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PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Un article vrai sur le faux spectacle de Joris Lacoste…

Trois fauteuils et une couverture accueillent le spectateur pour «Le vrai spectacle» de Joris Lacoste. Un espace sur ma gauche et ma droite me sépare de mes voisins : la place rêvée. Nous savons déjà que nous pourrons dormir. Cet acte subversif où nous luttons entre fatigue et loyauté est ici autorisé. L’acteur Rodolphe Congé prend le temps d’expliquer les processus qui sont en jeu dans l’hypnose et finit par nous rassurer : notre imaginaire est le vrai spectacle si nous acceptons de lâcher. Ainsi, suis-je sollicité pour me métamorphoser en outil de production et de diffusion du spectacle vivant! Entre internet, ma banque et mon supermarché, je suis en permanence mis à contribution : producteur et consommateur de service. Ce soir, au Théâtre Garonne de Toulouse, cet homme à la voix douce m’invite à faire le spectacle. C’est dans l’air : après les oeuvres participatives vient le temps des propositions productives…

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Rodolphe Congé commence le show hypnotique. Épuisé par une journée de visite des expositions du Printemps de Septembre, je m’endors rapidement.

Je dors.

Je dors.

Profondément.

Puis, c’est le réveil. La salle est plongée dans l’obscurité.

Rodolphe Congé est dans le noir. Il parle. Beaucoup. Calmement. Mais assurément. Il déroule son scénario, probablement persuadé qu’il est le nôtre. Il évoque une danseuse sur scène. Il nous propose d’entrer dans son corps. Rodolphe Congé précise le décor, les faits et gestes pour nous inviter à créer notre chorégraphie. Un synopsis directif. Mais qu’attend-il ? Que son scénario soit le mien ? S’il savait. Je pense à toute autre chose : à mon emploi du temps, aux expositions à visiter dimanche, au titre de mon prochain article, à l’interview de Ségolène Royal dans Libération. Autour de moi, je sens les corps s’agiter d’impatience. Quand cela va-t-il finir ?

«Le vrai spectacle» ne fonctionne pas, car l’hypnose n’est pas un art. Elle n’est ici qu’un dispositif scénique et sonore astucieux qui enferme l’acteur dans une pratique qu’il peine à transcender : imaginerait-on un danseur résumer son art à une technique? Mon inconscient peut-il se suffire d’un cadre aussi pauvre, d’un texte si orienté ? N’est-ce pas une manière de réduire le sens critique du spectateur à qui l’on précise qu’il pourrait ne pas entrer dans la démarche (sous-entendu, qu’il ne verrait pas le spectacle faute d’être disponible et ouvert)? N’est-ce pas une nouvelle forme d’exclusion qui hiérarchiserait les imaginaires?  «Le vrai spectacle» n’est qu’une vaine tentative de médiation totalement dépassée qui manipule le regard et isole un peu plus le spectateur dans un « bien-être » vendu comme un produit culturel.

Je n’ai pas attendu Joris Lacoste pour ressentir l’état hypnotique au théâtre. La liste serait longue de tous ces artistes qui m’ont conduit à la frontière de l’inconscient et du conscient. «Le vrai spectacle» n’est qu’une trouvaille séduisante pour programmateurs en quête de nouveauté qui, faute d’idéaux, projette à l’encontre du spectateur, un fantasme de rêverie collective.

Malgré tout, je reste attentif aux recherches sur le corps du spectateur. Celle de Xavier Le Roy («Low Pieces») lors du dernier Festival d’Avignon était une tentative intéressante pour ressentir la danse à partir d’un travail sur la communication entre publics et artistes. «Le vrai spectacle» est probablement là: ouvrir les codes de la représentation pour nourrir les processus démocratiques d’accès à l’art. Je ne suis pas sûr qu’un théâtre soit le lieu approprié, au regard des enjeux de pouvoir dont il est l’objet.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Le vrai spectacle » de Joris Lacoste a été présenté dans le cadre du Printemps de Septembre à Toulouse le 24 septembre 2011.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LES EXPOSITIONS Vidéos

Tu n’as rien vu à la Biennale de Lyon…

La Biennale de Lyon est une collection d’écrins. Ils sont en général de petite taille, très proches d’oeuvres monumentales, comme pour nous ralentir, nous remettre de nos émotions et s’inviter durablement dans notre imaginaire. Quelques écrins qui colonisent pendant longtemps une mémoire pourtant saturée de tant d’oeuvres exceptionnelles.
À la Sucrière, entre l’imposante vidéo de la Sud-Africaine Tracey Rose (assez peu convaincante) et l’impressionnante citadelle de Robert Kusmirowski (le chef d’oeuvre de la Biennale), vous croiserez deux visages peints par Marlene Dumas. Stupéfaction. Sidération. Elle vous regarde et vous plongez dans ses yeux effrayés. Cet effroi a été le vôtre. C’est chair.

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Au Musée d’Art Contemporain, les portraits d’Hannah Van Bart vous invitent à la contemplation. Ces personnages dégagent un mystère qui force mon écoute, mon attention. Leur fragilité est un mouvement. Ce sont mes artistes…Ils me…

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Les dessins de Virginia Chihota (“Fruit of the Dark Womb”) chiffonnent. Au-delà de symboliser les souffrances de l’enfance, une de ses poupées pourrait peut-être se rappeler à votre bon  souvenir. Poupée de son…poupée démon.

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Est-elle une poupée de cire ? Guillaume Bijl (le même qui nous avait époustouflés lors du Sculpture Projects à Münster où il faisait émerger de terre, le clocher d’une église) nous présente à la Sucrière «The Nun of Bruges». Cette S?ur est cachée sous sa capuche, tête penchée.  Les visiteurs se baissent pour découvrir son visage et partent furtivement. Voyeur, que cherchons-nous ? Sa part de mystère est-elle notre quête de vérité ?

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Les dessins de Kemang Wa Lehulere s’apprivoisent. Papier bulle, morceaux de tissus et toile forment des patchworks fragiles qui dessinent des figures métamorphosées en objet pour des visages déchirés, absents, enfermées dans des contextes où le lien semble rompu. Il y a de la discontinuité, de la perte, des souvenirs enfouis, des fragments impossibles à recoller. Je vais d’un dessin, d’un tableau à l’autre. Kemang Wa Lehulere me perd. Je me souviens.

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Elle perd peu à peu la mémoire. Elle a 96 ans et vit dans une clinique pour patients atteints d’Alzheimer. À chacune de ses visites, Alexander Schellow a recomposé dans son atelier tous les mouvements de son visage. Cela donne une vidéo exceptionnelle : des milliers de points bougent et les traits s’animent pour reconstituer la mémoire de leur relation. C’est hypnotique et l’ensemble finit par m’émouvoir : la vieillesse rajeunit les souvenirs et vitalise la communication…

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Hiroshima – Fukushima : comment ne pas se souvenir et faire le lien en contemplant la peluche de Michel Huisman blotti avec un boitier nucléaire. Le contraste est saisissant et démontre notre inconsistance face à cette menace. Les visiteurs ne peuvent s’empêcher d’appuyer sur un bouton placé dessous qui envoie une décharge sonore désagréable. L’art peut-il encore nous alerter ?

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Plus loin, avec “The secret garden», Michel Huisman nous fragilise et nous renforce. Un petit meuble, un seau, un drap et une invitation à nous y glisser. J’ignore ce que les visiteurs ont perçu de mon corps (un dernier soupir, ma sépulture ?) mais je me souviens encore de ce que j’ai ressenti à la vue de ce petit oiseau mécanique qui me regardait de haut. Un sentiment profond d’humilité.

Humilité aussi à l’écoute de la proposition sonore de Dominique Petitgand, “A la merci (At the mercy)». Une petite fille apprend à un adulte des phrases alambiquées sans queue ni tête. Les prémices sont inversées : le langage technocratique et rationalisant de nos sociétés de service est manipulé dans une relation éducative tout aussi alambiquée ! La drôlerie de l’enregistrement accentue la perte totale de sens d’une rhétorique incapable d’être transmise…

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Alors que je quitte la Biennale, les dessins de Christian Lhopital me rattrapent : ses figures fantomatiques m’enlèvent. Je vole, je plane. Les corps semblent liquéfiés, dél
estés du poids, de la pression du monde du travail et des contraintes politiques et sociales. Christian Lhopital poétise notre enfer sur terre.

Non, décidément, tu n’as rien vu à Lyon.

Je n’en reviens pas…

Pascal Bély, Le Tadorne.

A lire sur la Biennale:

Bloc Notes / Urgent, la Biennale de Lyon perd ses plumes.

La Biennale de Lyon donne le vertige.

Arnaud Laporte de France Culture se moque de La Biennale de Lyon.

Extra-terrestre Biennale de Lyon.

Toutes les oeuvres mentionnées dans cet article sont à voir à la Biennale d’Art Contemporain de Lyon jusqu’au 31 décembre 2011.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LES EXPOSITIONS

La Biennale de Lyon donne le vertige.

C’est tout à la fois monumental et minimal. Cela surgit, vous serre à la gorge, vous donne le vertige, vous fait pencher la tête et tendre l’oreille, jusqu’à vous coucher à même le sol pour prendre de la hauteur. Décidément,  la Biennale de Lyon est une longue marche où votre corps pense. Le contraire de ce couple qui, dans la vidéo d’Aurélien Froment (“La tectonique des plaques”, présentée à la Sucrière), suit un parcours campagnard fléché par un office du tourisme, tout en adoptant les postures d’un visiteur d’exposition. Nous pourrions oser un rapprochement: «Dis-moi comment tu te promènes, je te dirais quelle exposition tu visites!». Aurélien Froment nous alerterait-il? Les lieux d’art n’auraient-ils pas la flèche un peu facile?! À Lyon, la commissaire argentine de la Biennale, Victoria Noorthoorn, donne peu d’indications, mais elle ouvre les espaces pour que l’équilibre et le déséquilibre créent une pensée en mouvement.

Robert Kusmirowski

J’ai perdu l’équilibre. Au sens propre, comme au figuré. Présentée à la Sucrière, l’oeuvre monumentale de Robert KusmirowskiStronghold») vous accueille au rez-de-chaussée. Inutile de vouloir entrer. Tout est cadenassé. Il faut monter au premier et contempler un cratère encore en activité : une bibliothèque dévastée se consume tandis qu’un poêle crache une fumée qui enveloppe l’ensemble des oeuvres de l’étage. Je vois la «Maison Terre» qui brûle par notre inconscience et nos ignorances. Je ressens la forteresse “Europe” qui ne pense plus son avenir et dénature son patrimoine en l’offrant au marché. Je songe à la Grèce, berceau de l’Humanité, qui va renaître de ses cendres et nous sauver. Je me penche et j’ai le vertige. Il faut stopper cet autodafé encouragé par les politiques ignorants et par une société du spectacle qui barre toute possibilité de créer le chemin en marchant. C’est en imaginant un modèle de civilisation que nous ouvrirons cette forteresse

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C’est au Musée d’Art Contemporain que je descends au sous-sol de l’oeuvre de Robert Kusmirowski, là où la citadelle tremble sur ses bases ! L’Argentin Diego Bianchi occupe toute une salle où le sol de plastique noir finit par se répandre jusqu’au plafond, où une énorme pierre se fond dans un fauteuil. Ici, la matière se dématérialise ! Ici, des corps démembrés forment des sculptures qui célèbrent la légèreté. On entre dans l’oeuvre, avec délicatesse, pour se faufiler entre des montages et des démolitions qui dessinent une jungle où rien n’est tracé. Comment, dans un si petit espace, Diego Bianchi réussit-il à créer de l’élasticité, des chemins improbables qui vous conduisent dans des coins et recoins? Là où les restes de notre civilisation participent à l’émergence de nouvelles formes corporelles tandis que les objets sont détournés de leur fonction première pour soutenir le sens. Ce bric-à-brac rend joyeux parce que ce chaos permet la réflexivité: «pour quoi?», «à quoi cela sert-il?» «je vois ceci, mais pourquoi le voir ainsi ?»?. “The ultimate Realities” est une oeuvre complexe qui requiert du temps pour l’apprivoiser et se dégager d’un raisonnement binaire (chaos = bazar !). Pour cela, il nous faut divaguer et créer son espace relationnel. Loin d’être un visiteur passif, Diego Bianchi stimule mes pas et me perd…

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Si bien que quelques salles plus loin, le temps s’arrête : la pendule de Jorge Macchi calle sur  “10:51″.

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A quelques kilomètres (à l’Usine T.A.S.E),  je croise les drôles de volatiles de Laura LimaGala Chicken and Gala Coop »), qui semblent m’indiquer qu’il est temps de changer de plumage! 

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Après l’eau de Mélancholia dans l’oeuvre d‘Eduardo Basualdo (voir l’article du 16 septembre), la fumée de Robert Kusmirowski, le plastique de Diego Bianchi, c’est une autre matière qui nous fait trébucher. Pour cela, il faut imaginer le sol d’une salle du Musée couvert de 3000 kilomètres de fil ! Avec «La Bruja 1», le brésilien Cildo Meireles frappe fort. À l’origine, les fils proviennent d’un modeste balai posé dans un coin : impuissant, il ne contient plus rien et génère une matière qui empêche tout balayage. Pour éviter de se prendre les pieds dans le tapis (!), le visiteur est obligé de marcher lentement comme s’il avait des ressorts sous les pieds. Quand le désordre produit le silence, du recueillement…

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Chacun contemple les oeuvres et je m’attarde devant les dessins de Christian Lhopital : tandis que le sol m’emmêle, ses figures fantomatiques m’enlèvent. Je vole, je plane.

Je suis au paradis des artistes.

Pascal Bély, le Tadorne.

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Arnaud Laporte de France Culture se moque de La Biennale de Lyon.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Arnaud Laporte de France Culture se moque de La Biennale de Lyon.

Les oeuvres du Sud-Africain Kemang Wa Lehulere me sidèrent. Papier bulle, morceaux de tissus et toile forment des patchworks fragiles qui dessinent des figures métamorphosées en objet pour des visages déchirés, absents, enfermées dans des contextes où le lien semble rompu. Il y a de la discontinuité, de la perte, des souvenirs enfouis, des fragments impossibles à recoller. Je vais d’un dessin, d’un tableau à l’autre. Kemang Wa Lehulere me perd.

Mais brutalement, je suis interrompu. Il y a du bruit à l’entrée de la salle du Musée d’Art Contemporain de Lyon. L’animateur de France Culture, Arnaud Laporte, discute à bâtons rompus. Je devine les voix qui animent sa nouvelle émission («La Dispute», tous les soirs à 21h, où des critiques échangent leur point de vue). Ils parlent fort. J’entends leur analyse sur la Biennale et la manière dont ces «professionnels cultivés» considèrent les artistes. Leur décontraction perturbe ma concentration. La société du spectacle s’invite par effraction. Mais je m’accroche au travail de Kemang Wa Lehulere, qu’ils ne voient pas.

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Dans la même pièce, l’oeuvre de  l’Argentine Luciana Lamothe menace. Les murs supportent cette oeuvre provocante où un enchevêtrement d’architectures soutient un modeste livre. Suivant le point de vue, je perçois  une arme, l’Europe en tour de Pise, un projet industriel en proie au doute. Mais je suis à nouveau interrompu. Une des journalistes de la bande s’approche et écoute son répondeur. Je comprends qu’on lui apprend une mauvaise nouvelle. Elle en joue, sait que nous la regardons. C’est sa petite comédie du pouvoir. Mais je m’accroche (!) à la mise en abyme de Luciana Lamothe, qu’elle ne voit même pas.

Le bruit augmente. Les rires se font plus gras. La critique aussi. Je les interromps, excédé.

«Pourriez-vous s’il vous plaît faire moins de bruit, je n’arrive pas à me concentrer».

Le groupe éclate de rire, me pointe du doigt, comme dans une cour de récréation. S’ils le pouvaient, ils me jetteraient des pierres pour avoir osé l’offense. Arnaud Laporte lance alors : «on n’est pas dans une église ici», puis ils s’éloignent tandis que leurs rires résonnent.

Cet incident métaphorise une société de castes et de classes où chacun s’attribue sa parcelle de pouvoir pour l’imposer aux autres, quel que soit le contexte. Je ressens l’incapacité des journalistes à penser la relation à l’art en dehors d’un lien asymétrique. Ils ne conçoivent pas qu’un bruit perturbe un visiteur, car la question n’est pas là : l’art s’analyse, point barre. Mais internet menace leur pouvoir. Je n’ai pas eu le réflexe de les filmer avec un iPhone. Si tel avait été le cas, nous pourrions porter un regard critique sur les comportements de ces «professionnels» qui nous disent tant sur la manière dont ils communiquent avec une oeuvre. De haut.

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Le soir, j’ai pris en cours de route l’émission consacrée à la Biennale. J’ai entendu les mêmes rires alors qu’ils évoquaient le travail de Michel HuismanThe secret garden»). Un petit meuble, un seau, un drap et une invitation à nous y glisser. J’ignore ce que les visiteurs ont perçu de mon corps (un dernier soupir, ma sépulture ?) mais je me souviens encore de ce que j’ai ressenti à la vue de ce petit oiseau mécanique qui me regardait de haut. Un sentiment profond d’humilité.

En évoquant cette oeuvre, Arnaud Laporte se moque.

J’ai coupé le son.

Pascal Bély, Le Tadorne

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Extra-terrestre Biennale de Lyon.

La Biennale de Lyon donne le vertige.

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LES EXPOSITIONS

Extra-terrestre Biennale de Lyon.

Nous sommes quelques-uns à trébucher : on ne pénètre pas dans un espace d’art comme dans un supermarché. À l’entrée de la Sucrière, les rideaux de théâtre colorés d’Ulla Von Brandenburg (“Kulissen») nous accueillent sur des planches légèrement surélevées. Il faut en soulever plusieurs pour découvrir la nouvelle scène de l’Art Contemporain imaginée par la commissaire argentine Victoria Noorthoorn. D’entrée de jeu, c’est un choc. Je butte sur la citadelle imprenable de Robert KusmirowskiStronghold»), seulement visible du premier étage (j’y reviendrai dans un prochain article). Sur ma droite, les 55 cercueils en bois du Camerounais Barthélémy ToguoThe Time») me font reculer. A quelques mètres, une vidéo de la performeuse sud-Africaine Tracey Rose fait entendre sa version déraillée de l’hymne israélien à la frontière avec la Palestine. Ce comité d’accueil me propose trois impasses: l’Europe citadelle, l’Afrique enterrée et Israël bunkerisé.

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En quelques minutes, je ne suis déjà plus le même visiteur : le monde est un théâtre et il en va de ma posture, de mon regard, de ma capacité à ressentir tout en me distanciant pour en penser un autre. Il me faut changer de focale, relier l’intime et le global pour accueillir les propositions de cette  Biennale de Lyon qui célèbre le changement de civilisation (celle de la révolution écologique). Elle  me propose un itinéraire passionnant où mon lien à l’art est une métaphore de mon rapport à la complexité du monde: je ne sais rien dans la réduction, mais de mon étonnement peut surgir la pensée créative. Retour sur les nombreuses propositions de cette Biennale inoubliable. Mon Nouveau Monde.

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Combien de fois  suis-je revenu vers la performance de Laura Lima (“Puxador”)? Je ne sais plus. Avec des sangles attachées aux piliers,un homme nu tente d’avancer. C’est le gladiateur des temps modernes. Sa force, sa danse ouvrent l’architecture. Il défie l’ordre établi. Je tourne autour de lui : il est mon centre de gravité. Notre relation est mon pilier. C’est elle qui me fait voir l’espace autrement. Les poèmes d’Augusto de Campos écrits sur le mur blanc l’enveloppent. Certains visiteurs le prennent frénétiquement en photo, comme s’ils avaient peur. Je l’affronte pour me confronter. L’art a du corps et je divague : les murs de la Sucrière sont élastiques?

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J’y vais. J’enlève mes chaussures pour découvrir l’installation d’Eduardo Basualdo (“El silencio de las sirenas”). Une eau rouge surgit d’un trou. Ici aussi, le centre de gravité est déplacé. Un monde à l’envers. Mes pieds ressentent la rugosité, la douceur, dessinent l’espace de cet univers lunaire qui porte les stigmates de la Terre malade.

Me reviennent les images du dernier film de Lars Von Trier (« Melancholia »). Je suis sur Melancholia, planète imaginée par le cinéaste qui entre en collision avec la Terre. D’autres visiteurs se déplacent et je sens que je ne sais plus avancer. Il me faut réapprendre à marcher, à voir autrement ce qui m’entoure, à oser m’approprier ce territoire inconnu. J’hésite, car je ne sais pas interpréter les sensations de mon corps. Il est «extra-terrestre» et ses messages me troublent. C’est terriblement beau, émouvant, captivant. Le nouvel ordre écologique est sur cette planète étrange où l’eau se retire et revient pour qu’entre temps, l’habitant se fasse à l’idée qu’il ne contrôle rien, mais que son corps peut lui apprendre à relier ce qui est dispersé.

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Ainsi troublé, je découvre interloqué les céramiques de Katinka Bock. Pourquoi y vois-je des corps piétinés? Pourquoi l’émotion me gagne-t-elle? Pourquoi ces sculptures font-elles chair ? Je me couche pour les approcher autrement : elles sont traces, démembrées. De leur énergie, nait ce désir de recoller les morceaux d’une humanité en miettes au moment même où certains visiteurs sont à deux centimètres de les piétiner. Leur force est d’être posées là, dans un couloir à peine éclairé, sur ce sol de béton. Immédiatement, une  relation intime avec l’artiste s’installe parce que la fragilité y est célébrée. Ici aussi, la matière provoque un corps à corps somptueux.

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Rien ne laisser présager un théâtre. Toutes les vingt minutes, Daniela Thomas propose une mise en scène de «Breath» de Samuel Beckett, sa pièce la plus courte (24 secondes). Des détritus à peine éclairés jonchent le sol tandis qu’un cri mi humain, mi-animal résonne comme un souffle vital. J’imagine alors l’homme nu et ses sangles marchant sur Mélancholia pour y laisser ses traces rupestres.

Rien le laisser présager que ce jour-là, mon imaginaire soit du voyage.

Pascal Bély , Le Tadorne.

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Toutes les oeuvres mentionnées dans cet article sont à voir à la Sucrière dans le cadre de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon jusqu’au 31 décembre 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Bilan du Festival d’Avignon 2011.

– «C’était bien le festival d’Avignon ?

– Euh…je ne sais pas…

– D’accord, mais c’était bien ?

– Euh…ni bien, ni mal…»

Comme un dialogue de sourds. Je n’arrive plus à répondre. Le Festival est ce que j’en fais. D’édition en édition, il n’est plus un programme. Il est une toile où je tisse les fils qui dégagent des lignes de force. Cela requiert de s’émanciper d’une relation codifiée avec les directeurs du Festival (dit autrement, ne plus avoir d’attentes) et s’affirmer comme un festivalier «en travail» qui veut penser le changement sociétal, non comme un progrès linéaire mais comme un processus chaotique et créatif.

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En deux épisodes, retour sur mon festival…

Épisode 1 : on n’est pas spectateur, on le devient…

Elle n’a donné lieu à aucun article dans la presse écrite. Pourtant, «This situation» de Tino Seghal, performance jouée à la Salle Franchet pendant toute la durée du Festival, fut un moment unique: le public assista un brin interloqué à un«théâtre des idées» avec six «philosophes » debout ou couchés chorégraphiant la dynamique de leur pensée! En entrant et sortant, nous redonnions de l’énergie jusqu’à participer pour éviter l’entre soi. Tout mon corps fut sollicité pris dans un mouvement artistique ouvert et tendre envers celui qui ose penser la complexité.

Quelques rues plus loin, «Unwort, objets chorégraphiques» deWilliam Forsythe poursuivait le mouvement : au cœur de l’Église des Célestins, sculptures et danseurs m’entrainèrent à questionner, par le corps, notre métamorphose.

Autre mouvement, d’introspection. Arthur Nauzyciel, dans « Jan Karski (mon nom est une fiction)” m’a permis de questionner mon lien à la Shoah. En reprenant les trois parties du livre de l’écrivain Yannick Haenel, Nauzyciel proposa un cheminement qui allait au-delà d’un devoir de mémoire qui immobilise. En forçant notre écoute, Arthur Nauzyciel nous a guidés vers le corps de Jan Karski, résistant polonais, interprété par le magistral Laurent Poitrenaux. Cette pièce fut une épreuve inoubliable.

Autre épreuve. Celle d’assister à 4h30 du matin à « Cesena», chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker. Au final, 6000 spectateurs ont osé surmonter le sommeil et le froid pour vivre un instant unique, poser un acte politique radical en célébrant la force de l’art dans une société en perte totale de valeurs collectives. Entre une pièce créée pour la Cour d’Honneur et notre désir de danse, il y a eu un espace de dialogue qui a dépassé le clivage construit par des journalistes paresseux entre l’art chorégraphique et théâtral, entre théâtre populaire et savant.

La danse a osé questionner les codes de la représentation. Avec “Low Pieces“, Xavier Le Roy a tenté d’interroger notre rapport au spectacle vivant. Il nous a permis de «dialoguer» avec la danse, loin des simplifications dont elle fait l’objet quand nous la confondons avec une mécanique des mouvements…On aurait aimé un prolongement dans Violet” de Meg Stuart où la transe de cinq danseurs fut perturbée lors de la première par une spectatrice entrée par effraction dans la dramaturgie. Elle fut reconduite et pourtant : elle signifia qu’à cet endroit, le public pouvait lui aussi se faire…transe. Mais Meg Stuart n’est pas allé jusque-là…À l’inverse de Roméo Castellucci qui avec «Sur le concept du visage du fils de Dieu», a sollicité notre corps en diffusant une odeur d’excréments. La scène fut un miroir inversé pour nous interroger sur notre façon de regarder le monde…

Avec Katie Mitchell et Léo Warner de la Schaubüne Berlin, j’ai vécu un moment jubilatoire avec leur théâtre cinématographique composé d’ombres, d’objets et de ficelles. Leur « Mademoiselle Julie» restera dans les annales pour avoir métamorphosé la vidéo en obscur objet de désir.

Et le monde dans tout ça ? Avec «Yahia Yaïch – Amnesia»,Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi nous ont interpellés sur la fonction du théâtre dans la révolution tunisienne. La danse-théâtre de Pina Bauch a été célébrée, prouvant une fois de plus la modernité des révolutions arabes alors que nous sombrons peu à peu dans la résignation.

Car, comment réinterroger pour voir autrement et se projeter? En interprétant différemment «Hamlet», Vincent Macaigne a bouleversé. «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» n’a rien dit sur cette tragédie que nous ne savions déjà. Sauf qu’il a changé la focale, décalé ce qui était figé dans nos représentations sur le pouvoir et métamorphosé la scène est espace quasi liquide. Un travail exceptionnel pour des spectateurs désireux de ne plus se laisser manipuler par des esthétiques sans fond.

Si bien qu’à côté…

«Mademoiselle Julie» de Fréderic Fisbach avec Juliette Binoche est apparue fade parce que tout y était à distance.

«Le suicidé» de Patrick Pineau…si loin parce que dépassé dans cette façon d’introspsecter notre société avec de vieilles ficelles…

« Courts-circuits» de François Verret…« Oncle Gourdin» deSophie Perez et Xavier Boussiron…si binaires que je m’interroge encore sur leurs intentions: sont-ils à ce point réactionnaires pour croire un seul instant que l’on puisse accepter un tel discours aussi clivant ?

Je suis le vent” de Patrice Chéreau…Sang et Roses” de Guy Cassiers, si mécaniques et calculés comme si les corps ne pouvaient s’affranchir d’une machinerie théâtrale prétentieuse.

Exposition Universelle” de Rachid Ouramdane si hermétique que je me questionne encore sur la transparence de sa  visée de chorégraphe….

Olivia GranvilleBoris Charmatz (avec “Levée des conflits“), Cécilia Bengoléa et François Chaignaud ont finit par former un clan.

«Des femmes : les trachiniennes, Antigone, Electre» de Sophocle par Wajdi Mouawad…si raté parce que l’art du vide (l’absence de Bertrand Cantat) n’est pas donné à tout le monde.

Episode 2: le Festival, un jeu d’enfant?

Le thème de l’enfance avait été annoncé par le chorégraphe Boris Charmatz, l’artiste associé. Nous avons vu beaucoup d’enfants sur les plateaux, mais était-ce suffisant pour que cela soit au “centre”, d’autant plus que le théâtre dit «jeune public» est toujours absent de la programmation. Pour évoquer le statut de l’enfance, encore faudrait-il que nous partagions avec eux les émotions de la scène. Avec « Enfant», Boris Charmatz a été le seul à chorégraphier ce lien, métaphore de notre désir d’utopie réparatrice et de ce  nous lui faisons subir. Ce fut un beau moment de prise de conscience collective: le bonheur des enfants est à (re)penser. Cela suffira-t-il à amplifier la présence du «théâtre pour bébés» et pour jeunes enfants dans les lieux culturels ?

À côté, le regard sur l’enfance de Cyril Teste (« Sun») m’est apparu «fabriqué», sous l’emprise d’un dispositif technologique manipulant l’imaginaire des deux enfants. Tout comme dans «Le petit projet de la matière» d’Anne-Karine Lescop d’après la chorégraphie d’Odile Duboc et Françoise Michel. Les minots du quartier Montclar ont «exécuté» avec présence la consigne. Mais il a manqué leur créativité et le plaisir d’y être…à l’image de l’intrusion d’une chorale d’enfants interprétant Bashung chez Pascal Rambert dans «Clôture de l’Amour». Est-ce à croire que les artistes préfèrent voir les enfants sur scène, en rang et obéissants ?

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L’Espagnole Angelica Liddell était attendue après son succès en 2010. Cet été, «Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation» a déçu. Ici leur présence amusante dès le premier tableau était un prétexte pour démolir l’image concensuelle de la famille («espace de l’idiotie où l’on empêche les enfants de grandir en les privant de livres»). En déroulant son alphabet, Angelica Liddell précisa: à force d’avoir pactisé avec le diable du divertissant et du médiatique, nous avons placé les violeurs au sein même des familles. Sa conclusion («comment peut-on imaginer qu’un bon enfant fasse un bon adulte?”) figea bon nombre de spectateurs.

L’enfance vu par le «Nature Theater of Oklahoma» dans « Life and times» fut sur un tout autre registre et dérouta le public. En deux parties (cinq heures trente au total!), ces acteurs hors-normes ont retranscrit la vie de Krinstin tirée d’un enregistrement téléphonique. Rien ne nous a été épargné : ni les «hum», ni les «genre». La partition fut totale: chorégraphique, chantée et musicale. Jubilatoire. Du premier cri de la naissance aux premiers boutons sulfureux de l’adolescence,  les moindres détails de la famille furent passés en revue. Pour porter un regard sur l’enfance, encore faut-il accepter que nous lâchions notre vision normée. le «Nature Theater of Oklahoma» y est parvenu.

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En programmant «Du printemps» du chorégraphe Thierry Thieû Niang, le Festival avait-il imaginé un «pont» entre l’enfance et le troisième âge ? Cette oeuvre réunissant des séniors amateurs fut un immense succès, pour seulement deux dates et une petite jauge. On aurait pu rêver d’un lien avec “Enfant de Boris Charmatz sur le plateau de la Cour d’Honneur, tant le sujet de l’émancipation traverse les âges. Tant l’enfance et la vieillesse questionnent la métamorphose. Mais le miracle n’a pas eu lieu : aux enfants la Cour, aux vieux un gymnase…

Un jour, le festival et les artistes feront confiance aux enfants pour qu’ils nous renvoient une vision. Encore faut-il que nous accueillions leur imaginaire chaotique pour à côté du Petit Prince, écouter l’ogre qui est en eux, qui est en nous…

Pascal Bély, Le Tadorne.

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EN COURS DE REFORMATAGE

À Berlin, le corps finit par passer à table.

Il arrive que la danse soit en harmonie avec la ville. Le festival «Tanz im August» se fond dans Berlin jusqu’à devenir invisible. A chaque spectacle, la même sensation : on y explore l’espace à l’image d’une capitale qui élargit ses frontières pour y accueillir l’improbable créatif. Retour sur quatre propositions au coeur d’une ville accueillante et si calme…

Gregory Maqoma est Sud-Africain. Dans «Beautiful me», il est accompagné de quatre musiciens pour ce solo crée avec trois chorégraphes de renom (Akram Khan, Faustin Linyekula et Vincent Mantsoe). De ce maillage naît une oeuvre qui questionne l’identité, le rôle du colonialisme et la démission des politiques à l’égard su sida. La toute première partie est sublime : habillé d’un «costume robe» rouge et noir, il s’invite dans notre imaginaire. Avec élégance, sans effraction, chaque mouvement d’une précision millimétrique et d’une belle douceur convie la tradition à se relier à la danse contemporaine. Une fois la porte ouverte, ses invités entrent dans un dialogue imaginaire parlé et dansé. Mais très vite, Gregory Maqoma me perd : en l’absence de dramaturgie, la danse se confond dans un discours démonstratif d’un romantisme ennuyeux où il cherche comment occuper la scène. Le texte censé faire lien entre les trois chorégraphes ne suffit pas à donner une cohérence d’ensemble. Avec de telles références, Gregory Maqoma aurait pu s’en émanciper pour mieux les relier.

Cap sur le Sénégal avec Andréya Ouamba pour «Sueur des Ombres».  Six danseurs pour dessiner un nouveau territoire de vie, où la parole de l’un s’entend dans la danse de l’autre. Décidés à occuper la scène, ils donnent l’impression de la lacérer pour la reconstruire à l’image d’un continent africain qu’ils voudraient plus démocratique. Armés de gros bâtons de bois, ils délimitent, défont, refont, emmurent puis ouvrent. Tels des bâtisseurs, leur danse semble chercher le bon «matériau», la «surface» adéquate. Sans arrêts. Sans cesse. Les «matières» chorégraphiques finissent par s’accumuler à l’image d’une «recherche-action» qui aurait perdu son but en chemin. L’énergie est là, mais elle n’a pas suffi à me faire «transpirer». Malgré tout, Andréya Ouamba est un chorégraphe à suivre. À la trace.

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Du bois aussi dans «Habitat» de  Renate Graziadei du Laborgras de Berlin où elle propose plusieurs solos, enregistrés par des caméras. Les spectateurs sont invités à s’asseoir autour de la scène, mais aussi à déambuler dans l’espace où des écrans nichés dans des sculptures en bois transforment la chorégraphie en juxtaposant les images.  Après trente minutes, je quitte la salle pour y revenir, une fois le spectacle terminé pour apprécier comment cet «objet» chorégraphique s’inscrit dans l’espace. Mais le tout me laissé froid : la danse m’habite depuis longtemps et cette «performance» m’apparait vaine et prétentieuse.

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Il est aussi question d’espace dans «Autour de la table» du français Loïc Touzé. Dans le jardin du Podewill, il  installe des nappes pour un pique-nique (spécialité des Berlinois!). À chaque table, un professionnel du corps nous attend. Il prend le temps d’expliquer sa pratique avant de se plier à un jeu de question-réponse. Puis une musique nous invite à changer d’espace pour une autre rencontre. Je croise trois parcours : une vendeuse de saucisse pour «Grill Walker» (passionnée par ce travail très physique où le corps se fond dans l’outil de production), un masseur et un acupuncteur. Avec cette proposition, la confrontation autour du corps fait lien social. Là où les entreprises (mais pas qu’elles) réduisent le corps à un outil, il est ici vecteur de communication pour une éthique de la performance. Cela fait quelques années que je promeus la rencontre entre professionnels du corps, chorégraphes et citoyens. De ce dialogue peuvent naître de nouvelles solidarités, car il ouvre ce qui s’est cloisonné. «Autour de la table» est un beau projet : il desserre l’espace en changeant les codes de la représentation et me positionne autrement dans un festival jusque-là bien ennuyeux.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Beautiful me» de Gregory Maqoma / «Sueur des Ombres» d’Andréya Ouamba /  « Habitat » de  Renate Graziadei / « Autour de la table » de Loïc Touzé au festival « Tanz im August » à Berlin (semaine du 23 au 27 août 2011).

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LES EXPOSITIONS PAS CONTENT

Ennuyeuses Rencontres Photographiques d’Arles.

Vous trouverez aux Rencontres Photographiques d’Arles une belle critique de la photographie : «le désir de photographier est le contraire du désir de signifier à tout prix, de témoigner ou d’informer. Il est de l’ordre de la sidération et de l’illusion. De l’ordre de la disparition aussi, car si quelque chose veut devenir image, ce n’est pas pour durer, c’est pour mieux disparaître» (Jean BaudrillardSommes-nous »- 2006.). Nous pourrions inclure la danse dans cette citation…

Avec un tel propos en tête, Arles déçoit. Rien n’est venu me sidérer, «m’illusionner». Tout au plus, ais-je ressenti les bouleversements d’une profession qui semble ne plus savoir comment s’intégrer dans un espace aux frontières élargies par les amateurs internautes  de la photographie. Le site des Ateliers consacre toute une zone «grillagée» à la toile (“From Here On“), avec un stand d’accueil perché, tel un mirador. On sourit face à tant de créativité même si rien n’étonne : ces images font déjà partie de notre “culture” photographique de l’internet. Ici, la photo est mise en espace jusqu’à se métamorphoser en installation (Viktoria Binschtok) ou en performance. L’ouverture est là : aux amateurs de photographier leurs prouesses, aux artistes la mise en perspectives !

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Dans l’idée d’une photographie participative, notons dans un autre espace deux belles séries : celle de Dulce Pinzon qui transforme des émigrants pourvoyeurs de richesse des États-Unis vers leur pays d’origine en super héros. Ce recadrage est un joli travail d’économiste. Puis vient «Supermarché», de Jean-Luc Cramatte et Jacob Nzudie  où sont photographiés à Yaoundé des consommateurs fiers d’en être arrivé là : faire son marché loin de ceux à ciel ouvert réservé aux peu fortunés. La pose est une posture.

 Toujours aux Ateliers, j’ai passé une heure dans l’espace «Tendance Floue» consacré à ce collectif de photographes basé à Montreuil qui autogèrent leur agence. L’installation immerge le visiteur dans ce groupe notamment à partir d’un film retraçant l’épopée d’un voyage en Chine. Cette « photo réalité» de l’envers du décor suggère que l’avenir des agences de photographie réside dans le collectif. Sacrée découverte, mais ne boudons pas notre plaisir: ces artistes sont drôles et talentueux.

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En dehors des Ateliers, j’ai erré d’espace en espace. On ne s’attardera pas sur les séries consacrées aux publications du New York Time Magazine, sorte de publi-reportage ennuyeux. Je n’ai pas été accueilli par les clichés de la Révolution Mexicaine : rarement un espace ne m’est apparu aussi mal agencé comme s’il était réservé à une approche didactique de la photographie.

Que penser de la fresque de Wang Qingsong, longue de 42 mètres de long, où 200 figurants restituent une vision sur les civilisations ? Le film retraçant la fabrication semble bien plus intéresser les visiteurs que l’oeuvre elle-même?

Je n’ai pas bien compris la finalité du lieu dédié au directeur de la photographie mexicain Gabriel Figuerda. Une mise en espace majestueuse (et probablement coûteuse) dans l’Église des Frères Prêcheurs pour des extraits de films bien difficiles à appréhender dans leur globalité à moins de butiner?

Les propositions de Chris Marker ont aussi déçu : outre un accrochage indigne, ses oeuvres sur les visages dans le métro parisien me laissent un peu indifférent. Sur ce registre, Vincent Debanne en 2006 avec «Station»nous avait présenté un travail bien plus puissant en associant la position d’attente des voyageurs en gare avec des paysages suburbains.

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À l’issue de cette journée, deux expositions m’ont surpris. Fernando Montiel Klint avec «Actes de foi» (photo de gauche) explore nos engagements par sa focale utopique. Graciela Iturbide immortalise portraits, objets et décor du Mexique comme si elle invitait Dali à la veille d’une fin du monde. Troublant.

Les Rencontres 2011 posent un espace vide entre le “bouillonnement” créatif  des Ateliers et une certaine photographie institutionnalisée ailleurs. Une frontière qui, loin d’être poreuse, fait barrage en délimitant des îlots là où nous aurions besoin d’archipels.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Les Rencontres Photographiques d’Arles jusqu’au 18 septembre 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon: merci…

Le festival «In» d’Avignon est terminé. Avant mon bilan global qui sera mis en ligne début septembre, quelques remerciements…

Merci à Vincent Macaigne de m’avoir fait plonger dans son théâtre de terre, de sang et de feu. Ma révélation.

Merci à Anne Teresa de Keersmaeker pour m’avoir offert à 4h30 du matin une chorégraphie de l’aube et de l’espoir.

Merci à Arthur Nauzyciel pour son théâtre d’une humanité désespérée où Laurent Poitrenaux nous a sidérés par son jeu magnifique d’acteur.

Merci à Romeo Castellucci de m’avoir fait vivre une expérience théâtrale d’où j’ai trouvé le chemin.

Merci à Boris Charmatz d’avoir transformé la Cour d’Honneur en aire de (ré)création.

Merci à Tino Sehgal d’avoir inventé un théâtre des idées tendre, malin et subversif.

Merci à Katie Mitchell et Léo Warner d’avoir crée le cinéma théâtral d’un amour à mort.

Merci à Angélica Liddell d’avoir révisé mon alphabet pour y presser les raisins de la colère.

Merci à Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi pour leur danse théâtrale révolutionnaire.

Merci à Kelly Copper et Pavol Liska pour la force de leur quotidien réenchanté.

Merci à Thierry Thieu Niang pour son printemps rajeunissant en plein été.

Merci à cette spectatrice pour sa volonté d’en découdre avec «Violet» de Meg Stuart.

Merci à Xavier Le Roy d’avoir fait du noir la couleur de la communication.

Merci à François Berreur pour Laurent Poitrenaux en Jean-Luc Lagarce.

Merci à Jérôme Bel. Pour tout.

Merci à William Forsythe pour ses objets chorégraphiques posés dans mon théâtre des idées.

Merci à Anne-Karine Lescop d’avoir ouvert le Festival avec un petit projet qui voit si grand.

Merci à Médéric Collignon d’être un si beau cornettiste dansant.

Merci au Festival d’Avignon d’être l’un des rares lieux où vivre pour le théâtre est une pure folie.

Pascal Bély,  Le Tadorne

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, «Rien ne laissait présager» un tel final.

C’est toujours troublant une dernière journée au Festival d’Avignon, où l’esprit flotte, le corps chancelle…

Elle débute par la conférence de presse de bilan de la 65ème édition. Elle permet de repérer le niveau de «jeu» entre la direction du festival (Hortense Archambault et Vincent Baudriller), le public et l’artiste associé (Boris Charmatz). Celui-ci se montre bien peu prolixe sur son bilan, donnant l’étrange sensation qu’il avait eu ce qu’il voulait. De son côté, la Direction préfère rapidement laisser la parole au public comme s’il y avait urgence à entendre ” la vox populi“. Des questions sur les conditions matérielles d’accueil ont dominé les échanges («il faudrait apporter le même soin aux gradins que celui prodigué à la scène»). Des clivages apparaissent encore entre Avignonnais (accusés d’avoir un accès privilégié à la billetterie) et le reste de la population, entre le Off et le In. Finalement peu de retour sur les propositions, mais un hommage appuyé à la Maison Jean Vilar (lieu qui rassemble), le Cinéma Utopia et le Théâtre ouvert. La diversité des esthétiques artistique semble ne plus questionner et je finis par m’ennuyer lors cet exercice trop convenu.

 

Pour clore le festival…

Direction la salle Franchet où Tino Sehgal propose depuis le 8 juillet de 12h à 18h, «This situation», une performance totalement jubilatoire. Pensant entrer dans une salle d’exposition, je suis d’emblé sidéré : le public est assis par terre contre les murs et assiste un brin interloqué à un «théâtre des idées» où six personnes debout ou couchés philosophent tout en chorégraphiant la dynamique de leur pensée! Tel un jeu, un «acteur» lance le dé (« quelqu’un a dit?») et le groupe poursuit la partie. Mais tout s’arrête dès qu’un spectateur entre dans la salle?Ainsi, le public régule le débat, redonne de l’énergie aux mouvements. Il arrive qu’il participe pour ouvrir et éviter un entre soi entre chercheurs.

Pris dans cette dynamique répétitive, je me lève, m’assois, n’en perds pas un du regard. Mon corps est écoute, inclut dans un espace où la pensée est un mouvement artistique permanent dans un “ici et maintenant” ouvert où la tendresse est infinie envers celui qui ose penser la complexité du monde. Probablement l’une des performances les plus stimulantes de ma trajectoire de spectateur.

Pour clore le festival…

Je  suis donc totalement prêt pour «Fase, four movements to the music of Steve Reich». Cette pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker fut créée en 1982 et présentée au Festival d’Avignon en 1983. Presque trente ans après, ces quatre tableaux musicaux et chorégraphiques n’ont pas pris une ride. De vraies “danses libres” où le duo formé avec Tale Dolven explore avec brio la musique répétitive de Steve Reich. Déjà mis en mouvement par Tino Sehgal, mon regard ne perd rien. J’entre moi aussi dans cette danse avec ma virtuosité, celle d’un spectateur nourri par trois semaines de festival : «Piano Phase» me rappelle la transe de Meg Stuart dans «Violet» ; «Come out» me guide vers les mouvements vitaux d’Angelica Liddell ; «Violin Phase» m’évoque la spirale de la vie de Thierry Thieû Niang dans «du printemps» ; «Clapping music» me plonge dans des déplacements insensés, où le corps se casse, se plie, se déploie et change. A l’image d’une traversée festivalière. «Fase» est une chorégraphie pour spectateur reliant?
Pour clore le Festival?
Boris Charmatz nous donne rendez-vous à minuit trente pour une “‘bataille” avec le cornettiste Médéric Collignon. Entre duo et duel, les deux artistes s’écoutent, improvisent et nous offrent un feu d’artifice musical et corporel, le tout ponctué de références à la programmation du festival. Médéric Colligon est extraordinaire : délaissant son instrument, il s’abandonne pour créer les sons à partir de son corps, entraînant dans cette symphonie déjantée un Boris Charmatz pris dans cette tourmente créative. Peu à peu, l’improvisation fait émerger une forme totalement inédite: c’est par la danse que le corps est musique ; c’est avec leurs langues et leurs doigts dans la bouche que la performance atteint des sommets de drôlerie et de virtuosité.
Puis, le final est miraculleux: j’ai commencé le festival le 6 juillet à 15h, avec « Petit projet de la matière» d’Odile Duboc dansé par des élèves du quartier Monclar. Je le clôture à 1h30 du matin le 25 juillet avec une danse d’Odile Duboc par Boris Charmatz sur une partition musicale corporelle de Médéric Collignon. La traversée s’arrête là : «Rien ne laissait présager?» this situation.
En Fase 
Pascal BélyLe Tadorne. 
« Fase » d’Anne Teresa de Keersmaeker du 24 au 26 juillet 2011. 
« This situation » de Tino Sehgal du 8 au 24 juillet 2011.