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LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Le Monde, la Croix, l’Express, Le Figaro et Libération: la critique au bûcher?

La critique est divisée sur la création “Sang et Roses” du flamand Guy Cassiers jouée à la Cour d’Honneur. Mais ces divergences ne sont qu’apparentes. Fascinée par la rencontre entre Jeanne d’Arc, Gilles de Rais et la Cour d’Honneur, elle peine à dénoncer comment Guy Cassiers maltraite le lien théâtre- public. Tout ce qui fait la force de cette Cour est ainsi gommé au profit d’un dispositif technologique sophistiqué qui malmène les sens. Pourtant, mettre en résonance l’histoire de ces deux figures du Moyen-Âge est séduisant. L’un et l’autre, sont pris en tenaille entre leur foi religieuse, leur folie et le jeu pervers d’une Église toute-puissante. Construite en deux parties, Jeanne d’Arc et Gilles de Rais subissent le même sort : les faits, le procès, l’exécution. Cette linéarité empêche bien des mises en lien…

Dans «La Croix», Didier Mereuze voit dans ce décor d’écran métallique «l’écrin de la cour d’honneur qui retrouve magiquement ses couleurs originelles d’un Moyen Âge». Une Cour dans la Cour, en quelque sorte ! Que restituera cette pièce dans un théâtre de béton ? Fabienne Darge du Monde peut enfin légitimer sa plume de critique de théâtre : «voilà enfin, la grande création théâtrale que l’on attendait depuis le début de ce Festival d’Avignon, qui semble voué depuis quelques éditions à offrir plus de bonheurs du côté de la danse que de l’art dramatique». La vidéo contre les corps, voilà un bien bel aveu. À plusieurs reprises, Fabienne Darge justifie que l’«on est pleinement au théâtre». Comme si ce n’était pas évident jusqu’à s’appesantir sur les costumes: « Ils ne sont pas seulement d’une beauté inouïe : chacun d’eux est doté de mains postiches, qui donnent une image synthétique de chaque personnage». Nous frôlons l’image de synthèse…

Laurence Liban de L’Express (dont le titre de l’article est quasi identique à celui du Monde, «Jeanne la Pucelle enflamme la Cour d’Honneur») formule une critique sans appel : «Habité, presque encombré parfois, d’écrans, le plateau est dominé par un immense panneau fait de carrés métalliques où sont projetés les visages en gros plan des comédiens à l’oeuvre en chair et en os. Du fait des sous-titres traduisant le texte flamand, on a très vite l’impression de regarder un film. Ceci d’autant plus que, pour faire face à la caméra, les acteurs jouent de profil. Ce qui est accompli sur scène devient dès lors moins important que ce qui est vu à l’écran. C’est l’une des limites de ce spectacle par ailleurs splendide et passionnant, mais qui fait peu de place aux comédiens de chair et d’os pour laisser la plus grande place à l’image et à la parole. Et rive le spectateur aux écrans et aux sous-titres, sans lui donner le loisir de balader son regard ailleurs ». Mais se reprend : «Malgré ces réserves, Sang&Roses rend justice à la mémoire de la cour d’Honneur du palais des Papes et place haut les enjeux du théâtre contemporain. L’accueil fut on ne peut plus chaleureux. Et mérité sous le grand vent». Ainsi, Laurence Liban est fascinée par ce décorum jusqu’à le relier aux enjeux du théâtre contemporain! Ici aussi, s’interroge-t-elle sur le sens de cette oeuvre au-delà de la Cour ? Ne voit-elle pas que ce théâtre incarne les processus réactionnaires de la représentation?

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René Solis de Libération se laisse lui aussi aller à des accents lyriques puisqu’il voit dans ce spectacle programmé en fin de festival, une «clôture monumentale dans la cour d’honneur» pour reconnaître plus loin un décalage: «Grand sujet, grands décors, grands acteurs. Et c’est tout. Difficile d’imaginer plus parfait décalage entre forme et fond. La pièce de Tom Lanoye a l’art d’habiller l’anecdote de grands mots pour ne rien dire.» La critique est un peu plus sévère. René Solis ne s’interroge pas sur ce théâtre qui lui fait dire le tout et son contraire jusqu’à terminer sa critique par une analyse de texte?

Armelle Heliot du Figaro attaque à la machette : «Bref, de grands personnages, une troupe superbe, mais un mélange de naïveté et d’arrogance du côté des concepteurs oublieux aussi du vent dans la cour : le grand écran a dû très vite être replié».Mais là aussi, aucune analyse de ce théâtre d’images qui offre au spectateur un cours d’histoire sans solliciter ses sens. Assurément réactionnaire.

Ainsi va la critique en France. Fascinée par La Cour, elle oublie de décrire les processus de fascination utilisés par le metteur en scène au détriment de l’émancipation du spectateur. Elle repère les divergences entre le fond et la forme sans s’interroger sur le sens de ce grand écart. Dit autrement, Guy Cassiers propose un théâtre autoritaire sans que la critique n’y trouve rien à redire. Inquiétant, non ?

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Sang et Roses, le chant de Jeanne et Gilles » de Tom Lanoye, mise en scène de Guy Cassiers au Festival d’Avignon du 22 au 26 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE MODERNE

Au Festival d’Avignon, le théâtre crève l’écran.

Imaginez une scène de théâtre saturée de caméras et de fils, où le décor paraît lointain pris entre cabines de prise de son et tables où s’affairent des bruiteurs. Rêvez d’un plateau où le rôle titre est joué par plusieurs acteurs qui, à leur moment perdu, peuvent passer derrière la caméra.

«Christine, d’après Mademoiselle Julie» librement adapté d’August Strindberg par Katie Mitchell et Leo Warner de la Schaubüne de Berlin est d’une telle virtuosité qu’elle vous entraîne aux frontières du cinéma, du théâtre et de la danse. La mise en espace est d’une telle complexité qu’elle procure chez le spectateur un sentiment total de liberté l’invitant en continu à changer de regard et d’angles de vue. A être l’auteur de son propre cinéma théâtral !

Et pourtant, tout commence bien mal. À peine les acteurs prennent-ils position, qu’une caméra tombe en panne. Le théâtre peut-il à ce point dépendre de la technique ? Mais la suite nous démontrera que c’est exactement le contraire…

Julie est fille d’un conte. Profitant de l’absence de son père, elle organise une fête le soir de la Saint-Jean. Elle fait l’amour avec Jean, son valet. Celui-ci n’hésite pas à franchir la ligne: ils sont prêts tous les deux à poursuivre leur aventure en quittant la Suède pour ouvrir un hôtel en Allemagne. Ils proposent même ce voyage à Christine, fiancée de Jean et cuisinière du comte. Mais leur différence de statut aura raison de leur folie. Ils restent. Elle se tue.

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Plutôt que de mettre la focale sur Julie, Katie Mitchell et Leo Warner choisissent Christine comme héroïne, la métamorphosant peu à peu en tragédienne. Un grand écran restitue le drame tandis que les agencements permanents du décor font office de traveling de cinéma. Chaque scène, est une suite de plans répartis sur l’ensemble du plateau: quand Christine fait sa toilette, une bruiteuse orchestre le son comme une symphonie, tandis qu’une deuxième comédienne permet à l’une des caméras de zoomer sur une partie du corps. Alors qu’elle descend de sa chambre à la cuisine, le son étouffé dans les cabines prend de l’ampleur pour que les caméras puissent ouvrir des pans entiers du décor. Le film se fait donc en direct, sans montage, car le théâtre ordonne tout ! Toute la machinerie n’est qu’au service de la poésie pour entendre et comprendre la douleur de Christine, héroïne d’un film d’Ingrid Bergman.

Le plateau devient ainsi un tableau aux multiples touches de couleurs. La mise en scène s’autorise toutes les audaces: la caméra donne à chaque geste de Christine, une profondeur stupéfiante. Alors qu’elle prépare le repas, elle découpe un gésier comme elle transpercerait le coeur de Jean. Magnifique. L’épaisseur de chaque son, nous fait entendre son vacarme intérieur. Le moindre déplacement, nous permet de mesurer l’espace clos dans lequel vit cette cuisinière pieuse et loyale qui se crée tout un univers fait de plantes, d’herbier et d’odeurs de pré mouillé. La plus petite expression du visage nous est restituée comme un plan fixe dans lequel notre altérité est célébrée.

Alors que se trame une tragédie, je m’émerveille face à ce déluge de poésie qui submerge le plateau. Étrange paradoxe d’autant plus qu’à l’urgence des acteurs et des bruiteurs répond la lenteur des images. Elles nous reconstituent comment Christine vit à la fois le conflit de classe sociale entre Julie et Jean et la trahison amoureuse. La lumière presque sombre nous plonge dans ce trou sans fond à peine éclairée par son dialogue avec Dieu. Quand la doublure de Christine passe derrière la caméra, c’est pour nous offrir une mise en abyme stupéfiante : elle met en scène sa propre dramaturgie comme pour répondre à celle de Julie.

À mesure que le film avance, Christine dégage une force étonnante née probablement de son rapport si particulier à la nature et à la beauté. Tout ce qu’elle touche comme domestique, elle le métamorphose comme amante. Majestueux.

Katie Mitchell et Leo Warner créent une forme d’opéra théâtral où les sons et les images transforment la tragédie d’August Strindberg en espace mental où sont projetés nos désirs d’histoires d’amour impossibles.

Sur grand écran.

En dix D.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Kristin, Nach Fräulein Julie » mise en scène par Katie Mitchell et Leo Warner au Festival d’Avignon du 22 au 24 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Bertrand Cantat, «le condamné» d’Avignon.

À la veille de la représentation,  je pars au théâtre avec une absence en tête. Bertrand Cantat n’est pas là. Ainsi l’a voulue la «vox populi» après le battage médiatique du printemps dernier.  Ce soir, à la Carrière de Boulbon, un homme est absent pour «Des femmes : les trachiniennes, Antigone, Electre» de Sophocle, mise en scène par Wajdi Mouawad. Un homme condamné qui a purgé sa peine n’est pas là parce qu’à la douleur légitime d’un homme (Jean-Louis Trintignant), nous avons opposé un principe moral, l’excluant de cette traversée écrite spécialement pour lui. Nous lui avons symboliquement coupé les cordes vocales pour l’enterrer mort vivant.

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Dès lors, comment me positionner alors qu’à peine la pièce commencée, je conteste la décision de Wajdi Mouawad de maintenir la représentation? Pourtant, je suis là ce soir (après avoir longtemps hésité) pour écouter un enregistrement. Je suis ici et ailleurs. «La posture paraît intéressante», me rétorque-t-on. Certes. Sauf que Wajdi Mouawad n’a pas intégré ce processus. Tout juste laisse-t-il la place libre. Tout juste fait-il entendre la bande-son (tant qu’il y était, un vidéaste aurait pu tout aussi bien projeter Bertrand Cantat).

Il y a  des acteurs, mais un trou béant, sans que celui soit «mis en scène» : «débrouillez-vous avec» semble-t-il nous dire, lui qui nous avait enchanté et éprouvé en 2009 lors d’une nuit mémorable au Palais des Papes.

«Débrouillez-vous». Mais comment faire, sachant qu’entre eux, nous et le Choeur (la Cité), il y a un précipice ? Les trois musiciens errent comme des fantômes parmi des interprètes bien incapables d’incarner leur rôle alors que l’acteur principal est absent, condamné une deuxième fois. Comment entendre la tragédie sur scène alors qu’elle se joue ailleurs ?

Je comble le vide. Je m’accroche au chant de Bertrand Cantat qui fait tout trembler. Le rock est prière. Il est le cri primal de la démocratie. Il est ma peine. Il est un lancer de pierres de Boulbon contre l’autocratie.  Le sens de la tragédie est dans sa voix tandis que celle des acteurs se perd dans des effets de manche d’un cours de conservatoire.
Je m’accroche à l’insignifiant, au détail : je songe à Déjanire, épouse d’Héraclès, qui joue mouillée de la tête au pied. Comment fait-elle avec un froid pareil ?
Je repère ce qui est suggéré : les acteurs en font des tonnes pour créer une nouvelle forme théâtrale, un loft-story tragi-comique où la «masse-média» a déjà voté pour exclure l’un des protagonistes, observant toute-puissante le produit de sa lâcheté.
Je ris avec quelques spectateurs quand Wajdi Mouawad confond la scène avec un espace d’art contemporain où l’acteur devient oeuvre plastique, matière de son propre jeu, où le vivant se prend les pieds dans la figure de l’objet d’art, où une image en chasse une autre, sans lien.
Je ris et j’ai honte d’assister à un théâtre kitch qui me positionne dans une performance (six heures de représentation au coeur d’une nuit frigorifiante) sans que je ne ressente de la peur, de la pitié, de l’admiration. Cette  «tragédie» me laisse indifférent. 
Il est deux heures du matin. J’en ai assez vu. Je quitte la Carrière sans voir «Electre».  Je cherche du regard tous ceux qui pensent que l’on fait du théâtre avec de la morale et qui, ce soir, se contentent de si peu. Ils n’auront certes pas à l’applaudir, à se «salir» les mains. Ce soir, ils l’ont enterré.
Antigone cherche désespérément son corps.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Des femmes : les trachiniennes, Antigone, Electre» de Sophocle, mise en scène par Wajdi Mouawad au Festival d’Avignon du 20 au 25 juillet 2011.
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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, une spectatrice en VIOLET sème le trouble.

Il peut arriver qu’un imprévu change le cours d’un spectacle. Dans «VIOLET» de la chorégraphe Meg Stuart, une spectatrice a bouleversé le rapport scène-salle en entrant par effraction dans la dramaturgie pour lui donner un sens tout à fait particulier?

Meg Stuart précise son intention : «VIOLET se situe à l’endroit où le personnel rencontre l’abstraction». C’est clair et sans paraphrases inutile. Cinq danseurs, trois hommes, deux femmes se tiennent droit, sur une ligne imaginaire qui les relie. Le  fond du décor m’intrigue: une forme bombée de plastique noir semble prête à exploser sous la pression. Mais rien ne vient. Il produira tout au plus quelques flashs?À gauche, un musicien, légèrement en retrait, entre batterie et ordinateur, entre MP3 et boom boom. Il est mon casque sur les oreilles.

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Lentement, ils s’avancent. Leurs premiers gestes saccadés dévoilent les effets d’une musique peu à peu assourdissante. Chacun est dans sa bulle. Les corps s’électrifient. La danse est polarité : charges positives sur scène, négatives dans la salle. Il y a manifestement de l’électricité dans l’air. Ils tremblent, décollent du sol pour s’abandonner dans une sphère, probablement parsemée d’archipels de couleurs et d’ondes magnétiques. J’observe, mais je ne m’engage pas. Leur danse, déjà vue dans bien des chorégraphies, ne me surprend plus. Tout au plus, la musique commence à faire vibrer les gradins jusqu’à faire dérober le sol sous mes pieds. Entre apocalypse et battements de c?ur, ils entrent en transe. Ils sont certes isolés, mais l’onde de choc de l’un produit l’oscillation chez l’autre. A l’unisson. Comment font-ils pour être ensemble à ce tel niveau d’abstraction, à heure fixe, face à cinq cents spectateurs?

Soudain, devant moi,comme dans un concert,une jeune fille se lève. À côté, une spectatrice lui ordonne de s’asseoir. Je la rassure («c’est une danseuse»). J’en suis convaincu. À ce moment précis, j’entre dans«VIOLET». J’accepte que leur danse soit l’expression de ma tension. Ils sont ma jeunesse. Elle s’assoit. Puis se relève. Pris entre la scène et le gradin, je me penche. J’ai envie de me lever aussi, électrisé. Ils s’approchent, nous observent tandis que la musique se tait. Sommes-nous avec eux ? A ce moment précis, elle se lève à nouveau. Pour applaudir. Seule. On n’entend qu’elle. Battements d’ailes. Les protestations montent. Elle poursuit. Les danseurs aussi. J’hésite à me lever. La tension augmente. Elle est ce matériau conducteur entre eux et nous. Elle est cette enveloppe isolante. Elle est l’âme de cette danse.

Un agent d’accueil la fait sortir. Elle se tourne et nous dit : «Vous n’avez pas compris, c’était fini et ça a recommencé. Ce n’est pas grave. Il y aura d’autres moments pour comprendre». Elle part. Effectivement, c’était bien fini, mais ça recommence. La deuxième partie n’apportera rien de plus si ce n’est la rencontre des corps à terre où ils forment un magma poussif qui peine à propager de l’énergie malgré quelques couleurs hallucinogènes. Mais je me sens avec eux, emporté par ce projet : celui d’une danse abstraite dont le corps véhicule le rythme du vivant. Mon a(tension) ne faiblit pas : c’est de Jazz dont il s’agit. Abondance de syncopes et de contre temps, accentuation des temps faibles, interactions en groupe…Le VIOLET est donc Jazz.

Le lien avec cette spectatrice m’a permis d’opérer la rencontre entre cette danse abstraite et mon imaginaire musical et chorégraphique. Cette jeune femme, médium, médiatrice, s’est perdue pour nous dans le VIOLET.

«Elle est folle» ai-je entendue dans le bus. «Elle m’a sauvé», ai-je répondu.

Pascal Bély, Le Tadorne

« VIOLET » de Meg Stuart, au Festival d’Avignon du 19 au 25 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au delà d’hier, il y a aujourd’hui.

Tellement de “raisons” pourraient vous faire écarter cette proposition…Le thème, l’heure, la durée… et pourtant, vous y trouverez de quoi alimenter en vous un petit peu d’humanité en plus. Au-delà du thème, du «devoir» de mémoire, des acteurs qui sont magnifiques, il y a dans cette pièce des mots essentiels qui font résonnance de nous.

Ce n’est pas du sujet annoncé (la persécution homosexuelle par les nazis) dont je souhaite vous parler, mais de l’aspect «universel» des relations humaines qui traverse le propos, jusqu’à toucher, sans faux semblants, la question de l’intime dans les dernières scènes. Quitte à «choquer», je «gommerais» ici la question de sexualité ou de genre ; c’est le meilleur que peut nous offrir ce texte pour que ce qui a été vécu ne l’ai pas été pour rien.  Que ce que nous avons appris de l’horreur serve, même juste un peu  aujourd’hui, tout en ne nous « enfermant » pas dans hier. Le personnage de Max porte ce qui pourrait nous ressembler, que l’ont soit homme ou femme, homosexuel ou hétérosexuel. A condition bien sûr que l’on soit humain, un tant soit peu intéressé par de l’autre, voir même sexuel, sans nécessité de préfixe.

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Max traverse le quotidien sans trop se questionner sur ce qu’il vit ; il aime, mais ne sait pas le voir; il «consomme» la vie et les autres. L’horreur va le pousser à croiser, à entendre, ses petites et ses grandes lâchetés, mais aussi à accepter «l’effraction» et à sentir «l’essentiel» quand l’autre approche pour aimer. Ce texte parle de vie, de rencontre et de relation. Certes dans un contexte particulièrement terrible, mais qui porte, probablement en cela, la possibilité de «dire» et de «lire» ce qui nous tient vivants. C’est au plus violent de ce que l’humain peut inventer que Max rencontre Horst. C”est parce qu’ils sont dans cette situation qu’il peut trouver raison pour s’ouvrir par les mots.

Allez entendre, voir et laissez résonner la «scène d’hiver», écoutez les mots qui disent ce que souvent l’on tait, pris dans nos «peurs», engluées dans les «rôles à jouer» à l’approche des corps, occupées à ne surtout pas laisser l’autre «approcher trop près». Ce spectacle, au-delà de sa «fonction» mémoire de l’horrible porte beaucoup de vivant. Toutefois, pour éviter  toute» mauvaise surprise: Le lieu est peu confortable et l’espace scénique est très réduit, ce qui «enlève» un peu de force et de souffle à ce spectacle.

Mais, découvrir ou redécouvrir ce texte de Martin Sherman porté par de très bons comédiens est un vrai moment fort.

Bernard Gaurier, Le Tadorne

« Bent », mise en scène Anne Barthel avec Gérard Cheylus, Ludovic Coquin, Benoît Dagbert, Franck Delage, Jean Mathieu Erny, Georges Mathieu, Michel Mora, Frédéric Morel, Philippe Renon et Valentin Terrer. Au Théâtre du Rempart à 22H10 jusqu’au 30 juillet

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CONCERTS FESTIVAL D'AVIGNON

Jeanne Moreau, Etienne Daho…deux condamnés à aimer.

S’asseoir dans la Cour d’Honneur pendant le Festival d’Avignon, ce  n’est pas seulement assister à un spectacle, c’est aussi affronter le passé, faire résonner l’écho de la mythologie sonore et visuelle;  c’est aussi se remémorer, adorer,  oublier, accepter ou renier une histoire théâtrale parfois lourde à porter.

Ce soir, un des mythes est de retour….en mémoire et physiquement. Une icône qui raconte une autre icône. Un mythe des comédiennes  face à  un mythe littéraire : Jeanne Moreau et Jean Genet.

Ce soir elle va dire, elle va  parler, elle va réciter. Elle va donner sa voix à un plateau qu’elle a déjà arpenté au temps de Jean Vilar. Ce soir sera évoquée l’histoire d’amour, écrite par Jean Genet pour Maurice Pilorge.

La Jeanne, Mademoiselle Jeanne, la grande, la belle, l’adorée, la jamais critiquée, la Moreau sera la narratrice de mots magnifiques.

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A ses cotés, un homme de noir vêtu. C’est Étienne Daho.  Belle allure stoïque, peut-être  paralysé d’effroi, et sans doute très étonné d’être là. Devant nous, avec elle,  il y a  un chanteur de variété qui va s’accrocher aux pentes d’un texte érotique. Quand la musique Pop rejoint la dramaturgie. Quand la frivolité rejoint le désespoir.

Lumières éteintes, silence et l’orchestre se met en place. Re-silence et on attend de voir leur silhouette arriver sous les arches du Palais. Cheveux-costume blanc, petite taille grande sourire, crinière cendrée, elle irradie au bras du chanteur, portée comme une matrone égarée, ils sont ovationnés et admirés.  Silence, nous sommes aux abois. Suspendus.

Elle va dire un texte de Jean-Paul Sartre : “Genet, comédien et martyr », qui décrit l’homme Jean Genet,  double à la fois,  poète et voleur. On apprend que Jean Genet est emprisonné, pour vol à Saint-Brieuc et qu’il  est fasciné par Maurice Pilorge, emprisonné, lui aussi, pour meurtre de son amant. C’est à partir de là que le voleur va trouver son inspiration et voir la naissance du  “Condamné à Mort”.

Suit alors ce  texte érotique, aux mots argotiques imagés, une bite est un chibre, une bite est un pieu…des mots poignards que Daho parfois n’arrive pas toujours à enfoncer, tant il se retient! Des mots crus, images superbes-métaphores imagées, sexuellement sensuelles  et cruellement envoyées.

….Jeanne Moreau dit parfaitement la douleur, l’amour, l’attirance,  tandis que  le micro d’Étienne Daho semble mal réglé. De son bras gauche, à plusieurs reprises il dit à ses musiciens de tempérer le son. Après quelques minutes, tout va bien, et miracle, il est compréhensible, il articule, le texte est superbement chanté quoique parfois pas assez incisif. Étienne Daho devrait trancher plus profond. Daho devrait y aller, comme Genet y serait allé. On pense à Marc Ogeret, plus brutal dans la profondeur de sa voix, on pense à Michel Hermon (comédien-chanteur-metteur en scène) qui chante “Sur Mon Cou” comme personne.

On pense à Francesca Solleville….

On pense à Hélène Martin créatrice musicale de ce Poème….elle est sûrement dans la salle, émue, fière et attendrie.

Nous sommes dans un moment de grâce. Les Murs deviennent la Prison de Jean, Étienne devient Jean et on devine l’ombre de Maurice qui se balade dans les airs. Ce sont les murs gris qui nous enveloppent, Jeanne en est la Gardienne, la Mère, la Putain. Elle devient, par sa voix grave, l’héroïne d’un poème chevaleresque, cette ode au Torse, à l’homme désiré, aux Héros virils qui étaient à leurs heures de vulgaires Pédérastes.

 La voix de rocaille de Jeanne devient l’écho incarné de la grisaille du Palais. Sa virginité blanche va être dépucelée par le Pieu du Voleur.  On atteint presque l’Orgasme littéraire, Étienne bouge avec des coups de reins sensuels….on est bercé de viol, bercé de vol, bercé de magie érotique. Les pierres en deviennent sensuelles.

On voudrait se lever et rejoindre Le Blanc et Le Noir, chanter avec eux, se recueillir sur “son cou”….Regretter que ce ne soit pas plus long. Quand les feux de la rampe s’adoucissent, on se demande si Maurice Pilorge a vraiment existé ? ….Est-ce Fresnes ou Saint-Brieuc? Est-ce un rêve, un fantasme ou la réalité…cela importe peu. . Seuls Hélène Martin et Jean Genet  le savent, preuve en est le dépouillement violent de son interprétation quand elle a créé ce chant d’amour.

Le mythe Moreau était en corps là, incarnant-incarnée, le Chanteur-ombre noire  regard perdu adoré…un moment de magie pure….encore des Mots intenses, et un souhait avoué…que Le Condamné résonne pour toujours de sa puissance animale.

On se souviendra longtemps, en ce salut final, de ce  couple enlacé…. Elle, cachée derrière lui pour mieux l’enlacer….On ne voyait alors qu’une silhouette blanche et noire, le corps de l’un dans le corps de l’autre.
…Deux condamnés à aimer…
Francis Braun – Le Tadorne.
“Le condamné à mort” par Etienne Daho et Jeanne Moreau au Festival d’Avignon le 19 juillet 2011
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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Cet «Avignon» auquel je ne comprends rien.

Cette année, le festival d’Avignon véhicule un théâtre de concepts portés par un collectif d’artistes réunis autour de l’artiste associé Boris Charmatz, directeur du Musée de la Danse à Rennes. Il s’en dégage la désagréable impression d’un entre soi qui isole l’art des idées, pose les concepts comme une fin en soi au détriment d’un propos qui créerait les conditions d’un dialogue vivant.

La «session poster» du 14 juillet fut révélatrice de ce constat. Organisée comme une exposition itinérante, le spectateur circule dans différents espaces, occupés soit par un danseur, un chorégraphe, un chercheur…Le « clan » de Boris Charmatz est là. J’observe, mais je peine à relier. Entre la partition chorégraphique sur le rire d’Antonia Baehr et la performance de François Chaignaud (qui demande aux spectateurs de l’attacher avec des ficelles tel un Christ sur la croix), je zappe… Je ne prends pas le temps de contempler la danse de Daniel Linehan trop occupé à scruter la métamorphose de Latifa Laâbissi. Épuisant.

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Le même soir, François Chaignaud (toujours lui, omniprésent dans les festivals, voir l’analyse que j’en faisais lors des Antipodes de Brest en 2010) présente avec Cecilia Bengolea, Marlène Monteiro Freitas et Trajal Harrell, «(M)imosa». Un entre soi autour d’une question : «que ce serait-il passé en 1963, à New York, si une figure de la scène voguing d’Harlem était descendue jusqu’à Downtown pour danser aux côtés des pionniers de la danse post-moderne ?». Bonne question sauf que je ne perçois pas l’ébauche d’une réponse. Les numéros se succèdent rappelant les travestis des années 80 dans les boîtes gay. Seule Cécilia Bengolea est sidérante alors qu’elle arpente le plateau, masqué de la tête aux pieds sous un bas qui laisse apparaître un godemiché et une mâchoire. Troublant, car symbolique des années sida. Mais il manque à l’ensemble une construction dramaturgique qui dépasserait leurs égos démesurés.

Celle d’Olivia Grandville dans «Le cabaret discrépant» est plus harmonieuse. Elle mobilise des noms proches de Boris Charmatz : Sylvain Prunenec, Vincent Dupont, Pascal Quéneau, Catherine Legrand et l’acteur Manuel Valade. Ils sont réunis autour d’Isidore Isou, créateur du lettrisme («mouvement qui renonce à l’usage des mots, s’attache au départ, à la poétique des sons, des onomatopées, à la musique des lettres»). Olivia Grandville tente de revisiter cet art en l’articulant aux oeuvres radicales qui jalonnent l’histoire de la danse. Entre exposition itinérante dans le hall du théâtre (une session poster plutôt réussie car cohérente) et un cours déjanté sur scène, chacun y trouva son bonheur. Sauf qu’à trop vouloir faire le spectacle divertissant, Olivia Grandville empêche toute lecture sur le sens de ce mouvement. Ici aussi, ce qui est montré semble avoir plus d’importance que le pour quoi s’est montré…

« Levée des conflits » de Boris Charmatz a été présentée au Festival «Mettre en scène» en novembre 2010. Bernard Gaurier avait apprécié cette proposition sur ce blog. Mais au Festival d’Avignon, cette oeuvre chorégraphique jouée sur l’herbe du Stade de Bagatelle (pour un Woodstock de la danse…sic), a perdu son sens. Nous retrouvons Olivia Grandville (bien peu inspirée), Catherine Legrand ainsi que  Boris Charmatz lui-même qui décrit « Levée des Conflits” comme un ensemble où «chaque danseur est pris dans un mouvement perméable à la fois au danseur qui le précède et à celui qui le suit, pour fabriquer une chorégraphie dont toutes les parties sont vues simultanément…c’est une sculpture. La pièce est donc essentiellement méditative». Soit. Sauf que l’énergie déployée par les danseurs n’est jamais arrivée jusqu’à moi, car enfermée dans un concept finalement trop «lisible» dans ses intentions. Je me sens ignorant face  à une telle virtuosité. Alors que je m’interroge sur la page Facebook du Tadorne, un lecteur me renvoi vers les cours de Roland Barthes pour décrypter le propos de Boris Charmatz, preuve en est que l’articulation entre la recherche et l’art ne fonctionne pas.

François Verret dans «Courts-circuits» propose un dispositif qui se suffit à lui-même (écrans vidéos, homme orchestre et chanteuse au centre, deux espaces scéniques, des danseurs et des circassiens). Le chaos est savamment orchestré pour narrer la catastrophe. François Verret dévoile ses références dans la note d’intention pour les accumuler dans une «session poster» d’images, de cris et de chansons. Je n’ai strictement rien compris si ce n’est que François Verret ne parvient pas à donner une force poétique à son propos en dehors de la dénonciation tant entendue ailleurs.

J’aimerai que l’on ne me rétorque pas que je manque de ces connaissances tant étalées. Les concepts et les penseurs dont il est question alimentent ma curiosité, mais la proposition n’arrive pas à ouvrir le sens à partir de ma sensibilité, me rendant incapable d’inviter ces artistes à nourrir le projet de ce blog.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival Off d’Avignon, le bi est double.

Peu à peu, à mesure de l’avancée du Festival Off d’Avignon, certaines oeuvres se démarquent, car elles créent les conditions du dialogue, loin des cases qui formatent. Deux propositions, pourtant éloignées sur le fond, retiennent toute mon attention : elles sont au croisement du théâtre et de la danse, démontrant une fois de plus que la distinction des disciplines n’a plus beaucoup de sens.

«Dobles» du chorégraphe José Besprosvany est un moment presqu’enfantin où le corps et le texte entrent en collision. Deux femmes, un double, un plus un est égal à trois. L’une est en gris, l’autre est en orange d’où l’on devine un corps nu (on aurait préféré que cela soit moins suggestif..). La lune serait-elle sombre comme une orange ? « Cops » et  « Vox » s’entremêlent à partir de quatre variations qui forment l’oeuvre du temps. Avec deux tables, deux chaises et un subtil jeu de lumière, tout est mouvement. Le texte perd sa construction habituelle : inutile d’aller y chercher un sens explicite. Son « double » l’implicite… Le dialogue est incessant : parfois tendre, souvent cassant, quelquefois apaisé. Bénédicte Davin est impressionnante : son corps longiligne porte l’empreinte d’un texte fort qu’elle déconstruit et où vient s’échouer la danse de Tatiana Julien. Celle-ci, telle une effrontée, ne laisse rien passer : elle les attrape au vol pour les prolonger dans une danse qui s’affranchit des codes. Elle les explore pour leur donner une musicalité, un espace, une ponctuation. Elle est un livre ouvert pour notre imaginaire. Par sa construction, «Dobles» pose un principe: la danse trouve la force de se régénérer en s’incluant dans une dramaturgie a priori construite pour « raconter » alors que ce n’est pas fonction. Ce paradoxe provoque une tension créative, une contrainte,  tel un fil tendu qui pourrait se rompre à chaque instant. “Dobles” démocratise la danse et offre au spectateur une poésie qui l’inclue comme sujet sensible. Beau travail.

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Autre rendez-vous. Il est à 10 heures, à la Condition des Soies. C’est l’heure d’une messe. Le chorégraphe Mickaël Phelippeau invite sur le plateau le prêtre Jean-Yves Robert pour «Bi-portrait Jean-Yves». Rencontre invraisemblable ? Ces deux-là ont tant de choses à se dire. Tous deux évoquent les liens implicites qui unissent danse et liturgie. D’abord de dos, ils cherchent leur «corps» commun pour oser les rapprochements, identifier leur «semblable» et s’amuser de leurs différences. Leur communication épouse les modalités d’un dialogue amoureux: appréhender le corps de l’autre, se toucher, se regarder autrement, de dos, couché, debout en verticalité ou en transversalité. Cette rencontre d’un troisième type est émouvante, voire amusante: la danse s’autorise décidément tout. Elle convoque toute une symbolique religieuse qu’elle transcende d’autant plus que nous sommes nombreux à être fait de cette culture là. La force de la danse de Mickaël Phelippeau est de nous inclure peu à peu dans ce duo pour y créer une liturgie laïque, ouverte et tolérante.

Cette danse est mon péché capital.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Bi-portrait Jean-Yves » par Mickaël Phelippeau à la Condition des Soies jusqu’au 21 juillet 2011 à 10h.

« Dobles » de José Besprosvany à la Fabrik’Théâtre jusqu’au 31 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon Off : Une pluie très prometteuse.

Cinq femmes, un homme, elles l’ont attendu longtemps, il est revenu pour rester, pour mourir…Elles attendent enfin les mots, viendront-ils ? La compagnie Ubwigenge nous propose un beau travail sur la pièce de Jean Luc Lagarce : «J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne».

Catherine Decastel, la jeune metteuse en scène, nous en offre une lecture aux accents troublants, comme venue du lointain des tragédies antiques. Pourtant, elle nous parle bien d’un aujourd’hui et elle orchestre l’histoire avec un beau talent ; elle chorégraphie l’espace et le choeur monte, d’évidence, du corps de ces cinq femmes.

Mère, soeurs, toutes enfermées dans une longue histoire, récoltée, mais aussi construite ; elles se débattent dans le piètre écho qu’offre, à leurs « rêves », le retour de « l’enfant chéri ».

 Elles se « libéreront » mot à mot de « l’héritage ». Ici les masques tomberont à l’eau, elles se laveront  de « leurs aînées » pour défiger leurs visages et révéler leurs traits de vérité.

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De ce geste, la parole ouverte s’invitera pour « déjouer » le poids des « traditions » dans la société de femmes qu’elles forment. Le débit se fera plus rapide, plus« badin », comme pour témoigner du flot de mots trop longtemps contenus. Les sourires et les rires arriveront.

La « vengeance » est entière contenue dans cette scène ; de la soumission, de l’effacement (feins, les mots de la petite ose nommer ce « détail »), on passe à la « cruauté » qui « libérera » du joug de « l’oppresseur ».

Le frère de son statut « d’icône » devient « Beau au bois dormant », mais, ses « princesses », libérées par les mots, n’auront, au final, que l’envie de le laisser en sommeil.

Ce travail est fragile, tout comme le texte est fort. Il présente encore quelques imperfections, mais il fait montre d’une belle personnalité et d’un bel imaginaire.

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On se prend à se laisser apercevoir  un travail plus au cordeau, un texte plus maîtrisé. Ce, au point où ces jeunes femmes n’auraient  plus « crainte » que l’ensemble laisse voir, autant qu’entendre, les failles à vif qui leurs dictent les mots. Qu’elles soient donc toutes cinq dans leur maison et laissent la pluie tomber en torrents pour laver les années silences de ces femmes papier enfermées dans leur « désir » de l’enfant roi.

Aller voir « éclore » une voix, c’est joyeux. Nous avons là, avec Catherine Decastel, une belle graine de talent pour un demain qui ne se boucherait plus les yeux sur ce qu’il sait, mais qui, de là, tenterait d’ouvrir un temps où laisser libre espace à la parole dite.

Bernard Gaurier, Le Tadorne

 « J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne » Mise en scène Catherine Decastel, avec Anaïs Pénélope Boissonnet, Catherine Decastel, Typhaine Duch, Nailis Jeunesse Grégory Oliver et Florence Wagner. A l’espace Roseau à 14H00 jusqu’au 31 juillet.

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5h04.

Il est 4h30. Mon corps accuse le coup. À mi-chemin du festival, le rendez-vous d’Anne Teresa De Keersmaeker pour «Cesena» est une performance pour le spectateur, un acte politique radical. A l’aube, deux mille personnes convergent pour la danse afin de célébrer la force de l’art dans une société en perte totale de valeurs collectives. Entre une pièce créée pour la Cour d’Honneur et notre désir de danse, il y a un espace de dialogue unique qui dépasse le clivage construit par des journalistes paresseux sur la distinction entre l’art chorégraphique et théâtral, entre théâtre populaire et savant.   

Il est cinq heures et la nuit agonise. Sur la scène du Palais des Papes se dessine un grand rond de sable comme si, après un long voyage, la «Spiral Jetty» de Robert Smithson était venue s’échouer là. Matej Kejzar surgit et chante, presque nu. Sa peau blanche éclaire sa danse. Il est torche vivante, un guide explorateur. Saisissant. Tels des corbeaux, les quinze chanteurs et danseurs apparaissent. Ils volent. Je vous assure, ils volent. Cet effet hypnotisant en fit long sur les intentions d’Anne Teresa de Keersmaeker : l’obscurité finissante est un espace mental à explorer, une lumière hybride à célébrer. Comme dans le sommeil paradoxal, la scène est une succession de mouvements rapides, de rythmes irréguliers, où à la chaleur du groupe succède la froideur des solos (voire leur épuisement).

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Ce rond est cet espace, cette frontière entre obscurité et lumière du jour, entre chant et danse, entre une musique médiévale complexe et une chorégraphie exigeante. Le son produit par le sable sous les pieds donne l’étrange impression que les murs du Palais des Papes s’effritent, que la pierre se fond dans la musique et les corps : peu à peu, la lumière du jour fait apparaître un tableau aux couleurs de William Turner. Des touches de bleu, de vert, d’orange surgissent : les pieds des danseurs sont pinceaux. Majestueux.

Progressivement, le rond s’élargit sous l’effet d’une tempête solaire provoquée par la rencontre entre l’ensemble «graindelavoix» de Björ Schmelzer et la troupe d’Anne Teresa de Keersmaeker. Le sable vole aussi vers l’assemblée des spectateurs comme des grains de folie?La danse épouse l’énergie du lever du soleil : lente, progressive, créatrice mais aussi dévastatrice (quand un des danseurs se jette d’une balustrade). À mesure que nous avançons, que leur danse obscure éclaire, le son d’une meute de chiens s’entend de la ville encore endormie. Entre chien et loup, les corps creusent la scène pour créer le jaillissement de la lumière : l’aube surgit de la terre et fait valser une étoile d’étourneaux dans la Cour. La mort rode alors qu’une danseuse git au sol : la cérémonie répare le corps, pour articuler ce qui paraît désarticulé. La troupe s’avance, entame une procession impressionnante puis chante face à nous. Le jour est définitivement levé. Ils repartent pour réinstaller l’éphémère, réapparaître pour disparaître. Ils sont unis. «Cesena» chante l’unité, danse l’unisson.

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Le jour est maintenant là. Les hommes courent, se lancent des défis. La danse ouvre et resserre l’espace. Ce mouvement permanent me sollicite, parfois trop. Mon corps lâche quelques secondes, par petites touches : je lutte pour ne pas fondre avec eux?Leur danse est beaucoup moins conceptuelle que dans « en atendant », jouée l’an dernier au coucher du soleil dans le Cloître des Célestins. Ce matin, ce n’est pas  sa « grammaire » qui me transporte, mais l’espace construit par ces bâtisseurs. Alors qu’il nous revient habillé et épuisé, Matej Kejzar chante à nouveau un poème serbe. Sa diction presqu’éraillée surgit des profondeurs du palais. Il est la voix du jour, d’un chant métamorphosé par la fureur des corps.

Il est sept heures du matin. Anne Teresa de Keersmaeker nous a plongés dans l’essence même de sa danse: celle qui relie les corps, celle où la danse explore le chant et célèbre l’aube. À ne plus jamais s’en relever.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Cesena » d’Anne Teresa de Keersmaeker et l’ensemble « graindelavoix » de Björ Schmelzer. Cour d’Honneur du Palais des Papes d’Avignon. Du 16 au 19 juillet 2011.