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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon, les réactionnaires ont le gourdin et sortent du bois?

«Promenons-nous dans les bois, pendant que le  le loup n’y est pas»…et bien non, ce n’est pas le loup, c’est Tonton…et  vous savez quoi ? Tonton, il a le gourdin et Tata est une Lutin. Bienvenue dans «Oncle gourdin»  de Sophie Perez et Xavier Boussiron…

Chaque édition du Festival In a son objet fétiche, son truc, son appareil scénique, et souvent une attitude commune à tous les spectacles…Une année, ce fut des ballons gonflables, puis des filets de maille suspendus, des échafaudages,  les fumées sur les plateaux, le sang à toutes les sauces, beaucoup de bruit pour rien, des bruits de chemin de fer. Une autre fois, ils étaient tous nus…

En 2011, après quelques représentations, le faux prend sa revanche sur le vrai…La taxidermie est partout, les scènes sont envahies par des peluches,  des animaux de compagnie . Le furet est là en guise de spectre, le chien sert de défouloir, et le chat que l’on force à danser… Avec le thème dominant de l’enfance,  la régression irradie bien des spectacles : c’est le “nin- nin”, le doudou, la poupée, la  fourrure qui prennent le dessus…Tout ce que l’on touche doit être doux, ce que l’on caresse doit apaiser, ce  que l’on cajole doit rassurer.

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Ce soir dans «Oncle Gourdin», on caresse, mais on scie aussi. On découpe en tranches son animal préféré, on sort du bois, on se couche, on se touche, on s’exhibe, on prend une carotte en guise d’outil masturbatoire, on s’assoie sur un sexe avec des pattes d’araignée….

Toute cette folie forestière sert d’artifice pour dire que nous sommes tous des Lutins fous et lubriques, qu’on joue tout le temps comme si on était en représentation…..jusqu’à se prendre pour Pina Bausch, pour Jeanne Moreau en E.T qui appellerait désespérément le fantôme de Jean Vilar.

Allez, allons-y, n’ayons pas peur, on se fout gentiment de la gueule de tout le monde. En avant la Déraison, en avant l’Autodérision. C est  parfois désopilant même si au bout d’un moment on commence à se lasser.  N’est pas Pina Bausch qui veut ! Contrairement à  Vincent Macaigne (qui fout autant de bordel sur scène que nos lutins lubriques), l’histoire s’éparpille, et ce bric-à-brac (dans le sens noble du terme) ne devient qu’une suite de gags et de sketches sans cohésion. Juxtaposition et non Intégration. À regret.

On reste souvent au bord du lit même si les Lutins veulent “être in bed with Paul  Claudel” ! On regrette une vraie Yolande Moreau et ses vrais Deschiens sachant que, comme ils disent, “Jean Vilar ne nous laissera jamais tranquille” et que l’on est inquiet quant à «la venue d’Olivier Py» à la tête de la direction du Festival d’Avignon en 2014.

On est loin de l’univers de Philippe Quesne et de sa “Mélancolie des Dragons présentée en 2009. On aimerait bien que le chorégraphe Dave St-Pierre nous revienne aussi avec sa bande d’illuminés….eux qui nous avaient tant attendris en 2009 avec «Un peu de tendresse, bordel de merde!».Comment ne pas évoquer Olivier Dubois et son “Après Midi d’un Faune” présent à Avignon en 2008 : c’est la même forêt qu’en 2011 mais on regrette les fondements, qui en sont absents…..

En passant,  les comédiens d’Oncle Gourdain nous disent qu’ils ne sont pas danseurs, qu’ils ne sont que  des performeurs… c’est peut-être vrai, c’est ironique, mais on les appellera toujours “Pudelague et Kaunasse”…de drôles de Lutins perdus, superbes, magnifiques et attendrissants.

C’est un bon moment passé avec eux, les FousFous, mais on reste quand même, caché derrière un arbre, un peu insatisfait, et va savoir… on se demande pourquoi on reste sur sa FIN…La Dérision ne masque-t-elle pas un  désespoir caché ?…Allez savoir…

Francis Braun.

Mon désespoir, c’est la répétition d’un tel propos: faute de pouvoir penser le théâtre comme  un geste artistique et politique permettant de renouveler la pensée, des artistes tapent.  Même sur le Festival d’Avignon (en évitant soigneusement de s’en prendre à la direction actuelle…). On tape sur le système tout en profitant de ses largesses. Cette génération de metteurs en scène (ils ont entre trente et quarante ans)  est enfermée dans une vision romantique : ils croient à l’immensité de leur talent, mais ils pensent que le monde actuel leur est hostile. Alors, ils tapent…Et nous rions…sauf que derrière ces lutins, se cache une bande de réactionnaires, ceux-là mêmes qui nous pourrissent la  vie en empêchant l’émergence d’une pensée complexe qui serait capable de redistribuer les cartes, avec d’autres jeux, dans d’autres mains. Je combats ces gens au quotidien dans mon métier et sur ce blog. Car nul ne doute que si ces lutins voyaient un tadorne, ils le déplumeraient pour le jeter aux chiens.

Pascal Bély  – Le Tadorne.

“Oncle Gourdin” de Sophie Perez et Xavier Boussiron du 12 au 17 juiillet 2011 au Festival d’Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON

Des hommes sur le fil du Festival Off d’Avignon.

Il entre en scène, vêtu d’un manteau gris. Un bâton de dynamite à la main, il allume la mèche pour se faire éclater. Fini la comédie. Il faut ranger les rires, introspecter l’homme qui se cache derrière le clown. Une déflagration résonne. Il réapparaît avec son nez rouge.  Avec «Anatomie d’un clown», Philippe Goudard s’interroge : pourquoi rien ne marche dans ses numéros ? Doit-on donner du sens à tout?  Avec une mécanique précise, cet enseignant-chercheur en arts du spectacle explore les ressorts du cirque et ceux du théâtre. L’un ne rencontre jamais l’autre malgré leur enchevêtrement. Il s’amuse à distinguer les deux en les incluant dans ses numéros. Les tours ratés servent alors de postulat pour disséquer le clown et poser une frontière poreuse avec son double.

Dans la mise en scène de la vie quotidienne,  le sociologue Erwing Goffman précise que donner vraisemblance au rôle que l’on s’attribue, c’est faire passer l’image que l’on se fait de soi. Une représentation au coeur même de la proposition. Si le clown fait rire, est-il à son image ? Si le public s’amuse, renvoie-t-il l’image que l’on attend de lui?

L’écriture dramatique du jeu clownesque, sur lequel vogue Philippe Goudard nous interroge sur la notion introspective d’un spectacle. Si l’artiste s’inspire de sa propre expérience pour interpréter un rôle, de quoi se nourrit le spectateur ? La réflexion devient vertigineuse. Qui de l’homme ou du clown vient de nous divertir ?

Le public assiste à cette mise à nu du Jeu. L’homme joue, le clown en fait de même. Nul besoin de faire de distinguo, tous deux sont fait de la même matière.  Ainsi prend sens ce cours d’anatomie. Bravo l’artiste !

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Sur une piste de cirque miroir, Mircea Silaghi s’avance. Une boîte musicale entre les mains et des poupées pour acrobates. Il joue et nous emporte dans un flot de paroles. Son accent aux teintes d’Europe de l’Est entraîne notre imaginaire sur le fil des mots. Mircea Silaghi embrase l’écriture du «Funambule» de  Jean Genet qui aurait certainement dit de lui : «Il est beau comme un Dieu»?

Suspendu à ses lèvres, je frissonne lorsqu’il l’imagine sur un fil d’acier, tiré entre deux mats de chapiteau. Il l’écoute glisser ses pieds sur la froide matière, l’écoute rebondir, l’écoute vivre. Les mots de Jean Genet effleurent, caressent, pénètrent dans ma peau. De ce funambule, j’en découvre la vie, voit son corps dans son habit, imagine son sexe ganté. Je vis à titre posthume, cet amour pour l’artiste. De son art, j’en saisis la grâce, l’indéfectible lien qui l’unit à lui, à nous. Mirca Silaghi a cette beauté insolente qui donne chair aux mots de Genet. Il les déclame, joue avec, pour mieux m’attraper. Le reflet de son visage me renvoie la profondeur de la piste de cirque. Plonger dans son regard, c’est faire le choix de tomber dans l’abîme. Une douleur exquise qui parcourt la peau. L’écriture est charnelle, la proposition l’est tout autant.

Du funambule, ne pas détourner les yeux lorsque ce dernier, marchant sur son fil, sautille comme s’il était à même le sol. Du funambule, en regarder la puissance, celle de déjouer la mort. Du funambule, garder en mémoire son existence misérable pour mieux briller sur son fil.

Approchez, Mesdames et Messieurs, laissez-vous porter par ce requiem. Jean Genet avait la force des mots, Mircea Silaghi a la force de l’incarnation.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Anatomie d’un clown, avec Philippe Goudard. Théâtre de l’Adresse. Tous les jours à midi jusqu’au 31 juillet.

Le Funambule de Jean Genet. Mise en scène de François Jacob, avec Mircea Silaghi. Une production Franco-Roumaine. Au Collège de la Salle jusqu’au 28 juillet à 9h45.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, hum…c’est…genre…hum.

À peine entré, je m’interroge : «pourquoi le Cloître des Célestins est-il aux trois quarts plein?».

À peine commencé, je m’interroge à nouveau : «est-ce une plaisanterie ? Est-ce encore une pièce tendance dénichée par le Festival à laquelle nous ne comprenons rien?». Le premier tableau voit un orchestre au pied de la scène et trois actrices au look d’adolescentes uniformisé se déhancher, danser et chanter.

Je m’interroge puis?ils m’invitent à lâcher toutes mes références théâtrales. Ce que je perçois n’a pas de précédent. En deux parties (cinq heures trente au total!), ces acteurs hors-normes retranscrivent la vie de Krinstin Worrall (l’une des musiciennes qui joue de la flûte traversière), tirée d’un enregistrement téléphonique. Rien ne nous est épargné : ni les «hum», ni les «genre»?tout, mais tout est chanté et dansé. Du premier cri de la naissance aux premiers boutons sulfureux de l’adolescence,  les moindres détails de la famille sont passés en revue. Nous voilà ainsi immergé au c?ur de la middle class des États-Unis : sans intrigue, ces acteurs hors pair arrivent à nous passionner. La partition est totale : chorégraphique, chantée et musicale. Les mouvements épousent l’évolution du corps biologique tandis que la voix traduit l’étendue du changement émotionnel éprouvé. Hommes et femmes se relayent pour nous conter cette histoire sans héros et nous offrir toute une palette de postures et de positionnements. Car la famille est un système complexe régi par ses jeux de pouvoir, ses stratégies d’affrontement et de contournement. Dès la plus petite enfance, âge de toutes les fureurs, la sexualité pose question. Dans “Life and times“, le Nature Theater of Oklahoma enfante d’un nouveau regard sur l’enfance et c’est jubilatoire. Car l’histoire de Krinstin Worrall met en scène notre Histoire d’enfant : «cela nous parle», à chaque instant. De la danse de la marelle à la boom, les metteurs en scène Kelly Copper et Pavol Liska ravivent notre mémoire chorégraphique et vont explorer l’origine de notre sensible, celui-là même qui nous guide vers le théâtre. Peu à peu, cette troupe de dix-huit acteurs enchante le quotidien, mais aussi notre regard de spectateur :leur projet est profondément participatif sans que nous ayons besoin de monter sur scène. Ils y sont pour nous !

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En jouant ce texte brut, ils nous offrent la possibilité d’en étudier toutes les subtilités pour en dénicher le sens caché. Notre écoute est donc mobilisée. En retour, notre altérité  est célébrée ! Est- ce pour cette raison que, malgré la fatigue accumulée à 22h30 à l’issue du premier épisode, je reviens pour le deuxième à minuit ? N’est-ce pas là un réflexe d’adolescent, celui de retrouver la bande, sa seconde famille ? N’est-ce pas là un geste narcissique au moment où cette troupe magnifique fait de moi un spectateur performeur capable d’écouter sur cette durée une histoire aussi  banale ? Mais au-delà, «Life and Times» est une chronique au croisement de l’intime et du social où la danse et le chant s’enchevêtrent pour placer le spectateur au centre d’une histoire qui n’est pas la sienne. Et si ces Américains nous donnaient la plus belle définition du théâtre pluridisciplinaire au-delà des concepts dans lesquels bon nombre d’artistes français et leurs programmateurs se perdent («transdisciplinaire», «indisciplinaire»).

Il nous arrive des États-Unis. Le public d’Avignon leur a fait une ovation?hum?genre?hum…une ovation grave.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Life and Times (chronique dune vie) » du Nature Theater of Oklahoma. Épisodes 1 et 2. Au Festival d ?Avignon du 9 au 16 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Au Festival Off d’Avignon, les tissages fraternels de la Condition des Soies.

Dans la cadre du programme proposé par Micadanses – Paris,la compagnie CFB 451 présente «Ô mon frère!» et «Valse en trois temps, Solo». Deux propositions diamétralement opposées quidemandent à y revenir.

«Ô mon frère !» est un moment de vie. Trois hommes partagent le plateau. Nul ne sait d’où ils viennent. Ils ont la justesse des corps éprouvés d’où se dégage une indicible mélancolie. De leur histoire, nous ne saurons rien. Comme échappés des photographies de Josef Koudelka, ils vivent par-delà les clichés. Tout en clair-obscur, les corps en mouvement se rappellent à leurs souvenirs.   Ils sont tour à tour chef de file, pour mieux trouver une
issue à l’aridité de leur «vivre». Comme dans une course athlétique, ils se passent le témoin qui devient béquille pour avancer, arme pour survivre. Les liens fraternels oscillent entre l’amour, l’entre-aide, la haine, la jalousie. Par le biais de différentes photographies chorégraphiques, les gestes inventent les histoires et guident
nos ressentis. La rudesse gestuelle se fait tendre avec la voix de Leonard Cohen. Elle habille le plateau de son décor et englobe les corps des danseurs et du public à l’unisson. La danse des frères Ben Aïm est une offrande à
l’union, à ce lien indéfectible qui unit des êtres entre eux.

Changement de registre pour «Valse en trois temps, sol ». Une danseuse descend des gradins, se poste devant nous et fait la moue comme font les enfants quand on leur intime l’ordre de faire. Ici, ce n’est qu’une audition. Sera-t-elle retenue pour ce rôle? Vingt minutes de légèreté, de pureté dans les gestes, d’une parfaite maîtrise du corps en mouvement. Aurélie Berland affronte la bande-son patchwork d’airs classiques. Elle est talentueuse. Elle est la danseuse rêvée. L’écriture chorégraphique des frères Ben Aïm nous laisse la possibilité d’imaginer en train de danser, de l’accompagner dans ses gestes et dans son appréhension à maintenir le cap, jusqu’au “Olé” final.  Une invitation à questionner le corps en mouvement.
Laurent Bourbousson , www.festivalier.net
Valse en trois temps , Solo, Ô mon frère.  Compagnie CFB 451. Jusqu’au 13 juillet. 10h00. Théâtre de la condition des soies.
Valse en trois temps (intégralité) à la caserne des Pompiers. Jusqu’au 26 juillet. 17h00.

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THEATRE MODERNE

Au Off d’Avignon: une bande de porcs.

Nous sommes tous des porcs. Le théâtre est là pour nous le rappeler. On ne fera pas la longue liste de tous les auteurs et metteurs en scène qui nous tendent un miroir souvent drôle, provocateur et percutant sur notre animalité grandissante. Au Théâtre des Ateliers de Lyon, « la grammaire des mammifères » de William Pellier mise en scène par Thierry Bordereau, enfonce un peu plus le clou en nous traitant de « protagonistes » dans « une porcherie ». Ouf, nous avons conquis quelques grammes d’humanité ! Mais qu’est-ce qui nous vaut une telle reconnaissance ? Finalement, ces six comédiens aiment les spectateurs à quatre pattes, jusqu’à prêter serment alignés. Ils nous jurent qu’ils seront fidèles à l’auteur, au jeu, à leurs valeurs…Le public rit de leur manipulation. C’est gagné, ils nous ont dans la poche.

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Et nous voilà partis pour deux heures d’une épopée rocambolesque en terrain porcin, caprin, canin et chevalin (l’homme dans toute sa diversité). Car, n’est-ce pas à partir de ces terrains et de ces postures que nous abordons la plupart du temps la complexité de l’humain? N’est-ce pas la sphère médiatique et le pouvoir économique qui nous abreuvent de théories comportementalistes (repris par les charlatans de tous poils ? sic- présents dans les entreprises, les familles, le milieu culturel, ?.) pour mieux créer les conditions de la domination ?  N’est-il pas temps que le théâtre s’insurge contre le pouvoir économique et médiatique unis pour le pire quand ils réduisent notre humanité à notre temps de cerveau disponible ? À force de traiter collectivement l’humain avec une telle désinvolture, nous nous approchons du porc. C’est ainsi que ces artistes (tous exceptionnels à passer d’un registre animal à l’autre) nous interpellent : les histoires que nous racontons pour nous rassurer sur notre humanité ne tiennent plus debout. La rencontre avec l’autre, au travail, dans le couple, est entachée, car nous la marchandons en prostituant nos valeurs. Le théâtre peut-il encore nous sauver ? Pas si sûr alors que Thierry Bordereau caricature une scène de théâtre où les acteurs affublés de peaux de bêtes débitent un dialogue?abêtissant au milieu d’un décor de salle d’exposition d’art contemporain. La boucle est bouclée.

Ainsi, de multiples tableaux sur notre animalité défilent à partir d’une écriture scénique ciselée comme un bijou tranchant, fluide comme nos sécrétions. Les mots s’accordent avec le verbe, le sujet et le complément d’objet direct pour former une grammaire théâtrale populaire. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les acteurs reviennent vers nous pour créer le collectif, seul capable d’humaniser le corps social désarticulé par la pression des logiques quantitatives. Ils n’hésitent donc pas à faire monter sur scène une spectatrice, comédienne de son état (vive les statuts hybrides !) pour jouer avec elle, avec nous, et stimuler sa créativité. Belle métaphore : le corps social et les artistes sont une force capable de déjouer bien des théories réductionnistes.

Il y a pourtant des moments de flottement, car ces acteurs donnent beaucoup d’eux-mêmes tout en attendant parfois trop de nous. La sollicitation permanente par le discours métaphorique peut momentanément fatiguer : nous aurions peut-être aimé une pause chorégraphique ou un silence animal. Mais qu’importe : ce soir, à Lyon, le théâtre a joué avec humanité. Impossible d’en sortir totalement bête.

Pascal Bély,www.festivalier.net

« La grammaire des mammifères » de William Pellier, mise en scène de Thierry Bordereau  a été joué au Théâtre des Ateliers à Lyon en janvier 2010. A la  Manufacture pendant le festival Off d’Avignon 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

“Un Prince en Avignon” ou celui par qui un autre Théâtre arrive.

Il faut, c’est un ordre, être témoin de ce Miracle. Il faut participer à ces heures de liberté jouissive, vivre cette aventure shakespearienne indéfinissable  avec la troupe de Vincent Macaigne dans «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» d’après «Hamlet» de William Shakespeare.

Il faut voir Le Cloître des Carmes, lieu du Sang versé, devenir le lieu de tous les possibles, de tous les délires. Il faut le voir vivre d’une façon différente (il a été investi totalement pour cette occasion par un cabinet de curiosités baroque et intrigant sur un sol un gazon vert fané avec eau croupissante).

Nous sommes conviés par un chauffeur de salle pour une cérémonie joyeuse et terrible. On hésite entre un happening hippy baba et un spectacle de fin d’année ; on se demande à quelle sauce on sera trempés…les gens descendent, des gradins sur la scène, commencent à danser…on attend et ce sera tout à la fois.  Ce soir, Hamlet revisité  va devenir L’oeuvre Théâtrale  universelle  d’un mec imprévisible et sans contrainte. Ce sera le fait d’un artiste  qui explose à la fois de sa folie et de son délire. On le sait intelligent, désarmant, on ne sait pas si cela va durer dix minutes, une heure, ou toute la nuit…ou s’il va s’en aller.

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Au bout de quelques minutes, c’est certain : nous allons oublier le temps pendant quatre heures, nous allons être assis, rivés à nos fauteuils, bloqués hilares, sidérés et ébahis.

L’esprit de Vincent Macaigne, (qui s’agite avec les machinistes en haut des gradins, comme un chef d’orchestre), est totalement débridé et contrairement au slogan néon posé en enseigne sur le mur d’en face “il y aura pas de miracles ce soir»…Mais,  de CE MIRACLE,  on pourra se souvenir…

C’est Hamlet, lui, sa famille, son trône, son palais qui nous sont racontés, mais c’est aussi la Tragédie de ce Prince du Danemark revisitée sur un gazon piétiné, semé d’embûches irréparables. C’est une vie de crime intemporelle relatée  sur un champ dévasté. C’est hier et aujourd’hui sang mêlé, c’est une Ophélie en pleine inquiétude, c’est une mère qui n’en peut plus de posséder ;  c’est bien sur Hamlet, jeune enfant qui se souvient.

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C’est son histoire fondue enchaînée à notre actualité qui s’exprime sous nos yeux et devenons alors  les otages-bienveillants-volontaires dans un cloître ouvert à toutes les Folies. Folies de la mise en scène tour à tour explosive, sereine, calme ou désespérée. Folies des lumières, soudainement crépusculaires, parfois hivernales, soudainement glaciales…Le cauchemar ou le rêve partent en fumée…des réelles fumées nous enveloppent ponctuellement.

Les comédiens  nous surprennent tout le temps, ils nous font rire et  nous coupent la respiration. Nous sommes à chaque seconde secouée de sentiments différents. Nous sommes déstabilisés, dérangés, enthousiastes, parfois inquiets. Plus les minutes passent, plus les corps-spectateurs se figent silencieusement dans le respect et l’effroi.

Des litres  de sang se déversent sur un corps qui meurt. C’est l’Instant terrifiant incarné par des comédiens incroyables. Nous sommes happés, nous ne savons plus distinguer l’histoire et le présent.

C’est à la fois le spectre de Pippo Delbono qui hurle sans qu’on le comprenne, c’est Angelica Liddell qui joue de son corps, de ses seins, de son sexe, c’est aussi le Sang de Jan Fabre, mais c’est surtout le monde du corps  de Vincent Macaigne.

 Il y avait avant Pina et après Pina…il y avait avec Angelica Liddell, maintenant l’histoire shakespearienne ne pourra vivre sans le  cadavre laissé  par Vincent Macaigne. dans les murs du Cloître des Carmes….

C’est lui L’ENFANT du festival, car il naît ce soir à nos yeux. Offrons-lui le TRONE qu’il mérite, qu’on le couvre d’HONNEURS, qu’on le salue, et que l’on reconnaisse en lui CELUI par qui un autre THEATRE arrive…. Proclamons-le “Notre Nouveau Prince de Hambourg”, crions haut et fort “Vive LE PRINCE et vive sa folie”.

Ce fut, je dois dire,  exceptionnel.

Monsieur Vincent Macaigne, Nouveau Prince en Avignon…

Francis Braun, Le Tadorne.

A lire le regard de Pascal Bély.

«Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne au Festival d’Avignon du 9 au 19 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Boris Charmatz a dit à l’Enfant d’aller jouer dans la Cour…

Quel est le rapport entre le Grand Palais à Paris et celui des Papes en Avignon où se joue «Enfant» du chorégraphe Boris Charmatz ? A priori rien. Sinon, ce soir, une machine extravagante et mécanique qui saisit ce qu’il y a au sol.
«Main Divine» de Boltanski qui choisit les vêtements des adultes et des enfants, «Main  hasardeuse»  qui sélectionne à la Fête foraine les jouets que l’on peut gagner… «Est-ce  la Main de Dieu, est-ce la Main du Diable»…..c’est la Main-Proie qui donnera naissance à La Danse aérienne, la Main qui enfantera le Malheur et l’Enfer….la Main du Bonheur peut-être, la Main de la Victoire de la Jeunesse…la Main de l’Espoir, la Main tentacule de Boris qui balance.
Boris Charmatz a dit à «Enfant» d’aller jouer dans la Cour, mais aussi de faire un tour à la Fête Foraine. Il lui a dit de faire semblant de jouer à la Poupée, d’être le temps d’un instant une chose informe, délaissée à l’autre, de devenir le «corps inanimé avez-vous donc une âme», de s’abandonner pantin désarticulé,  de voir pendant le silence,  l’autre en noir,  pendu à l’envers.
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La musique, c’est le bruit de la machine qui résonne. La machine c’est Work in Progress…Travaux en Cour;.., une autre Pèche Miraculeuse; c’est vrai qu’à un certain moment on croit voir des poissons sans oxygène à la surface d’une eau noire et glacée.
Et puis la Fête Macabre continue avec son escalier qui mène vers les tremblements, les secousses.
Les corps inachevés s’amoncellent pour devenir un magma de jambes et de bras saccadés….
L’Enfant Multiple est déposé un a un par son père, par sa mère, par un autre géniteur, par l’intrus qui en prends soin. On a peur de la dérive.
L’Enfant dort-il à ce moment-là ou est-il ailleurs ?
L’Enfant batracien devient le jouet et on a peur.
Peur de ce que l’on va faire de lui, poupée de cire, poupée de son prédateur.
Les Mouettes arrivent, oiseaux de bon augure…
Mer, vent, chant ils sont bringuebalés, malmenés, adorés aussi.
C’est le Radeau de la Méduse, le naufrage sûrement mais pas encore. Bientôt, on ne sait pas, bientôt on espère le Sauvetage en mer…
C’est un jeu qui commence pour finir par la guerre. Qu’a-t-on fait à l’Enfant. Comment l’a-t-on regardé ?
Les Hommes ont les yeux fermés, l’Enfant des Enfants ouvre les siens.
Ils prennent le pouvoir, deviennent les Enfants Rois, la Cornemuse n’en finit pas d’hurler dans la Cour…
Je crois qu’ils vont commencer à jouer dans la Cour. 
Francis Braun-Le Tadorne.
“Enfant » de Boris Charmatz au Palais des Papes du 7 au 12 juillet 2011.
A lire le regard de Pascal Bély.
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FESTIVAL D'AVIGNON

Angelica Liddell, vous faites peur.

Cette page de spectateurs est une issue. Après une heure quarante de «Maudit soit l’homme qui se confie à l’homme : un projet d’Alphabétisation» d’Angelica Liddell, je jette l’éponge et quitte le parking de la salle de Montfavet. Il reste encore une heure qui doit actuellement se dérouler et je ne veux même pas l’imaginer tant la moutarde me monte au nez.

Je me demande si c’est à chaque fois la même histoire pour nos figures contestataires de l’art vivant (Roméo Castellucci, Jan Fabre, Rodrigo Garcia) ou si c’est moi qui, à chaque fois, arrive après le cri primal, la première provocation signataire. Est-ce l’expression de la révolte puis son intégration à un système de production à grande échelle qui appauvrit autant le propos de ces artistes ? Je ne peux que me poser cette question face à autant d’agressivité et de prétention. Angelica Liddell en est à sa vingtième création : elle a dû intensément travailler la partie marketing de ses productions (c’est aujourd’hui un passage obligé du spectacle). Elle  nous livre pour ce Festival d’Avignon, un défouloir puzzle et fragmenté, qui est fondé sur le concept ultra antique de la catharsis. Spécialiste de la douleur, Angelica Liddell nous engage, à grand renfort de diffusions sonores plein volume, dans sa guerre contre l’humanité et sa violence endémique. Non content de nous asséner quatre mêmes morceaux de Schubert, en déroulant un filage d’une chorégraphie approximative, Angelica Liddell se met à entonner sa longue plainte contre les intellectuels bourgeois que nous sommes, tous complices d’une potentialité pédophilie, qu’elle n’est apparemment pas. Hic ! Je n’ai pas lu Wittgenstein, mais elle, oui. C’est le mot qu’elle assigne au W de son alphabet post-Deleuzien. Ce projet d’alphabétisation commence sérieusement à devenir péremptoire. Pauvre analphabète que je suis et jouisseur-branleur-voyeur de spectacles, je fais partie d’une masse venue voir la nouvelle tête de proue d’Avignon, qui se met, de plus en plus, à m’engueuler, parce que je n’ai jamais voulu tuer un homme ou que je n’ai pas encore assez souffert. Suis-je en train d’assister à une nouvelle messe de fanatiques ? A une débâcle où les punks sont devenus les curés de l’Apocalypse ?

Je me sens conservateur, cette pièce a décidément des effets nauséabonds sur mon mental. J’ai envie de me lever et de lui crier : « Mais qu’est-ce qu’on vous a fait ? » C’est vrai que la réponse serait plus simple, plutôt que de nous retourner dans tous les sens la violence martyre, unique, christico-nationalisto-espagnole. Il y a ici, pour moi, un choix qui manque de distance et de maturité, l’exploitation classique d’une névrose avec l’impossibilité de la transformer, de la formaliser pour qu’elle devienne notre histoire, pour que l’on puisse s’en servir. Pas d’horizontalité, pas même de verticalité transcendante, un grand mur, une grosse façade richement bariolée de griffures et de sang, en haut duquel, s’agite une prédicatrice, éperdument triste. Angelica Liddell est douée, éperdument douée. Voix gutturale et plurielle, courage scénique jusque dans l’absolu, intelligence du paradoxe, affranchissement de la narration… Autant de talent m’amène à autant d’acrimonie. Je me risque enfin à une critique plus sérieuse, celle robespierrisante du terrorisme. La formation d’acrobates tai-chi qui parsème la première partie de votre spectacle, la présence de votre double pareillement costumée en porte-jarretelles et robe de soie, m’ont fait l’effet d’accessoires complètement déshumanisés. Vous vilipendez la sauvagerie humaine, mais vous appelez de vos voeux une Bande (B de votre alphabet) rassemblée par la Haine (H). Vous êtes assise sur votre propre lame. Aussi, je suis déçu qu’il ne s’agisse pas de politique, mais de votre thérapie. Angelica Liddell, vous faites peur.

Pourquoi Jean-Louis Costes, très grand performer de la catharsis, n’a-t-il jamais été invité au Festival d’Avignon ? Est-ce parce qu’il s’adresse à la Cour des Miracles dans laquelle il s’inclue pleinement, et qu’on craint que son public de fidèles fasse fuir la clientèle intelectuello-bourgeoise que châtient Angelica Liddell ou Rodrigo Garcia  ou est-ce parce qu’il a refusé, qu’il a eu peur de gagner en pouvoir, de passer d’une bête de foire consentante et chamanique à un instrument de rancoeur médiatisé par le succès et l’attente ?

Je regrette de ne pas avoir vu «La caza de la fuerza», votre création acclamée l’an dernier au Festival.

Je regrette aussi l’état de nervosité dans lequel vous m’avez mis.

Sylvain Pack , http://sylvainpack.blogspot.com

A lire le point de vue du Tadorne, Pascal Bély.

« Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation » d’Angélica Liddell du 8 au 13 juillet 2011 dans le cadre du Festival d’Avignon.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Au Festival Off d’Avignon, l’épuisement.

Un bruit sourd envahit la salle. Dans l’attente, nous crions pour nous faire entendre. L’assemblée des spectateurs et les entrées symbolisent la ville bruyante. D’un coup, le vacarme s’arrête. Un grand mur vidéo nous affronte pour nous plonger, dans un silence quasi religieux, dans le flot incessant de la circulation de la capitale belge. Le corps est en totale symbiose avec l’automobile. L’anonymat le plus absolu.

Tandis que l’actrice-comédienne Olivia Carrère apparaît du fond de son lit rouge sang, le théâtre s’incruste peu à peu. Nue, elle regarde le monde au travers des stores. À cet instant précis, le théâtre fait son cinéma pour filmer théâtralement la solitude d’une jeune femme. Pas un mot ne sera prononcé, tout juste résonneront «Dis quand reviendras-tu?» de Barbara et «The winner takes it all» du groupe Abba. Les premiers tableaux me rappellent «Le concert à la carte» de Franz-Xaver Kroetz, mise en scène par Thomas Ostermeier et présenté au Festival d’Avignon 2004. Mais ici, la solitude est en troisième dimension: le corps en scène, le mal de vivre en film, la quête d’un amour absolu en internet. Face à un tel dispositif, nous sommes probablement aussi seuls qu’elle : notre désir d’une certaine théâtralité doit cohabiter avec des effets scéniques qui nous éloignent peu à peu d’un propos que nous voudrions limpide.

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L’atmosphère rappelle “Inland Empire» de David Lynch comme pour renforcer sa descente aux enfers et nous guider vers l’inexplicable : elle préfère son avatar tandis qu’elle déforme son corps; elle s’ouvre vers la toile pour s’enfermer chez elle et finir barricadée alors que la ville capitale grouille d’humains. Fabrice Murgia filme, théâtralise, connecte pour distancier, isoler tout en tissant des liens d’effets et de causes. Nous vivons en direct, ce processus qui paraît inéluctable : le plus petit acte répétitif du quotidien fait sens, le corps ne répond plus au désir de le rendre beau, l’internet est une prison ouverte à partir de connexions infinies avec un homme-lapin, mais qui réduisent et définitisent tout. Effrayant. Nous voilà à distance alors que probablement, nous souffrons d’une solitude imposée par une société qui objective le subjectif, cloisonne l’inséparable. Désirons nous humaniser pour communiquer ? Supportons-nous l’improbable quand internet nous promet l’autre à notre image ? Acceptons-nous le corps biologique alors que le virtuel nous propose un lien amical désincarné ? Toutes ces questions sont superbement portées sur scène, au croisement des esthétiques qui, une par une, symbolise notre rapport au corps, au temps, à la représentation de la réalité. Le sort de cette jeune femme émeut à peine (sauf quand elle chante Abba avec sa belle robe rouge), comme si nous étions trop occupés à ressentir ce qui se joue sur la toile, cette réalité «psychique» dont nous ignorons encore les ressorts.

Fabrice Murgia mouvemente l’interconnexion du théâtre, du cinéma et de l’internet. Il ouvre des possibles pour mettre en scène nos connexions entre virtualité et réalité.

Il nous offre un art théâtral pour éclairer le Nouveau Monde.

Pascal Bély – « Le Tadorne ».
« Life : reset / chronique d’une ville épuisée » de Christophe Murgia à la Manufacture pendant le Festival d’Avignon 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, Angélica Liddell : D comme distance?

Elle nous revient. Après son triomphe l’an dernier au Festival d’Avignon dans le Cloître des Carmes avec « la casa de la Fuerza », nous sommes nombreux à attendre ce moment. Nous avons été profondément touchés par cette metteuse en scène hors norme qui n’hésite pas à parler de la douleur du monde à partir de ses propres souffrances. Avec Angelica Liddell, les frontières entre réalité et fiction, corps et texte, individu et masse ont sauté.

Elle nous revient de loin. Le Festival d’Avignon a eu la très mauvaise idée de l’exiler dans la salle des fêtes de Montfavet où le seul mouvement d’un spectateur fait grincer chaises et dents. Mais surtout, là où dans “la casa de la Fuerza”, la pierre du Cloître transpirait avec le corps d’Angelica, ici rien. Le minéral a disparu. Le décor en carton pâte accentue le factice : la chair et les liquides sont cachés sous des habits d’enfants, d’uniformes et de formes spectaculaires.

Mais la «Fuerza» est toujours dans le propos, même si le corps ne l’englobe plus. Un alphabet sert de fil conducteur, sorte de métalangage entre apprentissage normé et imaginaire florissant : A comme argent, E comme enfant, K comme Karaoké, L comme loup,  M comme méfiance, R comme rage, S comme société, U comme utopie, W comme Wittgenstein. Comme un abécédaire de la douleur, un kit de survie. Le Tunisien Mohamed Bouazizi ne l’avait probablement pas en poche quand il s’est immolé par le feu. Angelica préconise de son côté de se tirer une balle dans la tête devant «le président Français». Radical.

Comme Maguy Marin, Angelica nous envoie donc ses «salves». Là où la chorégraphe met en scène la crise de civilisation, Angelica se méfie «des champions de la civilisation». Son terrain, c’est l’intime, la famille (espace de l’idiotie où l’on empêche les enfants de grandir en les privant de livres). Il y a plus de chaleur humaine avec le « chinois du coin » quand on lui  demande le prix du pain qu’avec l’Autre («la vie n’est belle que parce que tu croises des salopards »).  La douleur la rend presque folle jusqu’à passer en boucle une sonate de Schubert interprété par un piano sans pianiste (ce dernier sera toutefois autorisé à jouer sur scène avec son corps souffrant et désarticulé dans le tableau final). Elle concédera une danse sur « Paint it, black » des Rolling Stones pour se calmer. Angelica ne croit qu’en l’artiste capable de poser sa douleur sur un plateau comme on passerait à table. Sinon, qu’il devienne un performer sportif : au moins, l’affect à distance produit parfois du beau.

 

Le propos d’Angelica Liddell diffère peu dans la forme de celui de Maguy Marin ou de Pippo Delbono : chacun évoque le trou béant dans lequel nous sommes tombés à force d’avoir pactisé avec le diable du divertissant, du médiatique, de la propagande qui régit nos vies intimes pour y placer les violeurs au sein même des familles. Ne prolongent-ils pas le propos de Jan Karski dans la pièce d’ Arthur Nauzyciel (qui a fait l’ouverture du Festival) où celui-ci prévoyait que l’Humanité ne se remettrait jamais de la Shoah ? Comment ne pas faire le lien alors qu’Angelica exhibe des lapins morts, ceux-là mêmes qu’elle faisait danser par des enfants dans le premier tableau pour les empailler dans le dernier? Comment peut-on effectivement imaginer «qu’un bon enfant fasse un bon adulte» ? Comment ne pas voir dans la sculpture finale, l’Humanité douloureuse avec des plaies provoquées par notre inconscience collective ?

Mais là où Maguy Marin et Pippo Delbono nous rassurent en nous transmettant leur poésie et l’énergie d’un festif pessimiste, Angelica Liddell inquiète. Sa douleur est à la frontière d’une folie dont nous pourrions être la victime.  «Être un homme c’est aussi avoir envie d’en tuer un ». Aïe…

Je me suis progressivement protégé dans «Maudit soit l’homme, qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation»). En a-t-elle conscience pour glisser dans la dernière partie vers une scène qu’elle met à distance en y posant une oeuvre plastique ? Sans traversée du corps, son alphabet m’est apparu peu à peu décharné. La douleur peut-elle être un alphabet où le mot se trouve pris dans un système englobant qui le réduit ? Dit autrement, la douleur n’est pas objet.

À moins d’une grammaire pour ne pas la confier.

Pascal Bély- Le Tadorne.  

A lire un autre point de vue, celui de Sylvain Pack.

« Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme : un projet d'alphabétisation » d'Angélica Liddell du 8 au 13 juillet 2011 dans le cadre du Festival d'Avignon.