réussissent à refléter l'humanité dans sa diversité.
Loin du discours stérile et stérilisant, issue d'une politique politicienne, le chorégraphe Patrick Servius donne une vision de notre identité nationale. Enfant de la guerre, enfant de la misère, elles sont devenues femmes sur la terre d'accueil, avec leur héritage familial et culturel. Une belle leçon humaniste et tolérante dans ce théâtre de la Minoterie à Marseille qui s'est défendu lors de la rénovation du quartier de ne pas tomber sous les coups des grues destructrices. Un clin d'?il à l'heure des débats sur l'identité nationale.
Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

“Tribut” de la Compagnie Le Rêve de la Soie a été joué à la Minoterie les 6 et 7 décembre 2009.

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Artistes, spectateurs, professionnels, politiques : cultivons nos bambous.

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« Culture, mise en réseau et développement des territoires » : voilà une articulation créative pour une sortie de crise par le haut. L'Observatoire des Politiques Culturelles a eu l'excellente idée d'organiser un colloque sur ce thème au Théâtre de Privas (07). Pas moins de dix-huit intervenants pressés de donner leur vision en dix minutes. En France, pour aborder le « complexe », on pose un cadre rationalisant quitte à utiliser une expression (« table ronde ») totalement dénaturée de son sens puisqu'elle est carrée, sur une estrade, où les interactions avec la salle sont réduites à la portion congrue. Ainsi, pour évoquer le transversal, on communique en verticalité descendante. Le mal français est là. Passé cette désagréable impression d'être au c?ur de ce paradoxe, où le quantitatif dicte sa loi au qualitatif (là où le réseau les articule) on a pu compter sur les intervenants pour déjouer cette consigne absurde et donner à la thématique de la journée sa part de fragilité, d'humanité, d'envolées lyriques, de vision, de passion, mais aussi de provocation.

Le retour de l'Etat centralisateur.

D'autant plus que personne n'est tombé dans le piège de vouloir définir le réseau, même pas Alain Lefebvre, professeur émérite à l'Université de Toulouse-Le Mirail qui, profitant d'une panne de sa vidéo-projection, nous gratifia d'une intervention brève, humoristique et visionnaire. Tout juste apprenions-nous que « le réseau est un activateur de territoire, de projets, qu'il est complexe et qu'il pourrait participer à redéfinir les niveaux de compétences entre institutions ». Nous y voilà ! L'Etat, avec la réforme des collectivités locales, s'apprête à enlever la compétence culturelle aux conseils généraux. Ici, en Ardèche comme ailleurs, l'angoisse monte. Dans ce département rural, l'institution départementale est engagée dans une politique culturelle volontariste comme le rappelle son Président, Pascal Terrasse. Le centralisme se ferait-il une cure de jouvence en totale opposition avec le besoin d'une articulation dynamique entre le vertical et le transversal, portée par les territoires ?  Mais plus globalement, notre découpage administratif est-il pertinent à l'heure du réseau, alors qu'il le réduit bien souvent à une forme linéaire (donc contrôlante) pour une organisation rationnelle de l'information. Comme le rappelle justement Priscilla de Roo (chargée de mission à la DIACT), la France est un ensemble de « plaques territoriales d'attraction » qui déjoue bien des représentations : alors que le solde migratoire est de 0,83% l'an pour le rural, il n'est que de 0,14% pour l'urbain. Les villes sont tirées vers le haut par la dynamique de nos campagnes vues comme des terres d'interactions. « La carte n'est pas le territoire » serait-on tenté d'ajouter.

Pour un changement de gouvernance.

Au-delà de la réforme sur les collectivités locales, l'articulation « culture, réseau et territoire » promeut un nouveau modèle de gouvernance qui suppose d'inverser les prémices : là où les institutions influencent la forme des réseaux, il s'agit plutôt d'encourager les collectifs à accompagner les structures à changer d'organisation. C'est par la base des acteurs que nous transformerons nos institutions rigides et non plus par le haut, n'en déplaise à ceux qui demandent toujours plus d'Etat,  incapable d'animer la complexité. Il est temps de cultiver des bambous à côté de nos chênes centenaires ! Mais cela nécessite, comme le rappelle fort justement Olivier Bianchi, adjoint au maire en charge de la culture de Clermont-Ferrand et conseiller communautaire, que les acteurs culturels se (re) politisent en « apportant du sens, leurs enjeux, pour créer le rapport de force ». Bien vu.

Vive les collectifs pluridisciplinaires !

Cette nouvelle gouvernance sera donc encouragée par la dynamique des collectifs pluridisciplinaires d'où naissent des territoires élargis, à l'articulation du vertical et du transversal, du réel et du virtuel bouleversant les formes de la création. Pour Jean-Paul Fourmentraux, chercheur à l'EHESS, il faut substituer « à la liste descendante du générique d'un film », « la vision dynamique de la production ». À l'image du spectacle « Oscar, Pièce de cirque ? Schlag ! Opus 2 » où officie Oscar, un acteur virtuel, fruit d'une collaboration entre Montréal, Chalon sur Saône, et Paris. Alors que de  nombreux élus réduisent leur politique culturelle à la seule construction d'une infrastructure, d'autres préfèrent créer un «environnement culturel » comme Palmira Archier (directrice de l'APSOAR) qui voit la décentralisation comme « un partage », où « l'espace scénique, c'est le maillage, seul capable d'intégrer les effets systémiques». En Catalogne, le « réseau transversal »,  qui fut au départ une revue culturelle, réunit aujourd'hui plusieurs collectivités.  Grâce aux nouveaux outils de l'information et de la communication, chaque théâtre diffuse des coproductions. Comme le rappelle Pep Fargas, le directeur de Transversal, « le réseau est un changement d'échelle qui permet d'aller vers des arts plus risqués ». En écho, une auditrice, constata que nous sommes loin de la vision de pas mal de scènes nationales en France qui voient le territoire comme un espace réduit de « vagabondage », de « nomadisme », d' « itinérances » comme au bon vieux temps de l'après-guerre, « où la tournée c'était la province » !

Ainsi l'artiste ne serait plus seulement vissé à un espace géographique, mais inclut dans un territoire de partenariat englobé dans un territoire de projet ! Pour Donato Giuliani (responsable de la coopération eurorégionale et internationale pour la Région Nord-Pas-de-Calais), « le territoire de partenariat des années 90 est devenu aujourd'hui notre territoire de vie et d'activités ». Il va encore plus loin quand il déclare : « nous allons créer un réseau de régions pour dialoguer avec un réseau d'acteurs ». La dynamique des institutions est là !

Les réseaux pour une nouvelle société du savoir.

Mais plus généralement, l'articulation « culture, territoire, résea
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 » nous prépare à une nouvelle société du savoir comme aime à le rappeler  Patrick Bazin, directeur de la Bibliothèque Municipale de Lyon, qui aura sidéré l'assistance par la vision de son propos. Pour lui, « la connaissance s'inscrit dans des lieux d'expériences et de socialisation, ce qui induit que nous n'avons pas tant besoin d'institutions savantes que d'acteurs capables d'accompagner un public acteur et pluriel ». Cela suppose « d'écouter le terrain dans ses comportements et ses expériences ». Seul le réseau permet de restituer la complexité du « bas » (la vison) pour la communiquer vers le « haut » (la visée)  et co-construire des parcours de savoirs, des produits de la connaissance. Cela nécessite de passer d'un régime de médiation hiérarchisé à basse température (chasse gardée des experts) à un mode de médiation ouvert et partagé, créateur de haute énergie. Ce pari démocratique suppose d'amplifier l'articulation entre la culture et le social. Christiane Audemard Rizzo, chef du service Culture et lien social au Conseil Général de l'Isère, en précise l'enjeu : « il nous faut inclure les populations dans le travail des professionnels d'autant plus que les réseaux zappent les filtres institutionnels. Alors que nous repérons toujours plus de solitude et de souffrance, nous avons à observer et à accompagner tout ce qui fait rupture de sens entre l'individu et la société ».

Soyons optimistes : au regard de ce colloque, praticiens, artistes et chercheurs avancent. Mais l'intervention de Philippe Fenwick, comédien, caricaturant bon nombre de propos de la journée, était là pour nous rappeler que notre pays, par ses rigidités et ses chasses gardées, a éloigné bon nombre d'acteurs, dont certains se complaisent aujourd'hui à regretter un passé qui les a pourtant tant isolés du « complexe ».

Pascal Bély ? www.festivalier.net

« Culture, mise en réseau et développement des territoires »: colloque organisé par l'Observatoire des Politiques Culturelles au Théâtre de Privas (07) le 1er décembre 2009.

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS

De l’identité nationale par Raimund Hoghe et Faustin Linyekula.

La scène est immense, totalement dépouillée, à l’exception d’un petit tas de cailloux. Notre humanité est là : toute à la fois atrophiée et imposante. La danse a commencé.
Ils arrivent ensemble, mais séparés. Lui, c’est Faustin Linyekula, chorégraphe congolais. Lui, c’est Raimund Hoghe, ancien dramaturge de Pina Bausch, chorégraphe et bossu depuis l’enfance. Leurs corps incarnent un territoire mêlé mais un clivage du monde les éloignent.
Tout commence par des feuilles de papiers délicatement posés tout autour de la scène par Raimund Hoghe. Elles   évoquent l’espace européen qui préserve son modèle de développement. A ce moment précis, il ne faut pas se fier aux apparences : la douceur de Hoghe est une bombe à fragmentation. Ces stèles mortuaires glacent. Seraient-elles celles des sans-papiers ?
Pendant ce rituel funéraire, Faustin trace avec son petit tas de cailloux des chemins sinueux. La rencontre entre les deux hommes est-elle possible ? Raimund ne bouge plus : notre modèle industriel, social et culturel ne créée plus la relation ouverte. Faustin erre, sans titre, sans papier. Il est notre héros qui marchait sur la lune il y seulement trente ans. Sa danse compliquée et tortueuse les éloigne. La scène symbolise l’écart : 20% de la population mondiale consomme 80% des ressources de la planète.

Alors, place à l’art ! Il va nous offrir d’autres itinéraires, non moins sinueux. Alors que les cailloux s’incrustent dans les corps et crée l’espace de la confrontation, ils tombent pour Faustin, sont jetés par Raimund. La danse met en mouvement le minéral dans le biologique et provoque la régénérescence. La rencontre artistique par le partage permet à chacun de faire son chemin, à partir de nouvelles formes esthétiques (la bosse de Raimund et les plis du corps musclé de Faustin forment le paysage de l’imaginaire). Symboliquement, la danse est un modèle d’élargissement : elle ne puise pas la ressource pour appauvrir l’autre, mais  créée le bien commun et les esthétiques de la rencontre.

Avec un propos accessible,  « Sans titre » de Raimund Hoghe, libère le spectateur par la poésie. Il crée à l’aide d’une bougie, d’un tas de feuilles de papier et vingt cailloux. De la rareté éclot le sens. Point de langage descendant, tout nous revient et leur revient ; de la danse de Raimund Hoghe naît la rencontre, à l’image de la dernière scène où le blanc et noir se fondent pour créer un corps commun riche de nouvelles articulations. Sublime !

Une spectatrice me regarde puis me dit : « Cette oeuvre est une émotion qui se niche dans toutes les parties de notre corps ».

Traçons nos chemins avec nos cailloux, mêlons nos mots et ouvrons ensemble l’espace de la rencontre autour de la danse.  Il y a urgence. Un certain Président utilisent ces cailloux pour construire des murs.

 

Pascal Bély . www.festivalier.net

 

“Sans titre” de Raimund Hoghe a été joué les 2 et 3 juillet 09 dans le cadre du festival Montpellier Danse. Actuellement au Théâtre de Genevilliers jusqu’au 13 décembre 2010 dans le cadre du Festival d’Automne de Paris.

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FESTIVAL ACTORAL OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Dominique Frot : « liberté, égalité, soeurorité ».

Avec les créations de l’auteur et metteur en scène Hubert Colas, le parcours du spectateur a parfois toutes les allures d’un pèlerinage . Il vous conduit d’abord à Aubagne, où vous écoutez un légionnaire vous enivrer de sentences engagées et éclatées (« Mon képi blanc »). Puis, à Marseille, où vous rencontrez une jeune immigrée tchétchène, sidérante avec ses mots dictés comme des balles qui percent votre corps (« Chto, interdit aux moins de 15 ans »). Vous poursuivez votre périple, à Nice, dans une maison de religieuses pour entendre Soeur Rose, venue de Bratislava jusqu’en France alors qu’elle n’avait que huit ans (« 12 soeurs slovaques »). Nos trois héros existent à travers la plume engagée de Sonia Chiambretto, « notre écrivain public » qui ouvre la parole pour nous la restituer à nos oreilles de citoyens devenus parfois sourds à la différence. Ces trois rencontres constituent  notre « identité nationale » car nous sommes faits de ce croisement d’idéaux, d’errances, d’enfermements, de libérations, là où la « nation » avec son plus petit dénominateur commun nous isole un peu plus du complexe.

De la trilogie, il me manquait « 12 petites soeurs slovaques ». Je suis allé jusqu’à Nantes, pour faire connaissance avec Soeur Rose, incarnée par Dominique Frot. Elle est frêle, habillée de noir, si petite que l’on peine à imaginer l’adulte : est-ce l’effet du religieux qui véhicule cette étrange impression? D’autant plus que la scénographie (raffinée et imposante, comme d’habitude chez Hubert Colas) articulée à la présence d’un curé dont le chant transcende la parole (impressionnant Nicolas Dick, posté au dehors de la scène) renforce la fragilité de ce corps tout entier dévolu à Dieu. Elle parle malgré tout, raconte son périple de la Tchécoslovaquie communiste à la France catholique puis explique le lent processus de transformation d’une petite fille en soeur Rose pour ad vitam aeternam. Elle parle comme elle réciterait une prière trop longtemps apprise et jamais restituée.

Mais elle est sous surveillance, notre chère Rose. Les fantômes circulent au-delà de ce décor noir, comme au bon vieux temps où enfant, nous prenions peur à la vue d’une ombre venue vérifier l’intensité de notre sommeil. Car ici, sur ce plateau, la religion affronte le théâtre et pas qu’un peu ! Le visage de Dominique Frot reflète cette tension jusqu’à la faire pleurer tout au long de ces  cinquante-cinq minutes. Ce sont les larmes de la profondeur, de la libération, une réponse lumineuse à la noirceur du décor. Ce sont des perles de pluie sur un sol trop longtemps desséché par la rudesse d’une vie de groupe qui ne laisse aucune place au corps turbulent. Nous l’écoutons Rose et son flot de paroles nous parle d’autant plus que nous sommes presque tous pétris de cette éducation religieuse qui formate durablement notre approche du collectif, de la diversité, du commandement.

Le corps de Soeur Rose, c’est notre corpus religieux ; la mise en scène, c’est notre échappée belle en pays laïque, conquise contre l’obscurantisme. « 12 soeurs slovaques » place le spectateur dans cet interstice, là où précisément l’acteur renonce pour se donner corps et âme à son rôle. Dominique Frot est exceptionnelle dans cet engagement parce qu’elle octroie à Soeur Rose sa citoyenneté dans la patrie des droits de l’homme et renforce la foi des « pèlerins spectateurs » en un théâtre combattant les dépendances obscures.

Pascal Bély, Le Tadorne

« 12 soeurs slovaques » de Sonia Chiambretto, mise en scène et scénographiée par Hubert Colas, joué au Lu de Nantes du 1 au 5 décembre 2009.

Crédit photos: Bellamy/1D-photo.org