Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Nos recommandations et rendez-vous pour le Festival Off d’Avignon.

Nous y travaillons depuis deux mois. Laurent Boubousson, Bernard Gaurier et moi-même. Nous avons mobilisé les amis sur Facebook (merci à eux). Nous avons lu les nombreux dossiers de presse reçus par mail. Il y a des lieux avec lesquels nous avons un lien de confiance (Le Théâtre des Halles, La Manufacture, La Condition des Soies, les Hivernales,le Théâtre Des Doms, Présence Pasteur) tandis que d’autres nous accueilleront pour la première fois, curieux de découvrir certaines propositions. Création contemporaine, danse, jeune public et tout-petits constituent la carte de ce voyage.

Nous sommes donc prêts pour le Festival d’Avignon. Voici notre sélection pour le « Off » (cliquer ici. Fichier PDF).

off.jpg

Nous n’irons pas voir les 69 spectacles, mais suffisamment pour pouvoir échanger avec  vous les 17, 19, et 21 juillet 2011 à 11h au Village du Off dans le cadre de « Paroles Publiques » : « Le principe de ces rendez-vous est de réunir des blogueurs expérimentés et ceux qui souhaitent exprimer, faire partager les émotions et les réflexions que leur inspirent les spectacles du OFF. Au terme d’une heure passée ensemble les billets critiques du public, rédigés avec le conseil des chroniqueurs de trois grands sites et blogs de spectacle vivant, pourront être mis en ligne. À chaque séance, seront annoncés les spectacles retenus pour la séance suivante. L’entrée est libre, et vous pouvez assister aux Paroles Publiques même si vous n’avez pas envie d’écrire ! C’est une bonne manière d’entendre parler de ce que les spectateurs du OFF ont aimé. Rencontre animée par Christophe Galent. »

Nous vous communiquerons le 15 juillet sur le blog et sur la page Facebook du Tadorne, les spectacles qui feront l’objet d’un regard critique pour notre rencontre du 17.

Nous vous souhaitons un excellent festival.

La sélection du Tadorne off La sélection du Tadorne off

Pascal Bély ? Bernard Gaurier ? Laurent Bourbousson – Les Tadornes.

Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Galvánisé.

C’est impressionnant. Sidérant. Captivant. Halletant. Où trouver les mots pour décrire l’enthousiasme général provoqué par le danseur de flamenco Israel Galván, accompagné de Fernando Terremoto au chant et d’Alfredo Lagos à la guitare? Avec “La edad de Oro“, le public n’en revient pas d’assister à un spectacle d’une telle pureté et d’une telle grâce. Pour filer la métaphore, Israel Galván célèbre le Flamenco comme Anne Teresa de Keersmaeker épure la danse contemporaine. C’est pour dire. Il nous avait déjà époustouflé en 2009 avec “El final de este estado de cosas, redux” oeuvre scénarisée entre le Liban et l’Espagne pour une lecture très personnelle d’un texte biblique de l’Apocalypse.

Ce soir, à Montpellier Danse, point d’histoire. Juste le Flamenco. Israel Galván est en symbiose : avec les instruments, avec ses acolytes, avec le sol et la lumière. Son corps est une terre humide qui capte l’énergie pour nous la restituer. C’est ce mouvement perpétuel qui nous rend si joyeux, si perméable à sa danse. Il entre en nous pour abattre toutes nos barrières de défense. Sa féminité est une rose qu’il nous tend tout en se piquant les doigts. Il saigne, mais sa rage d’en découdre est son pansement. On le croirait trembler de la tête aux pieds, mais ce n’est que le bruit de ses ailes d’ange, comme un claquement de dents. La musique est une onde qu’il attrape au vol pour se laisser traverser et terrasser. Il se relève : l’art n’abdique jamais. Sa danse est un rapport de force pour imposer la paix des braves ; la musique et le chant, un hymne à la terrible beauté.

Israel Galván m’impressionne : sa féminité virile m’évoque une danseuse qui lancerait sa barre verticale pour créer un mouvement libératoire. Il peut tout oser : droit comme un chêne, souple comme un roseau, il accueille les feuilles qu’il ramasse à la pelle et nous offre un feu d’artifice végétal. Il réveille notre désir animal pour l’apprivoiser tendrement : de sa langue mouvementée aux doigts envolés, cet homme peut tout tant que l’art lui donne. Il épure son geste artistique tout en le tressant de violence et d’amour. Il chorégraphie l’altérité pour nous enrôler dans la complexité du Flamenco.

Alors que son corps ruisselle, la lumière des coulisses l’appelle. Il me plaît d’imaginer qu’il est au paradis pour y célébrer l’énergie créative de l’enfer.

Israel Galván est un immense artiste. 

Pascal Bély, Le Tadorne

« La edad de Oro » d’Israel Galván à Montpellier Danse les 24 et 25 juin 2011.

Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE Vidéos

La «maison Folie» d’Angela Laurier.

Le corps intime peut-il évoquer la douleur du monde ? Oui, si l’on en juge l’exceptionnelle proposition de l’Espagnole Angelica Liddell lors du Festival d’Avignon en 2010. Avec «La casa de la Fuerza », rarement une artiste ne s’était engagée aussi loin avec son corps, pour accueillir la poésie de nos âmes torturées par l’imbécillité des puissants. 

Le corps  « performé » peut-il évoquer la douleur intime ? Je me remémore avec émotion «j”aimerais pouvoir en rire» d’Angela Laurier vu à Lyon en 2010 et programmé cette année à Montpellier Danse. Elle était au sommet de son art :  son corps contorsionné libèré de la «performance» avait reçu la folie de son frère, pour une peinture chorégraphique majestueuse.

angela.jpg

Ce qu’une certaine danse contemporaine met à distance, Angela Laurier et Angelica Liddell le posent comme un principe : leur corps puise les ressorts du mouvement en amplifiant la porosité entre le corps biologique, son enveloppe psychologique, le corps social et politique. Ce processus nous ouvre à l’altérité et permet à notre imaginaire de renouer avec le sensible en effaçant la frontière entre vie privée, vie publique et enjeux sociétaux.

Cette année, Angela Laurier présente une deuxième oeuvre à Montpellier Danse, «Déversoir» qu’elle créa en 2008, bien avant «j’aimerais pouvoir rire». Pendant que la bande-son évoque Dominique, son frère schizophrène, elle s’avance vers nous, et opère sa mue : habillée d’une  robe blanche qu’elle porte comme une camisole de force, elle se défait des lanières dans un mouvement de rage saisissant.  Elle va danser pour exprimer ces choses-là et composer une chorégraphie à partir de ses gestes de contorsionniste. Son corps est une plaie, sa danse est un pansement pour une métamorphose, au coeur d’un festival qui, après trente éditions, fait preuve d’une belle ouverture en programmant une oeuvre si particulière.

Pendant près d’une heure, le public est témoin d’une thérapie familiale. Il y a Dominique, le père,  et la mère qui fait des enfants, parce que «féconde».  La vidéo alterne des séquences d’un road movie sur le chemin des vacances vers l’Alaska avec une séance où Angela interview son père sur son passé dépressif et ses liens avec son fils malade. Le corps contorsionné d’Angela fait  alors entendre la parole de Dominique et nous touche.  Elle se transforme à nouveau pour former l’image de sa mère féconde, puis incarne un peu plus tard le corps désarticulé provoqué par les crises de Dominique. Elle jette les ponts entre ces deux moments magnifiquement tournés et crée la communication entre eux et nous. Elle pose un entre-deux poreux où folie et «normalité» s’enchevêtrent.

Angela Laurier offre son corps pour que s’y projette les peurs, les angoisses tout en nous éclairant sur son travail d’équilibriste afin que la famille n’éclate pas. La scène met en dynamique le système familial par un va-et-vient permanent entre la vidéo et son corps, entre la folie et la société, entre Dominique et Maximilien son fils, entre eux et Angela où son ventre accouche d’images sublimes. Elle refuse de les isoler : l’art est son refuge et leur liberté. Elle rejoint la vision du metteur en scène italien Pipo Delbono qui poétise la folie pour la politiser à l’heure où les politiques sécuritaires enferment un peu plus les malades et leurs proches.

Avec «Déversoir», il nous arrive d’avoir mal, de détourner le regard vers un détail pour ne pas voir. Mais le désir d’accueillir cette famille comme une troupe de saltimbanques est plus fort. Parce que leur cabane au Canada au fin fond de l’Alaska est aussi notre coin de paradis dans l’enfer de nos névroses d’homo spectator.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Deversoir » d'Angéla Laurier a été joué le 25 juin 2011 dans le cadre du Festival Montpellier Danse
Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Alban Richard : chorégraphiquement, cela s’entend.

Faut que ça danse! Il est temps d’ouvrir les portes, d’abattre les cloisons, de poser les passerelles. Faut que ça vole! Les musiciens des «Percussions de Strasbourg» arrivent sur scène. Avec leurs instruments sur roulettes, ils occupent tout le plateau. Ils sont prêts à se mettre en mouvement. Sur leurs habits noirs, s’incrustent des motifs brodés de paillettes. Ils sont nos aigles noirs. Lentement, de leurs ailes déployées, ils jouent «Pléiades» de Iannis Xénakis.
Faut s’entendre ! Amateurs de danse, nous sommes nombreux à savoir accueillir la musique contemporaine: elle s’invite dans bien des chorégraphies. Mais ce soir, tout est différent: musiciens et danseurs partagent la scène pour faire dialoguer la musique et le mouvement, pour que la danse  explore une partition musicale d’une étonnante complexité. La «pluridisciplinarité» s’incarne : elle n’est pas un empilement, mais une traversée. Nuance…Le chorégraphe Alban Richard et son ensemble L’Abrupt composé de six danseurs sont nos flûtes traversières. De passer à travers l’orchestre, ils nous traversent. Pour un final totalement jubilatoire.

La première partie pourrait ressembler à un concert classique. Sauf que les musiciens sont déjà en mouvement : à les regarder courir d’un instrument à l’autre, leurs corps accompagnent la partition. La musique s’entend dans cette tension, dans cette urgence, prête à recevoir les danseurs qui finissent par entrer pour créer l’espace de la rencontre. Entre Iannis Xénakis et Alban Richard, les danseurs interprètent une partition commune où le son se prolonge dans la danse et nous revient comme une invitation à l’échange. Alban Richard sait écouter notre rapport à la musique pour nous le restituer: quand notre imaginaire crée la tresse entre musique et corps, quand nous divaguons à l’infini dans une ronde qui n’en finit plus, quand nous élargissons ce qu’il nous est possible d’ouvrir pour accueillir et amplifier le plaisir, quand notre désir prend le pas et dépasse nos entendements!

Pleiades-M-0117.jpg

Tel des roseaux, les jambes des danseurs plient et ne rompent pas pour créer l’onde de choc vers l’ensemble du corps ; les bras embrassent l’espace pour faire place nette et recevoir le chaos musical de Xénakis. En tendant l’oreille, on les entend compter à tour de rôle (1, 2 et 3) car le moindre faux pas dans la simplicité apparente des mouvements peut causer la fausse note: peu à peu,  le spectateur tapote des pieds comme si le jazz s’invitait dans la danse pour reproduire cette tension entre le corps et la musique. Nous voilà joyeux d’avoir le pouvoir d’explorer la musique à partir d’un langage chorégraphique en apparence immuable, mais qui se métamorphose à mesure du dialogue que nous orchestrons. Le rapport égalitaire posé entre les deux entités par Alban Richard bouleverse: le danseur accorde le corps du musicien, tandis que le musicien désaccorde la rythmique du danseur. Le résultat est troublant : qui est qui ?

«Pléiades» est une oeuvre populaire : elle désacralise la musique contemporaine et nous apprend que le corps est un chaos permanent. Maintenant, cela s’entend.

Quelques notes, trois fois rien?

Pascal Bély, Le Tadorne

« Pléiades » par l'Ensemble l'Abrupt et les Percussions de Strasbourg le 24 juin 2011  dans le cadre du Festival Montpellier Danse. 

Crédit photo: Agathe Poupeney.


		
Catégories
ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS PAS CONTENT

À Uzès et Marseille, la danse a ses cases et son contingent.

La danse est un art si particulier qu’elle stimule mon désir d’échanges, de mouvement pour franchir les frontières. Dernièrement, j’ai fait le voyage d’Aix en Provence à Uzès Danse pour deux chorégraphes : Régine Chopinot et Xavier Le Roy. Pour la première, je veux prolonger la rencontre organisée par le Centre de Développement chorégraphique d’Avignon, relatée sur le blog par Laurent Bourbousson. Pour le deuxième, il nous propose trois oeuvres lors d’une soirée avant sa création «Low pieces» au prochain Festival d’Avignon. Ainsi, je pose mon contexte: Chopinot, Le Roy, Uzès-Avignon. Les passerelles sont là : je visualise une dynamique de territoire et je me ressens en mouvement.

Partir vers Uzès, c’est traverser une campagne maculée de panneaux publicitaires. Le chemin n’est pas tout droit. Il est obstrué par une multitude de ronds-points. Le site du Pont du Gard approche et le paysage porte les stigmates de l’activité touristique. Uzès ressemble à ces beaux villages de France où tout semble figé dans la pierre pour séduire le visiteur en quête de décor où rien ne dépasse. Mais je ne ressens pas la danse dans la ville. Quasiment pas une affiche et pas d’artistes dans les rues. Je peine à trouver le chemin du Jardin médiéval, là où Régine Chopinot nous donne rendez-vous à 17h dans la salle d’un château. L’entrée est payante (2 euros: imaginerait-on faire payer l’entrée du Palais des Papes lors des spectacles du Festival d’Avignon ?). Cette ville aime-t-elle la danse?

Il n’y a que quelques rues à parcourir pour nous rendre à la salle de l’Évêché où à 18h, Xavier Le Roy propose «Produit de circonstances». Sauf qu’il n’a pas attendu les spectateurs de Régine Chopinot. Fermé. Barrière. Défense d’entrer. Chacun sa case. Comment ce festival peut-il émietter le public avec si peu de journées et de représentations?  Sa fonction n’est-elle pas de permettre la traversée des oeuvres ? Programmer, remplir, exclut-il de créer les conditions du dialogue ? À Uzès, comme ailleurs, on additionne. Mais sait-on seulement multiplier ?

contingent.algerie.jpeg

À Marseille, le “Festival de danse et des arts multiples” est sur le même registre. En 2008, je m’étais ému de l’absence de projet: « Treize années après sa création, il n’a pas trouvé sa place sur la scène culturelle française et internationale. Il ne fédère pas sur la ville, car quasiment inconnu de la population. Son projet est faible au regard des courants artistiques émergents qui traversent le spectacle vivant. Plus proche d’une approche bourgeoise de l’art, il suit le mouvement plus qu’il ne le précède?». Depuis deux ans, le FDAM investit une ancienne salle de boxe (la salle Vallier). Lors de sa dernière campagne de communication, le public s’est vu affublé d’un qualificatif pour le moins douteux : nous sommes des « festi’vallier ». Me voilà donc étiqueté comme un produit. Mais je n’ai encore rien lu. Sur la page Facebook du Festival : «“Dernières minutes : Des contingents de places ont été mis aujourd’hui à la vente pour : Merce Cunningham (le 21 et 22 juin, 21h) et Akram Khan (le 24 et 25 juin, 21h). C’est le moment de réserver !

« Contingent : Quantité de soldats qui est fournie par un pays. »

Puis dans sa dernière newsletter : « Offre de dernière minute pour Mission : Bénéficiez d’une place offerte pour une place achetée ! »

Au Festival de Marseille, la relation de Merce Cunningham (l’un des plus grands chorégraphes du monde) avec son public est réduite à du chiffre, à un contingent. Plutôt que de penser une mobilisation joyeuse et créative, on préfère libérer du «quantitatif». Pour «Mission», on nous enferme dans un statut de consommateur à la recherche de la dernière promotion. 

Je pense aux artistes, quasiment insultés par des professionnels de la communication incultes et avides de cases bien remplies. Au Festival de Marseille, à défaut de multiplier, on soustrait, le public n’étant qu’une variable d’ajustement.

Il est temps de redéfinir la fonction des festivals sur les territoires. D’arrêter cette course à la programmation pour repenser un modèle ouvert de dialogue entre les oeuvres et les publics. Il créera de la ressource financière et orientera les projets artistiques vers une relation créative avec les publics.

Stop au Festi’Vallium

Pascal BélyLe Tadorne.

Festival Uzès Danse du 17 au 22 juin 2011.

Le FDAM à Marseille du 16 juin au 9 juillet 2011.

Catégories
HIVERNALES D'AVIGNON

Bientôt Régine Chopinot. Libérez-vous.

Dans le cadre des “Lundis au soleil“, rendez-vous mensuel organisé parles Hivernales d’Avignon, nous rencontrons la chorégraphe Régine Chopinot à la veille de sa création «nDa» (nouvelle Danseuse aveugle), pour le Festival Uzès Danse. Ses mots sincères ont agi comme un levier pour nous affranchir de notre condition de spectateur et nous emmener dans son sillage.

Elle a connu l’éclatement de la danse contemporaine dans les années 80, a été la directrice du Centre Chorégraphique National de Poitou-Charentes. Elle est aujourd’hui libérée des institutions, un électron libre guidé par ses envies. Elle part à la recherche de nos racines, aux quatre coins du monde, comme des excursions chorégraphiques. Telle une aventurière, avec « la prétention de se glisser dans l’interstice qui nous lie au tout ». Le tout est nature, objet, l’autre, l’humain (les Maoris, le peuple de Bamako, les aborigènes, …).  Autant de confrontations, pour faire vivre un projet humaniste qui nous positionne dans l’ici et l’ailleurs.

« nDa » trouve sa force dans ces propos. Second volet d’une recherche chorégraphique qu’elle souhaite prolonger sur sept années (au minimum), Régine Chopinot partagera le plateau avec sa soeur Michou. Ce partage est un bonheur retrouvé, une relation fraternelle mise à jour avec respect, avec amour. L’intime devient alors force créatrice et s’imbrique dans les liens au monde comme un contrepoids aux visions égocentrées.

Vient l’instant où le théâtre des Hivernales s’ouvre, laisse tomber ses murs pour projeter le synopsis de nDa. Des images de Bamako colorent notre regard d’Européen, des enfants dansent au rythme du ukulélé ; Michou et Régine dansent, chantent, des chiens s’essaient à un duo, la nature nous accueille. Des images vivantes, heureuses, poétiques qui réveillent notre émerveillement. Mais nous voilà rattrapés par un certain formatage lorsqu’un spectateur demande :
«Avez-vous écrit quelque chose ou bien ce sera improvisé ?»
«Tout est excessivement écrit, tout est excessivement fait dans le présent, dans le rapport au public».
La danse a sa raison d’être. Si elle cesse parfois de faire battre les coeurs, elle réanime aujourd’hui notre souffle et s’apprête à créer le mouvement des corps à l’unisson.
À nous de nous laisser guider.
Laurent Bourbousson – www.festivalier.net
Rencontre dans le cadre des Lundis au soleil au CDC Les Hivernales d’Avignon, le lundi 6 juin 2011.
“nDa” sera présenté au festival Uzès Danse du 17 au 22 juillet 2011.
Catégories
OEUVRES MAJEURES

Voir pour entendre danser un baiser contemporain.

Igor Stravinsky écrivait : «J’ai dit quelque part qu’il ne suffisait pas d’entendre la musique, mais qu’il fallait encore la voir». Ce soir à Strasbourg, je l’ai vu. Plus qu’il ne pouvait l’imaginer. Au-delà, de l’entendable, jusqu’au dernier tableau, à couper le souffle. Inspiré d’un conte d’Andersen, il créa la musique du ballet «Le baiser de la fée», aujourd’hui chorégraphiée par Michel Kelemenis pour le Ballet du Rhin. On savait comment il explorait la musique (inoubliables «Aphorismes Géométriques», « Viiiiite » et « Aléa »), racontait d’étranges histoires aux enfants (« L’amoureuse de Monsieur Muscle », « Henriette et Matisse ») mais le connaissions-nous alchimiste ?  Il chorégraphie une musique pour une danse célébrant l’union de deux enfants liés d’amitié qui se retrouvent à l’âge adulte-amoureux.

5le-baiser-de-la-fee---michel-kelemenis-bonr---photo-jl-tan.jpg

Bien au-delà du conte, Michel Kelemenis opère la rencontre entre le mouvement et la musique. Ce processus, qui pourrait paraître long au début (mais nous ne sommes pas ici sur le terrain du spectaculaire) se déploie dans un cadre pensé pour un tel dialogue : un choeur (celui qui ouvre l’étau entre la verticalité de Stravinsky et l’ampleur du geste dansé de Kelemenis), deux danseurs exceptionnels (Christelle Malard-Daujean et Renjie Ma) et un barman (troublant Grégoire Daujean). Ce dernier joue un rôle majeur : il leur fait traverser le coeur (métaphore d’un chemin que l’on ferait en marchant où rien ne semble tout tracé) et s’interpose quand la musique voudrait empêcher la respiration des mouvements. En permanence, le spectateur est sur la lisière : entre l’histoire et la marche de l’Histoire ; entre se laisser séduire par Stravinsky et accepter de ne plus l’entendre. Pour amplifier la  séparation entre les deux enfants, Michel Kelemenis nous offre de belles images : son décor de lamelles contient la respiration des corps et ouvre des voies de passages vers l’émancipation jusqu’à la boîte de nuit pour orchestrer leur libido! Il  pose un tapis roulant de chair pour percer les mystères du désir, joue avec des tabourets de bar pour tracer des chemins. Tout n’est qu’ouvertures…Le barman prépare chacun des deux amoureux à se séparer de l’enfance pour ne plus la quitter. Il ôte même ses vêtements, comme pour changer de peau, de rôles et s’effacer peu à peu. Sa modernité est là : soutenir pour mieux lâcher, leur confisquer la vue pour qu’ils entendent les fureurs et les douceurs de leur trajectoire incertaine, ne pas céder aux injonctions de Stravinski, mais accueillir son énergie. Ainsi va la vie : se nourrir du chaos pour créer son destin.

1le-baiser-de-la-fee---michel-kelemenis-bonr---photo-jl-tan.jpg

Le baiser de la fée” nous offre leur destinée. Le dernier tableau, véritable chorégraphie d’une sexualité transfigurée, voit les deux corps entrer en fusion dans un ébat amoureux où l’animalité se confond dans un transgenre. Le féminin dans le masculin. Le masculin pour la féminité.

Et notre vue s’embrume parce qu’à ce moment précis, la musique se révèle : le corps est symphonique.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Le baiser de la fée » par Michel Kelemenis avec le Ballet de l'Opéra du Rhin a été joué du 1er juin au 7 juin 2011 dans le cadre de la soirée, « Trilogie Russe »
Crédit photo : JL Tanghe.
Catégories
OEUVRES MAJEURES Vidéos

La danse contemporaine est populaire.

Avez-vous déjà écouté un public crier de joie lors d’un spectacle de danse contemporaine ? Qu’est-ce qu’il peut bien se jouer pour que, peu à peu, femmes, hommes et jeunes enfants se lâchent à ce point, jusqu’à faire entendre un cri presque primal? Ce soir, à Gap, ils sont tous là (belle diversité du public) pour «Asphalte», chorégraphie de Pierre Rigal. Sa dernière création au Festival d’Avignon  («Micro») avait fait vibrer la Chapelle des Pénitents Blancs lors d’un concert rock chorégraphié. Ce soir, il provoque à nouveau une forme de transe où les applaudissements se fondent progressivement à la musique grésillante, alarmiste et envoûtante de Julien Lepreux.

Imaginez un bloc posé sur scène, qui en fonction des enjeux et de l’énergie du groupe, génère une lumière qui métamorphose les corps. Accueillez cinq danseurs dont une jeune femme : ils forment la jeunesse colorée de France, où à la petite taille de l’un répond la haute stature pliable de l’autre, où la présence féminine, «objet» de désir, finit par sculpter la sensibilité du groupe. Ils courent autour de ce bloc, construit sans eux, métaphore d’un pays jadis glorieux qui affichait sa puissance et sa gloire, mais où sa beauté s’est depuis fondue dans la crise. Ils composent une partition chorégraphique d’une telle précision qu’elle s’approche de la rigueur de Merce Cunningham. Ils apparaissent pour communiquer et disparaissent pour fuir toute tentative d’uniformisation quand ce n’est pas sous la menace d’un terrorisme culturel armé qui ne dirait pas son nom. Ils tournent autour de ce bloc et provoquent l’énergie qui alimente le lien entre la salle et le public : nous  sommes en permanence connectés. L’électricité a sa danse.
Cette bande de danseurs hip-hop semble avoir confié son art des rues à un artiste du mouvement. Pierre Rigal a pris le soin de décortiquer chaque fait et geste pour leur donner une forme qui traverserait l’histoire de l’art. Ce qui défile devant nous, n’est rien d’autre qu’une humanité qui parlerait hip-hop. Tout son travail est là: à partir d’une pratique collective (le football dans «Arrêts de jeu», le rock dans « Micro »), d’un état (la position debout dans « Érection » ou pressurisée dans « Press »), Pierre Rigal  crée le métalangage capable de résonner en chacun de nous, en ralentissant le geste (le factuel) pour composer le mouvement (la communication) et nous restituer notre code génétique de danse. C’est ainsi que bouger les doigts est une danse hip-hop qui électrise les corps sensibles et leur rend leur chair originelle.
Chaque tableau émerveille et sidère, car Pierre Rigal libère le hip-hop des clichés pour nous en émanciper. Plus que n’importe quel autre chorégraphe siglé,  il inclut cette danse dans un mouvement «historique» jusqu’à remonter au temps des fresques préhistoriques après la bataille du feu. Il «hippopise» les corps fluorescents d’Alwin Nikolais, métaphore de nos folies actuelles (on va finir par perdre la tête de tant d’uniformités). Il chorégraphie l’apparition et la disparition à l’image du travail de Michel Kelemenis qui « évanescence » le geste. En déformant les corps, il accueille toute l’humanité des défilés de Pippo Delbono dans « Questo Buio Feroce ». La danse contemporaine entre alors dans des zones de turbulence à l’articulation de la peinture, du cinéma et de la bande dessinée. Elle provoque nos cris comme quand le bébé découvre «son» théâtre. Pierre Rigal nous restitue le nôtre.
evolution-de-l-homme3.jpg
La dernière scène reproduit le célèbre tableau de l’évolution de l’homme. Mais voilà que s’introduit  celui qui n’est pas prévu. Ce schéma binaire qui laisse penser que l’homme moderne est une finalité de l’évolution explose. Si nous ne voulons pas disparaître, il nous faut remettre le progrès en mouvement à partir de nos différences et d’une autre approche du changement. C’est à ce moment que le public crie  plus fort et concurrence la musique.
Ce soir, à Gap, nous avons célébré notre réévolution.
Pascal Bély,  Le Tadorne
A lire un autre bel article sur Ventdart.
« Asphalte » de Pierre Rigal à la Passerelle, Scène nationale des Alpes du Sud, à Gap les 27 et 28 mai 2011.
Catégories
FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Fallait-il aller à Bruxelles ?

«Fallait-il aller à Bruxelles?» me demande une amie à mon retour du KunstenFestivalDesArts. Moment d’hésitation. Comme un blanc. Ce qui me semblait une évidence les années précédentes, ne l’est plus aujourd’hui, comme si je ressentais un décalage entre le bouillonnement de la planète et des créations sans relief apparent.

Oui, il fallait s’y rendre même si l’absence de pont a découragé bon nombre de français (je n’ai croisé aucun programmateur de ma région!). Au total, j’ai passé six jours dans la capitale belge pour quatorze propositions (soit la moitié de la programmation). À noter l’augmentation croissante de coproductions européennes : certaines oeuvres sont à l’affiche du Festival d’Automne de Paris et du Festival d’Avignon. Dit autrement, le Kunsten est-il encore indépendant dans ses choix artistiques ?

187787 168122143244990 4837669 n

Oui,  il fallait s’y rendre, car le Kunsten, en croisant les arts, stimule le positionnement du festivalier. Le documentaire de Sven Augustijnen sur le passé colonial de la Belgique avait autant de force que la performance de Walid Raad sur les chemins de traverse de l’art contemporain. L’opéra d’Henry Purcell par Jan Decorte a enthousiasmé en ouvrant le théâtre vers une discipline peu réceptive à la pluridisciplinarité. La performance de Miet Warlop a évoqué le corps amputé en chorégraphiant les déplacements des spectateurs tandis que Mariano Pensotti convoquait le public dans le métro pour le socialiser à partir de dialogues poétiques. Dit autrement, le Kunsten nous raconte des histoires pour traverser les arts, faire bouger le regard et positionner le spectateur actif. C’est un festival qui stimule d’habitude la transdisciplinarité, mais avec moins de force cette année.

Oui, il fallait s’y rendre, car le Kunsten restitue une certaine vision de l’Europe. Cette année, le tableau a été très noir avec un sentiment d’oppression, d’étouffement comme si le Vieux Continent déclinait inexorablement à force de ne pas réinterroger son modèle démocratique et économique. Il a fallu tout le talent de deux Belges, Fabrice Murgia et Anne-Cécile Vandalem pour, à partir de cette crise,  créer une mise en scène particulièrement inventive. Mais l’Europe n’a pas brillé du côté de ses créateurs. Le Berlinois René Pollesch m’a ennuyé avec son discours infantilisant sur le théâtre ; le chorégraphe Philipp Gehmacher a plombé le public avec sa danse vidée de sa sensibilité (est-il encore nécessaire de conceptualiser à ce point ?), tandis qu’Eszter Salamon a osé nous convoquer au théâtre sans objet théâtral. De son côté, Manah Depauw, en célébrant l’homme des cavernes, s’est dispensée d’un propos pour aller au-delà de l’histoire.  La danse s’est laissé contaminer par l’art contemporain. Au Kunsten, le corps ne nous a pas parlé de la douleur du monde et de ses révolutions (à l’exception notable de la Marocaine Bouchra Ouizguen avec «Madame Plaza» créée au festival Montpellier Danse en 2009).

Oui, il fallait y aller, car le Kunsten reste un festival ouvert au Monde. Toshiki Okada avec deux  propositions (dont l’une vue au dernier festival d’Automne) a de nouveau conquis le public. Pour le reste, deux déceptions : nous n’avons rien compris à la création indienne de Zuleikha et Manish Chaudhari tandis que le collectif mexicain Lagartijas Tiradas al Sol nous a noyé dans des anecdotes des guérillas des années 1960-70.

Oui, il fallait aller à Bruxelles et pourtant. Je m’interroge. Je n’ai pas retrouvé l’impulsion des années précédentes à l’image du lieu qui rassemble spectateurs, professionnels et artistes. Je me souviens encore de l’effervescence qui régnait en 2008 au Beursschouwburg, lieu de partage et d’émulation créative. Cette année, le Kunsten a choisi une école (le Rits) dans une salle qui fait office de cafétéria, aménagée par le plasticien Simon Siegmann. La scénographie n’est pas sans rappeler l’atmosphère low-cost de certains hôtels et autres restaurants en recherche de «branchitude». Je n’y ai rencontré personne. Cet «assèchement» relationnel est inquiétant, car le Kunsten a toujours été un festival du dialogue. N’est-il pas aujourd’hui en voie d’uniformisation ? N’est-il pas temps d’interroger sa vision d’un festival des arts ouvert sur le monde capable de stimuler un projet européen de la culture ?

Rendez-vous en 2012, juste après les élections présidentielles françaises, épiphénomène face aux nombreux bouleversements planétaires qui nous attendent.

Pascal Bély, le Tadorne

Le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles du 6 au 28 mai 2011.

Catégories
FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Comme d’habitude, le théâtre belge nous habite.

Le public semble sonné. Le théâtre (sur)réaliste belge a encore frappé. On devrait pourtant s’y habituer. Ce pays s’empare de la question sociale pour la porter sur scène et métamorphoser le corps du théâtre. Seuls les Belges sont aujourd’hui capables d’introspecter notre inconscient collectif à partir d’une scénographie sans cesse réinventée. Anne-Cécile Vandalem avec «Habit(u)ation» s’inscrit donc dans la lignée du collectif Peeping Tom et du chorégraphe Alain Platel en portant sur scène une famille en crise de nerfs et de sens, en décomposition, mais dont la régénérescence démontre une fois de plus qu’un changement de civilisation est en marche.

Annie est une jeune enfant. Elle rêve d’une expédition en Norvège, là où siège l’entreprise de son père. Alain, découpe du saumon dans l’appartement. Sa société est sous embargo pour produits impropres à la consommation. Le voyage attendra…Nous voilà propulsés au coeur d’une famille transformée en outil de production où la mère (Claudia) assure dans une société d’assurance tandis qu’Yvonne (la tante) subit les réorganisations de sa compagnie de bus. Le décor fait penser à un vieux théâtre de boulevard mais l’appartement donne sur un jardin que l’on imagine florissant. En quelques minutes, Anne-Cécile Vandalem traduit les effets de la mondialisation sur le fonctionnement familial. Le mal de vivre est saisissant.  La communication au sein de cette famille semble rythmée par les conventions sociales et éducatives d’un autre temps. Chacun est en perte de statut, mais s’accroche à des gestes et des rites, même s’ils n’ont plus de sens.

Les dialogues s’assèchent comme le poisson dont le père extrait la chair pour la mettre sous vide. Ce système familial est autarcique, à l’image d’un continent européen en panne de projet  pour s’inventer un nouveau destin. Même les médias ne jouent plus leur fonction d’éducation et de culture : dans cet appartement qui sent le rance, la radio diffuse ce que les protagonistes vivent toute la journée, à savoir la marchandisation de l’humain. Tout se vend. C’est le triomphe de la communication quitte à transformer les vêtements de nos enfants en panneau publicitaire. Il y a cette phrase qui résonne, glaçante: «ce n’est pas de gober dont nous manquons dans la famille, mais c’est de souffler». Dans ce contexte-là, Annie cherche sa place. Par sa justesse de jeu, elle vit ce que nous faisons subir aux enfants. Dès leur plus jeune âge, ils doivent acquérir les gestes et postures de la soumission à un capitalisme financier dont ils ne sont qu’une variable d’ajustement. Qui s’étonne aujourd’hui du projet du Ministère de l’Éducation Nationale Français de faire apprendre l’anglais aux enfants de trois ans ? Quels sont les parents offusqués, trop soulagés de trouver dans cette proposition un  remède à leur angoisse sur l’avenir de leur chérubin ?

C’est alors que tout bascule, parce que le théâtre redonne « corps » à cette famille. Rarement une scénographie n’est allée aussi loin dans la décomposition et la régénération. Peu à peu, la parole s’efface, ensevelie par la lente métamorphose des corps et des liens (un peu trop appuyé ce qui laisse supposer qu’Anne-Cécile Vandalem s’inclue dans le processus). On navigue entre un thriller (comment ne pas penser au drame familial intervenu à Nantes en avril dernier ?) et un voyage au coeur de la Renaissance italienne, à moins que cela ne soit une allégorie de la catastrophe pour nous réinventer. Il est probable que la mise en scène soit anxiogène (elle résonne avec le contexte actuel où les fléaux naturels et nucléaires s’enchevêtrent avec les révolutions arabes et la lente décomposition du politique né de la civilisation industrielle). Le spectateur est enseveli dans ce déluge de créativité jusqu’à perdre son regard critique tant les images sont saisissantes. Anne-Cécile Vandalem et ses acteurs (tous exceptionnels) donnent l’impression qu’ils ne maîtrisent pas tout. C’est probablement cette fragilité qui sécurise et humanise profondément cette machinerie théâtrale qui semble totalement incontrôlable.
Habit(u)ation” mériterait d’être prolongé par un débat avec le public, les artistes, des chercheurs et des politiques. Car cette oeuvre parle à tous, nous relie et peut-être vécue comme une catharsis de nos peurs contemporaines. N’est-ce pas là, la fonction d’un théâtre engagé et populaire ?
Pascal Bély- « Le Tadorne »
« Habit(u)ation » d'Anne Cécile Vandalem du 20 au 23 mai 2011 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
Crédit photo: Phile Deprez.