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PAS CONTENT

Quel cirque (!)(?)

Je vois rarement du cirque : en l’absence de dramaturgie, je m’y ennuie. Le cirque contemporain que l’on me promet depuis tant d’années ne semble pas venir. Pourtant en 2004, au Festival d’Avignon, la rencontre avec  Johann Le Guillerm dans «Secret» fut un choc. Il m’aura fallu attendre 2010 et le collectif  “Petit travers” pour ressentir à nouveau la puissance d’un cirque révélé par un propos artistique.

C’est avec curiosité que je me rends à la Villette pour «The End» du metteur en scène David Bobée, spectacle de fin d’études de la 23ème promotion du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne. En dix épisodes, les douze étudiants évoquent leurs cinq dernières minutes avant la fin du monde. Joli propos pour un projet global, au croisement d’une discipline de cirque et d’un drame collectif. Sauf que…

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Le décor joue un rôle important : c’est un appartement avec son lot de canapés et de meubles sans fond (donc sans livres). Il tourne et fait l’objet de divers changements pour mettre en relief la mise en scène. Ou plutôt, pour faire place aux différents exploits de ces beaux circassiens illustrés par des textes de Christian Soto. À l’apparition du numéro projeté en vidéo (10, 9,…), je comprends vite que les exploits vont se succéder. Le travail de David Bobée devant probablement consister à relier les différentes esthétiques dans un tout. Pas si simple…

En effet, entre la jeune fille et sa corde qui doute et se fait peur dans le vide et trois jeunes jouant au trampoline (et à la devinette: «si j’étais la seule femme, me ferais-tu l’amour?»), comment générer une dramaturgie d’ensemble ? Peu à peu, je prends conscience que le corps performatif illustre, sidère, mais ne transcende jamais le texte. Le «moi je» véhicule un narcissisme assez pénible là où j’attends qu’à cinq minutes de la fin, un chaos intérieur vienne me percuter. À d’autres moments, on frôle la géopolitique “romantique” tandis qu’une jeune fille avec une voile, évoque le voile et la Palestine?Applaudissements garantis. Mais pour quel propos? Est-ce le portrait d’une jeunesse déboussolée? Est-ce une mise en jeu des corps pour expliciter l’implicite? Et si «les cinq dernières minutes» n’étaient qu’un procédé, pour masquer l’impossible théâtralité? David Bobée finit par se perdre, mais nous rattrape en amplifiant l’exploit physique teinté de bons sentiments à l’image de ce duo d’artistes cambodgiens (l’un d’eux est sourd), dont les différents sauts nous éloignent un peu plus du propos initial !

Finalement, tout est policé pour gommer la radicalité du contexte, réduite à des corps inanimés, et à une baignoire dont le sens m’a totalement échappé !

David Bobée connaissait probablement la difficulté de l’exercice. A-t-il conscience qu’il n’a pas réussi malgré ses tentatives pour créer un contexte dramaturgique (l’omniprésence de la musique, les changements de décor, les maniements de symboles)? La façon dont il impose le silence vers la fin en dit long sur l’impossibilité à théâtraliser ce cirque-là dans un cadre de fin d’études. 

Au-delà de l’artiste, c’est le projet de Centre National des Arts du Cirque que j’interroge: “qu’auriez-vous envie d’enseigner, cinq minutes avant la fin du monde?

Pascal Bély – Le Tadorne

“This is the end” de David Bobée à la Villette de Paris du 18 janvier au 12 février 2012.

David Bobée sur le Tadorne:

Je kiffe pour cet Hamlet-là.

Avec « Gilles », David Bobée abandonne « nos enfants ».

Au Festival ACTORAL, David Bobee réchauffe les hétéros. A La Villette, pas si sûr.

Washington ? Paris ? Mens ? Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (1/2): David Bobée, l’artiste du puzzle, du peuple métissé.

 

 

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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Olivier Dubois, cet empêcheur de tourner en rond.

Après la décevante exposition «Danser sa vie» proposée au Centre Pompidou, je pars au 104 pour «Révolution» d’Olivier Dubois, pièce de deux heures, pour onze femmes, sur une musique du Boléro de Ravel. Serait-ce une réponse radicale à la désincarnation en vogue chez certains chorégraphes qui confondent mouvement et matière ? Ce soir, vêtues de noir, elles dansent autour d’une barre verticale dont nous serions peut-être propriétaire, tant ce lien descendant traverse bon nombre de rapports intimes et sociaux. Si j’osais la métaphore, la barre parallèle des danseurs s’est métamorphosée au fil du temps, en barre verticale de nos relations, de nos institutions, de nos modèles de pensée. Mais c’est également la barre fantasmée par des hommes qui les imaginent se déshabiller, mais pas trop vite, pour faire durer le plaisir de la domination…Elle est aussi notre axe de travail à partir duquel nous creusons, cherchons, pour que notre  parole se déploie dans l’espace vers l’altérité…

Elles partent donc au combat. Moi avec. Pour horizontaliser. Elles sont l’articulation entre le vertical et le groupe. Mais c’est moi qu’elles déshabillent en premier comme s’il fallait me délester d’un superflu. Elles tournent sur elles-mêmes pendant de longues minutes. L’ennui me gagne, celui-là même que je n’ose plus aborder, traversé de flux d’informations par la société de la communication: mais ce soir, plus rien ne passe. Je suis brouillé. Je sens que cela va surgir. Elles tournent et je suis seul. Elles tournent et je relie pour faire mon groupe. Une à une, je les regarde et j’imagine leurs dialogues. Je lâche peu à peu…

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Ce chorégraphe, cet empêcheur de tourner en rond…
Peu à peu, la mécanique semble tourner à vide parce que l’homme machine est une représentation qui ne se régénère pas. D’autant plus que la reproduction à l’identique est un fantasme, une approche autoritaire de la société. C’est alors qu’une phrase vient bousculer cette grammaire chorégraphique bien huilée : l’une ralentit,  la  perte d’énergie se propage puis renforce leur détermination: l’union fait la force. Elles repartent. Elles tournent et se retournent. À ce moment précis, ces femmes s’écoutent et m’entendent.
Peu à peu, le mouvement de l’une entraîne la vision de l’autre et se régénère par le déséquilibre. Au risque de glisser, la réalité mécanique n’a plus de prise. Je suis en route vers leur mouvement.
Peu à peu, chacune génère l’énergie à partir d’un centre de gravité qui n’est plus un «je» tout puissant, mais un «nous» englobant.  Le rond devient relief, tel un surgissement inattendu du sens…La barre est partenaire, projet, oeuvre…Je suis pris dans cette dynamique incroyable où le corps intime (symbolisé par la rougeur de l’effort et leurs perles de sueur) entraine le corps social, qui ne renonce pas même en l’absence d’un chef ! Telle une spirale ascendante, les phrases chorégraphiques finissent par créer une poésie particulière où le Boléro se métisse de rock et de jazz. La barre tremble sous le poids du corps, mais ne plie pas: elle est roseau; le corps est lierre, tresse et enchevêtre. La puissance au lieu du pouvoir !
C’est ainsi que la barre est un mur qu’elles traversent pour ouvrir l’espace du corps politique. La quête absolue de l’émancipation devient une danse du changement. Elles s’élancent vers la victoire, crient pour libérer la souffrance (créer, c’est résister). Plus rien ne semble vouloir rattraper ces femmes courages, aux corps éoliens. L’énergie inonde le plateau jusqu’à l’infini. Le corps est une conquête ; la danse est sa révolution.
Femmes «étend’art», je suis votre porte-drapeau…
Pour «Danser sa vie», jusqu’au souffle final.
Pascal Bély, Le Tadorne
“Révolution” d’Olivier Dubois au 104 de la ville de Paris les 4 et 5 février 2012.
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LES EXPOSITIONS PAS CONTENT

«Danser sa vie»: Le Centre Pompidou enterre la danse.

«Danser sa vie». Le titre de l’exposition est une invitation pour tout spectateur engagé à promouvoir cet art majeur. C’est au Centre Georges Pompidou à Paris, pour 13 euros. On pourrait ne pas dépasser l’entrée tant le premier tableau vivant est somptueux. Sous la protection des femmes de MatisseLa danse de Paris»), un danseur à terre nous accueille. Tantôt foetus, tantôt enfant, il crée une série de mouvements et reproduit nos gestes primitifs. Il danse déjà ma vie ! Comme au dernier Festival d’Avignon avec « This situation», l’artiste inclassable Tino Sehgal laisse une empreinte: le sens de toute oeuvre de danse est à rechercher en nous. Nous (im)portons les traces de tant de chorégraphies! Cet engagement artistique est si fort qu’il me sera bien difficile d’apprécier la suite de l’exposition.

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Différentes thématiques («danses de soi», «abstraction des corps», «danse et performance») proposent des mises en résonnance (sic) entre vidéo, dessins et peintures. Je m’étonne très rapidement que l’on m’explique si longuement le rôle de l’abstraction dans l’origine de la danse moderne. Je ne comprends pas très bien l’espace dédié à Pina Bausch où les visiteurs serrés et par terre, se ruent devant une vidéo mal filmée du “Sacre du Printemps“. Pina, réduite à une attraction de foire. Comment est-il possible d’enfermer Anne Teresa de Keersmaeker dans une vidéo où des danseurs vagabondent dans la nature, alors qu’elle est surtout une artiste de l’ombre, de la lumière du jour et des corps musicaux ?

Je conteste que l’on puisse résumer les recherches de William Forsythe à la kinésphère alors qu’il avait proposé au Festival Montpellier Danse différentes installations majestueuses au croisement de la performance, des arts plastiques et de la danse (voir la vidéo ci-dessus et mon article).  Je m’étrangle de voir l’?uvre de Jan Fabre «Quando l’uomo principale è una donna» (epoustouflante Lisbeth Gruwez couverte d’huile d’olive, mi-femme, mi-animal) côtoyer Yves Klein, Nicolas Floc’h, Jackson Pollock et Ana Alprin. Cherchez l’intrus!  J’ai compris depuis longtemps que le corps pouvait être pinceau parce qu’il puise les ressorts de sa métamorphose dans un espace où la chair se libère des contraintes psychologiques et sociales. Mais que vient faire Jan Fabre (débilement réduit à un film alors qu’il est précisément un artiste de chair et de sang !), dans le même espace que la vidéo brouillonne de Nicolas Floc’h ?

Peu à peu, l’exposition finit par me statufier. «Danser sa vie» est une lecture fastidieuse d’une histoire académique de la danse résumée à une éternelle recherche esthétique, hors de tout propos politique (le seul repère en la matière est un mur dédié aux défilés nazis!). Comment puis-je accepter l’omission de toute référence au Sida, qui a décimé tant d’artistes! Danser sa vie fut aussi un amour à mort? Comment puis-je valider l’absence de Dominique Bagouet et de tant de chorégraphes français scandaleusement gommés (mais paradoxalement présent en tête de gondole dans la librairie attenante. De qui se moque-t-on?). Pour quoi retracer l’histoire, si c’est pour la revisiter et ne servir que sa seule vision, à savoir celle des arts picturaux et plastiques ? C’est faire insulte à la danse (art qui accueille tant de disciplines) que de l’enfermer ainsi.

Comme une invitation à entrer dans la danse,  la vidéo de «The show must go on» de Jérôme Bel clôture ce parcours si linéaire. Les deux curatrices (Christine Macel et Emma Lavigne) peuvent ainsi légitimer le titre racoleur de l’exposition, quitte à donner l’impression d’instrumentaliser le propos d’un artiste pour sauver ce qui peut l’être. Ont-elles seulement vu le spectacle et perçu ses enjeux ?
Je propose de sortir la danse de cet espace poussiéreux. J’invite les directeurs de théâtre et de festivals à imaginer un nouveau musée à partir de rétrospectives pour que nous puissions vivre le mouvement de l’histoire. Et je fais un rêve. Un festival «Danser sa vie» qui débuterait par « «Pudique Acide / Extasis» de Mathilde Monnier et Jean-François Duroure puis par  «Parades And changes» d’Anna Halprin, pour se poursuivre avec «Les 20 ans de la compagnie Grenade» de Josette Baïz…
The show must go on.
À vous de compléter  la liste de vos désirs de danse.
Pascal Bély– Le Tadorne
“Danser sa vie” au Centre Georges Pompidou de Paris jusqu’au 2 avril 2012.
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EN COURS DE REFORMATAGE OEUVRES MAJEURES

La canne et les oeillets sont dans une boite grise.

Au fond du plateau, il y a des chaises alignées: bien sûr on pense à Pina Bausch.

Des portes se ferment et s’ouvrent: bien sûr on pense à Pina.

Ils sont en habillés en  rouge, combinaison de soie, et l’on pense encore à Pina.

Il y a le Lac des Cygnes et toujours, on pense à elle.

Aujourd’hui, Pina n’est plus seule. Elle a son guide, son fidèle, son fils…. Pippo Delbono, quasiment inconnu en France, nous subjugua en 2002 avec «Il silenzio» à l’école Saint-Jean d’Avignon, transformée en salle de spectacle…C’était lui qui racontait des histoires, qui marmonnait, qui respirait très fort, qui murmurait  ou vociférait.

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Ce soir, c’est lui qui respire paisiblement et se confie. On sait le nommer, on sait que c’est lui, car il y a sa stature,  son timbre de voix, son accent…et on est avec lui. Pippo le Grand, Pippo l’Éclaireur, Pippo le Magicien.

On attend un conte. On est venu l’entendre et c’est une autre qui danse. On connait Pippo et Pina est là.

Comme d’habitude, on veut qu’il arpente en criant et on aperçoit Bobo en silence.

Bobo arque bouté, 77 ans de souffrance dont quarante-cinq ans d’internement en hôpital psychiatrique; Bobo magique, Bobo allant tout droit, jouet imperturbable, figure emblématique.

Ce soir, ce serait comme si…Pina et Pippo…Ce serait comme des icônes dans une énorme boite grise, agrippées aux murs. Ce serait un ciel gris, des portes, des percées de lumières. Ce serait deux absents courant ça et là, ce seraient des fantômes, ce serait un hommage, une messe célébrée. On penserait alors  à de beaux tableaux italiens….

Le peintre serait Pippo Delbono et le musicien Tchaïkovski. Le peintre arriverait, chemise blanche débraillée, on imaginerait Tadeusz Kantor, le maitre de ballet. Il y aurait aussi Tutu blanc la danseuse, puis Bobo et sa canne.

Pour Bobo, il n’y aurait pas de passé. Tous les jours seraient identiques, sans souvenirs, sans célébration. Bobo crierait, hurlerait même. L’écho de sa souffrance, un désespoir écorché…. l’esquisse d’un sourire peut-être?

On est prêt à tout avec Pippo. Il nous raconte sa mère qui, affirme-t-il,  n’a vécu sa vie que comme une perte.

Pina, Bobo, les tragédies, l’Égypte…Pippo nous dit aussi qu’à l’asile d’aliénés, ils ont lié les pieds de Bobo. Bobo qui  n’a jamais connu les caresses, qui ignore les jours et les célébrations. Effroi.

Il nous dit la France ; il nous raconte l’Italie et Berlusconi ;  il nous montre Popeye, Donald…Il redevient Monsieur Loyal et on regarde, subjugués, sur les murs, Chaplin qui danse comme un fou.

Gianluca Ballarè arrive, torse nu. Il est prodigieux dans son monde isolé, il transpire d’inquiétude. On l’aime terriblement dans son silence effaré.

C’est au tour de  Bobo qui  trimbale son drapeau comme il faisait dans son asile… Soudainement, la salle, d’un coup se lève au son de Verdi… nous sommes dans son asile, nous sommes en Italie, nous sommes en France, nous ne cessons d’être embarqués…nous suivons Pippo là où il veut nous emmener. Recueillement et nous sommes ébahis. Une musique d’opéra éclate. Une femme, comme sortie de «May B» de Maguy Marin, de terre et de craie habillée, est prise soudainement  de convulsions. Nous sommes à la lisière de la prison, au bord de l’oppression. On arrête. On respire. Stop.

Toujours présente, Pina respire. Des femmes dansent.

Pina hommage, Pina offerte, Pina adulée et les fleurs en bouquet posées.

Pippo pourrait avoir des veines de métal, il en coulerait du miel. La terre de Pippo serait de béton, les oeillets y pousseraient quand même. Pleurer, sourire avec eux, bande de saltimbanques borderline, bande de fous illuminés…Théo Angelopoulos aurait aimé ces comédiens, ces hommes, ces femmes. Il les aurait suivis au-delà de tous les naufrages, au-delà de toutes les guerres… Leurs yeux étaient ce soir-là, bordés de rouge comme ceux de Gianluca, humides comme ceux de Pippo; absents comme ceux de Bobo.

Nous aurions voulu  revêtir des habits de guenilles pour nous mélanger à eux, mais personne ne pourrait porter un vêtement mieux que Bobo. C’est un miracle de le voir devenir vêtement, incarnation d’habit, il est la mariée, il est le concertiste, il est le curé, il est le moine….Magie du transformisme incarné.

À lui ce spectacle dédié, à lui tous les hommages, salut à toute cette famille de comédiens. Merci Pippo, Bobo, Pina ; merci pour cette bataille optimiste ; merci de cette fuite retrouvée ;  merci Pippo d’être redevenu le Pippo du début, merci de ces images, merci de ces larmes, merci de cet espoir…et si je pouvais, je vous offrirais aujourd’hui, à vous lecteurs, des milliers d’oeillets rouges sur le plateau de votre scène.

Francis Braun – le Tadorne.

 « Dopo la battaglia (Après la bataille) »  de Pippo Delbono au Théâtre du Rond Point à Paris du 17 au 29 janvier 2012.

 

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Ceci n’est pas une critique.

Je n’ai strictement rien compris. Mais j’ai beaucoup ressenti. Je n’ai rien vu, mais peut-être ai-je vu l’essentiel?Je n’ai rien entendu, mais j’ai écouté. «Até» de et par Alain Béhar me laisse désarmé : j’ignore où m’a emmené cet ovni théâtral, mais qu’importe. J’ai fait une découverte. Comment évoquer ce spectacle où tout est si déconstruit que je peine à trouver un fil conducteur pour écrire? À plusieurs reprises, j’ai tenté de m’échapper (comme il m’arrive fréquemment de le faire lorsque le propos artistique m’éloigne) : concentration sur mon emploi du temps de la semaine à venir, fixation sur une partie de mon corps, cachoteries avec le voisin. Mais rien n’y fait. Mes habituelles barrières de défense n’ont pas fonctionné. La scène a toujours fini par me rattraper. Même le temps me paraissait long. Pourtant, la pièce a filé à toute vitesse. «Até» a dépassé l’entendement.

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Trois espaces virtuels sont retransmis sur écran vidéo: un jeune homme, seul chez lui, vit ses émotions par ordinateur interposé tandis que deux créatures: l’une sur Second Life, l’autre je ne sais où- s’immiscent dans le rêve éveillé. Ailleurs, mais tout près, une fête entre amis le soir du 31 décembre. D’une année à l’autre. Du temps contrôlé au futur qui surgit. Il y a un drôle de pianiste: il crée le fond musical qui permet aux mots de se fondre dans le chaos ambiant. Ici, la musique est filaire.  Il y a une femme (aux apparences trompeuses, elle se révèle peu à peu impossible à qualifier). Il y a un homme: pantalon en velours puis cul à l’air. Il y a l‘abbé, que j’imagine bien sur un char de la gay pride. Et puis, le champagne et des tables (en bas, en haut)! Subrepticement, des ballons gonflent, telle l’écume qui propage des bulles de sens, pour envahir la scène, resserrer  les liens et métamorphoser l’espace. Peu à peu, les mouvements des corps sont entravés pris dans un flot de paroles; ils ne se taisent jamais et leur poésie provoque des relations magnétiques. Les acteurs sont à la fois comédiens, scénographes, décorateurs, dialoguistes, chorégraphes, techniciens.  Ils incarnent l’autre réalité, celle où le temps chronomètre se fond dans le temps psychique. Étourdissant. C’est cette réalité que nous construisons au quotidien entre texto, avatar, réseau social, tweet tweet et…toi, nous, eux. De la chair dans du virtuel, des solitudes entrainées dans le grand raout communautaire de l’internet. Où le verbe charrie le désir, où les corps entrent par effraction dans la raison pour reprendre le contrôle de nos pulsions aujourd’hui normées.

On n’y comprend plus rien : ils croulent sous les mots qui déboulent et s’écrasent au pied de leur solitude. «Até» m’a propulsé dans un ailleurs où pour une fois la vidéo n’est pas un artifice de metteur en scène branchouille, mais bien un espace psychique en soi, où l’acteur est plus vrai que nature. Peu à peu, le plateau se révèle être un nouvel espace dans lequel le processus d’individuation (celui où l’homme est à la fois individu et membre de la collectivité, où son identité propre lui permet d’être à l’aise et plus libre dans la société) se joue entre réel et virtuel. Entre rêve et réalité, une conscience collective émerge et interroge les valeurs.

Ici, le théâtre a repris le pouvoir. Il nous devance et nous courrons après lui. Le spectateur ne contrôle plus rien. Impuissant à englober le tout, il fait son théâtre.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Até » d’Alain Béhar au Théâtre des Bernardines de Marseille du 26 au31 janvier 2012.

Du 7 au 10 février 2012 au Théâtre Garonne de Toulouse.

Crédit photo: Mathieu Lorry-Dupuy.

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Pour un théâtre zombie à Marseille!

Ces deux pièces n’ont rien en commun, si ce n’est d’avoir été vu à quelques jours d’intervalle. Et pourtant, il me plait de les inclure dans un même article pour démontrer, une fois de plus, que le théâtre est histoire de corps et que décidément, les chorégraphes sont des infatigables chercheurs.

«4.48 Psychose» de Sarah Kane par Thomas Fourneau au Théâtre des Bernardines de Marseille, déçoit par son aridité. Comment un texte d’une telle force peut-il à ce point s’assécher pour se métamorphoser en «objet» plastique (et encore que, cette matière peut s’avérer d’une grande sensibilité!). Ici, l’espace mental est dépouillé à l’extrême (seules quelques incrustations vidéos peuvent aider à s’échapper pour y puiser l’énergie de rester là). Les deux comédiennes (Rachel Ceysson et Marion Duquenne) sont aussi raides que leurs robes et leurs cheveux plaqués. Les mouvements du corps s’effacent au profit de déplacements linéaires et de gestes maniérés. À aucun moment, la mise en scène ne réduit l’abyme entre un texte d’une extrême complexité et le spectateur confortablement assis. Les mots se ferment à l’image de ces deux corps contraints comme si les pulsions de vies et de mort pouvaient à ce point s’objectiver pour gommer le chaos qu’elles provoquent. Cela se regarde. C’est tout. C’est un théâtre profondément mortifère, sans âme, qui amplifie la distance : mettre en scène un tel texte suppose probablement d’avoir travaillé. Sur soi. Pour éviter d’infliger aux autres une peur déconnectée du propos que l’on est censé servir.

À l’opposé, «Zombie Aporia» du chorégraphe américain Daniel Linehan m’a positionné dans un dedans dehors intéressant et ouvert ma réflexion alors que j’étais plutôt mitigé à la sortie de la représentation. Entourés de Salka Ardal Rosengren et de Thibault Lac, nos trois danseurs au look d’adolescent s’exercent : faire entrer la chanson pop dans le mouvement. Dit autrement, ils chantent et dansent. J’ai encore en mémoire la performance du  «Nature Theater of Oklahoma» qui, dans « Life and times» retranscrivait la vie d’une jeune adolescente tirée d’un enregistrement téléphonique. Rien ne nous avait été épargné : ni les «hum», ni les «genre». La partition fut totale: chorégraphique, chantée et musicale. Jubilatoire. Ici, paroles et musiques sont écrites par Daniel Linehan et chantées a cappella. Les Américains ont ce talent incroyable d’évoquer la jeunesse par le «mouvement musical». Et c’est plutôt bien vu : le chant véhicule ces petits «riens» qui finissent par dessiner le portrait cubiste d’un trio en recherche de liens. Cette succession de six «mini concerts» est autant de clics sur une toile qui piège une jeunesse incapable de penser en dehors d’un lien consumériste. Les mouvements  traduisent le désarroi d’une génération qui peine à trouver sa place, à se faire entendre malgré un langage global : le corps et la tête sont liés et intègrent même les nouvelles technologies qui, en imposant leurs déplacements, dénaturent le contexte (jusqu’à transformer les gradins du Centre Chorégraphique National de Montpellier en espace de jeu vidéo).

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Cette chorégraphie de l’égarement est accentuée par cette succession de tableaux qui, à force d’accumuler, me perdent. Le chant épouse la forme si particulière des mouvements où la recherche de l’unité bute sur la relation empêchée. La rupture du sens est permanente : la globalisation des corps et de la pensée, renforcée par la société de consommation et l’internet, bloque la communication. L’aspect performatif de «Zombie Aporia» amplifie le spectaculaire à l’image d’une société où la forme prime sur le fond, où le geste s’assimile au slogan pour masquer le gouffre. À mesure que le spectacle avance, un nouveau langage émerge, jamais vu et entendu ailleurs. Il percute ma façon d’appréhender la danse et crée une brèche dans mon système de représentations. Comme dans tout processus de changement, je résiste jusqu’à repenser ce que j’ai vu. J’écris avec la sensation d’avoir découvert une jeunesse qui célèbre l’hybridité et que je ne vois plus tant son contexte m’est devenu illisible. «Zombie Aporia» me propose un langage pour me reconnecter à elle . Pour penser la relation autrement. C’est peut-être à cette condition que le théâtre se régénéra à l’image du spectacle de Vincent Macaigne au dernier Festival d’Avignon qui vit la jeunesse monter sur le plateau pour y fêter l’absurde et le pessimisme, ode à la créativité.

Pascal Bély, Le Tadorne.

“4.48 Psychose” de Sarah Kane par Thomas Fourneau au Théâtre des Bernardines de Marseille du 12 au 22 janvier 2012.

“Zombie Aporia” de Daniel Linehan à Montpellier Danse le 23 janvier 2012.

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LE GROUPE EN DANSE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Une jeune danse pour un pays de vieux.

« Les fauves » de Michel Schweizer sont à l’affiche du Théâtre de la Cité Internationnale à Paris (du 26 au 31 janvier 2012). Je recommande fortement ce spectacle vu à Lyon au printemps dernier.

Ils sont dix jeunes et un accompagnateur. On ne sait d’ailleurs pas très bien quelle est sa fonction: habillé d’un t-shirt siglé dont il ignore le sens, le metteur en scène Michel Schweizer lui a demandé d’être lui-même. Alors, Gianfranco Poddighe chante pour nous accueillir puis passe derrière les platines tel un DJ de l’âme. Il fait jeune. Comme moi. La jeunesse n’est donc pas un statut. Elle est.

Des tables avec des micros entourent le plateau (métaphore de la nouvelle Agora ?) tandis que deux horloges digitales pendent du plafond. Elles ne donnent pas la même heure et le décalage ne cessera de grandir au cours de l’heure quarante-cinq minutes du spectacle. Le temps est suspendu, mais aussi décalé comme une invitation à lâcher prise nos repères habituels et nos visions normées. Les voilà donc face à nous (Robin, Elsa, Pierre, Clément, Aurélien, Pauline, Zhara, Lucie, Elisa, Davy), habillés de leur t-shirt où est écrit «endurci» accompagné d’un numéro indiquant leur degré de dureté ! Comme l’eau calcaire de nos machines. Façon élégante de nous renvoyer leur sensibilité, là où nous les aurions probablement enfermés dans des cases inamovibles.

Leur regard ne trompe pas : nous ne saurons rien de leurs origines sociales, de leur statut, de leur vécu familial. Rien pour nous accrocher, mais ils vont tout donner pour nous relier : ils sont ma contemporanéité et mon avenir. Très vite, ils refusent l’abécédaire de la jeunesse écrit par le philosophe Bruce Bégout que leur tend Gianfranco. Ils veulent d’abord évoquer leur ressenti d’être ici, face à nous : et c’est du corps dont ils nous parlent. Cette parole crue et drôle autorise alors toutes les audaces chorégraphiques, plus proches  d’une danse de l’enchevêtrement que du ballet: elle ne cesse de les habiter même quand ils chantent. Ici, la danse a de la voix.

Peu à peu, ils dessinent le changement de civilisation qui se profile : ce groupe incarne un schéma totalement inversé. C’est en partant du bas vers le haut qu’il  propose de  co-construire notre société au-delà des savoirs d’experts. La créativité et l’écoute sont le moteur du progrès (gare à celui qui n’entend pas?), le sensible en est la matière.

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Le groupe semble s’inscrire dans un «ici et maintenant» qui le  mène à refuser un débat vain sur le lien entre jeunesse et immortalité. Leur identité est complexe car leur avatar doit cohabiter avec leur rôle social : c’est leur recherche du mouvement qui les engage loin des dogmes qui rigidifient «le corps social». En un instant, ce groupe est capable de se mobiliser si les valeurs de respect et d’écoute sont menacées. Car le «je» est en «nous». Individualisme ? Sûrement pas. Plutôt un désir de tribu (chère au sociologue Michel Maffesoli) où l’harmonie conflictuelle définit le vivre ensemble, où  l’unicité est une conjonction des contraires, où une tolérance infinie empêche que leur vie sociale se tisse sur un pathos enfermant.

À mesure que «Fauves» avance, je me sens flotter  et me laisse porter quitte à m’autoriser l’ennui quand leur interpellation me sature (à l’image de certains d’entre eux qui s’isolent avec leur casque, leur guitare ou se lovent dans le canapé du fond). Avec eux, je ne cherche rien à savoir, mais je ressens, calmement.

Leur espace artistique est une toile où  les mots se prolongent dans le mouvement, où se réinvente une démocratie, où aujourd’hui est le premier jour du reste de notre vie?

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Fauves” de Michel Michel Schweizer au Festival Anticodes du 31 mars au 3 avril 2011.

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Le blog en 2011 : les moments clefs, audience et budget.

«J’ai le sentiment que tu écris beaucoup moins que l’an dernier, non ?» me faisait remarquer un agent d’accueil d’un théâtre en novembre 2011. Pas faux. Presque moitié moins.

L’offre de spectacle vivant dans ma région (Aix-Marseille) ne correspond  plus de tout à mes attentes: j’y retrouve les mêmes esthétiques et des artistes qui finissent par tourner en boucle. Les propositions chorégraphiques se sont littéralement effondrées malgré la présence du Pavillon Noir d’Aix en Provence et d’un Ballet National à Marseille. Ces institutions assèchent plus qu’elles n’irriguent. Du côté des scènes nationales (Le Merlan à Marseille, Théâtre des Salins à Martigues), on répète à défaut d’innover. La fonction de programmateur ne sert finalement qu’à programmer. La visée sur le rôle des arts vivants dans une société en perte de valeurs se réduit à assurer la billetterie ou à soigner l’image «branchouille» du lieu. On (ré)conforte le spectateur plutôt que de mobiliser ses possibilités de penser autrement. Tandis que des grands noms du théâtre et de la danse ou des artistes émergents traversent Lyon, Nîmes, Montpellier, Toulouse, ils font l’impasse sur Marseille et sa région. Tout semble statufié. Le Festival de Marseille programme pour séduire (voir l’article que j’écrivais en 2008, toujours d’actualité); Actoral s’est perdu à force de vagabonder; Montevidéo a fermé (pour combien de temps ?) alors que le Théâtre des  Bernardines soigne sa chapelle.

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En 2011, je n’ai quasiment pas chroniqué sur les spectacles vus dans ma région. Je rêve d’un ailleurs même si un paysage nouveau semble se dessiner :

1) Klap, Maison pour la Danse de Michel Kelemenis a ouvert en octobre dernier. Le projet d’en faire un lieu exclusivement dédié à la création laisse espérer la venue de chorégraphes à Marseille. À noter qu’en deux mois, le lieu a tenu ses promesses malgré des horaires de diffusion (19h) décourageants (voir l’article Bloc-notes / A Marseille, théâtres et festivals me découragent.)

2) L’arrivée de Macha Makeïeff à la Criée et son projet de dépoussiérer l’institution suscite ma confiance. Attendons la saison 2012-2013…

3) La Friche Belle de Mai est en chantier ; un directeur vient de prendre ses fonctions. Espérons qu’il puisse ouvrir le lieu vers la ville pour un nouvel accueil, une mise en lien des disciplines et des différents opérateurs culturels qui composent la Friche.

Concernant le blog, le premier semestre a vu son audience chuter peu à peu. Faute d’articles, le lectorat a déserté (à peine 100 visiteurs par jour). À la fin du mois de février, j’envisage d’arrêter l’aventure. Découragé de ne pouvoir écrire, je publie en avril un article sur l’absence de propositions théâtrales de qualité dans ma région. Malgré tout, je vais à la rencontre d’artistes à Bastia, Nantes, Bruxelles, Gap. Je m’émeus des  propos racistes de Raphaël de Gubernatis du Nouvel Observateur, de l’inculture des communicants dans les théâtres, de la nomination d’Olivier Py au Festival d’Avignon. Je retrouve le plaisir d’écrire et pars serein au Festival Montpellier Danse après le rendez-vous manqué d’Uzès Danse. L’audience du blog augmente et explose au cours du Festival d’Avignon (plus de 1000 par jour).  Le Tadorne est identifié par les artistes et certains spectateurs m’encouragent dans ma démarche notamment lors des rencontres que j’anime avec le Festival Off d’Avignon.

Si les Rencontres Photographiques d’Arles furent particulièrement ennuyeuses, la Biennale d’Art Contemporain de Lyon m’a profondément stimulé (quatre articles qui seront lus par plus de 3000 visiteurs uniques), tandis que le Printemps de Septembre de Toulouse s’est avéré plus sensible et moins spectaculaire que les années précédentes. Le Festival d’Automne m’a permis de retrouver Claude Régy et Daniel Veronese avant de retomber dans la léthargie régionale (et la dénonciation de l’étrange positionnement du directeur adjoint du Festival de Marseille). Rien ne fait événement ici alors que la polémique autour de la pièce de Roméo Castellucci à Paris par les fondamentalistes religieux m’oblige à me positionner pour défendre cette oeuvre remarquable.

Au final, l’année 2011 voit l’audience se stabiliser à 90 000 visiteurs uniques (+ 1,21% par rapport à 2010. La plus faible progression du blog depuis son ouverture en 2005) tandis que la page Facebook s’est affichée 1 001848 fois. Animée par Sylvie, Francis, Elisabeth, Clémence (1 et 2 !), Alexandra, Sylvain, Pierre-Jérôme et Robin, c’est un espace d’échanges autour des arts vivants. Merci à ces Tadornes qui ont été un soutien précieux en 2011. Merci à Laurent Bourbousson et Bernard Gaurier pour leurs fidèles contributions.

Pour finir ce bilan,

Les 10 articles les plus lus :

1- Pour Roméo Castellucci, contre la censure des malades de Dieu.

2-Extra-terrestre Biennale de Lyon

3-L’article inacceptable de Raphaël de Gubernatis dans le Nouvel Observateur 

4-Patrice Chéreau fait naufrage.

5-Le Prince Vincent Macaigne vous attend.

6-Bertrand Cantat, «le condamné» d’Avignon.

7-Au Festival d’Avignon, Boris Charmatz enfante d’un chaos enthousiasmant, d’une humanité à la dérive.

8-Au Festival d’Avignon, la danse de Xavier Le Roy fait la conversation.

9-Une Maison pour la Danse à Marseille : Klap ! Klap !

10-Qui est Pascal Bély? 

Le Budget du blog.

Les dépenses liées au Tadorne en 2011 (billetterie, hébergement, déplacement) se sont élevées à 5900 euros (en hausse de 10% par rapport à 2010). Faut-il le rappeler, mais Le Tadorne ne rapporte aucun revenu ! Je m’interroge sur la nécessité de lancer une souscription pour financer une nouvelle ergonomie du site.

L’aventure se poursuit donc en 2012 pour la septième année.

Je vous remercie chaleureusement pour votre fidélité.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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PAS CONTENT

Maguy Marin, «may be» not.

La chorégraphe Maguy Marin est en tournée dans toute la France jusqu’en juin. La critique est unanime sur «Salves», spectacle jugé majeur. J’ai rediffusé dernièrement l’article élogieux que j’avais publié en septembre 2010 lors de la Biennale de Lyon. Depuis quelques jours, des amis m’envoient des retours plus mesurés.  Francis Braun, contributeur pour le Tadorne, m’a transmis son regard. À la lecture de son article, je m’interroge. Serions-nous saturés de propos dénonciateurs ? Peut-on aujourd’hui penser une nouvelle société à partir de nos décombres ? N’avons-nous pas besoin d’un bordel poétique pour reconstruire sur d’autres bases (d’où le récent succès de Vincent Macaigne avec «  Au moins j’aurai laissé un beau cadavre »)?

Pascal Bély

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RECOLLER LES MORCEAUX et REMETTRE LE COUVERT?…Par Francis Braun

 On va courir, couvrir, se transformer, se travestir, se dénuder, s’illuminer, s’éteindre, s’asperger, se ridiculiser….À force de tout expliquer, on va se faire chier….et ceci dès les premières quinze minutes. On nous mâche le travail avec ces images convenues et évidentes. Si bien qu’on n’imagine plus. On est à l’école, et à force de nous démontrer, on ne rêve plus. On va finir par s’ennuyer avec ces répétitions qui n’en finissent plus de se répéter. On ne va pas danser, non, on va seulement bouger, courir, sauter, faire du mouvement, gesticuler…On va écouter des bandes-sons hachées….On va regarder à la condition absolue de pas nommer le nom de danse, ni de celui de longue performance.

La description sera facile, mais Maguy Marin nous ment: on tend un fil de part en part de la salle. On fait semblant de choisir des gens au hasard pour le dérouler.

Premier mensonge : ce ne sont pas des anonymes que l’on sélectionne,  mais des danseurs.

Deuxième mensonge: ce sera un fil (est-il imaginaire ?) qu’ils vont se repasser.

À ce moment-là, on réalise la supercherie :….ce fil sera le fil de l’histoire que l’on va dérouler sous vos yeux !

Ouah!!! En voilà une belle prouesse métaphorique (au point où nous en sommes, imaginons une danseuse déguisée en Araignée!)

Maintenant que le spectacle a commencé, sachez  qu’il fait a moitié nuit dans le Pavillon Noir d’Aix-en-Provence…un noir parfois éclairé, éteint à nouveau…ré allumé puis ré éteint…ce n’est pas involontaire, c’est voulu…ce sont des clairs-obscurs, des contrastes….des épisodes, des instants , des impromptus…Mon oeil a du mal à s’habituer à cette lumière séquentielle, utile, mais pas indispensable, surtout fatigante pour ne pas dire lassante.

Aix-en-Provence transformée en “Sons et Lumières” par Maguy Marin.

Maintenant, examinons le contenu…plutôt le contenant…Il va falloir “recoller les morceaux” et “remettre le couvert”…puis entre-temps, faire défiler les strates de la Mémoire.

Tout y passe…tout y trépasse. La Religion, les Papes, les Curés, les Artistes, la Peinture, la Sculpture, les Monuments, la Statue de la Liberté, la Venus de Milo, le Vase de Soissons…

Les évènements tragiques et populaires se succèdent,  le racisme bien sûr, la parodie peut-être, le cynisme certainement…Tout s’éclate, se brise et se sépare. Le désarroi gicle sur les murs; la catastrophe nous tombe dessus.

Elvis se multiplie, Marco Ferreri s’annonce, Fellini s’approche…C’est alors qu’un tout petit Christ rédempteur arrive après la bataille…J’aurais aimé entendre Bashung et son saut à l’élastique…imaginer la figurine se fracasser sur la Table dressée,…

Un effet terrible sur  tragico-burlesque banquet ridicule.

Tragédie ou Comédie? Ce simulacre pseudo fellinien….Nature morte grotesque déguisée….À force de trop dire, on perd toute la poésie. À force d’expliquer, on dilue le contenu.

Avec un peu d’humour et beaucoup de dérision…voilà l’amertume et le regret de ma détestation.

Que j’ai aimé Maguy Marin et son “May B“. Universel.

Je ne digère pas ma déception.

Francis Braun – Le Tadorne

“Salves” de Maguy Marin au Pavillon Noir d’Aix en Provence du 11 au 13 janvier 2012.

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Le Tadorne: spectateur volatile, mais pas que…

En 2011, «je me suis relié».

Entre mon métier de consultant et de formateur, ma passion pour les arts et ma vie sociale, j’ai le sentiment d’avoir créé un tout lisible et cohérent. Mes premières définitions du spectateur «Tadorne» (nom du blog et d’un canard migrateur!) se sont enrichies grâce à la dynamique d’un projet global qui nourrit ma quête de sens.

Pour reprendre l’expression chère à Jacques Rancière, être un «spectateur émancipé» suppose de tâtonner dans la recherche de nouvelles articulations. J’ai très vite compris que ce positionnement était un processus (substituer à la consommation de spectacles, une relation à l’art au centre de tout) : il véhicule suffisamment de résistances et de peurs pour être vecteur de changement. J’ai donc poussé mes propres frontières et assumé : peu à peu, l’art s’est immiscé dans mon métier. À Martigues, j’ai accompagné la fusion de l’école de Musique et de Danse en créant une dynamique de projet global. À Vénissieux, au cours d’une formation sur l’approche systémique, j’ai posé des livres d’art sur la table pour que chacun s’en saisisse et évoque son positionnement professionnel. À la CAF des Bouches-du-Rhône, j’ai proposé l’intervention du chorégraphe Philippe Lafeuille auprès d’un public de travailleurs sociaux : lui seul pouvait les aider à relier le corps et la tête ! À Marseille, j’ai réuni (avec Graziella Végis et Nathalie Dalmaso du Théâtre Massalia) dans un cursus de formation, des professionnels de la petite enfance de deux collectivités (Martigues, Fuveau) et de la Maison de la Famille. Ils se sont formés pendant huit jours sur la question de «l’art et les tout-petits». Comme pour le Tadorne, il s’agissait de s’éloigner d’une consommation de spectacles calqués sur le calendrier (Noël, Mardi gras,…) pour vivre la relation à l’art comme vecteur de valeurs et de communication vers le tout-petit et sa famille. Cette formation a bouleversé des représentations et mis en mouvement bien des postures. En 2012, des artistes seront en résidences dans les crèches ; des ateliers incluant les familles seront proposés. Ces professionnels sont venus au Festival Off d’Avignon, à une table ronde que j’animais. Avec les artistes, ils ont échangé sur les spectacles et bien au-delà : pour quoi l’art et les tout-petits? Ainsi, nous avons inauguré un cadre propice à un lien transversal entre spectateurs «émancipés» et artistes en quête d’un nouveau dialogue.

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(Ulla Von Brandenburg – Biennale de Lyon 2011)

C’est donc à partir de porosités (consultant-spectateur / petite enfance- théâtre / social – danse) que j’ai ouvert des espaces. Ils ne peuvent être à l’initiative d’institutions culturelles: elles sont trop verticalisées pour questionner leur fonctionnement et accueillir des modes transversaux de communication (passer du haut vers le bas au côte à côte). A partir de notre relation à l’art, il faut créer les conditions de la mise en réseau des spectateurs, des artistes et des professionnels pour nous aider à relier ce que nous cloisonnons. Je suis d’ailleurs troublé de constater que les spectateurs qui se reconnaissent dans ma démarche (notamment à partir de la page Facebook du Tadorne) font ce même travail de décloisonnement. Être Tadorne, c’est vouloir devenir un spectateur global  et entraîner les autres!

La question de la médiation culturelle m’a bien sûr traversé d’autant plus qu’elle se relie à ma fonction de formateur. La médiation est un processus: elle est une composante de bien des métiers. Dans le secteur  social et éducatif, on ne compte plus les initiatives locales qui permettent la rencontre entre artistes et habitants. Mais ces innovations ne s’écrivent pas et ne font pas patrimoine par manque d’espaces appropriés qui puissent les recevoir et les inscrire. «La maison de théâtre» à Marseille organisera la Biennale des Écritures du Réel en mars 2012. C’est dans cette espace que j’ai proposé une  formation. À suivre…

2011 signe aussi mon positionnement institutionnalisé en articulation avec les dynamiques transversales que j’initie. J’ai accepté d’être président d’une compagnie de danse et de siéger à la commission des experts danse de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (régions PACA et Languedoc Roussillon). Ces expériences enrichiront ma relation aux artistes tout en m’inscrivant dans un nouveau processus, sachant que mon métier de consultant m’aidera à interroger le sens du projet.

Être Tadorne, c’est toute une vie.

Pascal Bély, Le Tadorne.