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EN COURS DE REFORMATAGE

Heureux qui comme le danseur.

Et si les processus de « Marseille 2013 » s’étaient joués ce soir, dans cette petite salle des « Bancs Publics », à partir d’un maillage pour le moins complexe? Le public coloré, divers et bruyant est là pour  « LosT&Founds », fruit d’une collaboration de quatre chorégraphes (Haïm Adri de la Compagnie Sysiphe Heureux, Helena Berthelius du tenerifedanzalab, Talin Büyükkürkciyan et Ömer Uysal du collectif çati) venus de trois pays (France, Espagne, Turquie).

Chacun est allé recueillir des témoignages d’histoires familiales, pour les métamorphoser en mythes et les articuler les uns aux autres afin de former cette oeuvre totalement inclassable. Il en aura fallu de l’écoute, de la créativité, des tensions, voire même des encouragements et des désillusions pour arriver à un tel résultat ! Il faut du respect envers le public pour lui faire confiance à ce point : le spectateur n’a de toute manière plus le choix. Il doit y aller aussi, lâcher de tout son corps, pour entrer dans cet univers où la métaphore tient lieu de langage, où le corps véhicule tout ce qu’il peut supporter, où les objets se transforment peu à peu en objet d’art. Car pour opérer ces processus de transformation, il faut des danseurs hors pair (ils le sont tous) capables de créer la turbulence afin qu’un seul battement de cils provoque la propagation. Il faut aussi contenir l’espace de l’imaginaire partagé à partir de tableaux bibliques et orgiaques, d’histoires de l’enfance, où le rôle du fou crée la démesure, l’apocalypse pour que cohabite toutes ces identités. La famille est bien l’espace où nous avons fait nos premiers pas d’acteurs, où nous aurions approché la dramaturgie, où notre corps devait déjà entrer dans la danse pour « faire corps ». Ici, l’identité n’a plus rien de « nationale » : elle puise ses ressorts dans le chaos psychologique (cris, peurs, replis, désirs,…) et les mythes familiaux transmis de génération en génération à l’image de ce landau qui, tel une caisse de résonnance, propage l’onde de choc sur le plateau.

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Cette plongée dans l’identité vous perd parfois, comme une séance de psychanalyse où vous auriez oublié « l’autre » resté là-bas.  Ces différents tableaux ne nous dispersent pourtant jamais car en interrogeant le mythe (qu’il soit celui d’une famille ou d’un pays), ces douze danseurs créent en même temps le collectif qui nous permet de l’introspecter : l’acte technique est artistique (à tour de rôles, chacun est éclairagiste),  les mots du danseur sortent du corps de l’acteur, le décor est « porté » par les acteurs (et non transporté vers eux). La scénographie entre dans la danse, fait saigner cette humanité dans laquelle je plonge pour y puiser la force de la regarder.

« Los&Founds » est un moment de partage qui aurait pu se prolonger après la pièce avec Haïm Adri et ses camarades de « je ». Car l’homme est généreux et je me prends à rêver de le retrouver en 2013. Il pourrait créer avec d’autres l’oeuvre mythologique des temps modernes qui manque temps à Marseille, ville éclatée par les discours usés et fatigués sur l’identité nationale.

Pascal Bély-www.festivalier.net

« Los&Founds » a été joué les 20 et 21 janvier 2010 aux Bancs Publics à Marseille.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Eric Lacascade chorégraphie, à présent.

 

Au-delà d’une magnifique scénographie, d’un décor inventif  et d’une très belle lumière, c’est à une mise en scène très chorégraphiée que nous invite Eric Lacascade. Son adaptation des “estivants” de Maxime Gorki est une invitation à entrer dans la danse pour mieux y saisir les travers de nos errances et la fragilité de notre aujourd’hui.

Nous sommes loin d’un théâtre de l’esbroufe et du clinquant, tout en étant dans le plaisir visuel d’une occupation de l’espace scénique joliment orchestrée. Les déplacements du décor participent pleinement à la chorégraphie de ces hommes et ces femmes qui cherchent « des places pour pouvoir se cacher de la vie », tout est là pour que le jeu des comédiens se déploie sur un jeu de lignes, courbes ou droites, qui souligne le propos. Bien sûr on pourrait rêver qu’Eric Lacascade soit allé plus loin dans sa mise en scène, qu’il nous ait touchés et secoués un peu plus.

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Un des angles du propos de cette pièce politique et sociale traite de la difficile relation hommes – femmes ; la « société des hommes », hors des femmes, nous est représentée, entre autres, comme misogyne et infantile.

La scène de beuverie entre Bassov et Chalimov nous les montrent « cul nu » ; il aurait (au regard d’une autre scène d’hommes, où se rajoute Souslov, plus loin dans la pièce) peut-être été plus fort et pertinent que le trouble lâcher-prise de ce moment soit traduit plus violemment par un baiser.

Dans cette pièce, il n’est pas que la relation de Vlas et Maria Lovna qui interroge les normes et les interdits, obstacles au désir.

Les comédiens sont tous très bons ; Grégoire Baujat en tête qui nous propose un Vlas tout en tension et fragilité ; Millaray Lobos Garcia nous offre une Varvara suspendue entre graves carcans du réel et rêves d’adolescente et Christophe Gregoire surjoue Bassov juste ce qu’il faut pour nous faire entendre son mensonge de vivre.

Les scènes collectives sont comme toujours chez Lacascade de très beaux moments et chacun a l’espace nécessaire pour déployer la lecture qu’il a fait de son personnage.

Au final, du théâtre de très bonne facture, qu’il est bon de goûter lorsqu’il se présente. Ne serait-ce que pour revoir nos classiques et voir que les années qui ont passées n’ont pas réussi à changer si fondamentalement l’humain. Ce regard sur la pièce de GORKY devrait nous rendre attentifs à notre aujourd’hui, afin de ne pas nous laisser prendre aux jeux du politique et ne pas céder à la peur.

« Oublier ses racines est toujours un problème. C’est peut-être ce qui fait que tout à coup, cette société, qui ne sait plus ni d’où elle vient ni où elle va, vacille » (Eric LACASCADE extrait de la feuille de salle).

« …Nous devons être différents ! Ce n’est pas par pitié, par charité que nous devons travailler à élargir la vie…c’est pour nous-mêmes que nous devons le faire… » Varvara dans « Les estivants »

Et de repenser à une phrase de Maxime Gorky extraite des « bas fonds », comme en écho : « Pour un vieux, la patrie, c’est là où il fait chaud ».

« Les estivants », pièce écrite en 1903 nous tend un miroir qui n’a rien d’un miroir aux alouettes.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Les Estivants”, de Maxime Gorki, mise en scène d’Éric Lacascade, du mardi 12 au samedi 23 janvier 2010. En tournée, Scène nationale de Sète les 3 et 4 mars, les Gémeaux de Sceaux du 9 au 21 mars, TNBA de Bordeaux, du 14 au 16 avril, Scène nationale d’Evreux les 28 et 29 avril.

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Avec « Gilles », David Bobée abandonne « nos enfants ».

Propos du metteur en scène David Bobée, feuille de salle de “Gilles“: « Entre pluridisciplinarité et délire loufoque, début de narration et fragmentation des scènes, entre exigence et générosité, la liberté de création est grande ; c’est ainsi que je souhaitais réaliser ce spectacle : au fil des répétitions et des improvisations des acteurs. Je voulais avant tout le laisser vivre pour, petit à petit, le découvrir »

Sur le plateau, de la terre, une voiture, un réverbère…Tous ces éléments seront crédités par le récit, mais, comme un souvenir de déjà vu…dans « La mélancolie des dragons » de Philippe Quesne : même si la terre remplace la neige, on peut se questionner. Les « clins d’oeil » n’en sont pas toujours et les « hommages » sont parfois douteux. Nous en verrons «malheureusement» d’autres plus loin dans la soirée.

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” Gilles” – David Bobée.
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“la mélancolie des dragons” – Philippe Duquesne

Narration : « Ils ne savaient pas comment m’appeler “Gilles” c’est court à dire, comme ça c’est pratique». Le spectacle lui,  n’est pas court et il en perd toute sa force et sa puissance. « Pratique »… il l’est peut-être tant il est passe-partout, tant il veut éviter toute polémique, toute tension, toute émotion, tant il brosse dans le bienséant, le politiquement correct et le sens du poil, tant il gomme tout chemin de traverse. Pourtant, le chemin singulier de Gilles est hors des « sentiers battus » et remet en cause bien des conventions. Mais, on n’est là ni pour réfléchir, ni pour s’émouvoir, surtout pas pour être dérangés. Est-ce le «rejet» subit par « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue », (sa dernière création, pamphlet anti gouvernemental), qui a poussé David Bobee à faire cela ?

Les scènes sont sans fin et tuent tout le contenu émotionnel du propos. Allons-y, qui plus est accompagnés par un gentil “docteur » : naissance de Gilles (déjà sous les sunlights), mariage de Gilles, l’enfant qui grandit, le clown vagabond, le « vieil » homme qui ne veut plus de sa mémoire…Et de le faire descendre dans la salle pour se jeter dans des embrassades imposées et faire lever le public les bras en l’air. Et de faire descendre deux jeunes acteurs (ayant pour « particularité » d’être porteur de handicap) pour faire tournée de bisous à un public captif. Cela n’apporte rien, ni au propos, ni à la pièce, mais contribue à «plomber» un peu « l’ambiance ». « La Compagnie de l’oiseau mouche »(1) associée à ce projet  mérite meilleur écrin pour son talent que ce racket organisé qui la conduit à s’exhiber. Que se passerait-il si un spectateur agressé refusait les baisers, en ce lieu imposé ? Il me semble facile d’exploiter cette veine pour s’assurer (obliger) les applaudissements.

Le handicap, s’il empêche certaines choses, n’exclut pas le talent, mais ce qu’il renvoie, encore aujourd’hui, exige que le «metteur en scène» conduise le public, avec force, à lâcher les clichés et les peurs pour modifier son regard et laisser place à l’être. Le handicap, comme d’autres singularités, dérange encore et provoque de nombreux troubles de comportement, des lois seules n’y changeront rien.
Loin le temps où le fait d’être porteur de handicap ou d’une différence et d’être sur scène ne sera plus une performance en soi.
Loin le temps où la différence aura place comme « normale » et « évidence » au point de n’être même plus soulignée dans une feuille de salle. Cela aiderait pourtant probablement ces acteurs à se sentir reconnus comme vraiment « professionnels de la profession » ; et, par probable répercussion, aiderait, des milliers d’hommes et de femmes à se sentir reconnus. Ce n’est pas la personne porteuse de handicap qui doit changer pour se « mettre  dans » la société, c’est cette dernière qui doit bouger pour faire de la place à celui/celle, qui, quoi qu’il/elle fasse, ne pourra pas gommer sa particularité et de fait « rivaliser, comme il se doit ». Le « monde de l’art » peut offrir un espace possible pour changer les regards de nos peurs et nos intolérances. Que lorsqu’il s’y colle, il le fasse avec exigence, conviction et force.  J’oserais dire le mal-être de certains spectateurs autour de moi qui, de toute évidence, n’avaient qu’une envie, que ça finisse et sortir pour, peut-être, fuir le malaise d’avoir accepté « ce cirque » et applaudi quand même. Dois-je dire qu’il est loin d’être évident de rester bras croisés à attendre que le show des « claps claps » soit fini, qu’il est encore moins évident de se lever et de partir ou de se « lâcher » à contester. Mais quand on applaudit… qu’est-ce qu’on applaudit au juste ?
Au lendemain de ce « spectacle », ma colère est toujours là… j’en veux à ce « Gilles » raté, pour avoir, je crois, cherché le consensuel sur un « fond de boutique » compassionnel. Je suis en colère de n’avoir pu vivre les émotions allumées par un beau texte et qu’ont fait mourir cette mise en scène.  Je ne peux m’empêcher, tant certains tableaux en sont copie, de penser à une autre mise en scène et à un autre spectacle.
« Flash back » d’émotions qui, là, ont pu se vivre: « Questo buio feroce » de  Pippo DELBONO s’est joué dans la même salle quelques semaines avant « Gilles ». Il travaille avec des personnes en situation de handicap, elles sont indispensables à ses créations. Sans elles, il y aurait manque car ce qu’elles proposent comme acteurs ne peut être proposé que par elles. Le metteur en scène sait qu’il ne peut pas demander à un autre ce qu’il demande à celui-là, compte tenu de ce qu’il est et de ce qu’il peut seul traduire.
Là se montre la force de la singularité et se prouve la place de chacun comme indispensable à un tout.

Je veux oser croire au “bousculement” qu’a fait vivre à David Bobée la rencontre avec le handicap psychique. Mais je m’autorise à penser qu’il doit autre chose à cette rencontre que ce « salmigondis » et que ce qu’elle a éveillé en lui est d’une autre teneur.

 « Puisqu’on allume les étoiles, c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires » ( MAIAKOVSKI)

Allumer les étoiles pour qu’elles nous soient utiles et fassent pétiller nos intelligences, nos cerveaux et nos coeurs, cela me semble être le minimum à demander à un créateur.

Des tableaux accumulés, quand bien même ils soient « subjectivement beaux », ne font pas un bon spectacle.

Ici quarante-cinq minutes auraient probablement suffi à faire lever le vent. Ce texte le méritait, ces comédiens aussi ! Une heure trente ont tout tué.

Que le créateur montre aussi à ceux qui croient en « Nos enfants » que le théâtre (subventionné ou non) n’a pas vendu son âme et que les enfants de demain pourront encore pousser les portes de cet ailleurs pour se remettre vent debout en allant croiser les « Saltimbanques ».

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Gilles”, de Cédric Orain, mise en scène de David Bobée a été joué du 12 au 14 janvier au Théâtre Universitaire de Nantes.

(1) Troupe professionnelle et permanente qui compte vingt-trois comédiens, personnes en situation de handicap mental.

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Pascal Rambert à l’économie.

Les « amateurs », vous, moi, avons le vent en poupe. Nous abreuvons internet de notre créativité, de notre réactivité ; nous tissons les liens sociaux via le réseau associatif et le secteur mutualiste. Le « réseau invisible » remet de l’interaction et des valeurs au coeur du système économique et d’un corps social éclaté par la perte des repères. Nous inondons les « verticalités descendantes » de visions chaotiques obligeant les institutions à revoir leur modèle industrialisé de la relation.  L’auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre de GennevilliersPascal Rambert,  a compris ce mouvement de fond d’où des formes théâtrales « hybrides » qui déboussolent souvent, intriguent, agacent. Sa dernière création « une (micro) histoire économique du monde, dansée » n’échappe pas à la règle avec quatre acteurs, un philosophe (Eric Méchoulan), 26 participants aux ateliers d’écriture du théâtre et 21 choristes de l’Ecole Nationale de musique de Gennevilliers. Les codes traditionnels de la représentation sont ainsi bousculés (démocratie participative ? formation du spect’acteur ?…)1.

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Tout serait donc dans le titre. Comment appréhender l’histoire économique en quatre-vingt-dix minutes en articulant le micro et le macro, le texte et le corps, l’amateur (éclairé !) et l’acteur professionnel, le philosophe (celui qui donne le sens) au théâtre (ce qui fait sens) ? Cette scène gigantesque dans sa profondeur est l’immense toile de l’économique, du social et du culturel ! A nous de tisser.

L’économie est une interaction entre « le corps » au travail et son environnement (d’ailleurs, un chorégraphe ne serait-il pas plus pertinent dans certaines analyses qu’un économiste ?). Alors que les « travailleurs » reproduisent les gestes de l’économie où se dessinent les flux d’échanges des matières et des savoirs, la danse de Pascal Rambert redessine joliment l’espace. L’histoire économique nous apprend donc que le corps et nos façons de communiquer sont isomorphes avec le système. Cette partie du travail de Pascal Rambert est souvent émouvante et sensible, mais vite « rationalisée » par les interventions « écrites et ré-improvisées » d’Eric Méchoulan. Il nous perd dans ses explications, joue à l’acteur  pour illustrer son propos, met fin à l’interaction avec les amateurs jusqu’à les faire disparaître et occuper la scène à lui tout seul (belle image de son impuissance ?). Il réduit l’espace métaphorique avec le langage du savoir descendant pour nous dire ce que nous devons voir.

Le tableau sur la crise des subprimes moque une famille américaine qui agonise et caricature ses comportements. Les corps des acteurs et des amateurs peuvent bien glisser à terre pour mourir,  mais par quel processus ? Suffit-il de créer l’image pour donner du propos ? Cette scène symbolise à elle seule ce qui ne fonctionne pas dans cet ensemble : des professionnels qui caricaturent, un philosophe qui s’impose, des amateurs qui illustrent. Quelle est donc la place du metteur en scène ? Il propose le tableau, mais assume-t-il le point de départ de sa pièce à savoir sa colère, son émotion contre le système économique qui a généré la crise financière ? Il anime un « théâtre participatif », mais feint de ne pas en être le leader. À force de superposer les langages, on s’éloigne du « noeud » de la rencontre, de la turbulence qui nous permettrait d’articuler l’histoire avec la crise actuelle du système. Or, Pascal Rambert ne s’aventure pas sur le global et donc sur sa vision d’artiste. Il empile. C’est exactement comme cela que l’on nous parle d’économie aujourd’hui : de case en case.

Ce théâtre a les ressorts du changement systémique (en s’appuyant sur la base, en croisant les savoirs, en ouvrant la communication) mais il ne fait que renforcer la vision cloisonnée qui a généré la crise financière. Pour s’effacer, Pascal Rambert enferme le philosophe dans sa « leçon illustrée » de l’histoire, case les amateurs dans une très belle figure où peuvent résonner leurs pratiques, place ses acteurs dans des saynètes ridicules.

Ce n’est pas la première fois que je constate ce processus où les amateurs sont ainsi mis à contribution au service d’une réduction de la vision (doit-on y voir une nouvelle économie de la culture ?). Michael Marmarinos en avait convoqué une centaine à Bruxelles pour  « Dying as a contry » sur la période de la dictature en Grèce. Fréderic Fisbach dans la cour d’honneur du Palais des Papes avait effeuillé René Char dans la même proportion. La chorégraphe Mathilde Monnier avec « City maquette » redessinait la ville en chorégraphiant les interactions avec une cinquantaine de participants de tous âges. Chez Pippo Delbono dans « Enrico V », l’amateur fait corps avec l’acteur pour transcender et émouvoir. Quant à Christophe Haleb et Roger Bernat, ils transforment la scène (place publique, hôpital, …) en agora où le spectateur est l’acteur. A chaque fois, le nombre est imposant (métaphorisé par la file indienne, le choeur, ?), la scène déployée dans un espace profond où l’on circule. On s’appuie sur les pratiques artistiques des amateurs pour créer des synergies parfois intéressantes avec les professionnels : le « sensible » trouvant un prolongement dans le statut de l’acteur pour le mettre à distance. Il y a un désir d’impressionner, de sidèrer pour amplifier le sens. C’est une prise de pouvoir sur l’imaginaire. La plupart du temps, le metteur en scène mise sur la dynamique des interactions entre amateurs et professionnels au détriment d’un propos assumé. Or, le nombre de ces propositions « participatives » n’a rien changé à la place du spectateur dans l’économie de la culture enfermée dans le lien consommateur-producteur et au statut de l’artiste dans notre société. Je crains que le travail de Pascal Rambert s’inscrive une nouvelle fois dans ce processus.

La pièce va tourner en région et s’ancrer sur des territoires. Elle pourrait évoluer à condition que la mise en scène incarne (sans le discours) une philosophie de l’histoire économique. Pour cela, Pascal Rambert ne pourra pas faire l’économie d’être un artiste visionnaire, quitte à lâcher sur les concepts innovants dont il est le promoteur.

Pascal Bély, www.festivalier.net

(1) Avant d’entrer dans la salle, on nous tend un questionnaire pour sonder notre profil de spectateur : des cases, rien que des cases et toujours les mêmes questions d’un théâtre à l’autre où nous n’avons jamais le retour sur nos réponses. Pour mieux nous connaître, les lieux culturels utilisent les outils des sociétés de services. L’économie de la statistique se porte donc bien. C’est ce que l’on appelle « la culture » du chiffre. Dans les escaliers, une classe de terminale fait du bruit. La salle est quadrillée par le personnel d’accueil (sait-on jamais !). Je m’assois à côté de ces élèves, mais je peine à identifier la finalité de leur « sortie ». Avant même que le spectacle commence, je me questionne : le théâtre peut-il être un lieu d’interactions et de circulation des savoirs, à partir de quelles valeurs partagées ? Cette (micro) histoire économique peut-elle le repositionner au coeur de l’économie de l’immatériel?

“Une (micro) histoire économique du monde, dansée” de Pascal Rambert en collaboration avec Eric Méchoulan. Au Théâtre de Gennevilliers du 8 au 22 janvier puis du 9 au 20 février 2010. En tournée en région pour la saison 2010-2011.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

La traversée du désert.

C’est mon premier spectacle de l’année 2010, la première « migration ». D’autres suivront. Me voilà donc au Théâtre des Salins de Martigues, pour « le retour au désert » de Bernard-Marie Koltès, mise en scène par Catherine Marnas. Cela vient après une période des fêtes mise à profit pour mettre en résonance les oeuvres vues en 2009 tout en réfléchissant sur mon positionnement de blogueur. Autant dire que j’ai pris pas mal de hauteur, que je me sens différent, flottant, ailleurs. Étranges sensations. Ce soir, j’assiste à un « vaudeville contemporain » avec en prime une double distribution sur scène (française et brésilienne) pour amplifier « la résonance » sur « les thèmes de l’héritage, des règlements de compte, d’une guerre fratricide qui est aussi la guerre d’Algérie et plus généralement toutes les guerres ». Je suis épaté par l’intention retranscrite sur la feuille de salle. Eux et moi sommes donc quasiment sur la même longueur d’onde : croisement, hybridité, métaphore et langage universel.

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Saviez-vous que cette pièce a été écrite pour Jacqueline Maillan (Mathilde), puis joué avec Michel Piccolli (Adrien), dans le rôle du frère persécuté et persécuteur (et accessoirement paranoïaque) ? J’étais bien trop jeune à l’époque pour savourer la mise en scène de Patrice Chéreau. Mais entendre Maillan parler arabe ne devait pas manquer de piquant. Car Mathilde revient en France avec ses deux enfants, nés en Algérie, décidée à ne pas laisser l’héritage aux seules commandes de son frère. Elle le retrouve, patron de l’usine familiale, père de Mathieu qui rêve de quitter ce cocon enfermant pour aller faire la guerre. Cette maison est un piège, une souricière, quelque soit l’endroit où on la regarde. Catherine Marnas retranscrit joliment cet enfermement par ce décor qui s’ouvre pour mieux se refermer sur les personnages et leurs secrets. Les mots du surtitrage projetés sur les murs s’étirent et se perdent à l’image d’une parole qui se cogne contre cette culture familiale patriarcale à bout de souffle, où l’on se frappe dessus pour s’aimer.

Ici, point de têtes d’affiche, mais quatorze comédiens français et brésiliens. Le comique de situation est réduit à sa portion congrue au profit d’une mise en scène qui privilégie la double interprétation et la symétrie : Mathilde, Adrien et Mathieu sont joués par deux acteurs : quand l’un parle français, l’autre poursuit en brésilien. Mais pourquoi faire ?  Là où Maillan et Piccolli amplifiaient le décalage pour que le public s’y engouffre, ici tout n’est que morne plaine, sans relief : on joue à se donner la réplique dans un jeu répétitif qui lasse. De guerre lasse. Pour la psychanalyste Géraldine Paolin-Loir, « la résonnance est une vibration qui se propage à partir d’une interaction, née d’une turbulence, d’un espace chaotique ». Cette double interprétation n’apporte rien si ce n’est qu’elle finit par rendre inaudible la profondeur de la visée de Koltés sur la complexité de la guerre au coeur des liens familiaux. C’est un effet de style qui ne résonne jamais.  Pour créer la résonance, le propos du comédien aurait pu se prolonger dans le corps d’un danseur. Or, les corps sont ici prisonniers du mimétisme. Avec le surtitrage, Catherine Marnas s’autorise à jouer avec la résonance des mots. Troublant, mais insuffisant. Pour parler de la guerre, de l’enfermement, peut-on y aller avec ce double langage, métaphore d’une ouverture factice ?

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Étrange télescopage. Le lendemain, le Théâtre du Merlan à Marseille propose « Enrico V » de William Shakespeare par le metteur en scène italien Pippo Delbono. Endossant les maigres habits de ce Roi d’Angleterre pris de folie à s’imaginer conquérir la France, Pippo joue à la guerre avec un coeur (corps ?) chorégraphique. La langue italienne pleure, hurle à la mort, se veut autoritaire, cynique et moqueuse. Toute la mise en scène n’est qu’à fleur de peau même lorsque le rire s’immisce dans la tragédie. Le fou (du roi), si cher à Pippo, est toujours là pour nous guider et nous mettre à distance de la folie du pouvoir. La résonance est forte, cela vibre de partout. Nul besoin de l’écrire sur une feuille de salle, c’était couru d’avance. Ce théâtre du sensible, est joué en une seule langue : celle de la tragédie turbulente de notre époque.

Pascal Bély- www.festivalier.net

“le retour au désert”, mise en scène de Catherine Marnas a été joué le 7 janvier 2010 au Théâtre des Salins de Martigues.

“Enrico V”, mise en scène de Pippo Delbono a été joué le 8 janvier 2010 au Théâtre du Merlan de Marseille.

Crédit photo: Pierre Grosbois pour “le retour au désert”.

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EN COURS DE REFORMATAGE PAS CONTENT

Rayhana agressée: communiqué de la Maison des Métallos.

Depuis le 8 décembre, 9 comédiennes montent chaque soir sur la scène de la Maison des métallos, Etablissement culturel de la Ville de Paris, pour interpréter A mon âge, je me cache encore pour fumer. Elles incarnent 9 figures de la féminité aux prises avec le refoulement et la violence, réunies dans un hammam à Alger. A la suite d’une première intimidation verbale en décembre, Rayhana, auteure de ce texte et comédienne, a été aspergée d’essence en se rendant à la représentation du mardi 12 janvier. Ses agresseurs lui ont ensuite jeté une cigarette allumée au visage, qui n’a fort heureusement pas enflammé leur victime. Les paroles de ses agresseurs laissent peu de doutes sur le lien existant entre cette tentative d’homicide et les représentations en cours d’A mon âge, je me cache encore pour fumer. Après concertation, la Maison des métallos et la Compagnie ont décidé de poursuivre les représentations jusqu’à leur terme, la barbarie de cette agression venant confirmer à leurs yeux la pertinence et la justesse de ce texte.
Signataires : la Maison des métallos et la compagnie OrtenAGRESSEE.jpg

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Être un blogueur hybride en 2009.

Être blogueur ne peut se réduire à un statut, à un métier, mais à un travail qui s’inscrit dans un processus dynamique. Faute de quoi, le danger de se rigidifier dans une posture de critique est grand (à moins d’en adopter les codes avec tous les risques d’empiéter sur la chasse gardée de la profession !). Je suis issu de l’internet, espace du réseau, du rhizome, de l’horizontalité. À côté, je suis consultant et formateur auprès d’équipes que j’accompagne à se positionner dans des environnements de plus en plus complexes. C’est donc dans l’interaction, au coeur d’articulations créatives  que je trouve l’énergie pour régénérer mon écriture et mon métier. J’ai quelques outils pour me situer dans un espace élargi (le réseau social Facebook me permet entre autres de communiquer sur le sens de ma démarche) et je travaille des articulations pour amplifier mon positionnement hybride. En 2009, j’ai donc tenté de le rendre lisible. Retour sur quatre expériences apprenantes.

L’accueil  de Michel Kelemenis au Pavillon Noir.

En janvier 2009, le chorégraphe Michel Kelemenis a accepté ma demande d’assister aux répétitions de trois pièces qu’ils présentaient au public aixois du Pavillon Noir (« aléa“, « viiiiite », « tatoo »). Ma démarche se voulait cohérente avec mon apprentissage de « spect’acteur ». Un an après, cette expérience m’a profondément marqué: ce n’est plus seulement le résultat que je ressens, mais le processus de création, avec les limites qu’impose ma place de spectateur. Je me questionne bien plus sur les intentions du créateur, sur la dynamique groupale jusqu’à imaginer ce que je n’ai pas pu voir. C’est incontestablement un élargissement de la focale avec en prime une facilité plus grande à percevoir le mouvement dansé. Il n’y a pas eu de retours croisés sur cette expérience, mais je ressens chez certains créateurs le besoin de faire appel à mon regard extérieur pour aller puiser dans ma subjectivité des informations au croisement du spectateur et du critique.

Isabelle Flumian et le programme de réussite éducative de la ville d’Aubenas.

Isabelle Flumian est directrice adjointe du pôle vie sociale de la ville d’Aubenas. Nous nous connaissons depuis un stage que j’avais animé en 2006 à Montpellier (« la conduite de projets sociaux complexes »). Spectatrice, elle lit régulièrement le Tadorne. C’est lors d’un échange précédent une pièce de David Bobée au Théâtre de Gennevilliers qu’elle formule son projet : « comment, dans le cadre d’un programme de réussite éducative, élargir les publics des lieux culturels  de la ville d’Aubenas par la mise en réseau des travailleurs sociaux du territoire ? ». Cette demande trouve un prolongement dans plusieurs articulations : le consultant et le blogueur ; le réseau et l’institution territoriale ;  le social et la culture. J’active le réseau du Tadorne et du Trigone (nom de mon cabinet) et rédige une proposition: « une formation-action d’accompagnement vers la culture pour les professionnels du social de la ville ». À partir du travail de Julie Kretzschmar, directrice des Bancs Publics à Marseille qui a mené une expérience avec un groupe de spectateurs bénéficiant du RMI accompagné par un travailleur social, je formule une hypothèse : « Élargir les publics nécessite d’articuler la pratique culturelle des travailleurs sociaux avec leurs pratiques professionnelles ce qui suppose leur désinhibition à l’égard des arts de la scène et des arts plastiques». La formation-action a donc débuté en octobre 2009 (pour 18 professionnels) et se terminera en mars 2010. Cinq modules de deux jours où nous allons voir des spectacles (théâtre de Privas, Comédie de Valence, le bournot), où intervient une médiatrice (Anne-Gaëlle Burban), Julie Kretzschmar, un artiste (Luigi Rignanese) en articulation avec un travail sur leur positionnement personnel professionnel institutionnel. Il est encore trop tôt pour faire l’évaluation de ce travail, mais on sait d’ores et déjà qu’il a créé une dynamique de projet global sur le territoire en positionnant la culture au centre des pratiques d’intervention sociale par la mise en réseau des acteurs.

Annette Breuil et l’équipe du Théâtre des Salins de Martigues.

Le contexte du début de l’année 2009 est tendu dans le milieu culturel. Les inquiétudes grandissent alors que Nicolas Sarkozy vient de créer un conseil de la création artistique présidé par Martin Karmitz. Elsa Gomis, contributrice pour le Tadorne, assiste à un débat au Théâtre National de la Coline à Paris réunissant artistes, journalistes, professionnels, public. Quelques jours plus tard, dans un article,  nous formulons quelques hypothèses, dont celle d’organiser au sein des théâtres des débats entre spectateurs et artistes afin que la question sur l’avenir du spectacle vivant ne soit pas aux mains des seuls spécialistes.  Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins, saisit cette opportunité. Après plusieurs échanges, nous décidons de planifier pour la saison 2009-2010, un cycle de débats (« Il y a des Ho ! Y’a débat ! »). Le premier a eu lieu le 20 septembre 2009 (« quel programmateur, quel spectateur êtes-vous ? »). Malgré la fragilité du dispositif, je ressens la forte mobilisation de l’équipe comme si le désir d’ouvrir la relation avec les spectateurs prenait tout son sens. Le prochain rendez-vous est prévu le 26 janvier 2010 (« le théâtre des Salins est-il un lieu d’échanges ? »). Il  permettra d’avoir une image de la relation désirée par les spectateurs et positionner l’équipe sur une réflexion globale autour de la communication. À l’articulation du consultant et du blogueur, j’accompagne le processus afin d’être aux côtés de cette équipe et de sa direction pour poursuivre cette expérience. Elle prend tout son sens dans mon engagement de spectateur, de consultant et de citoyen, déterminé à créer les conditions du dialogue démocratique.

L’auteur et metteur en scène Pierre-Jérôme Adjedj

Notre rencontre est née grâce à internet. D’abord sur un forum de théâtre puis sur Facebook. Pierre-Jérôme Adjedj est un (jeune) auteur et metteur en scène. Nous aimons Berlin l’un et l’autre, le goût
du débat d’idées et un désir d’articuler, de mailler, de relier ce qui est souvent cloisonné « empêchant » l’accès à l’art. Dès l’automne, il me propose d’assister à sa résidence de création à la Ferme du Buisson après m’avoir envoyé par mail, le scénario d’« Initial Sarah Stadt », qui sera interprétée par Amadine Thiriet. Un passage m’émeut particulièrement:

« Sarah transforme la salle en orphelinat

Autant d’orphelins que de spectateurs

Éploré par la perte d’une vérité 

Qu’ils n’étaient pas venus chercher »

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Peu à peu, j’imagine Sarah. Dès le début de sa résidence, il m’envoie un compte-rendu journalier. C’est passionnant, car il décrit le processus de création en laissant suffisamment d’espace pour que je puisse ressentir, même à distance, ce qui se joue. Il prépare ainsi ma venue pour ce week-end de novembre où j’assiste aux répétitions, partie prenante de l’équipe. Ainsi, pour la première fois, je vois l’artiste dans le chaos créatif. J’entends, je comprends tout ce qu’il dit alors que je n’ai pas le scénario en tête. La déconstruction fait sens et les processus de la  mise en scène donnent vie à Sarah. Je note quelques-unes de ses phrases attrapées au vol (« Sarah est sa propre mise en scène », « il y a des endroits où l’on va creuser des galeries » ; à Amadine Thiriet : « ton temps est celui que l’on accepte » ; à un moment, elle lui répond : « je me suis assise pour de mauvaises raisons, pour créer une image »).

À mesure qu’ils travaillent, j’apprends à différencier l’homme connu sur la toile et le metteur en scène : ils sont à fois unique et différent. Il appréhende le théâtre en amplifiant le collectif pour coconstruire. De le voir créer  est en soi une oeuvre d’autant plus que la posture d’Amandine Thieret m’impressionne : elle assume le rôle et s’engage dans la mise en scène. Peu à peu,  Pierre-Jérôme Adjedj conçoit de multiples espaces où le spectateur créera aussi son histoire avec Sarah.

Spectateur au travail, j’imagine déjà le public transporté dans cet imaginaire florissant pour dialoguer par la suite avec les artistes. Pierre-Jérôme Adjedj m’a permis d’écrire cet article, de mettre en lien mon expérience avec Michel Kelemenis, le projet de la ville d’Aubenas et du Théâtre des Salins. En s’ouvrant subtilement au Tadorne, il a créé les conditions de l’émancipation du spectateur et de l’émergence de son  projet global. Chapeau l’artiste.

Pascal Bély- www.festivalier.net

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EN COURS DE REFORMATAGE

2009 : merci.

Ce sont des chemins de traverse, des rencontres imprévues, des chocs, souvent à la marge. Ces ?uvres dessinent le paysage chaotique de la création, celui qui vous détourne le regard des voies toutes tracées.


 « Football » – performance collective et individuelle de Léopold Pan ? Galerie les Grands Bains-douches (Marseille)

« Golgotha » – Steven Cohen ? Festival d'Automne (Paris).

« DU CARACTÈRE RELATIF DE LA PRÉSENCE DES CHOSES » – I.R.M.A.R– Montevideo (Marseille).

 « Wunderkammer Soap #1 Didon » – Ricci et Forte ? Festival Actoral (Marseille).

« Liquide » – Christophe Haleb ? Festival Uzès Danse.

« Vice-Versa » – Ildi !eldi ? Montévidéo (Marseille).

Four Deaths” – Collectif Via Negativa– Festival Komm’n’act (Marseille).

 « Smatch »- Dominique Roodthooft – KunstenFestivalDesArts (Bruxelles)

?Le printemps de septembre? ? Toulouse.

?Animal Anima? ? Fondation Blachère ? Apt (Vaucluse)


 

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Chapeau à ce collectif d'artistes marseillais qui sous la houlette de Léopold Pan nous a offert avec « Football » une performance osée autour des secrets de familles qui, mit bout à bout, ont formés un fil d'Ariane auquel nous nous sommes accrochés.

Bravo au chorégraphe Sud-Africain Steven Cohen qui nous a bouleversés avec « Golgotha », performance mortuaire sur la valeur de la vie.

Félicitations au collectif IRMAR (Institut de recherche menant à rien) d'avoir mis en abyme la poésie pour « rien », matière envahissante de l'époque.

Toute ma reconnaissance au couple italien « Ricci et Forte » d'avoir un soir d'automne réveillé les plaies de l'amour à mort.

Merci à Christophe Haleb de sa confiance pour avoir osé nous montrer avec tant de délicatesse une étape de travail (« liquide ») au c?ur du festival Uzès Danse.

On n'oubliera pas de sitôt la troupe Ildi ! eldi et leur théâtre effronté.

Bravo au collectif Slovène Via Negativa d'avoir joué avec la mort de quatre artistes pour enchanter notre vie de spectateurs.

On ne remerciera jamais assez les Belges pour leur créativité : merci à Dominique Roodthooft et sa troupe de chercheurs fous d'inventer un théâtre pour de nouveaux territoires de l'imaginaire.

Et puis, il y a eu Toulouse et sa manifestation d'art contemporain : c'était en septembre,  un printemps qui éveilla tous nos sens.

Et puis, avant l’été, il y a eu la fondation Blachère à Apt (photo) pour un beau voyage en Afrique, sans passeport, ni papier.

Merci au public de France d'aimer les artistes.

Champagne.

 Pascal Bély – www.festivalier.net

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2009 : « un peu de danse, bordel de merde ».

Que de kilomètres parcourus pour approcher la diversité chorégraphique, ignorée de bien des programmations,  préférant peut-être le « confort » aux scènes turbulentes. Il y a en France des régions de « non danse » qui ne cessent de s'étendre: qui s'en émeut ? Pourquoi cet art généreux n'est-il réservé qu'aux grands festivals et villes importantes ? Ma question est-elle si naïve ?


« Description d'un combat » et « Turba » – Maguy Marin– Festival d'Avignon / Théâtre du Merlan (Marseille)/ Montpellier Danse.

« Un peu de tendresse, bordel de merde »Dave St Pierre ? Festival d'Avignon.

« Madame Plazza » Bouchra Ouizguen ? Festival Montpellier Danse.

 « Ad Vitam »- Carlotta Sagna ? Festival Reims Scènes d'Europe.

 « Sans titre » Raimund Hoghe et Faustin Linyekula? Festival Montpellier Danse.

« Aléa » et « Viiiiite » – Michel Kelemenis ?- Pavillon Noir (Aix en Provence)

« Le cri » – Nacera Belaza ? Théâtre du Merlan (Marseille).

«  The song » – Anne Teresa de Keersmaeker – Théâtre de Nîmes.

« Pavlova 3'23 » – Mathilde Monnier ? Montpellier Danse.

« El final de este estado de cosas, redux » – Israel Galvan ? Festival Montpellier Danse.

 «Hava'nin a'si/ [a] of air » – Ayse Orhon ? Festival DANSEM (Marseille) 

Des témoins ordinaires » – Rachid Ouramdane ? Festival d'Avignon.

«Chicos Mambos » – Philippe Lafeuille ? Festival Off Avignon. 

Correspondances” – Kettly Noël et Nelisiwe Xaba- Théâtre du Merlan (Marseille)

« Ciao Bella » – Herman Diephuis ? Festival Montpellier Danse.

« not about Everything » – Daniel Linehan ? Le Printemps de Septembre (Toulouse).

« Le funambule » – Angelin Preljocaj ? Festival Montpellier Danse.

 


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En 2009, les chorégraphes y sont allés de leurs cris, de leurs colères, de leurs découvertes comme si rien ne pouvait entraver leur quête dans un contexte où la crise ne cesse de donner raison à la radicalité de leur recherche.

2009 fut l'année d'Anne Teresa de Keersmaeker  qui avec « The Song » nous a offert l'un des plus beaux manifestes sur les bruits du corps, mouvements du et des sens. Quant à  Mathilde Monnier, elle ne s'est toujours pas résolue à tomber dans la facilité comme l'a prouvé son  « Pavlova 3'23 »,  morts du cygne inoubliables, telle une renaissance, à l'image d'une danse contemporaine qui a tourné la page avec élégance après la disparition de Pina Bausch et de Merce Cunningham.  Même sous les bombes du Liban, avec une présence prodigieuse, le corps d'Israel Galvan a résonné avec « El final de este estado de cosas, redux ». Eux, ils sont venus du Canada et nous n'avons rien oublié de leur raffut (“Un peu de tendresse, bordel de merde”) : les danseurs de Dave St Pierre (photo) ont réveillé notre envie de tendresse en mettant à nu nos relations perverses. Cette tendresse pour la danse a été joliment et drôlement révélée par Philippe Lafeuille : « Chicos Mambos » fut comme une « caresse et une bise à l'?il » à tous les amoureux de l'art de la fragilité.

En 2009, le corps est allé loin pour chercher de nouveaux territoires: en dansant comme une toupie, le jeune américain Daniel Linehan a creusé le mouvement pour nous atteindre. Nacera Belaza et sa s?ur ont elles aussi tourné sur elles-mêmes pour sonder l'insondable. La Marocaine Bouchra Ouizguen a invité les « aïtas », danseuses courtisanes, pour revenir à la source du geste dansé. La Turque Ayse Orhon a puisé dans les irrigations de son corps sanguin pour donner du souffle à la musique tandis que le couple Raimund Hoghe et Faustin Linyekula nous offrait avec « sans titre », un territoire chorégraphique que nous n'avons pas encore fini d'explorer.

En 2009, les danseurs se sont emparés (enfin) des mots. Maguy Marin leur a redonné la parole dans « Description d'un combat » et « Turba ». Exceptionnel. Carlotta Sagna s'est avancée seule, vers nous, avec les mots d'une schizophrène en proie à notre folie. Même Angelin Preljocaj a osé, à 52 ans, remonter sur scène avec « le funambule » de Jean Genet. Quant à Rachid Ouramdane, ses « témoins ordinaires » (anciens torturés), ont bouleversé sans sensiblerie les spectateurs du Festival d'Avignon.

En 2009, la danse s'est acoquinée à la poésie. Avec provocation, tendresse et férocité à travers les « correspondances » croisées de Kettly Noël et Nelisiwe Waba. Avec créativité quand Herman Diephuis nous a proposé un « Ciao Bella » sur le désir transpirant des hommes pour les femmes ! Avec la profondeur du corps quand Michel Kelemenis a transformé le geste dansé en désir revendiqué du mouvement.

Pour 2010, parions sur une croissance chorégraphique capable d’irradier tout le pays.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

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2009 : « Oh ! Mes théâtres ! »

Quelle année ! Quels théâtres! On ne reviendra pas sur les six premières ?uvres évoquées dans un article précédent qui démontrent, contre vents et marées, la vitalité artistique du spectacle vivant en France et en Europe.

« Le père tralalère »Compagnie d'Ores et Déjà ? Festival d'Automne (Paris)

« Naître à jamais »  – Andras Visky – Théâtre des Halles (Avignon).

« Notre terreur » – Compagnie d'Ores et Déjà ? Théâtre des Célestins (Lyon)

« Food Court » – Bruce Gladwin ? KunstenFestivalDesArts (Bruxelles).

« La menzogna » – Pipo Delbono ? Festival d'Avignon.

?Ode Maritime? ? Claude Régy ? Festival d'Avignon.

« 12 s?urs slovaques » – Hubert Colas ? LU (Nantes)


 « La trilogie au Palais des Papes : littoral, incendies, forêts » – Wajdi Mouawad ? Festival d'Avignon.

« Les enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » – David Bobée ? Théâtre de Gennevilliers.

« Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust » – Renaud Cojo ? La Manufacture (Avignon).

« Sables et soldats » – Horiza Orata ? Théâtre de Gennevilliers.

« Le bal de Kafka » – Isabelle Starkier ? Théâtre des Halles (Avignon).

« Le prince de Hambourg » – Marie-José Malis ? Théâtre Antoine Vitez (Aix en Provence)

« Canibales » – David Bobée ? Théâtre de Chateauvallon.

?The Shipment? – Young Jean Lee ? KunstenfestivaldesArts (Bruxelles)

?Coalition? – Tristero / Transquinquennal – KunstenfestivaldesArts (Bruxelles)

?Je pense à vous, épisode XX? ? Didier Ruiz – Festival Sens Interdits (Lyon)

 

Que de turbulences sur scène ! David Bobée n'a pas eu peur d'affronter le pouvoir sarkozyste (et certains programmateurs frileux) avec « nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue», ?uvre qui  annonçait déjà l'ignominie du débat sur l'identité nationale. Avec « Cannibales », il a réussi à parler d'une génération (celle des trentenaires) à toutes les générations. Nous avons besoin de ce théâtre-là pour nous retrouver sur des valeurs et les questionner. Était-ce l'intention du metteur en scène américain Young Jean Lee à propos de nos préjugés racistes dénoncés dans « The Shipment » et avec le japonais Horiza Orata  dans « Sables et soldats », ?uvre mélancolique sur la guerre ? Didier Ruiz a quant à lui invité des amateurs russes pour créer des ponts avec nous à partir d'une histoire commune (celle de la Deuxième Guerre mondiale) et d'une mise en scène d'une force étonnante puisée dans la fragilité de ces « témoins ordinaires ».

Mais le théâtre nous a proposé des chemins détournés, plus sinueux, pour interpeller  nos rigidités et rendre plus poreuses nos cloisons cérébrales. Renaud Cojo avec « Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust » a réussi le pari fou d'inviter la psychanalyse sur scène avec humour pour déjouer les clichés. Le collectif belge et flamand « Tristero / Transquinquennal » avec « Coalition » a joué de nos paranoïas pour interroger le sens de nos peurs contemporaines. La metteuse en scène Isabelle Starkier avec « le bal de Kafka » a propulsé les spectateurs dans les paradoxes de notre condition humaine où seul le théâtre peut nous aider à nous en amuser pour mieux les apprivoiser. Pour Marie-José Malis, «Le prince de Hambourg » a été un acte politique fort en offrant aux spectateurs les ressources pour qu'il ne tombe jamais dans une sensiblerie qui l'empêcherait de réfléchir au dilemme du pouvoir : l'éthique contre la « realpolitik »

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Mais au-delà de tous ces enjeux, il faut nourrir la magie que nous procure la scène, à l'heure où le divertissement s'industrialise pour uniformiser le « jeu ». On ne remerciera jamais assez Wajdi Mouawad de nous avoir offert une nuit entière de théâtre au Palais des Papes pendant le Festival d'Avignon avec sa « trilogie » (« Littoral », « Incendies » (photo), « Forêts »). Cette nuit-là était là pour nous rappeler  que la scène « mouvemente » nos visions inanimées. Les arts florissants de Mouawad nous ont redonné de l’unité pour recoller les morceaux. Cela va chercher loin tout ça. Il nous  faut maintenant revenir.

 

Pascal Bély ? www.festivalier.net