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LE GROUPE EN DANSE Vidéos

A Marseille, nos rêves dansants?

«Ce n’est pas de la danse, car ils ne bougent pas». Combien de fois ai-je entendu cette critique à la fin de tant d’oeuvres chorégraphiques dont celles de Maguy Marin? A plusieurs reprises, j’ai tenté la réponse : «l’immobilité physique peut créer le mouvement si le corps turbulent de l’artiste donne la parole au spectateur». Flop ou trouble ! Mais au-delà des arguments, c’est notre représentation du changement qui est en jeu : le mouvement visible, immédiat dont nous serions observateurs, et celui invisible à l’oeil nu, mais où la communication nous inclue comme co-créateur. En programmant «While we were holding it together » de la chorégraphe croate Ivana Müller à la Friche Belle de Mai, le Festival Actoral et Marseille Objectif Danse font oeuvre de pédagogie dans une ville où la quasi-disparition de la danse pose un réel problème d’accès à un art qui fait lien, quoiqu’on en dise…

Imaginez donc cinq danseurs, dans des postures différentes (voir la vidéo) dans une apparente  immobilité. Assis, nous pourrions nous lever et déambuler sur ce plateau (sale…jusqu’à quand la ville de Marseille va-t-elle continuer à accueillir les artistes dans ces conditions?) pour une visite de musée, à contempler les tableaux, à jouer à cache-cache derrière les statues et se perdre dans le grenier…À cinq, ils dessinent nos traits de personnalités; ils sont les balises de nos chemins sinueux; ils incarnent notre désir de diversité pour communiquer. À cinq, ils « mouvementent »…

À peine la pièce débutée que les analogies se bousculent. Je suis déjà en déplacement. À tour de rôle, chacun donne le contexte («J’imagine que nous sommes cinq bourgeois à Marseille», «J’imagine que nous sommes un groupe de rock»). Et ainsi de suite. Le décalage entre la posture physique et le verbal provoque le rire et chacun de nous joue peut-être au chorégraphe pour prolonger le contexte! Notre regard créé le mouvement d’autant plus qu’Ivana Müller est de la partie avec la bande sonore (une partie de tennis, puis des chants d’oiseaux) et un jeu de lumière (apparitions et disparitions provoquent des changements de place, des inversion de rôles). La danse est là pour la mobilisation générale des sens! Peu à peu, les paysages s’enchevêtrent. Il n’y a pas d’histoire à proprement parler, mais un contexte qui nous permet de relier les situations entre elles. Ce contexte naît de la relation qu’Ivana Müller réussit à créer avec les spectateurs. Elle nous guide à percevoir la danse à partir d’une posture sociale (chaque danseur peut incarner un statut, un métier, un lien à la culture, une éducation, un genre) et nous donne la possibilité de créer le propos politique. N’est-ce pas là, une des fonctions de la danse contemporaine? Faire politique, loin des effets du spectaculaire qui prennent la parole à notre insu. 

Arrive alors le moment où les danseurs disparaissent. Nous voilà seuls, mais unis. Le plateau vide fait place à notre désir de danse. Nous sommes autonomes. Je me retourne avec une envie d’échanger avec les spectateurs sur nos chorégraphies. Nous sommes déjà dehors.

À ce moment précis, je rêve que les lieux de culture soient des espaces de communication. J’aspire à ce que la parole du spectateur se mette en mouvement.

Parce que c’est politique.

Pascal Bély – www.festivalier.net

«While we were holding it together » d’ Ivana Müller au Festival Actoral avec Marseille Objectif Danse les 7 et 8 octobre 2010.

Crédit photo: Yi-Chun Wu.

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Le goût du risque.

Dans la feuille de salle du spectacle de Toshiki Okada, un bandeau blanc où est écrit : «  il faut prendre le risque de la création. Alain Crombecque(1).Merci Alain. L’équipe du Théâtre de Gennevilliers ». Étrange coïncidence. Lundi dernier, lors de la rencontre bilan avec les directeurs du Festival d’Avignon, une jeune spectatrice lança « je vous remercie de mettre le spectateur en état de risque ». Probablement une enfant de Crombecque…

Je connais Toshiki Okada. Je l’avais découvert au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en 2007. Depuis, je ressens le risque à chacune de ses créations. Son langage théâtral ne correspond à aucun courant. A la sortie de «We are the Undamaged Others», les mots pour évoquer ce que j’ai vu ne viennent pas. Mon corps est en tension. Et pourtant, j’aurais tant de choses à dire, à écrire. Mais cela ne sort pas. Je pourrais faire un geste, reproduire un mouvement. Là, dans la rue. Juste pour l’inscrire dans ma mémoire, le prolonger au dehors, dans la ville. Mais je n’ose pas. On pourrait me faire enfermer.

Toshiki Okada opère le miracle: celui d’avoir déplacé le spectateur de la scène vers un espace quasiment hallucinogène, celui où se joue ce qui ne se voit pas. Pour cela, les acteurs décrivent à tour de rôle des faits sur  la vie sans entrave d’un couple. Leur espace de jeu ne dépasse pas quelques mètres carrés. À la minute prés (avec horloge au mur et minuterie dans les mains de la narratrice), tout est cadré: le voyage en bus du travail à l’appartement ; l’appartement ; le rêve d’un appartement dans une tour de vingt-cinq étages ; l’amie que l’on invite ; faire l’amour ; le coucher. N’imaginez même pas un décor IKEA. Ici, c’est un gros cube blanc, inamovible. L’éclairage creuse sa matière pour en faire un écran de projection où la réalité des faits se cogne à la psychologie des personnages et leur environnement social. À tour de rôle, les acteurs gravitent autour d’un centre de gravité (un couple, avec tous les attributs du bonheur, mais à la limite du drame conjugal) qui finit par nous faire plonger dans un ailleurs où la poésie des corps est l’unique langage, où la réalité n’existe qu’à partir de notre regard.

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Ce cube blanc est la coquille vide du bonheur, « alibi de la société consumériste ». Mais elle se fissure par l’assaut des corps qui s’appuient sur elle pour chorégraphier ce qui ne se dit pas. Elle est là pour que les mots se cognent et reviennent vers le corps. Pour que le sens reprenne ses droits. Le spectateur est alors plongé dans plusieurs niveaux de lecture : les faits qui posent le contexte, les corps qui jouent la relation, la mise en scène qui parle le langage du social. C’est à perdre la tête pour fixer et lâcher. C’est à se perdre dans les replis des corps pour y chercher et trouver la fracture qui rendrait le bonheur de ce couple assez supportable pour qu’il ose enfin lui donner «chair».

C’est ainsi que peu à peu, le théâtre chorégraphié de Toshiki Okada nous tend le miroir de notre profonde vacuité à parler du bonheur pour ne rien en dire tandis que nos corps malheureux caressent l’espoir qu’une utopie vienne créer le mouvement des possibles. Pour en finir avec ces tours de vingt-cinq étages sans ascenseur social d’où l’on ne voit même pas l’horizon.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« We are the Undamaged Others » de Toshiki Okada au Festival d’Automne de Paris et joué au Théâtre de Gennevilliers du 7 au 10 octobre 2010.

Crédit photo: © Nobutaka Sato

 (1) Alain Crombecque a été directeur du Festival d’Avignon de 1985  à 1992 puis du Festival d’Automne de 1993 jusqu’à son décès à l’automne dernier.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon : finalement, c’est la bonne direction.

C’est une voix qui résonne dans la salle Benoit XII : “je vous remercie de mettre le spectateur en état de risque”. Cette belle phrase est adressée à Hortense Archambault et Vincent Baudriller, actuels directeurs du Festival d’Avignon, dont le mandat se termine bientôt. À ce moment précis, nous sommes quelques-uns à ressentir ce qu’il nous est arrivé l’été dernier. Ces deux-là nous propulsent à chaque édition dans le risque et l’instabilité. Ils «accompagnent» le travail de certains spectateurs (dont votre serviteur) à se confronter aux formes contemporaines de l’art, au langage théâtral, loin du clivage entre texte et corps. Le public a beaucoup progressé si l’on se réfère au succès rencontré par les chorégraphes et les performeurs de l’édition 2010. Depuis 2004 (date de l’arrivée du binôme actuel), Avignon est devenu “le” festival de création contemporaine comme se plaît à le rappeler un spectateur lorsqu’il fait référence au dernier spectacle de Warlikowski chahuté par le public parisien (« ça, c’est un spectacle pour Avignon !»).

Mais ce soir, pour cette soirée bilan, une partie du public a besoin de (re)jouer sa régression infantile. Il y a toujours ceux qui regrettent Jean Vilar (Vincent Baudriller a raison quand il dit:«vous ne retrouverez jamais une mise en scène de Jean Vilar», « le théâtre est toujours un art du présent »). Il est donc beaucoup question de « Richard II », joué dans la Cour d’Honneur. Soit pour vanter la traduction de Frédéric Boyer (une spectatrice nous fait un joli cours à ce sujet précisant que «traduire, c’est aussi créer»), soit pour dénoncer l’ennui de la mise en scène. Mais derrière ce reproche, toujours le même regret : Vilar est mort ! Jusqu’à la sentence d’un spectateur : «vous ne savez pas doser entre théâtres classique et contemporain !».
Puis vient toujours le moment d’opposer le « in » et le « Off » (Hortense Archambault a raison quand elle dit : «ce n’est pas le même projet artistique»). ll y a aussi ceux qui regrettent le froid dans la Cour ou qu’il n’y ait pas de sanisettes dans les rues. Certains spectateurs s’inquiètent même de la proportion d’Avignonnais dans le public. D’année en année, ce type de rencontre rejoue sa dramaturgie: celle d’une France qui regarde son passé, admire ses cloisons et regrette sa puissance perdue!
Loin de cette musique habituelle,  Hortense et Vincent (comme on dit ici; seul le Ministre de la Culture osa la formule sur France Inter, « Hortense et son ami »)  justifient la présence de Christoph Marthaler dans la Cour. Ils ont voulu le faire entrer dans l’histoire du festival. L’Histoire tranchera.
Plus tard, ils reçoivent des applaudissements chaleureux pour avoir organisé le bal du 14 juillet. Que cela puisse les encourager à poursuivre ce travail de réchauffement des relations entre spectateurs ! 
Puis vient le moment où je questionne leur projet de développement. Ils nous expliquent le projet de la Fabrique, futur lieu de répétition et de création qui devrait sortir de terre en 2013. On rêve avec eux d’un développement régional de la création autour d’Avignon qui rayonnerait  au-delà des frontières. J’imagine avec eux des espaces d’accompagnement du public pour en finir avec cette idée qu’il faudrait être formé pour aller au théâtre.
Je rêve alors d’une région PACA ouverte à la création contemporaine, d’une France accueillante envers les créateurs étrangers.
D’une France qui ne se laisserait pas séduire par le divertissement facile ou s’enfermer dans le théâtre patrimonial.
On se prend à rêver d’emprunter cette voie.
Mais finalement, pourquoi devrait-on changer de direction ?

Pascal Bély – www.festivalier.net.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Je kiffe pour cet Hamlet-là.

Les Subsistances à Lyon savent séduire le public jeune. En titrant, « Hamlet version XXIè, un spectacle physique et intense, pour les temps présents », on s’amuse à lire entre les lignes. Autrement dit, un « Hamlet » loin du «théâââtre» de papa ! À voir le nombre de jeunes dans la salle, le pari est gagné. Qui plus est, le metteur en scène, David Bobée, n’a pas encore l’âge de raison requis en France (trente-deux ans!) et le rôle-titre est assumé par un jeune acteur – circassien (Pierre Cartonnet). Le Tadorne connaît bien David Bobée. Nous lui avons consacré plusieurs articles. Avec l’écrivain Ronan Cheneau, ses pièces ont souvent chroniqué l’époque pour nous offrir un théâtre sincère et inventif. Mais pour la première fois, David Bobée s’attaque à un classique, aidé par la traduction efficace de Pascal Collin en totale harmonie avec la création musicale de Frederic Deslias. 

Disons le tout net : les Subsistances ne nous ont pas menti. C’est une oeuvre physique pour les comédiens et les spectateurs. Jouée dans une verrière ouverte aux quatre vents, nous sommes sortis frigorifié de ces trois heures de grand spectacle. À la différence de « Warm » où le public transpirait à grosses gouttes! David Bobée souffle donc le chaud et le froid et sait jouer avec les contrastes. Dans « Hamlet », la langue de Shakespeare oscille en permanence entre une syntaxe contemporaine et ancienne. Même les costumes font le grand écart : entre la longue robe de la mère d’Hamlet (Gertrude) et le jean’s moulant du fils, nos pensées érotiques peuvent divaguer!

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Pour signifier que le pouvoir prend l’eau au Royaume du Danemark, la scène est inondée après avoir été  asséchée par de magnifiques effets vidéo autour de l’apparition du spectre. Comment ne pas penser aux oeillets de Pina Bausch dans “Nilken” à voir ces acteurs jouer avec autant de grâce sur ce plateau liquide?

Il y a ce décor stupéfiant fait de briques noires pour créer l’antichambre mortuaire du pouvoir, où l’on extrait des morts des tiroirs (caisse ?).

Il y a bien sûr Pierre Cartonnet, sa rage au ventre et au corps. Il inonde (sic) la pièce de sa beauté et de sa fougue.

Il y a cette troupe métissée où deux beaux acteurs de la Compagnie de l’Oiseau Mouche repérés dans « Gilles », nous offrent un moment théâtral sublime, une mise en abyme empruntée à l’imaginaire de Pippo Delbono.

Il y a Abigail Green qui, dans le rôle d’Ophélie, illumine la scène sombre par des éclats de voix à la Bjork.

Il y a Pascal Collin, magistral Polonius, conseiller du royaume. Chacun reconnaîtra en lui les « conseillers du Prince » actuels, pétris de cynisme et de certitudes.

Cet “Hamlet-là” a donc de la tenue et intégre  certains processus des oeuvres précédentes de David Bobée. Il a l’insolence de «nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue», un certain regard porté sur la folie du couple de «Canibales», les tensions érotiques entre les hommes de «Warm». Tout est bien pesé pour éviter les foudres des garants de l’orthodoxie (si, si, ils existent), et effrayer par un propos politique trop subversif. La mise en scène est suffisamment poétique pour que chacun y puise du sensible. Oui, cet Hamlet-là est de son temps dans les formes convoquées.

On aurait cependant aimé plus d’audaces dans la conduite des acteurs comme si David Bobée appuyait plus sur l’effet du jeu que sur le jeu lui-même. On aurait apprécié qu’il évoque les ressorts de la folie d’un système plutôt que d’accentuer sur  la déraison des individus. Si bien qu’il est parfois difficile d’approcher la vision contemporaine d’Hamlet par David Bobée et Pascal Collin. Les rires sarcastiques du fossoyeur et les morts qu’on empilent ne suffisent pas à faire un propos politique global même si l’on ne peut s’empêcher de penser à « lui » et « eux ».

Serions-nous parfois trop distraits là où l’on aurait aimé être interpellé ? N’y a-t-il pas un registre émotionnel trop appuyé qui nous évite de tisser des liens entre l’oeuvre et l’époque ? Pourquoi une telle intensité physique de la part des acteurs qui fait parfois obstacle à une lecture du « corps politique » ?

David Bobée est incontestablement une étoile montante qu’il me plait d’observer dans le ciel parfois obscur du théâtre Français. Prêtons-lui cette phrase d’Hamlet pour lui donner rendez-vous : «le théâtre sera l’instrument avec lequel je piegerais la conscience du roi»

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Hamlet” par le Groupe Rictus, Compagnie David Bobée, aux Subsistances à Lyon du 23 septembre au 2 octobre 2010.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre ?

A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre? A ce sentiment profond de l’évidence.

Dans “Political Mother” d’Hofesh Shechter, tout coule de source. Après une scène inaugurale de hara-kiri, ce jeune chorégraphe israélien balaye dans son spectacle les différentes étapes de l’aliénation produit par tout système totalitaire : l’abandon initial de certains, la lutte contre la contrainte généralisée de certains autres et la soumission finale. Son leitmotiv est une danse animale, le corps en dedans et tête en avant, la danse de pantins traversés de soubresauts, la danse de marionnettes électrisées.  Une danse qui évite soigneusement le port de tête dégagé et raide qui codifie habituellement la danse contemporaine.

Cela est bien normal car les personnages d’Hofesh Shechter sont victimes. Ils ne maîtrisent pas plus leurs gestes que la force motrice qui les anime. Ils s’agitent dans un monde gouverné par un dictateur hard core proche du général enragé mis en scène par Guy Cassier dans “ Mefisto for ever“. Pour Hofesh Shechter nous avançons dans une brume nimbée d’apocalypse, dans un univers de contrainte où nous ne sommes plus maîtres de rien : plus libres de nos mouvements, ni de nos singularités, ni même de nos envies.

Pour faire ce constat, l’outil d’Hofesh Shechter est simple : la même danse est reprise dans l’ouverture tribale  rythmée par le solo de batteries “End of de world”, dans une danse folklorique et dans la comédie musicale de clôture. Ou plutôt, dans la soumission ultime que représente ce dernier ballet car pour Hofesh Shechter le monde n’est finalement qu’un vaste théâtre kitsch au décor doucereux.

Ce final fait sourire et effraye dans le même temps : comme la jolie risette du bébé Cadum qui vue sous un certain angle n’est qu’un rictus glaçant.

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Si Hofesh Shechter porte la rage et l’énergie sourde de Wim Vandekeybus  qui l’a formé, il a ôté toute sophistication au geste dansé pour créer une danse mue par un mouvement qu’on ne choisit pas. Avec un propos proche de celui du photographe Martin Parr ou de Jérôme Bel dans “The Show must go on”,  Hofesh Shechter nous montre que dans un univers affreusement brutal, conçu pour conditionner les êtres afin de leur ôter toute humanité, le système établi en a recréé un autre de toutes pièces : celui de  la Walt Disney Compagny et de la danse folklorique figée de “Riverdance”.

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C’est d’ailleurs une évidence pour Hofesh Schecter  alors qu’un néon apparaît en fond de scène: « Where there is pressure there is folkdance ».  Hannah Arendt ne dit pas autre chose dans “la crise de la culture” : « La société de masse, ne veut pas la culture, mais les loisirs ».

Galvanisé et éreinté à la fois, on sort donc de “Political Mother” avec la certitude d’avoir vu un chef d’oeuvre. A quoi le sait-on ? A ce même sentiment d’évidence qui celui qui nous traverse quand on tombe amoureux. On se re-connaît.

Et avec “Potical Mother” ça fait froid dans le dos.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

Political Mother d’Hofesh Shechter a été présenté à Paris au Théâtre de la Ville du 21 au 25 septembre 2010, pour les autres dates : http://www.politicalmother.co.uk/

 

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LES EXPOSITIONS

À Toulouse, Grand Magasin refait la devanture du Printemps.

En recentrant sa programmation autour de la performance, le Printemps de septembre (festival de création contemporaine), a pris le risque d’accumuler des démonstrations et des tentatives, positionnant le spectateur comme observateur-évaluateur pour finalement l’ennuyer. À l’image de cette exposition au Château d’Eau sur l’histoire de la performance où, faute d’une approche interactive (et donc performative), on se lasse de lire des panneaux didactiques supportés par une curieuse ossature en bois malodorante…
Première performance avec « Kimindi Gotiga » par le Kit collectif. C’est une tentative désespérée d’articuler la magie, avec une esthétique et un travail d’acteurs. Trois femmes, un magicien (étrange Romain Lalire), des décors qui se déplacent, un public qui applaudit à chaque numéro (par réflexe comme dans une émission de télévision) pour finalement s’abstenir lors du salut final. Ce spectacle est une illusion dans lequel un magicien ne peut faire disparaître cette étrange impression d’amateurisme. Où est donc la performance?
Une heure plus tard, c’est au tour de Virginie Le Touze de s’engluer avec « Who’s afraid of the boy from Ipanema? ». Derrière une vitrine, nous l’écoutons chanter des chansons d’amour en différentes langues, dont le français. Quel est le projet artistique? Pourquoi ne correspond-il pas à ce qui était annoncé? Où est donc la performance?

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Trois heures après, au Théâtre National de Toulouse, un attachant duo (Pascale Murtin et François Hiffler) crée la surprise. Avec « les rois du suspense », Grand Magasin nous offre la performance tant attendue. Ici le théâtre n’est qu’illusion où les acteurs jouent sans jouer tout en nous promettant que l’un se mettra nu tandis que l’autre fera des claquettes. Imaginez alors un dialogue dicté par une mystérieuse mécanique, où les acteurs disent ce qu’ils font pour ne pas faire ce qu’ils disent tout en reconnaissant qu’ils devraient le faire puisqu’ils sont sensés s’exhiber (vous suivez?!). Ils dialoguent tout en manipulant des objets (torchons, cruches, chaussures de basket, poutrelles, carton, écran projecteur, armoire, …) qui, à partir d’injonctions paradoxales, perdent leur fonction pour faire liant entre le réel et le fantasmé, à l’image de l’huile avec l’oeuf! À moins que ce matériel ne soit leur grammaire commune, leur ponctuation, leur vision artistique. Allez savoir! Tout semble si ouvert en ce royaume de l’imaginaire! L’ensemble est jubilatoire: comment ne pas y voir la métaphore de l’abrutissante rationalité tout en y décelant la créativité dont nous sommes tous capables dans un cadre contraignant. En jouant sur le jeu d’acteurs (un jeu sur le jeu en quelque sorte),Grand Magasin s’amuse avec le spectateur: à partir d’une promesse non tenue, il s’agit de faire durer le suspense pour amplifier la frustration. Que venons-nous chercher au théâtre? Suffit-il de voir un gorille traverser la scène pour affirmer l’avoir vu ?!
Cette écriture stimule parce qu’avec Grand Magasin, les mots perdent leur sens, mais trouvent leur poésie dans les chemins de traverse que nous créons pour eux.
Pascal Bély – www.festivalier.net

Un deuxième article sur le Printemps de Septembre: À Toulouse, des traces de Printemps.

“Le Printemps de Septembre” du 24 septembre au 17 octobre 2010.

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LES EXPOSITIONS

À Toulouse, des traces de Printemps.

C’est mon quatrième Printemps de Septembre. Le plus ennuyeux, le plus triste, sans bruit dans la ville. Même pas une tempête. Encore moins un florilège de bourgeons. Juste quelques feuilles que l’on ramasse à la pelle. Et pourtant, tout avait si bien commencé avec les photographies de Carole Douillard à l’Espace Ecureuil. Allongée dans la rue, son corps endormi réveille nos sens. Le contraste entre ses beaux vêtements de soirée et l’espace public, nous positionne dans un entre deux: à la fois désir de caresser ses cheveux, de l’embrasser et lui porter secours. Est-ce là notre fragile humanité? Magnifiques clichés qui se relient difficilement au slogan du festival (« Une forme pour toute action ») qui, le temps d’un week-end, offre quelques surprises noyées dans un fourre-tout.

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A l’image de ces propositions où l’on (dé)pose ici un décor de théâtre (« Xanadoudou » de la Compagnie du Zerep), là une performance en vidéo dans son espace d’origine (« jouer avec les choses mortes » de Boris Achour). Mais les acteurs, les danseurs ou le public participant sont absents. Et quand la danse est là, elle déploie sa nostalgie. Fabian Barba propose différents solos de la chorégraphe Mary Wigman, l’une des pionnières de la danse contemporaine dans les années trente. C’est très joli, mais qu’attendre du spectateur, sinon qu’il apprenne sagement sa leçon d’histoire entre deux salves d’applaudissements? Les commissaires du festival (Eric Mangion, Isabelle Gaudefroy) imaginent-ils qu’une trace historique puisse à elle seule faire sens?

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Ce grand vide est accentué par l’installation de Marie Reinert dans le hall du Musée des Abattoirs. Elle y a déposé 77 caisses de transport utilisées pour l’édition du Printemps de Septembre. Des hauts parleurs témoignent de l’activité du déballage. Mais pour déballer quoi? Du bruit. Même ressenti au Musée des Jacobins où est installé un « parc municipal » assez bruyant. Autour d’une structure mobile en bois (tel un manège au coeur d’une foire d’art contemporain?), nous sommes invités à nous propulser dans la vision de l’espace urbain de dix-huit artistes. D’où vient cette étrange impression que le tout est un peu daté? Comme si les messages politiques sous-tendus par ces vidéos étaient déjà dans la sphère publique. Ici l’art témoigne mollement parce que parqué.

Loin de l’agitation, je suis parti à la recherche d’une « trace » activée qui transporte! À l’image de ce joli film (« Child’s Play »)  projeté à l’école des Beaux-Arts où l’on voit Guillaume Désanges animer une classe d’enfants roumains s’exercer à reproduire les performances d’artistes qui ont jalonné le 20ème siècle. L’histoire se prolonge et trouve tout son sens d’autant plus que ces performances ont été probablement interdites jusqu’à la chute de Ceausescu (1989).

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Traces aussi avec Roman OndakMeasuring the Universe») où l’on écrit au stylo noir sur un mur blanc, notre taille et notre prénom. Telle une vague, on est submergé par la beauté de ces traces rupestres et les valeurs qu’elles véhiculent: diversité et mémoire collective (qui n’a pas été mesuré ainsi par ses parents?!).

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De la trace aux restes humains, il n’y a qu’un pas franchi avec talent par Santiago Reyes. Pendant quelques jours, juste avant le coucher du soleil, il a balayé minutieusement quelques passerelles au dessus de la rocade de Toulouse. Il en a récolté des matériaux pour en faire une installation toute à fait remarquable. Des écrans vidéos projettent Santiago Reyes à différents endroits tandis qu’au sol, des matières (feuilles, bouteilles, mouchoirs usagés,…) témoignent de notre époque: on jette ce que l’on ingurgite pour apaiser les tensions crées par une société du toujours plus; le vent transporte le végétal qui se fragmente contre les ponts d’où poussent des herbes folles…Et l’artiste, tel un agent de développement durable, de récolter pour restituer.

Autre processus de transformation avec l’artiste iranien Abbas Akhavan à la galerie Voltex. Avec ses doigts, il décolle de petites feuilles d’or qu’il colle sur un grand mur blanc. De sa bouche, sort des mots qui se dévoilent peu à peu. Moment fragile où l’art expulse la poésie du corps. Troublant.

Le printemps est là.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Le printemps de Septembre” à Toulouse du 24 septembre au 17 octobre 2010.

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ETRE SPECTATEUR LES FORMATIONS DU TADORNE

Indisciplinons-nous!

Depuis 1994, je suis « profession libérale ». Au coeur de ce statut, j’ai rapproché mon métier (je suis consultant et formateur auprès des institutions publiques et privées) et mon environnement (personnel, social, sociétal et terrien). Loin de cloisonner vie privée et professionnelle, j’ai au contraire amplifié les liens pour nourrir mes identités et donner du sens à mes actions de conseil et formation.

Changer mon rapport à la culture s’est naturellement imposé lorsque j’ai orienté mes interventions pour accompagner les collectifs à questionner les valeurs, délaissant les recettes managériales centrées sur la recherche de « la » solution. En 2005, en créant le blog «Le Tadorne»  pour écrire autour des formes contemporaines de l’art, j’ai puisé les ressorts créatifs pour dépasser ma posture de “spectateur consommateur” . Ceci m’a permis d’ouvrir mes pratiques de consultant en posant la transversalité comme vecteur de sens et de communication.

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En faisant le pari d’exposer ma subjectivité sur les oeuvres de danse, de théâtre et d’art contemporain, je savais qu’elle s’articulerait tôt ou tard avec mon métier.  Après une période où j’ai volontairement  très peu communiqué sur lui pour laisser le temps au Tadorne d’être légitimé, des ramifications apparaissent peu à peu. Aujourd’hui Tadorne et mon cabinet Trigone se relient à partir de deux axes qui s’inscrivent pleinement dans les principes de l’Agenda 21 de la Culture tels qu’ils ont été définis en 2004 à Barcelone par le premier Forum Universel des Cultures . Ils répondent aux souhaits des spectateurs qui sont pour certains d’entre eux des professionnels du lien social :

« L’appropriation de l’information et sa transformation en savoir par les citoyens est un acte culturel. Par conséquent, l’accès sans distinction aux moyens technologiques, d’expression et de communication, ainsi que l’élaboration de réseaux horizontaux, renforce et alimente la dynamique des cultures locales et enrichit le patrimoine collectif d’une société fondée sur le savoir. »

 Développer une communication créative autour du spectacle vivant.

La culture n’est pas un produit. Elle crée du processus. Or, la communication des institutions culturelles, orientée vers des transactions de masse, est majoritairement axée sur du contenu, du visuel, du résultat alors que les formes pluridisciplinaires, les propositions théâtrales interactives modifient en profondeur la relation entre le public et la scène. Il convient d’amplifier la communication créative pour rendre visible et lisible ce qui n’entre pas dans les codes classiques de l’information et qui pourtant légitime dans la durée tout projet de développement culturel. Dit autrement, il faut  substituer à la liste descendante du générique d’un film, la vision dynamique de sa production.

La programmation des institutions culturelles peut se lire comme un roman, un poème, une épopée. Elle provoque chez chacun de nous des réactions engagées. Elle suscite des choix, nous positionne comme spectateur actif. Nous programmons aussi! Mais comment dynamiser ce processus au-delà des présentations de saison et des rencontres après spectacle avec les équipes artistiques? N’est-il pas temps de créer des espaces de communication créative entre spectateurs, artistes et professionnels (aller au-delà des logiques binaires) à partir d’un cadre contenant et souple?

Pourquoi ne pas imaginer à l’instar des artistes associés, un groupe de spectateurs associés chargé de restituer une vision dynamique d’une programmation à partir d’un imaginaire partagé ? Comment développer un langage de spectateurs (par le corps ?) pour ne plus entendre « je n’ai pas les codes pour en parler » à la fin de tant de représentations ? Tadorne peut alors créer l’espace pour faciliter l’expression tandis que Trigone accompagne l’équipe de professionnels de la structure à s’approprier la démarche dans le cadre d’un projet global de développement des publics.

N’est-il pas temps d’écouter le public sur la place qu’occupe l’art chorégraphique dans notre société (le moins médiatisé et probablement le plus fragilisé par le contexte de crise) ?  Des «Etats Généreux de la danse” peuvent s’organiser où spectateurs, professionnels, artistes échangent leurs souvenirs, leurs représentations, leurs pratiques, leurs projets autour d’un art qui relie, quoiqu’on en dise. Tadorne créé le concept avec chaque institution et supervise l’animation tandis que Trigone accompagne le comité d’organisation pour impulser la dynamique de réseau, socle du projet.

Ces deux actions amplifieront des processus qui permettront aux institutions culturelles de communiquer en horizontalité à partir notamment des outils numériques (blogs et réseaux sociaux). Tadorne peut apporter son expérience de blogueur tandis que Trigone forme une équipe pluridisciplinaire à s’approprier les processus d’un internet chaleureux.

Saisons, festivals et écoles: pour de nouveaux espaces de formation continue.

Alors que la société de la connaissance requiert d’articuler créativité, savoirs et expertises, il nous faut inclure les institutions culturelles dans des réseaux plus larges comme le recommande  l’Agenda 21 de la culture :

– Amplifier les relations entre les équipements culturels et les organismes travaillant dans le domaine de la connaissance.

– Favoriser la mise en place d’instances de coordination entre les politiques culturelles et les politiques éducatives.

–  Encourager le développement de la créativité et de la sensibilité ainsi que le lien entre la vie culturelle du territoire et le système éducatif.

Il est également précisé que « le travail est un des principaux espaces de la créativité humaine. Sa dimension culturelle doit être reconnue et développée. L’organisation du travail et l’implication des entreprises dans la ville ou sur le territoire doivent respecter cette dimension, comme un des éléments fondamentaux de la dignité humaine et du développement durable ».

Ces principes généraux peuvent inspirer des politiques de formations innovantes. Ils sont au coeur du croisement entre un Tadorne et un Trigone !

– De nombreux professionnels sont aujourd’hui propulsés dans des ensembles «englobant» (pôle, réseau, intercommunalité,…), dont ils finissent par perdre la finalité. Les organisations créent de l’hyperstructure, sans travail d’amplification du sens. Or, définir le projet global de ces ensembles revient à développer la  vision globale des professionnels. Ils puiseront dans leurs liens à l’art et la culture un sens unificateur, capable de rapprocher les «cases». Dès lors, une formation «Créativité et développement de projets transversaux» peut s’articuler aux programmations des théâtres et des festivals et relie les lieux de cultures aux domaines de la connaissance.

– Mon expérience de consultant et de spectateur me conduit à formuler l’hypothèse que les professionnels en lien direct avec le tissu social (travailleurs sociaux, éducateurs, médiateurs) sont tout aussi «intimidés» par l’art que les personnes qu’ils accompagnent, d’autant plus que le langage du social n’est pas celui des professionnels de la culture. J’ai expérimenté avec la ville d’Aubenas, un dispositif de formation-action (« le partage des médiateurs ») dont la finalité a été de créer un réseau d’acteurs capable de développer des projets permettant d’accompagner vers la culture des publics éloignés. L’intervention d’artistes dans le cursus et les sorties théâtrales les jours de formation ont introduit un travail sur le positionnement tout en ouvrant le regard sur l’articulation entre le travail social, l’éducatif et la culture. Auparavant «pourvoyeurs de publics», ce réseau est aujourd’hui partie prenante des projets culturels de la ville.

– Les écoles de musique et de danse sont des lieux d’apprentissage et de lien social. L’apparition sur la scène européenne de formes pluridisciplinaires devrait pouvoir se traduire par une sensibilisation aux formes hybrides. À partir de mon expérience avec les établissements de la ville de Martigues dans le cadre d’un rapprochement des deux écoles, Tadorne et Trigone proposent des séminaires destinés aux enseignants, aux enfants et aux parents autour d’un «projet pédagogique indisciplinaire» qui traverserait les cursus.

Au croisement du Tadorne et du Trigone, il y a des ponts pour traverser nos archipels de créativité.

Au plaisir de vous y croiser…

Pascal Bély

www.festivalier.net / www.trigone.pro

06 82 83 94 19 / pascal.bely@free.fr

 

 

 

 

 

 

 

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON DANSE CULTE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Une “salve” d’oeillets par Pina Bausch à la Biennale de la Danse de Lyon.

Elle a disparu le 30 juin 2009. Au Festival d’Avignon, il y a eu cet hommage, ce moment fragile autour d’un parterre d’?illets imaginé par Raimund Hoghe, son ancien dramaturge. Le 13 octobre 2010, sortira en salle, « les rêves dansants » d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, beau documentaire (voir vidéo) qui retrace l’aventure d’un groupe d’adolescents sélectionnés pour interpréter « Kontakthof », l’une de ses oeuvres mythiques.

Mais cela ne suffit pas à voir au-delà, à s’imaginer l’avenir de la danse contemporaine sans Pina Bausch. Et pourtant…Il y a eu les chocs de la programmation du Festival d’Avignon autour du corps l’été dernier. Deux mois plus tard, la Biennale de la Danse de Lyon poursuit l’Oeuvre. En programmant au cours d’un week-end «Nelken» de Pina Bausch, «Salves» de Maguy Marin (article du Tadorne  ici), «fondly do we Hope?Fervently do we pray» de Bill T.Jones, tout s’éclaire.

A commencer par l’extraordinaire vision de l’art chorégraphique portée par Maguy Marin. « Salves » aura probablement le même destin que « May B », l’une de ses oeuvres majeures, créée en 1981. Là où Pina Bausch théâtralisait la danse, Maguy Marin chorégraphie le théâtre. C’est une victoire du corps et un tournant : la danse n’a peut-être plus besoin de questionner en permanence son esthétique. Elle se doit d’habiter un propos et d’y intégrer son histoire. Mais surtout, la « danse théâtre » repose sur la sensibilité du spectateur, qu’elle provoque, électrise, pour «décontaminer» notre regard. Dit autrement, Maguy Marin repolitise à partir d’un art qu’elle « traumatise » pour sortir enfin de la « pensée molle ».

Rien de tel avec Bill T.Jones. En répondant à une commande pour célébrer le 200ème anniversaire de la naissance d’Abraham Lincoln, la danse n’est ici que prétexte pour embaumer l’histoire. On cérémonise là où l’on aurait apprécié un propos engagé.  Bill T.Jones propose une danse officielle (qui n’a rien à envier à l’art nord-coréen), sans dynamique, alourdie par une mise en scène conventionnelle (ah, le rideau que l’on ouvre et que l’on ferme !). A ce jour, il n’y pas de doute, la danse «contemporaine» est belle et bien en Europe.

C’est un parterre d’oeillets qui accueille.

« Nelken » de Pina Bausch et ses vingt et un danseurs accueillent le spectateur et son désir de danse. Ce soir, à l’Opéra de Lyon, tous les rêves de danse sont permis, même avec le petit doigt.
C’est un parterre d’oeillets, entretenu par Pina Pausch, depuis longtemps “piétiné” (dans le bon  sens chorégraphique du terme!) par tant d’artistes inspirés par son oeuvre! Tout au long de ces deux heures prodigieuses, je n’ai cessé d’imaginer en chacun des danseurs, un chorégraphe. A savoir, tous ceux qui m’accompagnent dans mon parcours de spectateur à m’éloigner de l’illusion du mouvement bavard  pour me recentrer sur le sens.
C’est un parterre d’oeillets, celui de notre scène chorégraphique, délicatement protégée par Dominique Mercy (il dirige aujourd’hui le TanzTheater Wuppertal Pina Bausch; voir la vidéo). Il est ce soir, notre frère de danse.
C’est un parterre d’oeillets, pour que chaque spectateur puisse faire sa révolution, sa réévolution et s’interposer dès que le désir est maltraité par le Pouvoir.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y perdre, pour substituer à notre animalité, une robe de soirée, parce que de dessous, on y voit l’origine du monde.
pina.jpg

C’est un parterre d’oeillets, où tous les corps vieux et jeunes forment le jardin des délices, mais aussi le camp de ceux qui n’en sont pas revenu.

C’est un parterre d’oeillets piétiné par notre toute-puissance de spectateur avide de spectaculaire et dont il ne faut pas grand-chose, des petits gestes avec la main, pour apaiser ses pulsions mortifères.
C’est un parterre d’oeillets assiégé par la barbarie, où l’on se jette seul d’une passerelle tandis que le collectif  poursuit sa danse, coûte que coûte. Parce que, le corps dansant…finalement.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y allonger, puiser la force de se relever pour être « femme debout !», « homme debout ! »…
C’est un parterre d’oeillets pour y créer l’assemblée constituante. Celle des spectateurs dansants, rêvant d’une société fraternelle, protégée par les artistes vigiles.
C’est un parterre d’oeillets pour que la danse célébre le fragile et donne la force d’accueillir les «salves» de Maguy, tous les corps tordus de folie, d’amour de Raimund et Pippo…

C’est un parterre d’oeillets où se cache la poésie de mes chorégraphes « chéris »…

Pascal Bély – Le Tadorne

"Nelken" de Pina Bausch du 15 au 20 septembre 2010 / "Salves de Maguy Marin du 13 au 19 septembre 2010/ « fondly do we Hope?Fervently do we pray » de Bill T.Jones du 18 au 22 septembre 2010 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.
Crédit photo: Ursula Kaufmann
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LES JOURNALISTES!

Cinq blogs démasqués et plumés.

A l’occasion d'un débat organisé par le Festival Off d’Avignon (“Quels espaces de parole pour le spectacle vivant?“) auquel participait Pascal Bély du Tadorne, quelques bloggeurs s’essaient à expliquer leur démarche, et esquisser le portrait d’un autre blog… comme pour esquisser une cartographie des blogs consacrés au spectacle vivant. Nous vous proposons un jeu de pistes entre quatre blogs : Images de Danse (de Jérôme Delatour), Un soir ou un autre (de Guy Degeorges), Le Blog de l'Athénée (de Clémence Hérout) et Marsupilamima (de Martine Silber.)

A vous de trouver le fil?d'Ariane ?

 

Pollaiuolo.jpgJérôme Delatour : Ma chère Clémence, me voilà déshabillé pour l’été… Pourquoi que de la danse, il y a tellement de raisons que je n’en finirais pas : parce que la danse est l’art du corps, et que le corps est ce que nous avons de plus immédiat, de plus beau et de plus politique ; ou parce que mon blog s’appelle  Images de danse, et que si je me mets à y parler de théâtre, de cuisine et d’arts plastiques, il faut que je lui trouve un autre nom. Mais le mieux est de passer par une petite anecdote, un de ces moments vécus qu’on érige, à quarante ans, en tournant de sa mythologie personnelle.

Quand j’étais petit, j’assistais chaque été au son et lumière de Château-Chalon, un des plus anciens de France, à ce qu’on dit. C’était une sorte de théâtre amateur, populaire et de plein air où l’avenir de la patrie se jouait dans ce trou sublime de Franche-Comté, de l’homme des cavernes à De Gaulle. Mais, outre le froid qui saisissait le public quand la nuit était tombée, j’en ai surtout retenu la forte présence des chevaux qui allaient et venaient sur la place du village changée en scène, leurs corps massifs et chauds dont s’échappait force crottin. J’ai retrouvé cette impression il y a quelques années au Théâtre de la Ville quand Jan Fabre proposa sa vision du Lac des Cygnes. Les chevaux étaient cette fois des ballerines dont la troupe nombreuse, étrangement lourde, faisait trembler les planches. Je crois que ce sont ces chevaux que je recherche inlassablement. Quant au Texte, j’en veux bien s’il est corps lui-même, je veux dire s’il est poétique, qu’il sort comme une incantation, une parole magique qui en impose au c?ur, fait advenir des choses. Je ne sais pas si le théâtre de ce texte existe, probablement. Je compte sur vous pour m’initier.

Le hasard veut que le dernier à parler ici ait été le premier à se lancer dans l’aventure des blogs… car le blog de Pascal Bély, dont je dois parler maintenant, a été créé deux mois après le mien, en juillet 2005. Les blogs, c’était presque encore nouveau à l’époque, rendez-vous compte ! Pascal et moi sommes partis sur des bases quasi opposées. Mon blog est la voix d’un lonesome cowboy qui ne cherche qu’à travailler son expérience singulière, et la partage avec qui veut bien ; le blog de Pascal (appelons-le Pascal) se veut entièrement ouvert, engagé, militant, communicatif, et ne néglige d’ailleurs aucun art art vivant, s’aventurant même, à l’occasion, sur le terrain des arts plastiques. Tout a commencé pour lui avec un spectacle de Jérôme Bel, “The Show Must Go on“, qui lui apporta l’intuition que le spectateur n’était pas là pour se taire et consommer, comme il était forcé de le croire auparavant. Que le spectateur n’était pas le bas d’une pyramide, mais le maillon d’une chaîne, et d’une chaîne qui n’entrave pas, mais relie ; la chaîne de la démocratie et de la vie ensemble.
Depuis lors Pascal est sur tous les fronts, ne rate aucun festival de France ni de Berlin ni de Bruxelles. Et s’il ne peut se déplacer lui-même, il diligente un de ses “tadorneaux”, généralement un admirateur de sa démarche et de son style qui s’engage sous sa bannière. Car notre homme a beau être de gauche, il n’en est pas moins impérialiste. Pascal défend ses idéaux jusqu’à devenir le plus parfait emmerdeur. Il refuse par exemple de se laisser inviter et tient à payer toutes ses places, car il se sent spectateur et entend le rester, pleinement. Dans ses papiers, écrits à la première personne, il s’avoue transi, transporté, le souffle coupé, trépignant, furieux, exclu, ne sachant que dire… ce sont comme des petites dramaturgies personnelles dont l’enjeu serait, invariablement, la rencontre de l’artiste et du public.
En même temps, il ne laisse rien passer : critiques de la presse traditionnelle, politiques culturelles publiques, il traque et décortique tout sans complaisance. C’est peut-être pour cela qu’il se dit blogueur hybride.
Chez Pascal, le blog est aussi le prolongement de son métier de consultant en ressources humaines dans le domaine social et de la petite enfance. L’un et l’autre semblent vivre en parfaite symbiose. Pascal parle souvent horizontalité, réseau, dynamique, rhizomes, Morin, reliance, hybridité, positionnement, excommunie les cases et les cloisonnements. Je ne comprends pas toujours tout, mais j’admire.

Mais la seule question que je trouve à lui poser, c’est quelle stratégie, si ce n’est pas un gros voit-il  pour que la parole des spectateurs non professionnels soit plus audible et respectée des professionnels…

tadorne-petit-bandeau.JPGPascal Bély : Merci Jérôme pour ce portrait si…horizontal et reliant!

Pour être audible, la parole des spectateurs doit-être entendable. Aujourd'hui, elle ne l'est pas parce que le cadre n'est pas suffisamment structurant. Nous nous sommes donné le blog pour nous faire entendre. La stratégie viserait à créer des espaces participatifs à l'image de nos blogs. Mais cela nécessitera un travail de co-construction entre artistes, institutions et spectateurs. Mais la première démarche serait  de leur demander : «Qu'avez-vous envie de dire ? Pour quoi le dire ? Et comment le dire ?

A mon tour maintenant de vous présenter Martine Silber.

martine.JPGMarsupilamima” est un blog au nom imprononçable, image d'une contrée lointaine, pays imaginaire peuplé de femmes et hommes de l'art. O
n a parfois plus vite fait de dire, « le blog de Martine Silber, ex-journaliste au Monde ». Et là, silence dans les rangs ! Total respect, car Martine jouit d'une excellente réputation dans le monde du spectacle vivant où elle entretient de solides amitiés. Elle se nomme « journaliste sans journal ” statut hybride, mais légitime sur internet où sa prise de parole perpétue l'esprit de ces anciens articles. C'est un blog sur l'amitié (rare y sont les critiques négatives) car Martine Silber porte sur les artistes de théâtre et les écrivains un regard profondément fraternel. Ses réflexions sur les liens complexes entre presse et blog, entre internautes et blogueurs nous rappellent la fragilité de ces espaces virtuels et de la profonde humilité dont nous devons faire preuve. Marsupilamima est la contrée de l'écriture libérée du poids des contraintes, qui s'amuse, virevolte et finit par vivifier le lien entre spectateurs, artistes et programmateurs. 

Martine, où en es-tu après trois années d'écriture sur Marsupilamima? Si tu imagines un pont avec «  Un soir ou un autre », quelle porte ouvrirais-tu ?

 

La suite, ici