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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS OEUVRES MAJEURES

Le théâtre qui rend aveugle.

«Pourquoi le Festival d’Automne à Paris?» me demande un ami.  «Parce que j’y vois des oeuvres rares que l’on ne verra pas de sitôt en région PACA». Je conçois ce voyage comme une immersion totale pour aller à la rencontre d’un théâtre charnel d’où l’on sort plus sensible, à l’image de «Shun-Kin» par Simon McBurney présenté au Théâtre de la Ville.

Cette mise en scène procure un bonheur jubilatoire total. Que s’est-il donc passé pour qu’il mobilise à ce point tout le corps et les sens jusqu’à me faire pencher vers le plateau ? «Shun-Kin» est un roman de Junichirô Tanizaki, très populaire au Japon, publié en 1933. C’est la relation passionnelle, sadomasochiste entre une joueuse de shamisen (luth à long manche) devenue aveugle à 9 ans et son domestique Sasuke, son aîné de cinq ans. Enfant, elle s’incarne dans une marionnette avant de se métamorphoser  et qu’une actrice parée d’un masque blanc, toujours guidée par des articulateurs, joue sa vie d’adulte. L’humain est donc fragile. Cette mise en scène trouve son apogée dans un moment d’anthologie, à jamais gravée: au coeur d’un acte d’amour, la marionnette se fragmente sous la pression de la passion de Sasuke. L’extase désarticule les corps manipulés. La salle du Théâtre de la Ville retient son souffle. Elle est immense alors que le plateau délimité par McBurney est si petit: dotés d’un microscope, nous admirons l’infiniment complexe. Tels des chercheurs curieux et créatifs, nous découvrons un univers théâtral teinté de poésie à chaque tableau (que d’oiseaux de papiers pour caresser l’ouïe!) comme si nous étions nous aussi atteints de cécité. Aveuglé par la beauté de la mise en scène, je n’en crois pas mes yeux!

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Serions-nous aussi Sasuke, amoureux éperdu de ce théâtre-là? Existerait-il un lien sadomasochiste entre le spectateur et l’artiste? La musique, omniprésente, nous surprend à chaque instant et me revoilà adolescent, sensible comme le jeune Sasuke! Tout nous semble si proche comme si la phrase prononcée en ouverture pour nous accueillir par l’acteur fétiche de Peter Brook, Yoshi Oidaplus je vieillis, plus mon passé me rapproche»), nous concernait aussi. Ce théâtre-là est un mouvement permanent entre passé, présent et avenir à l’image de ce décor qui fait danser les tapis au sol et voler des cadres en bois pour imager des portes et fenêtres.
Notre enfance est nichée dans cette relation si particulière du maître à l’élève qui façonne tant nos relations hiérarchiques. Serions-nous Sasuke qui, courageux et n’ayant plus rien à perdre, se sacrifie par amour? Simon McBurney nous relie à cette histoire par le biais d’une lectrice, employée par la NHK qui, en coin de scène, lit la nouvelle. Son bureau avance et recule pour ponctuer les actes et nous guider vers son histoire d’amour, bien contemporaine, qui trouve probablement un écho chez ceux qui n’en peuvent plus de ne pouvoir aimer malgré nos outils de communication. C’est l’enchevêtrement de toutes ces histoires qui donne un sens à ce théâtre de vies.
Et je finis par prendre conscience comment la société du spectacle nous empêche de fermer les yeux: tout est donné à voir, à penser, à ressentir, à aimer. J’envie cette relation sadomasochiste où le corps amoureux prend le pouvoir sur la douleur du monde, sur la lente déflagration de nos sociétés individualistes.
Simon McBurney est un grand metteur en scène; c’est un bâtisseur de ponts. On y danse, on y pense,  pour finir par se jeter dans le vide.
Par amour du théâtre.
Pascal Bély – www.festivalier.net
“Shun -Kin” par Simon Mc Burney au Festival d’Automne de Paris du 18 au 23 novembre 2010.
Crédit photo: Tristram Kenton.
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EN COURS DE REFORMATAGE

« Je n’entends pas, ne comprends pas, c’est très intéressant »

La machine est partout. “Tapez 1,puis 2 et * pour revenir au menu précédent“. Les automates d’accueil peuplent nos imaginaires, provoquent le cauchemar à l’image des chaînes automobiles d’antan. C’est aussi cela le progrès: changer la forme mais toucher le fond. La vison de la relation humaine s’industrialise même au théâtre où certains artistes convoquent une machinerie sur le plateau censée transcender le propos. A quelques jours d’intervalle, quatre compagnies m’offrent une étrange traversée…

Hélène Cathala est chorégraphe. Pour le festival Dansem à Marseille, elle nous offre un solo sur l’adolescence («la jeune fille que la rivière n’a pas gardée») La vidéo, des capteurs à infrarouges et des rampes de néons, constituent l’environnement technologique. L’adolescence a ses outils. Soit. La danseuse Nina Santès s’empare du plateau pour oser une danse. Elle «appuie» comme sur des touches, là où c’est censé faire mal, faire désir, faire désordre. On observe de loin son enfermement au coeur de cette «installation» qui produit sa mécanique. L’interaction entre le corps et la machine provoque le chaos psychologique. Mais il y a comme un grain de sable: un outil ne crée pas du processus, encore moins du mouvement. La vision de l’artiste sur cette interaction aurait pu nous intéresser. Or, elle semble jouer à la machine et fond son propos dans son fonctionnement binaire.

Toujours au Festival Dansem, Maria Munoz et Pep Ramis de la Compagnie Mal Pelo proposent «He visto Caballos». Ici aussi, la machinerie est partout: vidéo grand écran, rouleaux de papier qui montent et qui descendent, décor amovible. Toute l’ histoire évoque deux amants séparés qui correspondent par lettre interposée. On danse peu, on parle beaucoup, on se perd dans la vidéo(la fonction technique est même jouée par deux acteurs). Tout s’impose à défaut de poser un propos qui pourrait émouvoir. On «installe», on déroule, on projette, on surtitre. L’anecdotique prend le pouvoir. A aucun moment, le corps transpire, incarne une dramaturgie. Tout est à distance. L’artiste pose une esthétique et le corps n’est que surface où l’on cherche vainement la poésie. Au mieux le spectateur contemple, au pire il s’impatiente d’être si loin.

La lecture spectacle de Geoffrey Coppini, «Ravissements» (d’après un texte de Ryad Girod), aurait pu prendre le même chemin que le spectacle précédent. Deux acteurs magnifiques (Marianne Houspie et Eric Houzelot) campent l’histoire d’un homme qui perd peu à peu ses facultés de communication et devient étranger à lui-même. La lecture nous invite à entrer dans ce monde étrange où tout se dérègle. Le jeu de lumières et la porte du studio nous font entrer dans la folie douce et sortir vers la folie créative. Point de technologie (cela aurait été si tentant de faire appel à la vidéo) mais une mise en scène qui articule lecture et jeu d’acteurs, perte des mots, inclusion poétique et exclusion sociale.

Avec le collectif « Grand Magasin » proposé par la Scène Nationale de Cavaillon, l’interaction entre la machine, l’art et le spectateur est un jeu d’enfant! Quatre acteurs installent sur le plateau une machinerie dont la fonction principale est de faire obstacle à la communication. Ici, on dessine un plan qui ne guide pas. Là, on marche sur un tapis qui absorbe les sons. Plus loin, on parle dans des micros qui savent à l’avance ce que vous allez dire. Il y a même une machine à douter. Chacun doit faire face au bruit de marteau piqueur envoyé par le technicien à qui ont avait pourtant assuré qu’il pourrait perturber à loisir la représentation! Et je n’évoque même pas le temps qu’ils prennent pour parler de ce qu’ils font à défaut de donner une vision!
En communiquant sur la communication, ils produisent du sens à chaque tableau. Je ris beaucoup, fini par m’amuser avec eux. Ils sont comme quatre adolescents qui, par leur créativité, perturbent le système bien huilé et inopérant de nos machines à communiquer à partir desquelles des artistes et des créatifs nous imposent des esthétiques vides de sens. Et si la critique d’une certaine  “machinerie théâtrale” était là? Par un heureux hasard, ces quatre acteurs rejouent le film de ma semaine de spectateur.
Avec « les déplacements du problème », Grand Magasin nous (re)donne notre liberté de penser le lien entre la communication et la machine, entre le contenu (ce que je dis) et la relation (comment je le dis), entre l’outil et le processus.
Comme une remise à plat des fondamentaux.
Pascal Bély, www.festivalier.net
 
« la jeune fille que la rivière n’a pas gardée » d’Hélène Cathala au Festival Dansem à Marseille le 13 novembre 2010.
« He visto Caballos »de Maria Munoz et Pep Ramis au Festival Dansem à Marseille le 16 novembre 2010
« Les déplacements du problème » par Grand Magasin en tournée sur le territoire de la Scène Nationale de Cavaillon; vu à Mérindol le 18 novem
bre 2010.
« Ravissements » par Geoffrey Coppini au festival « Les Rencontres à l’Echelle » à Marseille le 19 novembre 2010.
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Angelica Liddell, la rage en offrande d’amour.

Elle est là ce soir, après le festival d’Avignon. Je ne l’attendais pas aussi vite. Elle est là et une fois de plus elle est magnifique. Une fois encore elle «s’offre» pour parler la souffrance de l’une et de tous, ce soir encore elle me traverse le coeur et l’âme entre violence et douceur. «Te haré invencible con mi derrota» (“Je te rendrai invincible par ma défaite“), comme une cérémonie intime, dédiée à la violoncelliste Jacqueline Du Pré (décédée d’une sclérose en plaques en 1987), claque haut l’étendard de son être talent.
Seule sur scène, de blanc et de sang, elle nous invite au profond de la douleur pour interroger la vie, le conflit entre matière et esprit. Elle s’offre «Christique» pour nous faire toucher la sève de nos errances ignorances. De son «bric-à-brac» scénique, elle tire des images de poésie tragique belles comme des cantates abandonnées ; de son corps elle donne l’intérieur pour nous faire entendre l’oiseau qui se meurt sur la grève. Elle ose ce qu’on ne montre pas et ce qu’on ne dit pas pour nous faire voir le bruit violent de nos quotidiens englués dans les griffes de dictats meurtriers. Elle convoque les «hommes» pour leur nommer la fatuité et la bêtise que «d’oublier» ses fragiles. Elle crie la vie comme une guerre infâme dont nos yeux se repaissent, elle crie du plus loin de nos manques et de nos questions, elle s’incendie d’un «pourquoi ?» existentiel, elle libère les tortures de nos intimités les plus enfouies.

 

Dans ce dialogue entre vie et mort, ce n’est plus de citron qu’elle lave ses blessures, c’est le whisky qui cautérise l’extérieur comme l’intérieur. Les pétales de fleurs se font plaies, le sang coule pour irriguer les tissus, il laisse trace pour nous confronter au plus forts de nos interdits… Le pain est rompu après un jeu comme de « mort-pions » et le message qui s’y cache semble n’être qu’une farce de plus. Le feu dévore une main de cire, comme la maladie brûle celui qui souffre de se voir partir goutte à goutte. Elle se fait proue d’une armada de violoncelles pour haranguer la mort. Elle s’harnache de noir et « s’encapuche » pour dénoncer nos terrorismes guerriers via un tir de paintball comme « homme » en joue, en bande, dans les bois, pour se sentir vivant à travers des meurtres pour de faux.  Elle éjacule en couleur, fuck you ! fuck la mort ! Elle illustre nos démissions/soumissions et nos fatigues à coup de pop corn, avalé sous une couverture de survie,….

Elle, elle s’appelle Angelica Liddell, elle à la fureur de se donner pour nous faire entendre la triste comédie de notre tragédie humaine et dénoncer l’implacable violence de nos vies. Elle ne triche pas, elle fait de son corps un langage, son théâtre n’est pas d’artifices.
Pour finir, en s’éclipsant sans retour, elle nous murmure la mesure du don qu’elle vient de nous faire. Elle nous laisse alors seuls, pour traiter comme il se doit, les ombres lumières où elle nous à permis d’aller; elle nous a autorisés à voir ce qu’il en est pour elle de vivre, n’en exigeons pas plus. Retirons-nous, avec élégance, laissons-la maintenant aller en silence et laissons nous vivre nos émotions à l’endroit où nous pourrons le faire.
Alors…, je pense à Toi…, qui ne me m’entendras pas/plus?, je pense aussi à Baudelaire, à Rimbaud,  à Sarah Kane…
Et à l’heure de ces mots qui ne disent que peu…Je pense à vous Angelica…
Bernard Gaurier-www.festivalier.net
 
« Te haré invencible con mi derrota » de Angelica Liddell au Festival “Mettre en scène” du 4 au 6 novembre à Rennes
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KLAP, MARSEILLE

La danse pose question.

Dans le contexte actuel, «Questions de Danse» est en soi un petit miracle. Imaginez neuf propositions chorégraphiques en cours d’élaboration où l’après spectacle avec le public, animé avec panache par Michel Kelemenis, s’inscrit dans le processus de création. Pour impulser cette démarche, il s’engage à faire venir les chorégraphes à Marseille invités en “préambule” du festival DANSEM, manière élégante d’échauffer le spectateur, les artistes et les programmateurs. Chacun est «parrainé» par une structure (Maison de la Danse de Lyon, CND Pantin, Théâtre Sévelin de Lausanne, El Teatro de Tunis, CDC Uzès Danse, 3 bis F d’Aix en Provence, Le Cuvier de Feydeau, Danse à Lille). Ainsi, la mise en réseau des institutions facilite la communication avec le public! Pour cette 5ème édition, neuf propositions nous sont présentées dont six vues par votre serviteur.

Cette année, « Question de Danse » dessine un paysage chorégraphique fait de plaines et de montagnes, d’où se dégagent des climats contrastés. Le spectateur se promène parfois, s’arrête ou passe son chemin. Ici, il ne s’agit pas d’évaluer l’oeuvre, mais de ressentir l’accueil du public dans le processus.
Avec la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli, la création est prête. « Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt» sera présentée dans une semaine à Genève. Ce soir, nous avons droit à la bande-annonce! A l’issue des vingt minutes, la frustration est palpable. Perrine Valli articule à merveille la narration et l’abstraction donnant toute liberté au spectateur de faire son parcours entre corps sculptés par la danse et cadre métallique considéré comme un espace de projection picturale. Mais cette présentation ne permet pas d’entrer dans le processus de création d’autant plus que, si la danse de Perrine Valli offre une liberté, la froideur de l’ensemble ne facilite pas le dialogue. À voir donc dans son intégralité au Festival Faits d’Hiver à Paris les 14 et 15 janvier 2011. J’y serai!
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Deux propositions se sont clairement inscrites dans le principe de «Question de Danse». La première, de l’actrice Céline Romand et du chorégraphe Christian Ubl, est un travail de recherche. «La Semeuse», est un dialogue entre danse et théâtre (à partir d’une nouvelle de Fabrice Melquiot). Ici, la traversée est encore très fragile, car la danse ne se laisse pas «théâtraliser» facilement d’autant plus qu’entre abstraction et narration, le duo est en « travail ». À ce stade du processus, un dispositif plus intime avec les créateurs aurait été préférable pour qu’un retour ne soit pas entendu comme une évaluation de l’oeuvre, mais comme participant à la recherche. Le spectateur y a toute sa place, car l’exploration d’un nouveau langage est aussi son «travail». Pourquoi ne pas l’associer pour inclure dans le temps de la création, un temps partagé? La pièce sera jouée en avril 2011 au 3 bis F d’Aix en Provence.
La deuxième est présentée par Thomas Lebrun pour une «traversée» très étonnante. Avec «Six order pieces», les prémices sont inversées. Des collaborateurs (une vidéaste, un créateur lumière, une chorégraphe..) proposent et Thomas Lebrun dispose! Imaginerait-on en France un manager proposer à son équipe: «posez le cadre pour que je crée»? De notre place, nous ne percevons pas ce processus et c’est l’après-spectacle qui donne les clefs. Le dialogue qui s’engage entre Thomas Lebrun, Jean-Marc Serre (le créateur lumière) et Michel Kelemenis stimule la participation du public comme si la remise en jeu de la posture du chorégraphe interrogeait la perception du spectateur sur la place du créateur. Avec «Six order pieces», Thomas Lebrun pourrait imaginer un après-spectacle où, son équipe assise dans les gradins, assisterait à un échange entre spectateurs autour de ce changement de prémice. Cela serait d’autant plus intéressant que le travail de Thomas Lebrun est profond et permet toutes les audaces d’interprétation. A voir au printemps prochain à «Danse à Lille»!
Nejib Ben Khalfallah nous vient de Tunisie. «Mnema» est une danse très théâtralisée, sorte de «rêve mouvementé» (pour reprendre l’expression d’une des danseuses). Ici, l’après-spectacle avec le public provoque un dialogue brut, animé, sans langue de bois, comme si la distance entre le créateur et le spectateur était l’objet même du travail. Distance mise en scène par la compagnie Androphyne dirigée par Pierre-Johann Suc et Magali Pobel. « [?] ou pas » est encore à l’état d’embryon et a sans doute besoin d’un propos assumé pour que les spectateurs (acteurs de la pièce) puissent dans l’avenir s’inscrire dans un processus de co-construction.
Avec  “Guintche“, la portugaise Marlene Freitas réussit une forme d’exploit. Celle de nous présenter une étape de création stupéfiante et jamais vue ailleurs, mise en dialogue avec le public avec une belle sincérité. Sidérés par la proposition, nous avons applaudis chaleureusement cette transe où le corps explore la musique tel un organe vivant.

Ici «Question de Danse» se fait murmure pour  laisser Marlène travailler et nous revenir. A coup sûr, c’est une grande. Parole de spectateur.
Pascal Bély – www.festivalier.net.

“Question de danse” du 26 octobre au 6 novembre 2010 à Marseille.

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FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Avant le Festival d’Avignon, Boris Charmatz prépare sa (ré)création.

Le danseur chorégraphe Boris Charmatz avait rêvé d’un spectacle qui n’en serait pas un, qui serait une sculpture, une pièce méditative. Pas d’heure de commencement à laquelle impérativement gagner son fauteuil, plutôt un «monstre», disponible au regard pendant une durée donnée. Une compagnie éphémère de 30 danseurs pour une forme inédite de «chorégraphie immobile». Le tout sous l’égide de Roland Barthes pour qui le neutre est vu comme le «désir de la levée des conflits».

Mais…, Jacques à dit : un…, deux…, trois…,  vingt quatre…, soleil…

C’est comme un grand jeu d’enfant pour nous dire seul et ensemble.
Comme un coloriage en 24 corps pour nous offrir un dessin vivant.
Comme un happening de créativités individuelles pour former un corps social.
Comme un idéal participatif où l’un plus les autres, en co-apprenant, constituent un tout et où, si l’un manque, le sens s’appauvrit.
Comme une utopie d’amour enfantine qui fait que l’on est prêt à aller jusqu’à l’épuisement pour être de la partie improvisée sur la cour…
Comme un « rêve » que l’on « oublie » en devenant « grand »…
Comme un peut être compatible avec deux et plus, sans combat, dans le projet d’une réalisation qui tient du désir à vouloir créer, co-créer, un espace collectif qui ne prend pleinement sens que dans l’addition.

Boris Charmatz et ses compagnons de jeu nous offrent, en ces temps de colère, une vision ouverte où se projeter dans un être ensemble créatif. On aimerait alors monter sur la scène pour participer au tableau hypnotique et caresser la confirmation que l’on est moins sans l’autre, et inversement.
S’il a créé, comme il le dit, un « trou de danse », ce serait pour y glisser nos imaginaires « utopistes » ; mais aussi pour y laisser entrer, par les courtes phrases que chacun amène, les univers de multiples chorégraphes habitant l’histoire individuelle des corps en mouvement. En ce sens, c’est autant  au Roland Barthes de «Fragments du discours amoureux» qu’à celui de «Le neutre» ou «Comment vivre ensemble» que le propos me renvoie .
Cette danse mouvante et fluide, ce kaléidoscope de grains de sable humains qui se resserrent et se déploient, se frottent ou s’éloignent, ouvrent en grand les fenêtres. Les grammaires qui composent nos liens à l’autre ( à côté, avec, contre, sans, qui), trouvent là un espace où se déployer.
Boris Charmatz n’a pas pu créer l’objet dont il avait rêvé, les danseurs, épuisés, ne pouvaient pas tenir les 4 heures imaginées et les contraintes à lever quant à la place du public n’ont pu être résolues. Qu’importe, il a réussi à écrire le beau songe d’une danse « méduse » partagée, il a ouvert un espace empli d’une vitalité salutaire.
Là où le sculpteur enlève de la matière pour faire apparaître l’oeuvre, il a, lui, ajouté de l’être pour faire advenir une belle création.
Bernard Gaurier – www.festivalier.net
« Levée des conflits » de Boris Charmatz au festival mettre en scène à Rennes du 4 au 6 novembre – Au théâtre de la ville à Paris du 26 au 28 novembre – A Bonlieu/scène nationale d’Annecy les 23 et 24 février 2011.
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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS KLAP, MARSEILLE Vidéos

Une Maison pour la Danse à Marseille ! Klap ! Klap !

C’est certain. À l’automne 2011, Marseille aura sa « Maison pour la danse ». Elle est déjà membre du réseau «European Dancehouse Network». Joli présage. Ce matin, sur la scène du Théâtre des Bernardines (dans le cadre de la 5ème édition de «Question de Danse»), ils sont huit (1) à s’engager pour ce projet. En première ligne, le chorégraphe Michel Kelemenis précise que ce ne sera pas la maison de sa compagnie, mais bien un espace d’accueil privilégié pour la danse.

Cet équipement de 1900 m2, au c?ur d’un quartier populaire de Marseille, sera un lieu de production et de création en lien avec l’action culturelle existante de la compagnie. En positionnant la Maison (joliment nommée Klap) comme un lieu de partage, de rencontre et d’élaboration commune avec les acteurs culturels de la ville, Michel Kelemenis pose un postulat : la danse a besoin d’un espace temps protégé, mais aussi d’ouvertures nourries par le dialogue entre tous les acteurs qui la croise. Klap ne sera donc pas une chapelle pour quelques esthétiques

Le plateau, animé par Philippe Fanjas (président de Kelemenis & cie) est à l’image de ces intentions : chacun est invité à faire part de sa représentation et de ses hésitations ! Maison «de» (en référence à celle de Lyon),  maison «pour», tandis qu’Alexandre Carelle de la Fondation BNP Paribas préfère «maison avec». Sûrement, les trois à la fois ! Ce sera un «outil à usage partagé» comme se plaît à préciser Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM ; «à nous d’en construire les ponts, mais pour cela, il faudra reconnaître l’endroit où chacun de nous a travaillé». La question de l’épaisseur des murs est donc indirectement posée. Le chorégraphe Christophe Haleb questionne : «comment allons-nous l’habiter tout en permettant sa porosité ? Entre la danse éphémère et le mur pérenne, quelle tension allons-nous créer pour accueillir l’étrange ?».

«Fabriquez ! , « cherchez !», «donnez du temps au temps de la création» semble répondre Michèle Luquet-Bonvallet qui rappelle que la Maison de la Danse de Lyon est un lieu de diffusion. Elle ressent déjà la complémentarité entre les deux établissements. Deuxième joli présage. Car faut-il le préciser, Klap ne sera pas à proprement parler un lieu de diffusion («même si la tentation sera grande de dériver vers la programmation» souligne Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines) mais surtout un outil « à disposition des acteurs culturels » pour «creuser les complémentarités» et «amener plus de danse à Marseille» lui répond Michel Kelemenis. D’autant plus que Klap sera propulsé au niveau international dès son ouverture à la fois par le réseau européen des Maisons de la Danse et par Marseille Capitale 2013. Car «le local s’attrape par le global» souligne Christophe Haleb.

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Tandis que la chorégraphe Perrine Valli (de nationalité franco-suisse et originaire d’Aix en Provence) précise tout le chemin qu’elle a dû faire ce matin pour revenir dans sa région d’origine (faute d’équipements pour travailler ses créations), je fais un rêve : celui d’inviter des spectateurs actifs à créer un maillage autour de Klap afin que le processus de création chorégraphique se nourrisse de nos visées de danse. Pour qu’il ne soit plus nécessaire de courir après elle aux quatre coins de l’hexagone.
C’est une Question de Danse.

Une question démocratique.

Pascal Bély – Le Tadorne

(1) Michèle Luquet-Bonvallet, secrétaire générale de la Maison de la danse de Lyon, Christophe Haleb, chorégraphe,
Perrine Valli, chorégraphe lauréate du programme Modul Dance de l’EDN, European Dancehouse Network, sélection Question de danse 2010
Alexandre Carelle, responsable du pôle culture, Fondation BNP-Paribas,
Les partenaires de Question de danse :
Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM et Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines.

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PAS CONTENT

La France des mouchoirs jetables.

Les Petits mouchoirs“, le troisième et dernier film de Guillaume Canet va faire un carton.

Je ne suis ni Madame Irma ni Madame Soleil mais “Les Petits mouchoirs” sera un des grands succès public de cette année finissante. Pourquoi? Comme le dirait un intervenant du Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes dont j’ai récemment reçu les préceptes : pour l’effet miroir. Parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse!
La volonté de Guillaume Canet est de permettre au spectateur de se reconnaître parmi les personnages dotés de travers sensés être ceux de l’actuelle  génération de trentenaires. Dans le même temps , le film doit délivrer un effet cathartique : « oui nous reconnaissons être individualistes et égoïstes, mais une fois les situations les plus graves arrivées, nous nous repentons de nos pêchés ». Allez pleurons tous ensemble un bon coup pour oublier nos nombrils, et félicitons-nous d’être aussi lucides!
Pour  nous guider dans ce chemin vers l’absolution Guillaume Canet a la bienveillance de déclencher des signaux musicaux à chaque moment jugé clé pour que l’on sache bien quand rire ou s’émouvoir. L’autre effet bénéfique de cette bande-son omniprésente est de nous débarrasser de l’éventuelle culpabilité de voir un vulgaire film tel que “Camping” ou “Le coeur des hommes’. Ici nulle mauvaise conscience, les acteurs sont renommés voire oscarisés (Marion Cotillard pleure très bien) et la B.O. est branchée à souhait.
Pourquoi suis-je donc en colère? Je n’ai pas été jusqu’à pleurer comme mes compagnons de séance, mais je l’avoue ce film m’a parfois fait rire. Pour être exacte, il m’a fait ricaner. Dans “les Petits mouchoirs”, nous nous retrouvons pour ricaner ensemble des déboires des autres : de l’un qui est furieux, car des fouines l’empêchent de dormir, d’un autre qui demande sans cesse des conseils pour savoir quoi répondre aux textos de sa bien-aimée et d’une telle qui visionne des sites pornos pour évacuer sa frustration. Mais ricaner d’eux ce n’est pas mal puisque les autres c’est aussi nous-mêmes. La scène qui résume le mieux est celle des héros partis faire du ski nautiques qui hurlent de rire en voyant leur bonne copine pleurer de rage parce que le bateau la traîne trop vite. Ici mon « sens de l’humour » a manqué et je n’ai plus ri.
A cette  scène métaphore je ne peux m’identifier : ricaner quand l’autre pleure de rage. Je peux d’autant moins quand je pense que les Français vont s’y ruer… Je me rappelle un exercice de portrait chinois fait dans le cadre de cette formation avec l’intervenant du CFPJ : « Si votre organisation était un animal, qu’est-ce que ce serait ? S’il était un personnage célèbre ?, etc. Donc d’après vous, votre organisation est éléphant, mais vous voulez qu’elle soit cheval. C’est ça ? ». Et si la France était un film, elle serait “Les petits mouchoirs“. C’est ça ? 

Pourquoi ne pas s’identifier à des sans-abri congolais atteints de paraplégie qui espèrent s’en sortir grâce à la musique?  Sans rire cette fois. Et pour de vrai puisque je parle de “Benda Bilili”! le documentaire de Renaud Barre et de Florent de La Tullaye sorti le 8 septembre sur le groupe éponyme qui a conquis le monde à partir des bidonvilles de Kinshasa. Filmés dès 2004 à l’occasion d’une rencontre inopinée dans la rue, ces damnés de la terre nourrissent un optimisme et une détermination sans faille pour parvenir à une vie meilleure. Comme Les petits mouchoirs, le film fait tour à tour rire et pleurer, mais sans misérabilisme ni aucune ficelle de mise en scène. Les Benda Bilili portent le film comme ils abordent la vie, avec espoir, gaîté et talent.
« Donc pour vous la France c’est Les petits mouchoirs mais vous voulez qu’elle soit Benda Bilili!, c’est ça ? ».
Elsa Gomis – www.festivalier.net

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Marseille, ville sous plastique.

Mercredi 20 octobre 2010. 19h. Les ordures envahissent Marseille. Le mistral fait voler les sacs plastiques. La crise politique, sociale, morale est là, nulle par ailleurs. En marchant vers le  Théâtre des Bernardines, je ressens la révolte, mais aussi la soumission des Marseillais. Comme un cri mortifère.
« Tous tant qu’ils sont » de Suzanne Joubert, mise en scène par Xavier Marchand pourrait être une pièce sur Marseille tant les similitudes sont troublantes. Il y a ces sacs plastiques de toutes les couleurs posés sur le plateau, que le vent aurait transportés jusqu’ici. Comme des ballons crevés par des enfants qui n’y croient plus. Il y a ce ventilateur à droite qui envoie un peu d’air pour respirer. Car savez-vous que l’on étouffe parfois à Marseille? Il y a «la petite» (jouée magistralement par Édith Mérieau), employée du supermarché «l’abondance sacrifiée», dont le slogan publicitaire s’entend comme un rêve brisé par tant de politiques marseillais sans vision.

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Elle est assise et découpe délicatement des sacs plastiques qu’elles transforment en robe ou en tablier. Car à Marseille, la misère se recycle…La petite (comme l’appelle sa mère) est à la remise, au-delà d’un rideau de lamelles de plastiques. C’est l’envers du décor, celui que l’on ne voit jamais. C’est Marseille derrière sa bonne grosse mère, son vieux port de carte postale, son foot véreux.
Elle découpe et raconte. À elle seule, elle convoque sa mère, sa soeur, ses collègues de boulot, sa chef, le mari de la chef de secteur,…Ils s’appellent André, Marc, Jean-Louis, Mélanie, Benoît, Glenn, Marie- Thé, Simon ; autant de prénoms «anonymes», de cache misère (on peut se prénommer Benoît et être porto ricain). Marseille et toutes ses petites…Ses mises au rebut.
Ils sont tous là, en elle, poussés dans la remise, réunis pour une «orgie» (dixit la chef) de paroles pour qu’à force d’être malaxés, rires, colères, peurs s’incarnent dans la figure de l’actrice. Car la petite rêve des planches et s’invente une dramaturgie à ses pauses perdues. Par l’entremise de la porte, il lui arrive même de voir un bouc. Émissaire à coup sûr. Les collègues s’engouffrent dans la brèche pour se payer sa tête. Et elle parle, fait dialoguer l’un avec l’autre, pendant que son tablier de plastique crée des trous dans le tissu social.  Et elle tisse tandis que les trajectoires des membres de cette communauté invisible se télescopent dans cet abri de guerre et que les klaxons de la rue adjacente aux Bernardines se font entendre. À Marseille, les théâtres sont aussi des lieux de repli.
« Tous tant qu’ils sont », n’est pas la France d’en bas, mais plutôt celle des frères et soeurs dont la mère fricote avec un drôle de type pour que les gosses aient leur dose d’abondance. C’est la France de toutes ces « petites » qui ne se laissent pas s’approcher facilement. On leur a déjà fait le coup de la fracture sociale et du « travailler plus, pour gagner plus ». Elles n’ont pas plus confiance dans le théâtre qui peine à décrire la réalité sociale par la troupe, mais qui sait envoyer une florissante salve de mots surtout quand l’actrice a un beau répondant. On  l’imagine déjà sur les scènes flamandes, là où l’on joue avec le corps pour faire saigner les mots, là où le collectif gueule  pour qu’ils la ferment.
Ce soir, la petite ne pourra pas quitter l’abondance sacrifiée. Les immondices dans la rue bloquent la sortie. Et après 21h,  n’il y a même plus de métro .
Pascal Bély – www.festivalier.net

« Tous tant qu’ils sont » de Suzanne Joubert, mise en scène de Xavier Marchand, au Théâtre des Bernardines de Marseille du 15 au 20 octobre 2010. 

Crédit photo: Fabrice Duhamel.

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Vidéos

Flashmob contre la peine de mort: la vidéo pour la vie.

Le 10 octobre 2010 à Paris, le chorégraphe Philippe Lafeuille avec le collectif “Ensemble contre la peine de mort” organisait un flashmob sur le parvis du Centre Georges Pompidou. Un vidéaste “Matray” a filmé les répétitions de ce travail.

Le résultat est profondément touchant: il accompagne la chorégraphie percutante de Philippe Lafeuille par des mouvements de caméra qui amplifient le non-sens de la peine capitale encore pratiquée dans de nombreux pays. Ici une danse engagée, promue à partir de nos intelligences connectées, rencontre la vidéo. Ainsi, internet joue à fond son rôle de média horizontal: celui d’amplifier les processus créatifs. Nous n’en avons pas fini avec cette révolution  numérique qui réinvente les formes de l’engagement politique.

Pascal Bély – www.festivalier.net.

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS PAS CONTENT

A Marseille, le Théâtre du Merlan perd de l’argent par magie et se délocalise.

Le Théâtre du Merlan est une Scène Nationale, dirigé par Nathalie Marteau. Situé au nord de la ville dans le centre commercial Carrefour, cet établissement culturel peine depuis quelques saisons à s’implanter dans le quartier comme en témoignent ses nombreux « vagabondages » et l’incohérence de sa programmation (voir l‘article à ce sujet du 12 juin 2009).

L’expression « vagabondage », empruntée au vocabulaire des travailleurs sociaux pour désigner ceux qui n’ont plus de domicile fixe, sert la politique de communication de ce théâtre.  Le territoire est ici vu comme un terrain de jeu où l’errance fait sens. Chacun appréciera. Le Merlan vagabonde, se «délocalise » à la Friche Belle de Mai, au muséum d’Histoire Naturelle, au Théâtre du Gymnase. Il y installe parfois des chapiteaux (malgré les promesses, à sa réouverture suite à des travaux, d’en faire “une maison ouverte commune à tous, un camp de base”. A écouter l’interview sur France Info). Qu’est-ce qui justifie socialement et artistiquement de tels déplacements que l’on suppose fort coûteux ?  Le cynisme va jusqu’à programmer le collectif Berlin (qui propose des portraits de capitales à l’articulation du documentaire et du théâtre) loin des quartiers nord alors que l’on serait en droit d’attendre du Merlan qu’il relie les habitants au reste du Monde?
Ce théâtre connaît une deuxième difficulté, plus structurelle : sa programmation. Certains, par paresse intellectuelle, la jugent éclectique. Programmer « Description d’un combat » de la chorégraphe Maguy Marin en 2009 puis une « Semaine de la magie » en octobre 2010 (« magic week »…sic), serait une preuve d’ouverture et de curiosité. Sauf que cette diversité est au service d’une politique de communication (le Merlan est «branché») mais dessert tout projet visant à créer des liens durables avec les habitants. Comment leur proposer des traversées dans une programmation qui érigent des murs au lieu de passerelles, qui multiplient les esthétiques pour finalement composer un labyrinthe? Comment guider le  public en lui offrant coup sur coup danse contemporaine et formes spectaculaires ? Là où la danse ne fait pas spectacle, la magie s’appuie sur les ressorts du spectacle (elle fait même un retour en force à la télé cf.« Vivement dimanche » sur France 2). À la culture du divertissement qui finit par pervertir la société française, une Scène Nationale devrait proposer une programmation certes diverse, mais au service d’une vision. Comment le public peut-il entrer en communication avec une équipe artistique qui lui enlève toute possibilité de s’émanciper de la société du divertissement ?

Deux difficultés qui bien évidemment produisent des incidents. Le premier eut lieu en février 2009 avec le chorégraphe Alain Buffard. La programmation de «  (Not) a love song»,  déconnectée d’une politique globale de relation avec les publics, a provoqué une « crise » avec les spectateurs. Dénonçant les rires au début de la représentation, Alain Buffart fit expulser de la salle un groupe de jeunes sans que la directrice du Merlan n’y trouve rien à redire…(à lire le compte-rendu du journal La Marseillaise).
Le deuxième incident, bien plus inquiétant, a eu lieu début octobre 2010, après la programmation pour deux soirées de P.C. Sorcar Jr., « la plus grande figure de la magie orientale ». Face au fiasco artistique, Nathalie Marteau propose de rembourser les billets au public mécontent (voir le courrier en fin d’article). Dans sa lettre, elle précise que le risque est partagé (je suis d’accord sur ce point: toute programmation implique une prise de risque du programmateur et du spectateur), que le spectacle génère de «la frustration» (c’est souvent la fonction de la création contemporaine de ne pas répondre aux attentes !). Et que propose-t-elle ? Un remboursement comme le ferait un commerçant (“Satisfait ou remboursé”)! Pourtant, après la crise de l’intermittence, cette direction affirmait que « la culture n’était pas une marchandise”. Le cynisme est à son comble lorsque pour s’excuser, Nathalie Marteau reporte la faute vers les artistes (ils ont eu carte blanche) et se pose en victime au même titre que les spectateurs. Pour devancer la critique, elle disqualifie les artistes, s’exclut du processus, dilue la responsabilité et se repositionne à partir d’un geste « risqué » pour les finances publiques, mais tellement généreux. Cela ne vous rappelle-t-il rien ?
Quelle vision a donc le Merlan de sa relation avec les spectateurs pour proposer ce remboursement ? Comment s’articule-t-il avec le travail des chargés de relation avec le public qui travaillent probablement dans la durée, l’inclusion des habitants dans un lien à la culture non marchande?

Le remboursement est la conséquence d’une politique de communication ; en aucun cas, d’un projet culturel global.
Le Merlan justifie-t-il son label de Scène Nationale ? Remplit-il au moins trois missions :
–  “s’affirmer comme un lieu de production artistique de référence nationale, dans les domaines de la culture contemporaine
–   organiser la diffusion et la confrontation des formes artistiques en privilégiant la création contemporaine,
–   participer dans son aire d’implantation (voire dans le Département et la Région) à une action de développement culturel favorisant de nouveaux comportements à l’égard de la création artistique et une meilleure insertion sociale de celle-ci”
Ces trois missions sont incompatibles avec un lien “producteur – consommateur” entre le théâtre et le public. Elles requièrent une relation respectueuse, permettant à chacun d’évoluer au grès des propositions exigeantes, pour s’éloigner des formes spectaculaires qui figent.
Le Merlan est aux mains de communicants. Il est grand temps de le doter d’un projet global. Loin d’être une formule magique, c’est une exigence.

Au vagabondage, préférons la divagation…
Pascal Bély – Le Tadorne

Lettre de Nathalie Marteau aux spectateurs:

Madame, Monsieur, Chers spectateurs,

Le spectacle vivant est une chose fragile, pas toujours prévisible, et qui peut même parfois nous décevoir. Cela fait partie du risque, que nous partageons avec vous, public.

Mais les soirées indiennes des 8 et 9 octobre de P.C. Sorcar, proposées par la compagnie 14:20 dirigée par Raphaël Navarro, à qui nous avions donné carte blanche, ne furent pas à la hauteur de ce qui avait été annoncé.
Nous reconnaissons avec vous que les 15 minutes de magie présentées ne font pas un spectacle, et face à cette situation exceptionnelle, nous nous engageons à rembourser toutes les personnes qui en feront la demande auprès de la billetterie au 04 91 11 19 20 (du lundi au vendredi de 13h a 18h). 
Nous nous adressons particulièrement à ceux qui venaient pour la première fois au Merlan et nous espérons qu’ils n’en resteront pas à cette désagréable impression de frustration.
Toute l’équipe du Merlan se joint à moi pour vous souhaiter de belles soirées à venir et restons à votre disposition.
Nathalie Marteau, directrice”