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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Bloc-notes / Le Président et Cendrillon en DRAC Queen.

J’ai connu le chorégraphe Philippe Lafeuille en 2009 lors d’une correspondance où il saluait et encourageait mon travail de spectateur. Expert danse à la DRAC Ile de France, il pressentait que les commissions d’attribution des subventions aux compagnies s’ouvriraient tôt ou tard aux spectateurs engagés.

En janvier 2011, pour accompagner sa création «Cendrillon, Ballet Recyclable», il fonda sa compagnie «La Feuille d’Automne». Il me demanda d’en être le Président. J’ai accepté, conscient de la portée symbolique de cette proposition.

Avant l’été, Vanessa Charles (Conseillère Danse à la Direction Régionale des Affaires Culturelles en  PACA) me proposa d’intégrer la commission des “experts danse” en 2012. J’ai accepté ce signe de confiance et de reconnaissance, conscient que ma nomination pouvait faire lien entre les artistes, le public et les institutions.

Puis arriva le jour de la première de «Cendrillon, ballet recyclable» de Philippe Lafeuille à la Maison de la Danse de Lyon le 3 novembre. Président ou Tadorne, il me fallait choisir. Je n’écrirais donc pas sur cette oeuvre.

Sauf que…alors que je n’avais vu aucune répétition, je découvrais, comme le public, ce que Philippe Lafeuille préparait depuis des mois (une Cendrillon postmoderne fondue dans le plastique, matière recyclable pour rêver). À mesure que le spectacle avançait, je ressentais l’article en gestation. Le Tadorne allait écrire : ce que je voyais sur scène était exactement là où je me situais dans mon rapport à la danse. Ce soir-là, je compris qu’avec Philippe Lafeuille, j’étais devenu une Cendrillon.

Ainsi, quelques jours plus tard, je publiais l‘article. Président et blogueur…

…Qui posera son soulier de plastique sur la table, face à des “experts danse” émerveillés.

Pascal Bély, Le Tadorne.

 

 

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DANSE CULTE OEUVRES MAJEURES

Mathilde et Jean-François. For ever.

C’est un rendez-vous, tant désiré, depuis tant d’années. «Pudique Acide». «Extasis».

Les titres sont en soi un poème. Reliées entre eux, ils forment un ensemble entre passé (ces oeuvres datent de 1984 et 1985), présent (Mathilde Monnier et Jean-François Duroure en proposent une recréation) et futur (les deux danseurs, Sonia Darbois et Jonathan Pranlas im(ex)plosent par leur jeunesse).

Enchevêtrées, cet ensemble tisse entre nous et la danse, un lien qui traverse les générations de spectateurs et d’artistes. À n’en pas douter, vingt-sept après, il n’a rien perdu de sa pertinence, d’autant plus qu’entre temps, le duo s’est plutôt fait rare. Le solo domine les nombreuses propositions émergentes où l’on sonde le sens à partir de la profondeur d’un geste, à la frontière de l’inconscient.

Le duo est autre. C’est un espace où nous projetons le désir dans la relation à partir d’une infinité de configurations : le jumeau, le semblable, le couple, le différent car complémentaire, le masculin dans le féminin. Le duo est une dynamique qui emprunte tant de chemins chaotiques pour signifier que la cohérence est un processus. Le duo, c’est la communication, en boucle, du haut vers le bas, du haut d’en bas et surtout de travers. Le duo est vital.

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«Pudique acide» vitalise ma relation à la danse contemporaine, car elle est une recherche sur la communication. La dramaturgie fait émerger deux personnages de théâtre, qui m’habiteront tout au long de la soirée.

Comme un éternel (re)commencement, à la lisière de l’adolescence et de l’âge adulte, de la partition chorégraphique et du langage musical. Sur une musique de Kurt Weill, ils s’élancent avec leur kilt dont ils se débarrassent pour mieux se différencier, s’apprivoiser, se chercher et se rechercher. La langue allemande  projette de la nostalgie dans leur futur. Ils osent tels des affranchis. Probablement seraient-ils des indignés aujourd’hui…À ce jeu du chat et de la souris, il n’y a ni gagnant, ni perdant, mais une victoire: celle du désir de se métamorphoser ensemble.

«Pudique acide», c’est se délester de sa jupe pour célébrer la «pudeur des sentiments /maquillés outrageusement / rouge sang»1.

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Dans «Extasis», notre duo nous revient, plus grave. Le kilt provocant a disparu pour se muer en imperméable inquiétant d’où dépasse un tutu florissant. Ils hésitent entre peur et désir de libérer leur énergie créative. Dans ce décor tout blanc de cinéma où le scénario n’est pas encore écrit, ils jouent leur histoire d’amour à mort. Entre réel et fantasme, entre ombre et lumière, entre dedans et dehors, ils renoncent pour avancer, vers soi, vers l’autre. Leur désir est une tragédie. Leur jeunesse, un théâtre où les masques tombent. C’est beau à vous couper le souffle. C’est triste à vous laisser submerger par la joie de ressentir une danse d’une vitalité saisissante.

À la nuit tombée, «Extasis» est une danse de libellules  sensuellement transmissible.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Pudique Acide / Extasis » de Mathilde Monnier et Jean-François Duroure au Théâtre de l’Olivier le 5 novembre 2011.

Les dates de tournée sont ici.

(1) “Les dessous chics” de Serge Gainsbourg.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR OEUVRES MAJEURES Vidéos

Philippe Lafeuille plastique “Cendrillon” et détone.

Le final est saisissant. Plus aucun corps sur scène…et notre imagination prend corps. Le commencement est inattendu. Un homme remballe une poubelle qui déborde. Le public rit puis applaudit: le temps est-il venu de jeter aux ordures les vieilles idées, les représentations usées jusqu’à la corde? Le chorégraphe Philippe Lafeuille nous y invite, avec délicatesse et humour.

Entre ces deux moments, «Cendrillon, ballet recyclable» pour sept danseurs masculins est une proposition politique: danser, c’est résister; résister c’est faire danser le corps créatif pour mettre en mouvement nos systèmes de pensée épuisés par la crise et les injonctions paradoxales. Ce soir, le mythe de Cendrillon se métamorphose pour nous embarquer dans un univers onirique, violent, sensuel, poétique, plastique et…caustique. À la Maison de la Danse de Lyon, le public ne s’y trompe pas: l’écoute ne faiblit jamais et chacun semble hésiter entre rires et gravité.

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Car Cendrillon est abimée. Nous l’avons maltraitée. Elle habite dans les bidons villes, dans les décharges à ciel ouvert. Après le passage du tsunami à Sendai en mars dernier, elle nous a même interpellés,questionnés («mais qu’avons-nous fait là»?).  Elle est aujourd’hui à Athènes, réduite à une serpillère où les grands de ce monde s’essuient les pieds. Elle vit dans un environnement où, à la terre des champs, s’est substitué des plaines de bouteilles et de sacs plastiques (futurs gisements dans cinquante ans ?). Son corps est  marchandisé à l’image d’une des scènes éblouissantes du début où nos princesses se débattent dans de l’emballage de produits formatés. Si le corps est marchand, alors il est aussi déchet. Avouez que le conte célébré par Disney en prend un sacré coup…

Philippe Lafeuille le fait entrer dans la postmodernité en convoquant un univers sublime et délirant : des sacs noirs emballent une danse de bal(les); des pluies de bouteilles fracassent l’émancipation du mouvement; un film plastique empêche de relier le corps et l’esprit (métaphore du désir démocratique); des costumes (magnifique travail de Corinne Petitpierre) transforment nos sacs Lidl en robe de soirée pour faire la fête (populaire); des masques composés de coupes de champagne créent du pétillant dans les têtes;  un carrosse fait de fontaines plastiques déboule sur scène et nous plonge dans la féérie d’une histoire d’amour.

C’est donc une société du déchet, du recyclable (à se demander si ce ne sont pas les vieilles idées que l’on recycle) qu’il faut remettre en mouvement  pour rêver à nouveau. Philippe Lafeuille la prend en scène et nous accompagne dans sa métamorphose tandis que le sublime travail de lumières de Dominique Mabileau  élargit les frontières du plateau jusqu’aux limites du rêve éveillé, au coeur de l’art visuel.

La danse est théâtralisée, assez éloignée des attentes d’un public qui a vu tant de Cendrillons chorégraphiées dans du formol. Ici, la musique jadis toute puissante de Prokofiev doit composer avec d’autres (dont l’énigmatique Ran Slavin et le mélancolique Arvo Part). C’est aussi cela le changement d’époque! L’énergie de Cendrillon est à chercher dans les situations où le corps est mis en jeu, où son rapport au plastique le métamorphose (matière symbole du consumérisme triomphant), où ses gestes plastiquent l’espace et ouvrent la voie des arts florissants.

 Le statut de l’artiste (incarné par un personnage habillé de blanc, oiseau bienveillant) et le rôle de la danse contemporaine sont ici interrogés : à force de convoquer la vidéo et les concepts, celle-ci nous éloigne, là où elle devrait stimuler nos imaginaires fatigués par une société où tout déborde. Avec Philippe Lafeuille, le beau n’est plus une question de moyens spectaculaires, de tours et de cathédrales. Le beau, c’est recycler,  c’est mettre en lien pour tresser des niveaux de sens, seuls capables de nous redonner notre puissance imaginative. Recycler, c’est résister contre un pouvoir qui rêve à notre place.

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Les sept danseurs, touchant dans leur diversité, sont pris dans le tourbillon de la métamorphose des arts de la scène proposé par Philippe Lafeuille. Leur fluidité dépend de notre capacité à lâcher. Comme si eux, c’était nous. Comme si  peu à peu enrôlés dans leur chrysalide, nous étions tous une Cendrillon parée pour s’envoler, tel un papillon aux ailes du désir.

Ce soir, j’ai une conviction. Notre plastique, prêt à  fondre, formera nos rêves affluents.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Cendrillon, Ballet Recyclable » de Philippe Lafeuille à la Maison de la Danse de Lyon du 3 au 12 novembre 2011.

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Bloc Notes / C’est un directeur, adjoint.

Elle est assise face à nous. Avec son micro, elle nous cherche du regard puis nous interpelle : «j’ai besoin de vos retours, même si vous vous êtes ennuyé». La chorégraphe Danya Hammoud a confiance dans le cadre posé par Michel Kelemenis pour “Questions de danse” à Marseille: présenter une étape d’un processus de création puis ouvrir un dialogue avec le public.

Il prend la parole. Il est directeur adjoint d’un festival local. Il évoque le  travail antérieur de Danya Hammoud. Personne dans la salle n’a vu l’extrait du spectacle auquel il fait référence. Il regrette de ne pas retrouver ce qu’il avait semble-t-il aimé au mois d’avril dernier. Il précise même les points techniques qui font défaut ce soir. Implicitement, il fait comprendre à Danya Hammoud qu’elle ne sera pas programmée dans son festival.

De dos, du haut de son petit pupitre de jury, ce directeur adjoint joue à la Star Académy. La scène est d’une violence sociale inouïe (même dans le secteur privé, c’est un peu plus doux). Plutôt que de partager un ici et maintenant, ce professionnel exerce son pouvoir de vie et de mort sur les artistes.

Que ce directeur adjoint sache que mon émotion est à la hauteur de l’insulte.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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OEUVRES MAJEURES

Je suis féministe de «choeur».

Elles sont face à nous, la rage au “choeur”.

Elles sont vingt-quatre pour constituer un centre de gravité qui finit par tourbillonner et m’emporter.

Elles sont polonaises, mais leur langue est celle du choeur

Elles sont nos mères, nos soeurs, nos femmes, nos amies.  

Elles sont une partie de l’humanité que nous continuons à dominer. 

Elles ont une chef de chorale, pas plus haute que trois pommes, qui met en musique, en chant, en chorégraphie, le manifeste féministe le plus percutant qu’il m’a été donné de recevoir. Elles sont la voix de toutes celles que l’on finit par ne plus entendre.

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Au-delà d’une manifestation de rue (im)mobilisatrice, elles forment un corps social en mouvement qui s’avance vers vous pour ne plus vous lâcher. 

Ce soir, au coeur du festival «Sens Interdits» à Lyon, le féminisme a pris corps, en s’emparant de la scène, presque de force.
Il y a urgence  à réagir, car la dégradation de l’image et de la place des femmes s’amplifie  depuis que la publicité les réduit à une tête de gondole, que les médias de masse formatent leur rôle dans la société.
Elles sont donc face à nous, sans complaisance avec le public, pour riposter à notre laisser-faire, à notre désinvolture. Nous continuons de véhiculer à nos enfants une vision sexuée des rapports intimes, sociaux et politiques. La question du genre ne nous effleure même plus, tout comme le scandale démocratique que constitue l’absence de parité dans nos institutions.
Elles sont donc face à nous pour mettre en scène, en relief (changement de rythme, de ton, de postures ; debout, couché, de prés, de loin), comme autant de manières d’aborder la question. Ce soir, à chaque femme, son slogan. À chaque groupe, sa force.
Nos représentations sur la femme déterminent nos actes de dominateur, tandis qu’elle réclame, à corps et à cris, un «homme commando» à leur côté. La question de l’émancipation de la femme semble être dans l’impasse : la publicité a durablement contaminé nos consciences. Son langage autoritaire fait de mensonges a pris le pouvoir sur la pensée politique. Ce soir, ne nous y trompons pas, leurs cris de joie ne sont que douleurs, étouffées par une société de la communication et de l’information qui ne veut plus entendre ce qu’elle croit avoir réglé.
Alors? Que nous disent-elles ? La seule réponse est politique. La seule dénonciation ne suffit plus. Il faut des corps énonçant («je parle à mon corps» clament-elles !) ; il faut que chacune fasse la révolution, dans sa cuisine ! Il faut s’emparer de la scène et amplifier le bruit du féminisme par la fureur de l’art. Mais au-delà d’un choeur de femmes, imposant, car vertical descendant, il nous faut maintenant un ensemble vocal, composé à parité d’hommes et de femmes de l’art, pour nous aider à penser autrement notre lien. Pour que la forme de la protestation véhicule les valeurs du changement qu’elle revendique.
Je ne sais pas chanter. Mais je veux bien apprendre à murmurer sur scène. Pour nous faire entendre?
Pascal Bély, Le Tadorne. 
« Choeur de Femmes », direction de Marta Gornicka. Au Festival « Sens Interdits » le 22 octobre 2011.
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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Le Prince Vincent Macaigne vous attend.

Ce fut le succès du dernier Festival d’Avignon. Une oeuvre rare. Le Théâtre National de Chaillot à Paris l’accueille du 2 au 11 novembre 2011 avant une tournée jusqu’en février 2012 (Grenoble, Mulhouse, Douai, Orléans, Nantes, Luxembourg, Valenciennes).

Retour d’Avignon…

Cela devait arriver. Non que cela fut prévisible, mais attendu. Depuis quelques jours, il se trame un drame derrière les murs du Cloître des Carmes au Festival d’Avignon. Après «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne d’après «Hamlet» de William Shakespeare, de nombreux spectateurs semblent sonnés par cette proposition qui dépasse l’entendement.

Je n’ai pas pleuré. Je me suis même amusé avec le chauffeur de salle. Fini l’attente. Le théâtre est ouvert dès notre installation. Sur le gazon bien amoché et boueux de la scène, un homme harangue la foule avec une chanson débile. Il invite le public à monter sur le plateau. Les jeunes ne se font pas prier. Et ça dure…La caste journaliste vieillissante se demande avec inquiétude comment cela va finir. Cet espace intermédiaire entre théâtre et réalité en dit long sur les intentions de Macaigne : il faut nous mettre en condition, en assemblée. Quitte à se foutre de notre gueule.

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Je n’ai pas pleuré. J’ai juste tremblé pour Hamlet. Depuis le temps, je m’habitue à sa folie. Mais ce soir, c’est tout un système qui devient fou. Le corps du père gît encore dans une fosse ouverte d’eau boueuse tandis que le mariage de Claudius avec la mère d’Hamlet tourne à la farce populaire d’une émission pour temps de cerveau indisponible. Nous rions à notre décadence. La boue est notre merdier. Les personnages se dépatouillent pour exister dans ce décor de terre piétinée, d’arrière-cour de salle d’attente d’entreprise de communication, de logement précaire en tôle et verre probablement dessiné par le metteur en scène institutionnalisé et friqué Fréderic Fisbach, présent au Festival avec Juliette Binoche, actrice squelettique.

Comment comprendre la tragédie d’Hamlet si l’on ne pose pas le contexte dans lequel elle interagit? Vincent Macaigne ne s’attarde pas beaucoup sur le spectre, réduit à un furet empaillé. Inutile de s’accrocher à l’au-delà. Ici bas, suffit. Les mythes commencent sérieusement à nous emmerder. Hamlet n’est pas fou, il souffre.  Mais comment un tel système politique peut-il entendre la souffrance? Il est décalé. Inaudible. Totalement inaudible. À devenir dingue. D’ailleurs, ils gueulent tous pour se faire comprendre. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Car je n’ai pas tardé à faire un lien : cette scène est notre Europe, notre boueux pays de France où un saltimbanque au pouvoir transforme l’art en bouillon de culture…

Cette scène est dégueulasse. Ils puent tous la mort. Cela gicle de partout. Comme un corps institutionnel agonisant, épuisé par la traîtrise aux idéaux, mais encore vivant, car le cynisme leur donne l’énergie vitale d’organiser le chaos pour le maîtriser à leur profit. Hamlet n’est pas fou : il lutte pour sa chair….Mais le système va l’emporter. Ne reste que le théâtre.

Entracte.

Hamlet reprend la main. Installe un théâtre où il met en scène son enfance. Aux origines. Qu’a vu Hamlet qu’il n’aurait pas dû voir? Mais cette mise en abyme ne résiste pas. Le théâtre se fond dans le système politique jusqu’en épouser les jeux (comment ne pas penser à la nomination controversée d’Olivier Py à la tête du Festival d’Avignon en 2014 ?).

Je n’ai toujours pas pleuré. Je me suis immobilisé. Face à tant de beauté apocalyptique. La folie du Royaume et sa déchéance emportent le décor du Cloître des Carmes balayé par un château fort gonflable prêt à nous sauter à la gueule. Notre Europe forteresse est une bâche rustinée maculée du sang des corps des migrants. Car le théâtre de Macaigne, c’est de la chair à canon contre le pouvoir, offerte par des acteurs jusqu’au-boutistes qui donnent l’impression qu’ils pourraient mourir sur scène. Macaigne ne disserte plus. Il convoque un théâtre d’images, quasiment chorégraphique : pour repenser l’Europe, il faut organiser nous-mêmes le chaos, et arrêter de s’accrocher à des mythes empaillés.  À partir de ses décombres, nous reconstruirons, torche à la main.

Vincent Macaigne pose un acte : celui de MONTRER, alors que nous sommes saturés d’analyses et de paroles. Il n’a probablement rien de plus à dire que ce qui a déjà été dit. Or, à l’heure où le chaos s’installe, qui sait aujourd’hui montrer en dehors des visions molles…

Et si  resentir l’image théâtrale était une forme de pensée?

Je me lève pour applaudir. Où est Vincent Macaigne ?

Peut-être dégueule-t-il.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Le regard de Francis Braun.

Il faut, c’est un ordre, être témoin de ce Miracle. Il faut participer à ces heures de liberté jouissive, vivre cette aventure shakespearienne indéfinissable  avec la troupe de Vincent Macaigne dans «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» d’après «Hamlet» de William Shakespeare.

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Il faut voir Le Cloître des Carmes, lieu du Sang versé, devenir le lieu de tous les possibles, de tous les délires. Il faut le voir vivre d’une façon différente (il a été investi totalement pour cette occasion par un cabinet de curiosités baroque et intrigant sur un sol un gazon vert fané avec eau croupissante).

Nous sommes conviés par un chauffeur de salle pour une cérémonie joyeuse et terrible. On hésite entre un happening hippy baba et un spectacle de fin d’année ; on se demande à quelle sauce on sera trempés…les gens descendent, des gradins sur la scène, commencent à danser…on attend et ce sera tout à la fois.  Ce soir, Hamlet revisité  va devenir L’?uvre Théâtrale  universelle  d’un mec imprévisible et sans contrainte. Ce sera le fait d’un artiste  qui explose à la fois de sa folie et de son délire. On le sait intelligent, désarmant, on ne sait pas si cela va durer dix minutes, une heure, ou toute la nuit…ou s’il va s’en aller.

Au bout de quelques minutes, c’est certain : nous allons oublier le temps pendant quatre heures, nous allons être assis, rivés à nos fauteuils, bloqués hilares, sidérés et ébahis.

L’esprit de Vincent Macaigne, (qui s’agite avec les machinistes en haut des gradins, comme un chef d’orchestre), est totalement débridé et contrairement au slogan néon posé en enseigne sur le mur d’en face …il y aura pas de miracles ce soir »…Mais,  de CE MIRACLE,  on pourra se souvenir…

C’est Hamlet, lui, sa famille, son trône, son palais qui nous sont racontés, mais c’est aussi la Tragédie de ce Prince du Danemark revisitée sur un gazon piétiné, semé d’embûches irréparables. C’est une vie de crime intemporelle relatée  sur un champ dévasté. C’est hier et aujourd’hui sang mêlé, c’est une Ophélie en pleine inquiétude, c’est une mère qui n’en peut plus de posséder ;  c’est bien sur Hamlet, jeune enfant qui se souvient.

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C’est son histoire fondue enchaînée à notre actualité qui s’exprime sous nos yeux et devenons alors  les otages-bienveillants-volontaires dans un cloître ouvert à toutes les Folies. Folies de la mise en scène tour à tour explosive, sereine, calme ou désespérée. Folies des lumières, soudainement crépusculaires, parfois hivernales, soudainement glaciales…Le cauchemar ou le rêve partent en fumée…des réelles fumées nous enveloppent ponctuellement.

Les comédiens  nous surprennent tout le temps, ils nous font rire et  nous coupent la respiration. Nous sommes à chaque seconde secouée de sentiments différents. Nous sommes déstabilisés, dérangés, enthousiastes, parfois inquiets. Plus les minutes passent, plus les corps-spectateurs se figent silencieusement dans le respect et l’effroi.

Des litres  de sang se déversent sur un corps qui meurt. C’est l’Instant terrifiant incarné par des comédiens incroyables. Nous sommes happés, nous ne savons plus distinguer l’histoire et le présent.

C’est à la fois le spectre de Pippo Delbono qui hurle sans qu’on le comprenne, c’est Angelica Liddell qui joue de son corps, de ses seins, de son sexe, c’est aussi le Sang de Jan Fabre, mais c’est surtout le monde du corps  de Vincent Macaigne.

 Il y avait avant Pina et après Pina…il y avait avec Angelica Liddell, maintenant l’histoire shakespearienne ne pourra vivre sans le  cadavre laissé  par Vincent Macaigne. dans les murs du Cloître des Carmes….

C’est lui L’ENFANT du festival, car il naît ce soir à nos yeux. Offrons-lui le TRONE qu’il mérite, qu’on le couvre d’HONNEURS, qu’on le salue, et que l’on reconnaisse en lui CELUI par qui un autre THEATRE arrive…. Proclamons-le …Notre Nouveau Prince de Hambourg, crions haut et fort…Vive LE PRINCE et vive sa folie.

Ce fut, je dois dire,  exceptionnel.

Monsieur Vincent Macaigne, Nouveau Prince en Avignon…

Francis Braun, Le Tadorne.

«Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne. Tournée ici.

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KLAP, MARSEILLE Vidéos

Klap, Capitale maison pour la danse.

Depuis quelques saisons, la danse disparait peu à peu des programmations à Marseille et aux alentours, chacun déléguant la «tâche» au Pavillon Noir d’Angelin Preljocaj à Aix en Provence. Dans ce contexte, l’ouverture de Klap, Maison pour la Danse dirigée par Michel Kelemenis, est attendue. Pour qu’enfin, l’art chorégraphique se développe dans une ville qui fut, en son temps, si accueillante?

En ce jour historique du 21 octobre 2011, je suis invité à l’inauguration officielle. Au déjeuner de presse, les journalistes parisiens semblent saluer le projet : le bâtiment est entièrement dédié à la création. Symboliquement, la capitale phocéenne revient donc sur le devant de la scène avec le soutien de la Fondation BNP PARIBAS. Sur le ton de la confidence, sa déléguée générale, Martine Tridde-Mazloum, affirme son engagement auprès d’un projet qu’elle accompagne depuis le début, signe qu’un mécène peut voir plus loin que le financement d’actions ponctuelles, souvent spectaculaires?

À 18h, vient le temps des discours. Michel Kelemenis débute par un hommage appuyé à l’Afrique du Sud, pays où il puise la force des valeurs d’accueil du bâtisseur créateur. Avec élégance et émotion, il nous communique sa détermination à voir ce lieu occuper sa place dans un paysage structuré autour des Centres Chorégraphiques Nationaux et des institutions prestigieuses (Maison de la Danse de Lyon, Centre National de la Danse, ?). Jean-Claude Gaudin, Maire de Marseille, poursuit sur la lancée dans un numéro de fanfaronnerie dont il a seul le secret. En insistant sur la préparation réussie de Marseille Provence 2013, dont Klap serait le symbole, il en oublierait presque le sens du projet: après 2013, il y a 2014?Puis vint le Préfet de Région dont l’intervention restera dans les annales : après cinq minutes d’un discours policé, il lâche son texte pour évoquer avec Michel Kelemenis un souvenir de danse. À cet instant précis, Klap joue déjà sa fonction : accueillir tous  nos désirs de danse?

À 20h30, apparaît la danseuse Caroline Blanc en maîtresse de cérémonie. Ses intermèdes espiègles et enfantins sont autant de fils conducteurs pour nous relier à la toile de Klap, patiemment tissée tout au long de sa carrière par Michel Kelemenis. Je retiens cinq moments comme autant de symboles de la Maison pour la Danse.

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L’extrait de «Cendrillon» interprété par le Ballet du Grand Théâtre de Genève provoque l’hilarité. Cinq anges affublés d’ailes sur les fesses, maculés d’étoiles filantes sur le corps, enrobés de chaussures à col plumé, font voler la belle et pas seulement pour la réveiller. Avec des gestes amples et circulaires, la danse est conte de fée pour ranimer nos émerveillements trop souvent empêchés. Quelques minutes plus tard, nous sommes prêts à plonger dans le bleu, celui d’ «Henriette et Matisse», spectacle créé pour la Biennale de Lyon en 2010. La peinture, art pictural et chorégraphique pour minots et parents : Klap au croisement pour relier les âges?

Entre alors Thomas Birzan pour «Faune Fomitch». Il n’a que 17 ans. Il est interprète pour Josette Baïz. Sur la musique de Claude Debussy, une bombe humaine traverse le magnifique plateau du « Grand Studio ». Sous nos yeux, un jeune adulte se métamorphose par la magie de la transmission de Michel Kelemenis. Son «corps fleuve» relie nos désirs affluents. Entre eux, s’engouffre le souffle vital d’une danse pour l’humanité, de celle qui s’affranchit des codes pour créer un langage universel. Thomas Birzan est né à Klap. Je serai là, spectateur-parrain?

Arrive «That Side», interprété par Fana Tshabalala, dialogue entre ce magnifique danseur sud-africain et Michel Kelemenis. De sa force sensible, il déploie une gestuelle «coulée», «ouatée» où le corps est source de transmission, récepteur et ouvert, nourri du vécu, de cultures. Solo ennivrant.

Et puis…Michel Kelemenis lui-même. Pétales de rose dans une main, qu’un souffle pose sur la scène. «Kiki la rose» fut ma première grande émotion de danse. C’était sur la scène du Théâtre de l’Archevêché lors du festival «Danse à Aix». Non annoncé dans le programme de la soirée, le solo surprend l’assistance, médusée. Submergé par l’émotion de ce souvenir, mon corps lâche et se donne: chaque mouvement, du plus petit au plus ample, est une déclaration pour la danse, vers le public. À cet instant précis, Michel Kelemenis explore ce magnifique plateau de ses gestes ciselés pour accueillir les publics : à chacun sa rose, à tous sa tulipe. Pina n’est plus très loin.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Soirées d’inauguration de Klap, Maison pour la Danse les 21 et 22 octobre 2011.

 

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COMMUNIQUE de ROMEO CASTELLUCCI

Le contexte de ce communiqué: iciLe spectacle dont il est question: ici.

Je veux pardonner ceux qui ont essayé par la violence d’empêcher le public d’avoir accès au Théâtre de la Ville à Paris.
Je leur pardonne car ils ne savent pas ce qu’ils font.
Ils n’ont jamais vu le spectacle ; ils ne savent pas qu’il est spirituel et christique ; c’est-à-dire porteur de l’image du Christ. Je ne cherche pas de raccourcis et je déteste la provocation. Pour cette raison, je ne peux accepter la caricature et l’effrayante simplification effectuées par ces personnes. Mais je leur pardonne car ils sont ignorants, et leur ignorance est d’autant plus arrogante et néfaste qu’elle fait appel à la foi. Ces personnes sont dépourvues de la foi catholique même sur le plan doctrinal et dogmatique ; ils croient à tort défendre les symboles d’une identité perdue, en brandissant menace et violence. Elle est très forte la mobilisation irrationnelle qui s’organise et s’impose par la violence.
Désolé, mais l’art n’est champion que de la liberté d’expression.

Ce spectacle est une réflexion sur la déchéance de la beauté, sur le mystère de la fin. Les excréments dont le vieux père incontinent se souille ne sont que la métaphore du martyre humain comme condition ultime et réelle. Le visage du Christ illumine tout ceci par la puissance de son regard et interroge chaque spectateur en profondeur. C’est ce regard qui dérange et met à nu ; certainement pas la couleur marron dont l’artifice évident représente les matières fécales. En même temps, et je dois le dire avec clarté , il est complètement faux qu’on salisse le visage du Christ avec les excréments dans le spectacle.
Ceux qui ont assisté à la représentation ont pu voir la coulée finale d’un voile d’encre noir, descendant sur le tableau tel un suaire nocturne.

Cette image du Christ de la douleur n’appartient pas à l’illustration anesthésiée de la doctrine dogmatique de la foi. Ce Christ interroge en tant qu’image vivante, et certainement il divise et continuera à diviser. De plus, je tiens à remercier le Théâtre de la Ville en la personne d’Emmanuel Demarcy-Mota, pour tous les efforts qui sont faits afin de garantir l’intégrité des spectateurs et des acteurs.

Romeo Castellucci
Sociétas Raffaello Sanzio

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PAS CONTENT

En 2011, en France : des insultes antisémites contre le Tadorne, les spectateurs et Roméo Castellucci.

Premier acte, premier choc, à la lecture des témoignages de spectateurs publiés sur Facebook et confirmés par la Direction du Théâtre de la Ville de Paris:

« Les premières représentations du spectacle de Romeo Castellucci «Sur le concept du visage du fils de Dieu» au Théâtre de la Ville, ont été gravement perturbées par des groupes organisés au nom de la religion chrétienne.  Leur demande d’interdiction du spectacle par voie de justice ayant été déboutée par une décision du Tribunal de Grande Instance en date du 18 octobre 2011.

Nous considérons qu’il ne s’agit pas de la simple perturbation d’un spectacle, mais d’actes violents visant à interdire l’accès du public au Théâtre de la Ville en s’en prenant aux personnes et aux biens :

Jeudi 20 octobre

– Tentative violente d’intrusion par des militants organisés, avec usage de gaz lacrymogènes.

–  Enchaînement des portes de la salle dans le but d’en empêcher l’accès.

–  Utilisation de boules puantes

– Distribution de tracts dénonçant le prétendu caractère « christianophobe » du spectacle, reposant sur des allégations entièrement mensongères.

– Envahissement de la scène du théâtre par 9 activistes interrompant la représentation.

Devant les nombreuses menaces collectives ou personnelles que nous avons reçues depuis plusieurs semaines, faisant suite à l’odieuse campagne menée par Civitas, j’ai demandé à la Mairie de Paris de prendre des mesures susceptibles de garantir la sécurité du public, du personnel et des artistes tout en nous permettant d’assurer le maintien des représentations.

La présence des forces de police a permis de neutraliser les militants les plus violents. Lors de l’envahissement de la scène, devant l’impossibilité d’obtenir un départ dans le calme et sans violence et afin de prévenir un affrontement entre les manifestants et le public, j’ai demandé l’intervention de forces de l’ordre. Après l’évacuation des perturbateurs, la représentation a pu reprendre et se poursuivre jusqu’à son terme.

Vendredi 21 octobre

–  Jet d’huile de vidange et d’oeufs sur le public lors de l’entrée pour la représentation

–  Distribution de tracts

 Dans l’attente de l’intervention de la police pour déloger les agresseurs qui étaient juchés sur une corniche située au-dessus des portes d’entrée et interdisant l’accès au hall du théâtre, nous avons aménagé l’entrée du public par une issue de secours. Mais cela a pris énormément de temps et entraîné un retard de plus d’une heure de la représentation qui s’est finalement déroulée sans troubles.

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Samedi 22 octobre

Démarrage de la représentation avec 30′ de retard.

Nouvel envahissement de la scène du théâtre par un groupuscule interrompant la représentation.

Évacuation dans le calme. Reprise du spectacle.

Avant d’arriver en France, le spectacle a été présenté en Allemagne, en Belgique, en Norvège, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Russie, aux Pays-Bas, en Grèce, en Suisse, en Italie et en Pologne. Il n’a pas suscité la moindre réaction analogue à celles que nous déplorons aujourd’hui. Ces agissements à caractère fascisant sont absolument inadmissibles.

Mes collaborateurs et moi-même, en plein accord avec Romeo Castellucci et son équipe, ainsi que l’ensemble du personnel du théâtre, ne céderons sous aucun prétexte à ces menaces et à cette intimidation. Nous entendons défendre la liberté d’expression, les droits du théâtre, et la mission qui est la nôtre face à cette terreur. Nous entendons exercer pleinement nos droits et réclamer aux fauteurs de trouble réparation des dommages et préjudices importants qu’ils nous occasionnent. Je tiens également à saluer l’attitude du public lors des deux premières représentations. Face à l’agression verbale, puis physique dont ils étaient l’objet, ils ont réagi avec calme et ont observé avec patience les mesures de contrôle que nous avons été contraints de mettre en place.

Les représentations du spectacle se poursuivront jusqu’au 30 octobre au Théâtre de la Ville. Je souhaite que le public continue à venir découvrir le travail d’un grand artiste que nous sommes fiers de soutenir et d’accompagner.

Emmanuel Demarcy-Mota

Directeur du Théâtre de la Ville »

Deuxième acte, deuxième choc.  Je ne m’y attendais pas. Suite à la publication de mon article sur le spectacle de Roméo Castellucci, un site me traite de “juif qui a payé pour aller voir le spectacle et qui a bien aimé la merde”. Il  s’en prend aux artistes, aux spectateurs avec des expressions d’une violence inouïe.

Comment de tels propos sont-ils possible en France ? À quoi sert la loi Gayssot qui punit de tels agissements (sur se site, on conteste aussi l’holocauste) ?

J’ai pour ma part écrit à SOS RACISME, à la LICRA, au MRAP et au Théâtre de la Ville pour les informer de cette situation et les inviter à porter plainte.

Troisième acte, troisième choc : je rêve d’une tournée de Romeo Castellucci en France.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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THEATRE MODERNE

Pour la Tunisie.

La Tunisie vote demain.

Retour sur un temps fort du dernier Festival d’Avignon, présenté au Festival Sens Interdits ce soir à Lyon.

Ils sont parmi nous, avec nous. Acteurs de la révolution tunisienne dans tous les sens du terme, ils descendent peu à peu, tout en nous observant d’un léger sourire. A chacun son tapis rouge et ses palais. Pour Jalila Baccar, Fadhel Jaïbi et les dix comédiens, ce sera les marches de la salle de Montfavet. Ils descendent lentement pour mieux signifier que le changement est un long processus, qu’il ne peut se résumer dans une formule médiatique («le printemps arabe») déjà dépassée. Le théâtre n’est pas fait de ce temps-là.

Une fois arrivé sur le plateau, le noir et de blanc vont mener une longue bataille pour que le théâtre éclaire les dessous d’un système. Écrit bien avant la révolution, «Yahia Yaïch, Amnésia» met en scène le limogeage d’un despote, où l’économique et le politique ne font qu’un. Comment ne pas songer à Ben Ali et à sa famille ?

Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi voient grand, si l’on en juge par la profondeur de la scène, renforcée par un jeu subtil de lumière qui voit apparaître et disparaître les corps. Car “Amnésia” n’est qu’un théâtre de corps, au croisement de tant d’influences : comment ne pas penser à Pina Bausch quand les chaises valsent et qu’elles structurent la dramaturgie en fonction du jeu et des enjeux? Comment ne pas se souvenir des corps courbés et volants de Joseph Nadj, lui qui sait amplifier le mystère en colorant le corps et la scène d’un noir trouble et fulgurant ? Ici, tout est question de corps : n’est-ce pas son immolation qui a tout déclenché en décembre 2010 ? Ici, tout est question de mots : mais ils sont tous bien pesés. Sous la dictature, la parole est d’or…

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«Amnésia» dévoile peu à peu un système, par apparitions et disparitions successives : les corps sont fantômes, tout à la fois apeurés et insoumis. Le son est de la partie : si le despote est affublé d’un micro, c’est pour mieux entendre ce qu’il a dans la tête. Fascinant. Ici, l’Hôpital est le lieu où la tragédie prend corps, Yahia Yaïch ayant eu la mauvaise idée de mettre le feu à sa bibliothèque. Immolation ratée. Le voici badigeonné de rouge, l’une des rares couleurs à créer de l’espérance…Dans un tel système, bien difficile de distinguer le médecin du policier comme si les corps institués n’avaient qu’une seule fonction : le faire perdurer. La confusion est totale d’autant plus que l’on marche comme si l’on défilait, arme sur l’épaule (quand ce n’est pas un ballet pour balais).
Peu à peu, le système s’emballe sans que l’on ait besoin de créer du fracas sur scène : la parole se libère, à l’image de cette conférence de presse où les questions les plus improbables fusent comme des balles. Peu à peu, ces rats de laboratoire sortent de leur souricière. Les corps se redressent, la scène s’éclaire de nouvelles couleurs (le plastique est décidément fantastique !). Sous les chaises, les pavés. La danse s’orientalise pour occidentaliser le propos : nos despotes sont-ils si éloignés des vôtres ? Car «Amnésia» célèbre l’avènement d’un corps politique qui prend la parole et sa liberté de mouvement. A nous peuple français d’accueillir cette énergie, nous qui avons longtemps fermé les yeux pour préserver cette destination touristique privilégiée.
Mais à observer les bâillements du public et son faible enthousiasme lors du salut final, me reviennent les observations entendues cet hiver : «après la révolution, ils vont déchanter». Mais leur chant pourrait devenir l’hymne de notre révolution : celle de la pensée qui verrait dans tout progrès démocratique, une avancée économique, culturelle, sociale et écologique.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Yahia Yaïch, Amnésia » de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi. Au Festival d’Avignon du 15 au 17 juillet 2011.