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EN COURS DE REFORMATAGE LES EXPOSITIONS THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

De la mélancolie des choses.

« Ce qui m’intéresse principalement aujourd’hui c’est que le spectateur ne soit plus placé devant une oeuvre, mais qu’il pénètre à l’intérieur de l’oeuvre » déclare Christian Boltanski au sujet de “Personnes”, l’exposition qu’il donne à voir jusqu’au 21 février au Grand Palais.

Dans la “Mélancolie des Dragons“, actuellement au Théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées, Philippe Quesne nous fait pénétrer dans le parc d’attractions de six hommes aux cheveux longs, amoureux des groupes de hard rock des années 1990, notamment de “Wind of Change“, le  tube de Scorpions extrait de l’album « Crazy World ». Crazy World.

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Marqué par le souvenir de l’Holocauste, Christian Bolantski cherche l’émotion à travers toutes les expressions artistiques qu’il utilise. Pour “Personnes“, il quadrille le sol du Grand Palais de centaines de vêtements disposés à plat, à même le sol. Au fond de la nef, des vêtements sont à nouveau accumulés pour former une montagne au-dessus de laquelle plane une mâchoire d’acier.

Philippe Quesne propose de renouveler le regard à partir de matériaux simples et anodins.  Il choisit de ré-enchanter notre imaginaire avec de l’eau, de la fumée, des bulles de savon et six bâches en plastique. Gonflées à l’aide de ventilateurs, ces dernières se dressent pour atteindre une hauteur de six mètres et surplomber la scène. Dans la salle plongée dans le noir, elles ondulent légèrement, tels des géants ventrus. Je pense à la scène d’American Beauty où le fils des voisins montre la plus belle chose qu’il n’ait jamais filmé : un sac en plastique dansant le vent.

Alors même qu’il met en scène un poignant hommage aux morts et aux victimes, Christian Boltanski nous rappelle sans cesse à notre statut d’êtres vivants. Des battements de coeurs tonnent en permanence et emplissent l’immense espace de la nef. Ces battements -dont la puissance est démultipliée par la présence d’enceintes réparties partout- architecturent l’espace comme Janet Cardiff et George Bures Miller l’avaient fait au printemps dernier au Hamburger Banhnhof de Berlin dans The murder of crows.

Les battements de ces coeurs s’opposent à l’architecture travaillée de ce lieu qui accueillit l’exposition universelle de 1900. Surtout, ils tranchent avec le suintement métallique de la grue qui enserre inlassablement une poignée de vêtements, pour les relâcher quelques mètres plus haut.

La dureté des mâchoires métalliques contraste avec la légèreté des étoffes qui volettent quelques mètres pour venir se poser en haut de la montagne de vêtements. Elles s’emplissent d’air comme si, pour quelques secondes, les fantômes de ceux auxquels elles ont appartenu témoignaient de leur présence.

Dans La mélancolie des dragons, les six compères, amateurs de musique qui cogne, créent une montagne en recouvrant de blanc une Citroën AX. Ils s’attendrissent devant l’envol de perruques qui marquent la présence d’hommes invisibles, qui dansent. L’univers bricolé qu’ils agencent sous nos yeux est composé d’éléments triviaux, mais grâce à l’émerveillement avec lequel ils considèrent les choses, ils dépassent le kitsch. Dans les fumigènes, même un dragon en plastique peut être mélancolique.

A l’occasion de l’exposition Personnes, Christian Boltanski propose aux visiteurs de poursuivre les «Archives du c?ur » -entamées en 2008-, en enregistrant les battements de leur coeur. L’artiste projette ensuite de conserver ces archives sonores sur l’île d’Teshima dans la Mer du Japon, afin de faire battre le coeur des hommes à l’unisson.

Si l’une des particularités de Boltanski est sa capacité à reconstituer des instants de vie avec des objets, Philippe Quesne insuffle de la magie aux plus prosaïques d’entre eux.

Alors, dans les deux cas, éloge à l’absurde de nos existences ? À la puissance symbolique de certains objets ?

Vouloir être respectueux de ces artistes consiste à ne pas chercher de réponses, mais accueillir leurs remises en cause avec ce qu’elles soulèvent d’émotions et de poésie. Juste accepter de regarder les choses pour le sens qu’elles peuvent porter, mais savoir aussi les détourner pour en créer d’autres, plus belles encore(1).

Elsa Gomis – www.festivalier.net

A lire aussi la critique “cool” de Pascal Bély lors de la création de “la mélancolie des dragons” au Festival d’Avignon 2008.

(1) « J’ignore ce que recouvre le vocable d’art moderne. L’art consiste uniquement à poser des questions, à donner des émotions, sans avoir de réponse » (propos de Christian Boltanski recueillis en juillet 2009 par Catherine Grenier, commissaire de l’exposition).

 

Personnes et la Mélancolie des dragons  sont à voir à Paris jusqu’au 21 février 2010.

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HIVERNALES D'AVIGNON PAS CONTENT Vidéos

La danse enterrée.

Ambiance glaciale pour l’ouverture du festival de danse contemporaine en Avignon, « les hivernales ». Le public n’est pas au rendez-vous pour « Switch me off », fruit d’une rencontre entre un metteur en scène (Thomas Ferrand) et un chorégraphe, directeur du Centre Chorégraphique National de Tours (Bernardo Montet). Pourtant, nous aurions du être nombreux pour accueillir la danse, art de l’ouverture, tant on imagine difficilement l’inverse : un chorégraphe dirigeant des comédiens. On serait en droit d’attendre que ce spectacle hybride nous conduise dans un ailleurs, un espace inédit. Déception. Je n’ai pas décollé du sol.

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Dans une récente interview à « La Nouvelle République », Bernardo Montet dit avoir bâti « une pièce qui a autant à voir avec la photographie, les arts plastiques que la danse. Une sorte de poème composé pour la scène?Une oeuvre où le vide est riche de sens, où l’invisible devient visible, où l’imaginaire de chacun est laissé libre, et où l’histoire collective devient soudain individuelle. ». Soit. Sauf que cet ensemble hétéroclite ne crée pas le paysage.

Bernardo Montet est un homme à la carrure impressionnante. Alors qu’il s’avance nu, les pieds dans la terre, son « ciel » est un magnifique assemblage d’ampoules dont le tout façonne un imaginaire baroque. Ses premières apparitions sont de toute beauté, car on ne sait d’où il arrive. Rapidement, cet homme « lourd » évoque notre humanité. Ses mouvements, ses cris, témoignent. C’est un retour aux sources de la vie. Dépouillé à l’image de sa danse, son corps transporte toutes nos fractures. Évoluant dans l’antre de la terre, là où les âmes se perdent, il s’ébat, crie « I’m here », comme pour mieux s’affranchir de sa vie.

Mon imaginaire est prêt à se laisser tenter par l’aventure, mais la mise en scène est une entrave. L’ambiance apocalyptique plombe l’évolution de la danse. Dans ses précédentes créations, le parti pris de Thomas Ferrand est d’en faire toujours trop avec les mêmes bruits d’un même chaos ambulant. Pourquoi donc l’affubler d’une perche où vient se nicher un micro (emblème phallique ?) afin que l’homme crée du son avec les ampoules ? Cet objet utilitaire, laid, rempli sa fonction, mais clive l’espace : ici le son, là le corps, ailleurs le mouvement. Pourquoi donc réduire la sphère entre la terre et le cosmos pour que l’homme trace son sillon de gauche à droite pour « travailler » sa danse à défaut de l’incarner ? Pourquoi donc ces « tics » de mise en scène (avec la musique stridente tant entendue ailleurs) qui illustrent (pour venir vers nous fort et déterminé, l’homme « retouche » son sexe dans la terre !), hypothéquant définitivement la force du mouvement dansé? Là où le décor fait oeuvre d’art, où le corps fait le danseur, Thomas Ferrand impose une installation et précarise la danse.
Le tout est une jolie démonstration qui force le respect. Et c’est bien là notre problème.

Pascal Bély-Laurent Bourbousson- www.festivalier.net

« Switch me off“, mise en scène de Thomas Ferrand a été joué le 13 février 2010 dans le cadre des Hivernales d’Avignon.

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DANSE CULTE Vidéos

Anne Collod nous repasse un message en beauté.

Nineteen sixty-five?« Je me souviens… ». À la Perec, on nous invite. Ça sent l’enfance… le moment où l’on n’est pas assez grand… mais où pourtant on respire les effluves d’interdit d’un frustrant et? bien trop loin ? « plus tard, quand tu seras grand ! »… 

Ce soir ça y est… je suis grand… , c’est déjà un peu plus tard?Je vais la voir cette « Paper dance », celle qui m’a fait rêver dans les années 75 quand un être cher m’en a montré des photos : « Jamais, on ne la verra jamais… Tu vois on aura manqué ça? ». Ce soir, je ne l’aurai pas manqué… Lui non plus, j’espère… Un soir ou un autre?

Le spectacle aiguise les parfums d’une époque passée, il fait resurgir la tendresse pour le grand culot « foutraque » qui répond à l’interdit et, au-delà de ça, témoigne d’une époque, d’une histoire individuelle et collective. Anne Collod nous convie à la réinterprétation de la pièce mythique d’Anna Halprin et Morton Subotnick, « Parades & changes».

Par delà la joie égoïste que je ressens, je vois ici, en partage dans une ironie sauvage et libérée, une page importante de ce qui a conduit aux propositions danse/performance qui se tentent sur la scène d’aujourd’hui. Ici, c’est une fête du quotidien bouleversé, une « messe » païenne et intime qui se parade sous nos yeux. C’est une claque au sécuritaire et au policé. C’est une porte ouverte aux rêves que la seule « folie » d’un autre peut ouvrir. C’est la possible magie des jeux d’enfance qu’on a conservée en nous, juste complicité, sans gangue de cruauté. C’est simplement un esprit de jeu magicien qui peut nous balader dans le plaisir partagé. Ils sont six, ils sont beaux, ils se font fort de l’histoire, ils sont fiers d’oser et de nous conduire dans les méandres de l’interdit (même pas daté), d’ouvrir les portes de nos « bienséances », ils bousculent tout, grand bien nous fasse.

Le propos politique de la pièce n’a rien perdu, « ça semble gratter là où ça fait mal »… Le temps va-t-il à contretemps ? 45 ans se sont écoulés depuis sa création… 

Certes, la nudité est devenue fait courant, mais, a-t-elle toujours autant de force et de justesse que dans cette pièce pour nous interroger sur la place de l’intime et la tendresse de le partager, voir de l’exposer ? « Parades & changes, replays » antichambres de nos « modernitudes » ou invitations à nous re-pencher sur la joie possible d’imaginer l’autre comme potentiel « complice » d’un jeu (je) partagé et à accomplir ensemble… 

Ces six là semblent partager le plaisir d’un être ensemble et de nous le communiquer. Ce soir là, ils ont fait briller l’espace d’un dedans/dehors magnifique, ils nous ont offert un moment de joie, qui utilement sèmerait quelques graines, pour qu’un possible demain soit moins terne et que l’autre ne soit plus source de crainte mais potentialité de fête. Le concours n’est plus de mise… l’enjeu est de se re-trouver… Anna Halprin et Morton Subotnick l’avaient crié à la face d’un monde en 1965. Anne Collod & guest nous repassent le message en 2010… 
Sommes-nous modernes dans nos forteresses ?… Change or replay (repeat again?)?… On regarde le miroir tendu ou on le voile à nouveau pour que dans 45 ans, Anna et Morton viennent encore nous botter les fesses ? Mais y aura-t-il une autre Anne pour transmettre le message ?
Ne manquez pas ce moment s’il vous passe à portée et laissez-vous rêver, c’est encore radical, ça fait de l’air et ça fait toujours du bien.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Deux autres regards sur la blogosphère: Un soir ou un Autre, Images de Danse.

PARADES & CHANGES, REPLAYS (2008). Réinterprétation de Parades & Changes (1965) d’Anna Halprin et Morton Subotnick. Conception et direction artistique : ANNE COLLOD. A été joué au LU de Nantes le 26 janvier 2010.

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HIVERNALES D'AVIGNON

Vue d’Avignon, hivernale Afrique.

Ainsi donc, l’Afrique fait de nouveau parler d’elle. Alors qu’un média français l’insulte avec une émission de télé réalité, un festival de danse contemporaine la met à l’honneur (« Les Hivernales d’Avignon »). Tandis que le site « Arrêts sur Images » faisait dernièrement le point sur le terrible problème d’image dont souffre ce continent, condamné à la fatalité des stéréotypes, l’éditorial (1) du directeur des Hivernales crée le malaise. Là où TF1 ridiculise les Africains à coup d’animaux dangereux et de danses tribales, Emmanuel Serafini l’enferme dans un discours consensuel: «… j’ai constaté que chaque fois que j’étais sensiblement touché, le chorégraphe et/ou interprète étaient d’origine africaine ». Je vous laisse le soin de poursuivre la lecture de cet « éditorial » où les clichés abondent. Comment ne pas faire le rapprochement entre  leur « danse originale » « en pleine maîtrise de leur art » vantée par Emmanuel Serafini et l’agilité que l’on prête aux Africains sur un terrain de sport ! La rhétorique est exactement la même. Mais le plus extraordinaire est l’association pour le moins saugrenue faite entre l’Afrique décrite dans ce texte et certaines oeuvres programmées par les Hivernales. Ainsi, «Loin… » de Rachid Ouramdane (pièce à ne pas manquer) n’a rien à voir avec la danse africaine à moins que l’on ne veuille enfermer Rachid Ouramdane dans ses origines. En quoi le port de l’hidjab dénoncé par Héla Fattoumi et Eric Lamoureux dans « Manta » est-il lié à l’Afrique à moins de souhaiter réduire les musulmans à une couleur de peau ? Quand allons-nous pouvoir approcher ce continent, non à partir de ce que nous fantasmons, mais en fonction d’un projet politique, au sens noble du terme, fait du croisement de nos histoires, de nos valeurs et de nos ressources.

Oublions donc cet éditorial réducteur pour nous concentrer sur la programmation. À ne manquer sous aucun prétexte, la dernière création de Christophe Haleb, « liquide ». Nous avions vu une étape à Uzès Danse en 2009 où nous avions été impressionnés par la force du propos sur la question de l’amour.  C’est à la Scène Nationale de Cavaillon et c’est un chef d’oeuvre.
On ira voir avec intérêt ce qu’est devenu le metteur en scène Thomas Ferrand que j’ai suivi à ses débuts ( !) : associé au chorégraphe Bernardo Montet, « Switch me off » est à coup sûr une curiosité.
Nous avions beaucoup aimé DeLaVallet Bidiefono alors qu’il jouait et dansait en 2009 dans « nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » de David Bobée. « Empreintes …  on posera les mots après » est sa cinquième création qu’il présente aux Hivernales. On y va.
Hélène Iratchet
est la chouchou des centres départementaux chorégraphiques. Nous avions beaucoup aimé « Jack in the box » en 2008. Cette année, « hommage d’un demi-dimanche à un Nicolas Poussin entier » promet sur « la complexité et la beauté des relations humaines ». J’ai confiance.
Que penser de « Manta » d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux vue lors du dernier Montpellier Danse ? La pièce porte sur le Hijab et permettra aux spectateurs de se faire une idée sur la question dans un contexte d’islamophobie grandissant. Je ne suis pas sûr que cette oeuvre serve Héla Fattoumi qui perd de son « geste artistique » au profit d’un exposé militant descendant et excluant. Mais à chacun de se faire une idée sur une prise de parole politique, après tout plutôt rare dans le milieu de la danse.
Revoilà donc Thierry Baë qui m’avait passablement énervé à deux reprises (une fois en 2006, une autre fois en 2007). Cette année, « tout ceci (n’) est (pas) vrai » va surement jouer avec mes nerfs. J’y reviens, à croire que je dois aimer ça.
Je me calmerais probablement avec la compagnie « Le rêve de la Soie », animée par Patrick Servius. La sensibilité de ce chorégraphe parviendra-t-elle à me toucher ? « Lespri Ko » est en tout cas un joli titre.
Ensuite ? Cela sera une totale découverte puisque la moitié de la programmation m’est totalement inconnue. La mission d’un festival est bien là : nous faire appréhender d’autres territoires chorégraphiques, au-delà des frontières.
Nul besoin d’éditorial pour se laisser tenter. À 32 ans, les Hivernales ont l’âge de jouer dans la cour des grands.

Pascal Bély – www.festivalier.net
« Les hivernales d’Avignon » du 13 au 20 février 2010. Réservation au 04 32 700 107.

(1)D’ici et de là-bas?

Loin de Rachid Ouramdane, Vu de Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek, Poussière de sang de salia nï seydou, Manta de Héla Fattoumi & Eric Lamoureux…  Après avoir vu beaucoup de pièces chorégraphiques, j’ai constaté que chaque fois que j’étais sensiblement touché, le chorégraphe et/ou l’interprète étaient d’origine africaine?
Le coeur de la création chorégraphique se serait-il déplacé vers le continent africain ? La force des oeuvres, l’inventivité de la danse, la présence des interprètes, leur maîtrise du langage de la danse contemporaine occidentale, troublent au point de le penser?
A travers une danse originale, portée par des interprètes virtuoses, en pleine maîtrise de leur art, les artistes africains nous font découvrir leur univers. Ils placent au coeur de leurs oeuvres les préoccupations de leur temps, de leurs pays. Les chorégraphes et danseurs africains persistent à se faire entendre. Ils tracent leur propre chemin en proposant leur perception du monde. Ils participent à la transmission d’un message universel. Maintes fois donné pour mort, ce continent résiste. Loin des traités et des accords internationaux, je vous propose cette année une nouvelle carte du Monde, recomposée avec la danse d’artistes africains nés là-bas travaillant ici, mais aussi à des artistes issus de l’immigration travaillant ici et montrant leur travail là-bas puisque, comme le disait Paul Virilio, … Les nouveaux sédentaires sont ceux qui sont partout chez eux… 

Emmanuel Serafini
Directeur

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LE THEATRE BELGE!

Anne, ma soeur Anne.

Pour Louis Jouvet, « le théâtre rend aux hommes la tendresse humaine ». Aujourd’hui, nous pouvons compter sur le théâtre belge et allemand pour « humaniser » les programmations « tendances » et déplacer le spectateur vers les eaux troubles que l’on éclaircit trop souvent pour ne plus le choquer. L’auteur et metteur en scène Franz Xaver Kroetz nous propose avec « Negerin » (négresse), une oeuvre qui permet à trois acteurs d’exception (Laurent Caron, Didier De Neck et Anne Tismer) d’éclairer le lourd climat social de notre époque.

À peine montons-nous les gradins posés sur la scène de la Comédie de Valence, qu’elle arpente le plateau. Pendant qu’une employée du théâtre vient rappeler les règles d’usage et faire la promo de la programmation (pourquoi nous infliger cette irruption telle une page de publicité au beau milieu d’un film d’auteur?), je la suis des yeux avec sa jolie robe blanche et noire. Alors que la lumière s’éteint peu à peu, que le décor se fait de plus en plus oppressant, elle disparaît pour réapparaître tandis qu’elle fait  une fellation. Elle finit par se tourner vers nous, étale le sperme délicatement et se passe du rouge à lèvres,  telle une star de cinéma. Nous sommes son miroir. L’instant est magnifique. D’elle, nous ne saurons jamais son prénom. De l’amant, non plus. Du mari qui ne tarde pas à faire irruption, pas plus.

Dans ce huit clos étouffant, les phrases sont amputées de leurs liaisons. Si la révolution industrielle a accompagné l’alphabétisation, notre époque ne garde que les mots « utiles » : le texte est mitraillé comme des coups de poings, parfois murmuré, obligeant le spectateur à faire preuve d’une très grande écoute. Cet humain-là, ne s’offre pas facilement. Le mari est donc parti et ne revient que pour chercher ses « slips propres ». Elle accueille cet amant qui se précipite sur son assiette, affamé du pouvoir qu’il croit détenir sur elle. Il se jettera sur elle ensuite pour une séance d’amour d’anthologie. Car dans cet appartement, on se jette sur tout ce qui bouge. À chaque instant, un fil se tend, prêt à casser pour un dénouement tragique. La force de la mise en scène est de nous faire vivre de l’intérieur la violence conjugale et la marchandisation du corps féminin. La bêtise crasse qui dégouline des médias et des mots de certains politiques trouvent ici un prolongement dans ce couteau pointé, dans cette veste de chasseur échangé entre les deux hommes, où le sang gicle d’un corps à l’autre.

L’instinct de propriété vient même se nicher là où on ne l’attend plus : « ne touche pas à mon assiette » dit l’amant au mari. C’est époustouflant de voir les corps ainsi propulsés de chaque côté de la scène, comme une partie de ping-pong dont nous serions les joueurs complices et eux la balle. Ce théâtre-là bouscule : depuis quand n’avons-nous pas vu cela sur scène ? Ici, on se touche avec les mains qui pénètrent, on se tue, on se baise, on s’aime. Ici, la musique ne s’écoute pas avec des enceintes criardes censées forcer l’émotion, mais à partir d’un vieux poste de radio où l’on diffuse « parlez-moi d’amour », « les sucettes» et de la musique militaire.  La poétique vient alors chasser la suprématie de la trique. Le plus extraordinaire est de ressentir l’enfance meurtrie chez ces trois personnages perdus : leur moindre geste traduit une cassure, un trauma qui se transmettrait entre classes défavorisées, comme la « chtouille » qu’elle est accusée de propager.

Anne Tismer est exceptionnelle parce qu’elle incarne la fraternité : elle est notre petite soeur au coeur de ce théâtre du sale qui nous la restitue à l’endroit où nous l’avions abandonnée. Là où le marketing (culturel) étouffe la voix de ceux qu’il marchandise.

Pascal Bély –www.festivalier.net

“Negerin” de Franz Xaver Kroetz a été joué les 4 et 5 février 2010 au Théâtre de la Ville à Valence.

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PAS CONTENT

Trip do Brasil

Bla, bla, bla“: les mots se succèdent et la lassitude se creuse dans cet air-plane-movie du sentimentalisme multiculturel.

« France do Brasil », mis en scène par Eva Doumbia, est un assemblage de textes écrits par Aristide Tarnagda, originaire du Burkina Faso, suite à des improvisations faites par les acteurs qui composent la troupe multiethnique (brésilien, africain, français, arabe?) de “La part du Pauvre”.

À la lecture du résumé dans le programme, j’entrevois le sens polymorphe de l’être humain qui s’avère…inracontable ! France, écrivaine, brésilienne de naissance, vient en France pour des études. Elle laisse deux amours : un homme, qui succombera à une overdose (on est au Brésil après tout), et la soeur de cet homme avec qui elle a eu une liaison (pour le côté sulfureux du Brésil ?). Après quelques années passées sur notre territoire, et suite au refus de son éditeur au sujet de son dernier roman qui traite de l’identité nationale, elle rentre au Brésil et convoque l’ensemble des personnages de ce roman. On y parle d’identité, d’appartenance, d’héritage familial et culturel.

Un brassage de moeurs, d’histoires plus personnelles les unes que les autres, des allers-retours France-Brésil, un amour lesbien, de la drogue, un mort, des sans-papiers, des clichés gros mon point (ah la coiffeuse africaine !) et la violence, point d’orgue de cet air-plane-movie théâtral « abracadrabentesque ». Mon passeport en règle, j’embarque dans cette histoire. Ou plutôt, je reste collé au tarmac, halluciné par l’enchaînement des situations, zappant d’un point à un autre de la scène avec pour fil conducteur la lumière délimitant les espaces, les lieux et le temps. L’économie de la direction d’acteurs, où chaque protagoniste a son temps de paroles bien réparti, ne décolle pas du plateau.

J’assiste, impuissant, à une discussion, sans sentiment, sans envie et sans grande conviction. Un échange entre amis dans lequel chacun a son propre mot à dire sans pour autant trouver une résonance. Un bla-bla insipide qui aurait dû m’emmener loin de Marseille, quelque part au-dessus de nos têtes, à la rencontre de nos identités.

Rendez-vous manqué.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net 

“France do Brasil” a été joué les 27, 28, 29 janvier 2010 au Théâtre du Merlan. À noter que France Do Brasil est labellisé “França.Br2009” pour l’année de la France au Brésil.

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PAS CONTENT Vidéos

Le théâtre, notre penche de salut.

Le théâtre penche. Après les structures métalliques et les échafaudages qui ont envahi les scènes du dernier Festival d’Avignon, métaphore de la déshumanisation de nos sociétés, la tendance est à la pente. « Avatar » le film de James Cameron illustre ce monde en 3D, où le bas est en haut, où tout penche pour mieux rééquilibrer le vivant. Deux pièces méritent une analyse approfondie, d’autant plus que leurs scénographies se ressemblent étrangement.

 « Öper Öpus» de Zimmerman et De Perrot nous offre une scène toute en horizontalité, qui penche dangereusement. Métaphore de l’instabilité, elle voit un collectif pluridisciplinaire composé d’un DJ un peu déjanté et de quatre danseurs-circassiens où les corps longilignes des uns  répondent des corps tout en rondeurs des autres, dans un équilibre quasi parfait. Le décor est fait de tables et de chaises tandis que des morceaux de bois jetés à terre encerclent la scène. Il y a également des trappes qui permettent de voir à travers les planches. Nous voilà donc sur une aire qui s’amuse du déséquilibre pour interroger les relations humaines. Les corps minces, gros, musclés, imposants autorisent certaines audaces pour questionner les stéréotypes qui déséquilibrent les rapports sociaux. La mise en scène accentue le chaos permanent, où l’on joue de la pente pour tenter de se risquer dans le lien et l’humain avec humour, décalage, tendresse et énergie. On se s’ennuie pas à les voir se moquer comme des clowns, à recréer l’univers de Jacques Tati, mais on finit tout de même par se sentir un peu seul.

Étrange paradoxe. Le déséquilibre, c’est souvent de la douleur, du fragile. Cette approche est purement escamotée alors même que cette pièce ne parle que du corps !  L’horizontalité est ici approchée à partir d’une vision verticale (accélération-perte de vitesse, haut-bas, … ) où le déséquilibre ne se joue qu’à la surface si bien que le spectateur est séduit par la forme, mais rarement touché. Le tout s’inscrit dans une mécanique, un rouage que la technique sans faille des circassiens ne fait qu’accentuer. On cherche un point pour ne pas glisser aussi, mais à force d’observer la surface qui décline, on reste en dehors. Or, l’horizontalité a besoin d’un centre de gravité que l’on ne trouve jamais. On effleure juste le « sale » pour ne pas se salir les mains. À vouloir être à la frontière du théâtre, du cirque et de la danse, ils ne sont sur aucun territoire, sauf celui de la performance, d’une esthétique de l’excellence que le public ne se gêne pas d’applaudir quitte à faire fuir la poésie du fragile. À défaut d’« intranquillité », on joue avec le décor et des pans entiers du sol. Bien vu, mais sans risque.

On pourrait reprendre mot pour mot les critères de cette analyse pour le spectacle conçu par Mathurin Bolze pour la compagnie MPTA, “du goudron et des plumes”. Ici, point de DJ mais du jazz et du bon qui se fond dans le décor là où la platine s’imposait. Ici aussi, la scène penche tel un radeau de la méduse où des trappes permettent aux cinq circassiens de traverser cette scène pour se pencher sur notre ici-bas fait de logiques symétriques. Mais il y a une différence fondamentale avec le spectacle précédent: le déséquilibre nous invite à explorer le fragile, le sensible. Ici, on ne s’accroche pas au décor, mais on s’y relie pour communiquer. La pente produit de la poétique qui libère de l’espace, abat les cloisons là où elle n’était que mécanique chez « Öper Öpus» . C’est une poétique qui adoucit le monde circassien fait de barres, de cordes et de gestes symétriques. Le collectif emmené par Mathurin Bolze tend vers le mouvement dansé pour interroger notre vivre ensemble alors que tout penche vers le vide sidéral de la perte des valeurs. Ici, la crise de civilisation est palpable: d’un monde de fer, de planches qu’ils finissent par faire exploser, ces beaux artistes nous guident vers un environnement plus aérien, où le fragile est la ressource du lien, où l’articulation s’amplifie au détriment des rouages (de va-et-vient) qui formatent depuis si longtemps notre approche de l’humain. Avec eux, le centre de gravité sur scène est une passerelle où la force du collectif se joue du déséquilibre pour mieux se régénérer.

À aucun moment le public n’applaudit la performance physique parce que le propos n’est pas là: leur poésie habite tant notre imaginaire qu’on en oublierait notre place assise de spectateur. Quelques maladresses de mise en scène mériteraient d’être effacées (comme celle avec les ombres chinoises, grand moment kitchissime!) pour que ce goudron et ces plumes finissent durablement par nous coller à la peau.

Pascal Bély -www.festivalier.net

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“Du goudron et des plumes” de la compagnie MPTA a été joué les 28 et 29 janvier 2009 au Théâtre des Salins de Martigues.

 « Öper Öpus» de Zimmerman et De Perrot a été joué en novembre 2009 au théâtre du Merlan à Marseille.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Collège au bout de la nuit.

Il y a du beau, de la poésie, du cruel, du sensible et de l’humain dans l’écriture de François Cervantes. “La Table du Fond” et “Silence” n’échappent pas à la règle. Et quelle aubaine de voir dans une même soirée ces deux propositions !

La Scène de Cavaillon, partie en nomade dans les collèges proches de Cavaillon pour proposer ce diptyque, permet alors de concilier l’histoire (celle de Franck, jeune collégien) et la réalité du lieu. A entrer dans une classe pour la représentation, je me sens à la fois élève, retombant dans les affres de l’âge adolescent, et public, parce qu’après tout je vais assister à. Mais, cette distinction se perd lorsque le noir se fait. Nous, spectateurs, faisons partie du jeu, nous sommes ces élèves qui hantent les classes le soir venu. La proximité avec les deux comédiens (excellents Nicole Choukroun et Stéphan Pastor), donne à leur jeu une force, une musique, un dynamisme que seuls les mots dits nous emmènent dans notre propre être.

Nous sommes, avons été ou serons tous, un jour, ce petit Franck, qui du haut de ses 13 ans, a déserté la maison familiale, laissant ses parents derrière lui. Le père, figure absente mais présent juste au travers des paroles. La mère, travaille et parle peu avec son fils. Mauvaise passe. Mauvais âge. Mauvaise entente. Faux dialogue. Manque de compréhension. Mais qui sont nos enfants à l’âge charnier où ils sont encore petits, mais pas assez grands pour ne plus écouter ce que nous devons leur dire ?

La mère va donc partir à la redécouverte de ce fils qu’elle a connu, ne connaît plus et connaîtra. Un jeu de confession avec les professeurs se met en place. Chacun souffre de sa condition, de ce qu’il est, de ce qu’il représente. Comme si nous étions indéfiniment des adolescents. Ce jeu durera toute une nuit, une nuit à passer dans la classe de ce collège qui façonne cet adolescent, qui lui permet de découvrir la littérature, et d’opérer un « voyage dans un paysage abstrait ». La résonance est forte : la fragilité des mots donne naissance au futur de Franck. Je l’imagine. Je me ressens alors quelques années plus tôt.

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Si “La Table du fond” permet cette introspection, de rendre visible la métamorphose, “Silence” nous offre une mise en hauteur. Je suis alors l’ange du film de Wim Wenders, « Les ailes du désir ». Je plane au dessus de Franck, de sa mère, heureuse de retrouver son fils, et de ce bar qui l’a recueilli alors qu’il venait de se faire renverser par un automobiliste. Il est solide Franck, solide pour ne pas dire que son père est mort à ses professeurs, à ses camarades. Il est fragile Franck, fragile comme les pages d’un livre qu’il lit. Le récit se construit autour des dires de ses anges gardiens et de sa mère. Un aller-retour nous transporte par-delà les nuages, dans les lieux des non-dits pour lesquels les silences sont des mots. J’écoute ses paroles. Je fais vivre ses personnages avec le regard bienveillant de l’amour d’une mère pour son fils.

François Cervantes nous livre ici un des silences les plus bruyants. Une histoire d’amour entre parents et enfants. Simple. Humaine. Qu’il fait bon d’en être?

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

“La table du fond” et “Silence” ont été joués au collège du Calavon de Coustellet, le 20 janvier 2010.

 

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Vidé.

L’expression « besoin de faire le vide » est couramment utilisée tandis que nous atteignons la frontière. C’est alors que nous posons des limites, bien que nous préférions parfois amplifier le désordre. Il n’est pas rare que le théâtre participe à ce processus : combien de fois affirmons-nous, « cette pièce a fait le vide en moi » en référence à une résonance, à moins qu’elle nous ait permis de « ne pas nous prendre la tête ». C’est au choix. Il existe aussi des oeuvres sur le vide projetant le spectateur dans l’espace du néant à l’image du « monde merveilleux de Dissocia » d’Anthony Neilson, traduit et mise en scène par Catherine Hargreaves.

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Alors que nous connaissons une crise de civilisation sans commune mesure depuis la Deuxième Guerre mondiale, force est de constater que certains metteurs en scène ne s’embarrassent pas de la question ! Catherine Hargreaves nous a donc déniché ce texte où l’auteur britannique « s’attache à trouver de mettre en scène ce qui se passe dans la tête des gens, seul lieu qui, théoriquement, reste inviolé par la police, la société de consommation et l’actualité. C’est un lieu absurde, inconnu, mystérieux, passionnant et infiniment théâtral ». Quelle trouvaille ! Et que lui inspire ce lieu ? Accrochez-vous. En revenant d’un voyage à New York, Lisa Jones a perdu une heure si bien que sa vie ne tourne plus tout à fait rond. Pour la retrouver, un horloger Suisse lui recommande fortement d’aller à Dissocia, lieu imaginaire, peuplé d’hommes et de femmes égarés. Et là, que trouve-t-elle ? Un monde absurde, une société qui marche à l’envers de la nôtre, où quelques unes de nos névroses sont amplifiées (l’obsession sécuritaire, les politiques de prévention, …). Ce « lieu » n’est que l’espace de la farce. alors qu’il est l’univers du fou. Soit. On est bien sûr priés de se plier en deux. Quelques spectateurs s’aventurent sur ce terrain tandis que beaucoup restent figés. Entre ces acteurs qui confondent une scène avec un plateau d’une émission de télévision censée libérer du temps de cerveau disponible et notre désir de chercher au théâtre quelques questions sur l’avenir de notre civilisation, il nous faut résister pour ne pas tomber dans le vide. Outre le fait que le texte est mineur, la mise en scène court après le bon mot, le geste drôle, la posture décalée. À aucun moment, on ne ressent une mise à distance du metteur en scène. En effet, elle aurait pu créer un espace imaginaire autour de cette heure perdue (après tout, nous aurions pu nous y projeter). Mais elle préfère guider ces acteurs vers des numéros d’équilibriste où le corps se débat, prisonnier du déguisement. Comment est-ce possible aujourd’hui de confondre à ce point la déraison avec la bêtise ? Ici, le fou est débile. Consternant.

Le deuxième acte accentue le naufrage. La farce est terminée. Retour au bon vieux « théâtre bourgeois ». Alors que Lisa se retrouve à l’hôpital pour troubles psychiques (ouf, le spectateur peut voir à quoi il a échappé!), Catherine Hargreaves nous propose quelques effets empruntés à l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat (deux minutes de dialogue. Noir total. Autre scène. Noir total…et ainsi de suite). Délesté du comique de situation, l’acteur se fige dans un dispositif tout aussi enfermant comme pour s’excuser de l’acte précédent. Là où Pommerat provoque la sidération, Catherine Hargreaves préfère jouer à la bonne élève. À ce moment précis, rien n’est assumé. Au délire de la première partie, suit le conformisme de la deuxième ! Et pourtant, nous sommes à nouveau sur le terrain de la folie. À peine effleuré. Le vide me submerge comme si je n’avais rien vu, rien entendu. Avec l’étrange impression d’avoir perdu, non pas une, mais deux heures.

Je rassure les lecteurs : ce théâtre-là ne rend (malheureusement) pas fou mais juste assez vide pour faire une critique de l’inutile.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Le monde merveilleux de Dissocia » d’Antony Neilson, traduit et mise en scène par Catherine Hargreaves a été joué du 14 au 30 janvier 2010 au Théâtre des Célestins de Lyon.

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« Publique », 8 femmes version Mathilde.

Les hasards malheureux de la programmation me font découvrir cette pièce (“publique“) six ans après sa création. Mais, là, les hasards bienheureux du théâtre ont fait danser Mathilde Monnier près de chez moi juste le soir où il fallait. Regrets tout de même de ne pas avoir pu voir son travail depuis « Frère et soeur ». Magnifique Mathilde qui m’a fait retrouver et relier des émotions souvenirs, bien des années après “« Pudique acide »”. 1984, Angers, création, Mathilde Monnier et Jean-François Duroure, sublime rencontre/combat masculin, féminin… « Publique », sublime féminin tout court, orchestré par une femme de cinquante ans toujours aussi magnifique dans son corps dansé, qui « ose » inviter une cohorte de femmes d’âges divers à montrer ce que féminin sait faire et s’y coller en chef de choeur. PJ Harvey est au coeur de l’affaire et sa musique guide la danse dans la désinvolture singulière d’un intime exposé, en pudeur, pour partage. Comment font-elles pour être si « im-pudiques » sans se donner « publiques » que peut-être les hommes ne sauraient faire?  Elles le font simplement, jubilant avec tant de force regards et sourires partagés, qu’elles en forcent le respect.

Elles sont là, elles bougent, elles se bougent, ensemble, seules, elles se dédoublent en doubles pour se re-trouver au singulier, et finalement ça va bien quand même, elles se retrouvent singulières pour se faire un pluriel. A coup de perruques et tenues changeantes, elles nous montrent qu’il est bon de rencontrer terrain complice et de se construire unique sans rivaliser avec l’autre. Le partage heureux qu’elles nous offrent nous invite à une route à suivre vers les plages d’un être ensemble. Soixante cinq minutes de bonheur…, on bout de se lever et de partager leur plaisir, on résiste au désir de les embrasser, on se réjouit de voir tant de corsets jetés aux orties. Mathilde Monnier a gardé son exigence du mouvement et, avec, tisse toujours son interrogation du seul, ensemble, avec, contre, pour quoi faire ?… Pour être…même juste un peu. Elle « dirige » ces « questions » dans cette pièce avec un regard tendre, acide et malin, elle montre avec brio que la danse est ouverture, complicité, plaisir et partage. De cette danse simple et complexe à la fois, qui exige beaucoup de ses interprètes, se tissent les fils d’un humain possible et malgré tout. Je sais, ce soir encore, que Mathilde me touche, toujours autant, dans sa « bagarre » à parler le monde comme elle le voit, et à tenter de l’offrir en partage. « Publique » passe près de chez vous : n’hésitez pas, courrez-vous jeter dans la ronde ; ces huit femmes vous donneront la pêche et vous montreront ce que féminin peut dire d’un être ensemble salutaire et joyeux. Bernard Gaurier – www.festivalier.net “Publique” de Mathilde Monnier a été joué les 21 et 22 janvier 2010 au Théâtre Universitaire de Nantes.