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OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE Vidéos

«Pina, Bobo, Pippo».

Pour la première fois, j’ai eu envie de danser. De me lever. D’être dans les bras du metteur en scène Pippo Delbono. De prendre la main de Bobo, l’acteur principal, pour parcourir le plateau, fleur au fusil, prêt au combat. De me lever encore puis encore, n’en pouvant plus d’être assis. Pour me ressentir vivant. Résistant. Aimant. Créatif. Fou.

Ce soir, à la Comédie de Valence, «Dopo la Battaglia» est la victoire de Pippo Delbono. Son Théâtre n’a pas abdiqué. Alors il dénonce, à corps et à cris: l’incurie médiatique, la lâcheté du politique qui laisse couler des sans-papiers en mer méditerranée, l’inculture générale qui fait triompher les communicants, ceux-là mêmes qui torturent le sens des mots pour tordre les corps épuisés par la crise. Le Théâtre a gagné parce qu’il célèbre la danse. Comme jamais. «Danse Pina, sinon nous sommes perdus», conjura une gitane à Pina Bausch.

Pippo Delbono crie cette supplique et rend hommage à la plus grande chorégraphe de tous les temps. Ce soir, Pina est là parce qu’à l’heure où l’Europe sombre dans la folie, nous avons besoin d’elle. Ses oeillets rouges, ses chaises, ses murs gris, pour ne pas oublier que le théâtre est une danse désespérée vers le dernier souffle de la vie. Pippo Delbono convoque la danse parce que nous sommes devenus fous. Seuls les danseurs sorciers et la poésie peuvent nous exhorter à puiser dans notre sensibilité, dans l’émotion, dans l’imaginaire les ressorts pour relier le corps et l’esprit et réinventer un discours sur la vie. Car, la barbarie est de retour. Nous a-t-elle seulement quittée depuis la Shoah? Pippo Delbono a retrouvé goût à la vie le jour où il a croisé Bobo, analphabète et interné en hôpital psychiatrique depuis cinquante ans. À chacune de ses créations, Pippo relate cette rencontre. Elle est universelle. Il nous renverse pour que la scène soit le miroir de nos folies, mais aussi le lieu de LA rencontre qui pourrait nous faire basculer vers la raison. C’est prodigieux parce que c’est généreux: par vagues successives de tableaux vivants qui submergent les spectateurs trop sagement assis, ce théâtre-là porte haut «l’être» l’humain, et pose son écume sur nos corps desséchés.

Ce soir, «Dopo la Battaglia» est un opéra où la danse de Pina se fond les mots de Kafka, d’Antonin Artaud, de Pippo et nous redonne conscience. Elle s’incruste dans les images vidéo sur l’extermination contemporaine et s’immisce dans nos consciences pour y déterrer les corps des camps. Elle convoque nos mères pour  leur demander ce que «nous avons fait là». Elle ridiculise nos valeurs chrétiennes parce qu’elles font du mal au corps social et politique. Elle théâtralise ce que nous avons laissé faire: enfermer ceux qui ne sont pas «raisonnables» et animaliser notre regard sur l’humain. Au final, c’est la poésie que nous avons maltraitée pour la réduire en slogan creux, en discours de forme pour trou sans fond. Avec sa troupe de gueules cassées, de bras tordus, Pippo Delbono incarne sur scène les processus psychologiques de notre inconscient collectif, par lesquels nous avons confondu la barre pour danser, aux barreaux pour crever.

Mais avec Pippo, la vie est là. Il l’aime profondément jusqu’à nous proposer le plus beau des entractes. S’il n’avait pas cette rangée amovible de sièges, il métamorphoserait la salle en bal pour une valse d’où que tu «vienne(s)». Alors, Bobo le transformiste danse avec Pippo l’illusionniste! Mais qu’importe que nous ne bougions pas. Les oeillets de Pina et ses chaises sont durablement inscrits dans notre mémoire collective pour que s’invite la danse de la vie. C’est ainsi que Pippo danse autour d’une dame en rouge, rejointe par deux autres muses. Pippo Delbono est l’héritier de Pina et poursuit son oeuvre: faire confiance en l’intime pour questionner la folie du monde.

La dernière scène emporte tout. C’est un tourbillon de sensualité, de poésie, d’Amour. C’est une folie douce, un tableau de la renaissance (italienne) qui voit Bobo, endimanché et assis, entouré des muses qui jouent à le chatouiller, à le caresser. L’humanité sauvée est là, chorégraphiée par ces gestes qui célèbrent le corps dans l’esprit. Je frissonne. Je pleure de ressentir charnellement le bonheur d’être conscient de ma propre humanité, comme purgé de mes petites lâchetés inhumaines.

Pippo, je veux danser…

Pascal Bély, Le Tadorne.

Lire le regard de Francis Braun: La canne et les oeillets sont dans une boite grise.

“Dopo la battaglia” de Pippo Delbono à la Comédie de Valence le 3 avril 2012.

Pippo Delbono sur le Tadorne:

Au Festival d’Avignon, Pippo Delbono se rend aux fous et nous sauve.

«Questo Buio Feroce» ou le «sid’amour à mort » de Pippo Delbono.

Le chaud et le froid de “La Rabbia”, par Pippo Delbono.

Pippo Delbono, metteur en scène inconscient.

Au Festival d’Avignon, la belle leçon de vie de Pippo Delbono.

Un beau pas de deux, avec Pippo Delbono dans “Le temps des assassins”.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

De Montélimar à Toulouse, «que c’est abominable d’avoir pour ennemis, les rires de l’enfance».

Le 16 mars 2012, trois jeunes soeurs sont tuées sur l’autoroute A7. Sans billet, les contrôleurs SNCF les ont expulsés en gare de Montélimar. Originaires d’une communauté des gens du voyage de Marseille, leur sort n’a pas ému. Leur voyage s’est arrêté, là où la règle  prime sur la prise de conscience de l’humain. Je n’en dors plus.

Le 18 mars 2012, je suis au Théâtre Liberté de Toulon. «Visites» de John Fosse, mise en scène de Fréderic Garbe, se joue à guichet fermé. Des adolescents sont présents dans la salle, encadrés me semble-t-il par quelques éducateurs. Une d’entre eux doit sortir, prise d’un malaise, tandis qu’une partie du public manifeste son étonnement tout au long de cette oeuvre qui file vers un vide abyssal. Le décor, dépouillé, froid, capitonné, tel un bar lounge, étouffe les bruits. Seules deux couleurs (le noir et le blanc) délimitent des zones de démarcation entre la vie et la mort. La  porte de la chambre de l’adolescente (troublante Pauline Méreuze) fait frontière avec ce salon où trône un canapé blanc pour corps inanimés. La mère (hypnotisante Françoise Huguet) parcours la scène pour asséner ses (contre) vérités sur la vie de sa fille dont elle semble ne plus comprendre la trajectoire. Elle cherche sa fonction parentale tandis que son compagnon (flippant Gilbert Traïna) a trouvé auprès de l’adolescente de quoi assouvir ses fantasmes de jeune chair, même si “c’est juste pour lui toucher les seins”.

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Tel un chat de nuit, le frère (Romain Pellet), perçoit le jeu et parvient à éloigner sa soeur du prédateur. Frédéric Garbe signe une mise en scène glaçante : il amplifie le néant relationnel pour que le vide soit un trop-plein de non-sens. Il rigidifie les mouvements pour les déconnecter de la relation : le corps plein devient corps vide et démembré (à l’image de la magnifique scène évoquant l’oreille de l’ours en peluche). Il instaure un climat insécurisant en jouant avec la musique, bande-son pour flip théâtral et choeur d’une armée de déserteurs. Peu à peu, chacun semble perdre son statut dans un magma d’intrigues où le non-dit n’est plus un secret, mais un fonctionnement. Les acteurs sont formidables dans cette mise en abyme angoissante : au vide des dialogues de John Fosse, se superpose une mise en scène d’un néant morbide. À la sortie, je ne vois et ne sens plus rien. «Visites» m’enlève les mots. Il ne reste de notre civilisation contemporaine qu’une mécanique sans désir, actionnée  par une société consumériste qui amplifie les pulsions. Je dors mal.

Dimanche 18 mars 2012 : je termine l’article sur «L’Alphabet des oubliés» de Florence Lloret. Je repense à Patrick Laupin, poète paternel de tous les enfants en mal de mots. Pourquoi ces trois soeurs ne l’ont-elles par croisé ? Qu’aurait-il pu faire avec l’adolescente de John Fosse ? Je dors éveillé.

Lundi 19 mars. Trois enfants, un papa sont assassinés devant une école juive. Myriam, sept ans, est tirée par les cheveux et abattue. En relisant mon article sur «L’Alphabet des oubliés», je revois Gabriel, Arieh, Myriam et les trois soeurs (pourquoi ne connait-on pas leur prénom, celles que Sarkozy avait stigmatisées lors du trop fameux discours de Grenoble ?). Je les imagine participer à un atelier d’écriture avec Patrick Laupin. Je n’en dors plus.

Jeudi 22 mars. Mohamed Merah est abattu. Les médias se répandent en analyse sur sa famille. Me reviennent les corps désincarnés de «Visites». Merah appartient peut-être à cette famille et bascule de la pulsion morbide vers la folie meurtrière.  La poésie aurait-elle pu le sauver ? Son visage m’apparait puis disparait à l’image du tempo musical qui rythmait «Visites». Je cauchemarde.

Vendredi 23 mars. Je suis au Musée d’Art Contemporain de Lyon pour l’exposition «Robert Combas». Je connais peu cet artiste peintre musicien, mais d’emblée, il répare mes fissures de cette semaine de folie. Je m’immerge dans son univers foisonnant, coloré et colorant. De ces toiles, transpire le désir sur le suaire de nos corps inanimés. «L’autiste dans la forêt de fleurs» me bouleverse. Les scènes sont souvent crues comme s’il n’avait cessé d’être un enfant. Du «Pop’art Arabe» aux «années chaudes», je navigue dans les eaux troubles de l’amour à mort pour m’arrêter, sidéré, devant son «Calvaire façon combas», où Jésus est crucifié entre deux brigands assassinés.  Lequel des deux  est Merah?

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Je m’assois, épuisé, face à un vitrail («le dormeur Duval»). Me voici au Paradis, avec les enfants de Toulouse et de Montélimar. La musique de Combas résonne dans tout l’étage (il répète dans une salle séparée par une glace sans teint). Je l’observe, le contemple. Il est pinceau sur sa toile musicale. L’instant est précieux: il ne voit pas mon émotion d’enfant grand, l’oreille collée derrière la porte.

À peine ai-je quitté le Musée, que je me rends au Théâtre de l’Élysée à Lyon où la metteuse en scène Christiane Véricel présente un chantier de sa future création, «La morale du ventre». Enfants, comédiens amateurs et artistes professionnels se mettent en mouvement pour questionner la faim, le pouvoir, l’oppression et la frontière. Avec le langage global des enfants, ce théâtre d’images crée un cadre propice à la poésie pour interroger les valeurs universelles d’une économie mondialisée. Avec Christiane Véricel, rien n’est binaire : tout est complexe. Elle nous prend par surprise, non pour nous faire peur, mais pour solliciter notre créativité à voir autrement. Elle crée la communauté à partir d’un collectif coloré où la différence de l’un sert la diversité du tout. Son théâtre s’inscrit dans une filiation avec Robert Combas: Christiane Véricel parle par l’image pour nous donner accès à l’Autre. Elle aurait probablement réuni les soeurs de Montélimar autour du petit Mohamed qu’elle aurait habillé d’une jupe pour qu’il danse sa faim d’amour…

Je dors un tout petit peu mieux.

Samedi 24 mars. Je suis de retour à Marseille pour la Biennale des Écritures du Réel. Deux documentaires sont projetés ainsi qu’une performance. Le tout m’immerge dans les quartiers nord de Marseille. Le film d’Anne AlixOmégaville») interroge la mémoire: quelle est l’histoire de ces enfants d’immigrés ? Quelles valeurs les réunissent ? Comment se joue le racisme au quotidien entre communautés ? Elle écoute, sa voix se fait douce, mais je ressens son doute. Pourquoi filmer avec une telle distance pour observer le «zoo» ? Anne Alix s’interroge sur le statut de l’artiste au sein de ces quartiers. Suffit-il de poser sa caméra, aussi belle soit-elle ? Ces trente-cinq minutes me relient à mes compatriotes. C’est déjà beaucoup. Quelle suite à ce documentaire (nous n’avons vu qu’une première partie) après les tueries de Toulouse et de Montauban ?

Till Roeskens est allemand. C’est un conteur. Il s’est immergé lui aussi dans les quartiers nord de Marseille. À mesure qu’il raconte ses rencontres, craie à la main, il dessine sur la scène le plan du quartier. La première heure est totalement haletante : de son agora, son théâtre fait cité. Les dialogues, souvent percutants, peignent une France isolée, mais solidaire. Profondément solidaire. Mais Till Roeskens semble se perdre : son plan au sol ne fait plus territoire. Les anecdotes se multiplient et je ne ressens plus ce qui relie les acteurs. C’est  un enseignement de taille : comment transcender un réel qui ne se laisse pas conter facilement ? Quelle écriture pour dépasser les faits et nous relier ?

Je quitte la Cité, épuisé par une folle semaine. Les artistes ont été au rendez-vous, là où les politiques ont navigué à vue dans un contexte médiatique oppressant.

Le philosophe Bernard Stiegler évoquait lors d’une conférence dans le cadre de la Biennale, le processus d’individuation, qui fait de chacun de nous des êtres incomparables. Cette semaine, grâce aux artistes, je me suis individué psychiquement pour participer à l’individuation collective. Parce que nous n’avons pas accès à notre altérité, le théâtre, la peinture, le cinéma nous donnent ce que nous ne voyons pas, pour transformer nos pulsions en désir. Celui notamment de vous écrire pour témoigner de mon réel de spectateur bouleversé.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Visites» de John Fosse par Fréderic Garbe au Théâtre Liberté de Toulon du 13 au 17 mars 2012.

«Robert Combas» au Musée d’Art Contemporain de Lyon jusqu’au 15 juillet 2012.

«La morale du ventre» de Christiane Véricel au Théâtre de l’Élysée à Lyon les 23 et 24 mars 2012.

 «Omégaville» d’Anne Alix et « Plan de situation#7 Consolat-Mirabeau » de Till Roeskens à la Cité le 24 mars 2012, dans le cadre de la première Biennale des Ecritures du Réel.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Les enfants, mineurs de fond.

À la mémoire de Gabriel (4 ans), Arieh (5 ans), Myriam (7 ans), Jonathan (30 ans), Abel (25 ans), Mohamed (25 ans) et Imad (30 ans) assassinés à Toulouse et Montauban les 11, 15 et 19 mars 2012.

 Après les saluts chaleureux du public pour «L’alphabet des oubliés», trois enfants (Théo, Adilson et Safinez) s’assoient, encadrés par Patrick Laupin (poète avec qui ils ont partagé des ateliers d’écritures), Florence Lloret (metteuse en scène et en images) et Michel André, l’acteur principal et collaborateur artistique. Ils nous rejouent leur rencontre: celle qui a permis à un poète de les aider à «chercher les mots»; celle des fondateurs de la Maison de Théâtre à Marseille, de créer une oeuvre théâtrale inspirée de ces ateliers. Face à nous, ils échangent sur la genèse: comment ont-ils puisé les mots du poète qui se cachaient en eux? Ces trois enfants d’une douzaine d’années sont rayonnants; Patrick Laupin les écoute, bouleversé. Il poursuit son travail: explorer dans le regard et les mots de ces gosses, une poésie à partager. Ce soir, au Théâtre de la Minoterie de Marseille, nous sommes quelques-uns à participer à l’échange, comme si nous ressentions le besoin d’être inclus dans cette aventure, libéré des contraintes de notre société consumériste qui maltraite le sensible. À quels moments partageons-nous avec les enfants, le beau, le fragile? Quand co-construisons-nous ensemble pour nous irriguer et combattre les normes qui nous assèchent?

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«L’alphabet des oubliés», est une oeuvre d’une belle texture. Elle pose un univers onirique dans lequel petits et grands écrivent des poèmes dans une relation éducative bienveillante, accueillante, formatrice, ferme et ouverte. Mais avant l’arrivée des enfants, l’adulte doit puiser, faire lui aussi ce travail sur lui-même qui le mènera sur le chemin, vers l’arbre à mots. Pas tant pour retrouver l’enfance que pour s’inscrire dans une lignée, une transmission, qui déploient la poésie sur la toile de ses cavernes rupestres. C’est ainsi que Michel André incarne avec justesse Patrick Laupin. Pendant vingt minutes, il arpente le plateau en évoquant le grand-père mineur de fond dans les Cévennes. Entouré de trois écrans tombés du ciel, il contourne ce triptyque pour peu à peu s’y fondre. Son corps noir apparait sur fond blanc, tel un tunnel qui mènerait, non vers la mort, mais vers l’essence de son existence. Les mots du poète creusent la galerie, éclairent l’obscurité. Ce passé lointain remonte, et mes origines ouvrières me reviennent. Je me surprends à observer l’ossature en acier du plafond du théâtre : combien de mineurs pour qu’elle arrive jusqu’à nous ?

Peu à peu, délicatement, les Cévennes émergent. La caméra de Florence Lloret poétise ce paysage rude et doux, caillouteux et verdoyant, asséché, irriguant et intriguant. Tandis que les enfants apparaissent dans le film, me revient cette expression : ils sont une mine! Les enfants s’approprient le paysage. Leurs gestes, leurs mots se mettent à creuser la poésie, comme une terre à défricher qu’ils explorent avec tous leurs sens.

Peu à peu, nous quittons les Cévennes pour le plateau où s’instaure un dialogue entre le poète et les enfants (toujours filmés), où les mots de l’un traversent le corps de l’autre. On aurait envie de prendre un cahier pour noter ces paroles de mineurs de fond qui puisent dans leur sensibilité, l’énergie d’une présence “d’acteur poète“. L’atelier se met en scène et métamorphose peu à peu cet espace hybride entre théâtre et cinéma, en paysage poétique, directement inspiré des Cévennes. Une incursion dans le réel nous permet d’entendre pendant les répétitions, la correspondance entre les enfants et Patrick Laupin: une sorte de making of poétique où l’on perçoit la transformation chaotique d’un écolier vers l’enfant créatif. Apparait alors la figure du poète, branche d’arbre sur la tête, tel un cerf libre, calme et déterminé. Il est leur arbre à mots. Tandis que les enfants quittent peu à peu l’écran, je me prends à rêver d’ateliers de poésie qui réuniraient de la  petite enfance aux personnes âgées pour creuser les galeries souterraines de nos mines inexploitées.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« L’alphabet des oubliés » de Florence Lloret au Théâtre de la Minoterie de Marseille du au mars 2012 dans le cadre de la 1ère Biennale des Écritures du Réel.

Crédit photo:  Sigrun Sauerzapfe

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OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Au coeur de la campagne, la fuerza d’Angélica Liddell arrive à Paris.

C’était au Festival d’Avignon. En 2010. Elle fut l’un de mes plus grands chocs théâtraux de ces dix dernières années. Elle joue au Théâtre de l’Odéon à Paris du 23 au 28 mars 2012.

Retour sur «La casa de la Fuerza » d’Angélica Liddell.

3h30 du matin. Les spectateurs n’ont plus beaucoup de force après les cinq heures de ce chef d’oeuvre pictural, d’un théâtre chorégraphique, épuisés par tant de sollicitations visuelles, auditives, voire olfactives. « La casa de la fuerza » de l’Espagnole Angélica Liddell est un coup de poing, qui vous précipite dans la crise, celle que vous aviez un peu trop vite oubliée. Sauf que le théâtre est là pour raviver les plaies parce que nous sommes tous faits de cette matière là. Ce soir, au Cloître des Carmes, acteurs et spectateurs sont infiniment, intimement liés par toutes ces « petites histoires » dont nous en avons tous fait de grandes : le chagrin d’amour, le mal de vivre, l’abandon, le renoncement de soi. Appelez ça comme vous voulez. C’est notre enfer commun. La vraie crise, c’est celle-là. L’économique, n’est qu’économique et puis, ça commence à bien faire. Assez de discours ! Place à la vérité. Au corps. 

Elles sont trois femmes, six destins. Cherchez l’erreur dans l’addition. À la différence de certains hommes qui sont toujours prompts à défendre des causes humanitaires, mais ne peuvent s’empêcher de maltraiter leur compagne, ces trois femmes dépressives au premier acte en invitent trois autres au dernier, pour évoquer la situation de la condition féminine au Mexique. Tout est lié. Nos chagrins d’amour s’inscrivent aussi dans un contexte sociétal. Mais aussi parce qu’être femme battue, violée et tuée ailleurs est un chagrin d’amour pour toute l’humanité.

Trois actes pour (re)vivre du dedans ce que nous avons tous voulu crier au dehors. Car le mal d’amour, la séparation atteint son paroxysme dans la souffrance du corps. Comment porter au théâtre ce qui est d’habitude métaphorisé par des opéras, des danses, des histoires à dormir debout ? Ici, tout est convoqué.

Le texte, puissant, parce qu’il est fait de mots d’une tendresse brute ;

la musique, omniprésente, en boucle (du Bach et de la pop), parce que sans elle, nous n’aurions peut-être pas survécu au naufrage de l’âme et qu’allongés, Bach, Brel et Barbara ont été nos analystes au doigt et à l’oeil;

le liquide, parce que ça déborde et que l’amour finit toujours par prendre l’eau ;

le sang, parce que l’on se saigne aux quatre veines pour sortir de ce merdier ;

des canapés, beaucoup de canapés, une armée de canapés, parce qu’ils sont nos lits d’enfants avec ou sans barreaux, c’est selon;

des fleurs, en bouquets pour fracasser ce qu’il reste de beau ; en pot pour fleurir les cimetières ; en bouton, pour renaître;

un immense cube de pâte à modeler pour sculpter, enfanter d’une armée de bonhommes façonnée par la tendresse et la paresse, le tout pour résister à la bêtise machiste ;

le tiramisu…parce qu’avec Angelica Liddell, c’est le seul gâteau qui vous relève en chantant ;

le charbon, oui du charbon, pour creuser la tombe, épuiser le corps, tomber au fond du trou, et provoquer le coup de théâtre le plus magistral qu’il nous ait été donné à voir, tel un coup de grisou dans la tête de ceux qui continue à nous gonfler avec leurs classifications (théâtre, danse, et compagnie).

Toutes ces matières façonnent la mise en scène et  « la casa de la Fuerza » bouleverse une partie du public : les corps se fondent dans les objets et leur donnent une âme, la musique épouse les matières, et vous finissez par être sidéré, immobilisé, par une telle orgie de la tolérance et de la beauté. Car ici, le corps n’est pas manipulé, tel un objet pour créer du propos, mais il est traversé pour que tout nous revienne, comme une exigence de vérité. Le corps de l’acteur est un don au public, un lien d’amour engagé et engageant où l’on convoque une infirmière sur le plateau pour prélever son sang et tacher sa chemise. « Je suis sang ».

« La casa de la fuerza » sera l’un des grands moments de l’histoire du festival d’Avignon. Parce qu’Angelica Liddell ne se contente pas de regarder les hommes tomber. Elle leur offre la force de sa mise en scène pour que «Ne me quitte pas » soit un hymne à la joie.

Pascal Bély – Le Tadorne

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

Credit photo: Christophe Raynaud de Lage

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LES FORMATIONS DU TADORNE PETITE ENFANCE

À Marseille, une formation autour de l’art et les tout-petits ouverte aux compagnies, aux professionnels de la petite enfance et du spectacle vivant.

En mai 2010, j’ai publié sur le Tadorne un article pour inviter les artistes, professionnels de la culture et de la petite enfance à imaginer un modèle de relations contributives. Dès l’automne 2010, je rencontrais le Théâtre Massalia de Marseille pour leur proposer une démarche de formation capable d’élaborer ce modèle. Ainsi fut créé un cursus de huit journées, en collaboration étroite  avec la Maison de la Famille à Marseille, les villes de Fuveau et de Martigues.

Des réunions réseau ont venues compléter le dispositif afin d’associer le management à la démarche globale de formation et faire émerger un projet à multiples facettes :

> Une charte pour l’accueil de spectacle en structure d’accueil a été élaborée.

> La programmation de spectacles petite enfance est renforcée pour la saison 2011-2012 du Théâtre Massalia, en collaboration étroite avec les structures.

> Une résidence de la compagnie Skappa! débutera au premier semestre 2012 dans les crèches de la Maison de la famille à Marseille.

> En 2013, une manifestation ouverte aux familles («les bébés défrichent la friche») est envisagée à la Friche Belle de Mai.

> Des passerelles avec le festival Off d’Avignon et celui de Charleroi sont déjà programmées.

> Un projet de formation intra à la ville de Martigues est envisagé pour 2012 dans le cadre du projet culturel global de la direction de la petite enfance.

Pour 2013, la Maison de la Famille et le Théâtre Massalia souhaitent programmer un troisième cursus. Six à sept places sont réservées aux professionnels du spectacle vivant, de la petite enfance et de la culture: il est à ce jour complet.

Pour répondre à la demande, un quatrième cursus débutera en octobre 2013. La plaquette est en ligne ici.

À très bientôt.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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KLAP, MARSEILLE LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Le Nouvel Observateur insulte la danse.

A la lecture du dernier article du «journaliste» Raphaël de Gubernatis, j’ai la nausée. Il me l’avait déjà donnée en 2011 alors qu’il tenait des propos racistes en «critiquant» un spectacle de Faustin Linyekula (lire: l’article incacceptable de Raphaël de Gubernatis)

Lors d’une soirée en févier dernier à Klap, Maison pour la danse à Marseille, il fut l’envoyé spécial du Nouvel Observateur. Deux spectacles furent proposés au  public : «My way», une création de Michel Kelemenis (directeur de Klap) présentée à 19h et «Christoffa» de Davy Brun à 20h30.  L’analyse minutieuse de l’article ne m’a pas échappé tant je suis extrêmement vigilant sur cet homme sulfureux, craint et détesté, qui a sa carte de presse et tous les honneurs qui vont avec.

Dès le début de l’article, Raphaël de Gubernatis se retient de vomir. Mais il a le hoquet. «Quelques mois après son inauguration, la Maison pour la Danse, située à Marseille, vit à plein régime. Le vaste hall d’entrée qui dessert les deux salles de spectacles (l’une d’entre elles, possédant une magnifique scène, attend que l’on soit en fonds pour garnir de sièges les gradins) est plein de monde. On présente ces jours-ci, en avant-première, un ouvrage de Michel Kelemenis dont l’opiniâtreté et la présence à Marseille depuis des lustres sont à l’origine de l’établissement, mais aussi l’essai d’un ancien danseur du Ballet de Lyon qui se lance dans la création chorégraphique.». J’informe les lecteurs que ce journaliste paresseux n’a pas assisté à la représentation de Davy Brun (qu’il ne nomme même pas, le qualifiant par son ancien statut de danseur). Certes, la salle de création de Klap n’a pas encore de sièges et je m’en réjouis. Enfin un lieu qui n’aligne pas les spectateurs où rien n’est permis! A Klap, on peut s’étaler pour admirer la danse et se laisser aller. Mais Monsieur de Gubernatis est probablement habitué aux fauteuils moelleux qu’il confond avec des chaises à porteurs.

Son hoquet vagal se poursuit :

Ce sont là deux des fonctions assignées à cette Maison pour la Danse commanditée par la Ville de Marseille : abriter les spectacles de son instigateur, mais plus encore ceux produits par les nombreux artistes chorégraphiques que l’on qualifiera “d’intérêt local”, et qui se sont multipliés à Marseille comme dans le reste de la France. L’avenir dira si la Maison pour la Danse n’est pas plus belle que les productions de ceux qui vont en bénéficier.»

Je vous laisse apprécier l’appelation «intérêt local». C’est le propos réactionnaire d’un journaliste qui disqualifie les programmes de décentralisation culturelle. Ignore-t-il que les grands chorégraphes français ont souvent débuté en région ? Qu’aurait-il écrit en 1979 sur  Jean-Claude Gallotta qui fonda à Grenoble, le Groupe Émile Dubois pour s’insérer en 1981 dans la Maison de la Culture de Grenoble? Comment peut-il qualifier Michel Kelemenis d’ »instigateur» de Klap alors qu’il en est l’inventeur, le bâtisseur (il le sait puisqu’il était présent à la conférence de presse d’octobre 2011 lors de l’inauguration de la Maison)? Cet homme maltraite les mots, car il ne peut écrire avec raison.

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Alors qu’il aborde «My way», Raphaël de Gubernatis commence à se vomir dessus :

«Visiblement ébloui par la grâce juvénile du jeune homme, Benjamin Duc, lequel a des atouts pour devenir plus tard un bon, voire un excellent danseur, Michel Kelemenis a l’imprudence de le précipiter dans un rôle qui n’est pas de son âge».

Je note d’emblée la mauvaise orthographe du danseur (il s’agit de Benjamin Dur). Lapsus révélateur qui le voit métamorphoser un danseur en duc (duc, du latin dux, ducis signifiant « meneur, chef », est le titulaire d’un titre de haute noblesse attribué par plusieurs monarchies européennes depuis le Moyen Âge). Premier éblouissement.

«On ne demande pas à un garçon sortant visiblement de l’adolescence d’assumer un rôle de séducteur avec le cynisme que cela induit. Benjamin Duc a la gaucherie, et sans doute l’innocence de son âge. Le jucher sur le haut tabouret d’où il joue brièvement un rôle de créature aguicheuse propre à l’univers du cabaret;  le faire se dévêtir sur scène et du coup porter le spectateur à une position de voyeur : voilà qui semble malsain. Ce jeune homme est bien trop vert, bien trop immature, comme danseur et comme acteur, pour assumer le rôle qui lui est dévolu. C’est le déflorer que de l’y pousser.»

Raphaël de Gubernatis a des pulsions qu’il ne contrôle plus. Entendons-nous bien. Cela m’arrive d’avoir d’étranges pensées lors d’un spectacle de danse. Mais cela relève de mon intimité, de ma relation à la scène, au corps. Il me faut en général quelques secondes pour revenir au propos. Or, dans le cas présent, Raphaël de Gubernatis est si ébloui par la beauté dure de ce garçon qu’il ne se contrôle plus jusqu’à perdre tout sens critique et accuser Michel Kelemenis de pédérastie. Mais qui donc avez-vous défloré, monsieur De Gubernatis, pour que ce souvenir vous aveugle ?

Ce n’est pas fini. Son délire se poursuit. Il s’imagine tête de réseau d’agents artistiques sulfureux :

«Et devant ces trois jeunes gens, trop frais, à la technique non encore maîtrisée totalement, on ressent le même malaise que devant ces petits garçons qu’on avait coutume, naguère, dans certains milieux populaires, de déguiser en petits adultes, ou devant ces fillettes que l’on laisse s’habiller en femmes et qui singent inconsciemment la vulgarité de leur mère.»

De mon expérience de spectateur de danse, je n’ai jamais lu un article aussi dégueu
lasse, mal écrit, à la rhétorique réactionnaire et obscène.

J’accuse formellement le Nouvel Observateur de détester la danse pour laisser ce journaliste de caniveau insulter artistes et spectateurs. J’informe ici programmateurs et chorégraphes « institutionnels » que je ne resterais pas inerte dans le cas où vous lui réserveriez, en ma présence, quelques privilèges qu’il vous réclame probablement à corps et à cris.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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AUTOUR DE MONTPELLIER CONCERTS

Le printemps de Renaud Papillon Paravel.

Le fond de l’air est encore frais, mais le Théâtre La Vista à Montpellier allait vite me réchauffer.
Nous sommes une vingtaine de personnes, spectateurs habitués ou curieux, professionnels et amis du chanteur Renaud Papillon Paravel. Une toile de jute brune est tendue dans le fond de la scène, comme un film automnal. Il s’efface rapidement pour faire place au printemps de la poésie de cet artiste hors-norme.
Le guitariste rentre, puis le batteur, et arrive enfin celui que j’attendais, un jeune homme en pull, sans chapeau, ni artifices, aux courbes un peu rondes. Il commence à dévoiler sa voix douce et hésitante. Petit à petit, on le sent se détendre et couvrir l’espace de la scène puis celui de nos pensées.

Les textes se déroulent: le temps qui passe, l’enfance, les premiers frissons…Avec «Mon petit élément», il évoque le bébé dedans dans le ventre de son père-mère. Est-il le petit d’homme ou le petit en chacun de nous? Nous sommes parents d’un genre nouveau et je me questionne sur cette nouvelle génération.
Avec  «Marcher pieds nus sur un lego», les jeux d’enfants flottent en métaphore au-dessus de nos tètes, et je me souviens de ces moments de  liberté créatrice et structurante. Repensons de temps en temps à ce que nous faisons parfois vivre à nos enfants et écoutons-les avec attention…Ils le méritent bien.”Le bloc de lego” me fait mal. Il réveille une douleur et un sentiment de frustration.
À la veille des élections, “La rose” m’arrache le coeur face à la rapidité du temps qui passe et me chuchote de ne pas gaspiller une miette des bons moments, si éphémères. Agissons en ce printemps 2012 naissant !
La poésie des mots de Renaud Papillon Paravel s’imprègne dans mon corps. Je m’évade et retrouve ces premiers gouts pour les émotions du quotidien, toutes simples, pour ces questionnements de jeunes adultes sur la découverte de l’autre, du grand monde. Le public sourit, chantonne, vit…C’est un concert intimiste et tellement réconfortant.
Ce garçon m’inspire une profonde tendresse, car il s’ouvre à nous de façon amicale, très pudique, tout en étant bien vivant, et sensible. Les mots crus dans sa bouche ont un gout de madeleines, de déjà vu, de déjà ressenti. Une vérité que l’on n’ose pas s’avouer.
Ce garçon a 43 ans, et toutes ses dents pour nous sourire en entonnant ses pensées.
Le vin ce soir était mauvais, mais qu’importe, le renouveau du printemps était là, avec son lot de premiers émois….

Sylvie Lefrere, Le Tadorne.

Concert de Renaud Papillon Paravel au Théâtre  Lavista à Montpellier  (après présentation du programme du Festival Printival) le jeudi 8 mars 2012.

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HIVERNALES D'AVIGNON

Bilan du Festival des Hivernales d’Avignon.

Retour sous forme d’abécédaire sur le festival Les Hivernales d’Avignon. Parce que la danse est une et multiple….

C comme conceptuelle
Imaginez les horizons, le ciel, les nuages et laissez-vous transporter au travers du «Notebook»de Malgven Gerbes et David Brandstätter. Sous forme conceptuelle, leur pièce est l’heureuse surprise de cette édition. Tout comme bon routard, le spectateur prend son envol avec son guide de voyage. Ici, il résume les différents points du déroulé chorégraphique pour nous entraîner au Japon et en Corée. Telles des cartes postales, chaque étape inscrit la mémoire du lieu, du vivre asiatique. Mouvements imperceptibles, tracés de riz, paroles, captations de sons quotidiens et temps suspendus illustrent des images réelles et imaginaires. «Notebook» est un voyage immobile qui donne des envies d’ailleurs.

D comme découverte
Avec les HiverÔclites, le centre de développement chorégraphique les Hivernales permet à sept jeunes compagnies sélectionnées sur dossier de présenter dix minutes de leur création devant un jury. La compagnie Parc a fort justement remporté le prix du jury des professionnels (une semaine de résidence au Ballet national de Marseille). Avec “Stück“, les trois danseurs questionnent notre relation aux mythes, aux mots, aux fondements de notre société. Sans aucun doute une compagnie à surveiller de près. Ezio Schiavulli remporte le prix du public (une semaine de résidence au CDC Les Hivernales). Un ensemble hip-hop fougueux sous fond de polar noir. Un petit regret: l’absence de la magnifique Isabelle Suray de la liste des lauréats.

E comme engagement
La cohérence du festival est d’apporter une vision éclairée et éclairante sur notre contemporanéité. L’engagement a éclaboussé trois propositions, comme un appel à la rébellion des corps.

Avec «Apparemment, ce qui ne se voit pas», Ex Nihilo propose une danse hors les murs. Avec les projections des corps dansants sur des chantiers, aux abords périphériques des villes, Anne Le Batard et Jean-Antoine Bigot convoquent le citoyen. Cette danse ne laisse aucun répit, déborde d’énergie ; elle est un appel à combattre l’immobilisme. Le public groupé est assis au centre de l’espace, et les combattants Corinne Pontana et de Rolando Rocha (magnifique danseur), tournent autour de nous, nous entraînent dans leur sillage. Le mouvement exprime le refus à l’individualisme, interroge la notion de groupe. Sur nos petits cubes en bois, la communauté voyage. Les premières images nous projettent en Asie, pays de lumière, d’où nous entendons des bruits de rue, de klaxons, de paroles. Tout se superpose. Un capharnaüm ambiant stimule l’imaginaire. Les corps dansent, grimpent sur des palissades. Sortir des cases, voir l’horizon. La danse magnifie les chantiers, les hauteurs d’un ballon d’eau. Une certaine rage et urgence transpirent de cette volée joyeuse. Un sacré bordel qui réveille la société devenue amorphe. Et si demain était un autre jour ?

Avec “Harakiri“, Didier Théron appelle lui aussi au combat à mener pour la survie du groupe. Fini l’individualisme de notre société. La force vient du collectif. Elle est communicative. La bande sonore renvoie au rude phrasé chorégraphique, métaphore de notre société. Combatifs, les interprètes tracent sur un plateau inadapté à cette proposition, une danse ne laissant aucun répit. Les boucles hypnotiques se succèdent entrecoupés de soli qui terrassent les danseurs à bout de force. Le leitmotiv, la cadence, les saccades et la gestuelle épurée font de «Harakiri» un combat énergisant.

Avec «Same Same», la compagnie Stylistik tient son pari, celui de partager nos visions des deux continents (européen et asiatique) au travers de nos différences au service du multiculturalisme. Bien que fragile, cette proposition agit comme une étincelle. Abdou N’gom et Ounla Pha Oundom se livre à travers leur culture respective à un dialogue par le hip-hop. Si la bande-son illustre à merveille le propos, elle écrase parfois le discours chorégraphique. On retient les deux magnifiques solos et l’ouverture vers une curieuse danse des chapeaux.

H comme humour
Quand l’humour, au service de sujets contemporains (l’environnement, la place de la femme au Japon et ses relations avec les hommes), est manié avec subtilité, la danse gagne en profondeur et permet une vision asiatique des thèmes interplanétaires. La chorégraphe Uiko Wanatabe (avec «Hako Onna – la femme boîte») et le couple Lee Hyun-Bum et Choi Jin-Ju (avec «Pause Philo») réussissent à parler un langage universel. Ils placent leur réflexion dans une société aux traditions ancestrales pour mieux s’en extraire.

P comme poésie
«Waiting» ou la danse contemplative de Carlotta Ikeda, grande prêtresse du butô. Ce petit bout de femme ouvre sa proposition avec les mots de Margueritte Duras. L’inceste, l’amour fraternel, dictés par la voix de Duras, se propagent comme une onde sismique sur le corps de Madame Ikeda. Les mouvements lents et longs laissent apercevoir le champ poétique. Tour à tour femme enfant, femme toute-puissante et femme âgée, les métamorphoses métaphoriques de Carlotta Ikeda m’entraînent dans une course vitale effrénée. Des pierres suspendues dans lesquelles les âmes des défunts prennent forme, à l’image de l’arbre aux jeunes pousses vertes et à la cime morte, en passant par la lumière toute en clair-obscur alternée puis crue, éclairant les corps sous l’éveil sexuel, Carlotta Ikeda résume une vie. Dommage que le final “bossa-nova” entache cette ode aux corps vieillissant à la recherche du plaisir.

T comme trace
Que sont devenues les propositions dont je ne fais pas état ici ? Disparues pour certaines, en cheminement pour d’autres. Elles continuent d’évoluer, de s’épanouir. Pour garder un peu plus secrètement mon ressenti, je retarde les mots. Parmi elles, «T.H.E. Dance Company» qui m’agite encore aujourd’hui.

Laurent Bourbousson – Le Tadorne.

Festival les Hivernales s’est tenu du 25 février au 3 mars 2012, dans divers lieux

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KLAP, MARSEILLE

Mademoiselle Caroline Blanc.

Il est 8h55. Sur France Inter, François Morel chronique tous les vendredis. Ce matin, sa poésie tourbillonne autour du préfixe «Mademoiselle». Il regrette la prochaine disparition d’un symbole d’émancipation de la femme. Il évoque Mademoiselle Moreau, Mademoiselle Danièle Darrieu, Mademoiselle Greco. Je divague. J’aurais presque envie de chanter, de danser. Elle apparait. François Morel a oublié Mademoiselle Caroline Blanc dans sa liste. Je ne suis pas certain qu’il l’a connaisse. C’est une danseuse. Je l’ai rencontrée en 2005 alors qu’elle interprétait le chef d’oeuvre de Michel KelemenisAphorismes géométriques»).

Elles étaient quatre sur scène à célébrer la relation si particulière entre danse et musique. Elle m’emportait dans sa partition gestuelle où mon regard s’égarait dans les plis de sa peau, s’échouait sur les rivages de son visage vers une terre chorégraphique qui m’était encore inconnue. Depuis, je ne l’ai jamais perdue de vue. Car Mademoiselle Caroline Blanc a cette présence féminine qu’aucune chorégraphie ne pourra altérer.

En octobre 2011 lors de la soirée d’inauguration de Klap, Maison pour la Danse à Marseille, elle était le fil rouge entre les différentes représentations. Elle s’amusait de son statut, entre clown et personnage de conte de fées. C’était son «échappée belle».  Elle est probablement l’une des rares danseuses à pouvoir jouer un rôle, pour s’en abstraire, sans saturer l’espace de l’imaginaire. Fidèle à Michel Kelemenis, elle a incarné différents personnages pour que la danse s’invite là où l’on ne l’attend pas («Besame Mucho», «L’amoureuse de Monsieur Muscle» «Henriette et Matisse»). Mademoiselle Caroline Blanc est une «émerveilleuse». 
Ce soir, elle nous revient. Toujours à Klap alors que la Maison inaugure son «Channel» sur la plate-forme «Numeridanse.tv». Charles Picq (l’heureux créateur de ce site-carte aux trésors)  et Michel Kelemenis nous proposent “le Pasodoble de Caroline“, film de vingt-cinq minutes. Ils nous transmettent la vision de Mademoiselle Caroline Blanc alors qu’elle était l’une des interprètes de «Pasodoble», création de Michel Kelemenis.  Alternance de séquences filmées en 2007 et de confidences cinq ans après, ce film est un écrin: la caméra chorégraphie cette interprète pour en dessiner le portrait. Si la danse est un langage alors la caméra de Charles Picq est sa grammaire. Son corps en mouvement devient cette page où notre désir s’écrit. Ce film est un angle vivifiant pour évoquer l’histoire d’une danse: une «interprétation» de l’interprétation en quelque sorte !
Tandis que l’écran disparaît, apparaissent  sur la magnifique scène de Klap, Mademoiselle Caroline Blanc et Monsieur Michel Kelemenis pour dix minutes (probablement plus) d’un duo coloré. Leur histoire fait  mouvement: allez savoir ce qu’ils ont du se raconter pour prendre autant de plaisir. Entre coups de poing et stratégies de séduction, se lovent la confiance, la peur, leur créativité, leurs recherches. S’ils s’éloignent, c’est pour mieux se rapprocher. S’il l’approche, c’est pour mieux l’effleurer d’un geste qu’elle prolonge vers nous. Alors qu’ils jouent au chat et à la souris, on devine que leur projet est leur pelote! J’observe avec jubilation leur relation créative et leur corps se transformer par la musique de Philippe Fénelon. Entre ces ceux-là, la partition est leur territoire commun pour que la musique puisse s’écouter par le mouvement. À l’heure où les solos se multiplient sur scène en France, je ne saurais encourager ces deux explorateurs à poursuivre leur aventure pour nous mettre dans leur confidanse.
Mademoiselle Caroline Blanc ne sera jamais Madame. C’est la force de la danse que de résister aux pressions qui normalisent nos désirs d’émancipation. 
Pascal Bély, Le Tadorne.
Soirée Numéridanse à Marseille, le jeudi 8 mars 2012 à Klap, Marseille.
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AUTOUR DE MONTPELLIER THEATRE MODERNE

Sous chapiteau, le théâtre de Krystian Lupa claque.

Ce soir, nous avons fait des kilomètres vers un chapiteau, celui de la Sortie Ouest de Béziers dont les toiles claquent comme les voiles d’un bateau. Nous allons naviguer pendant trois heures, avec quinze jeunes comédiens, aventuriers, pirates, gueux, preneurs de risque. Nous ne savons pas encore que «Salle d’attente» par Kristian Lupa nous habitera pour longtemps.

La scène représente un espace dévasté, de béton recouvert de graffitis. Table, matelas, chaises, objets épars, en bout de course. Sana et Mike cherchent leurs lignes de vie, pour s’injecter le produit à rêve. Ils disent s’aimer, mais se violentent. Le manque de lumière rend le geste difficile. Le vent qui s’engouffre sous les bâches de la salle accentue le climat glacial et tendu.
Des hommes évoluent autour; les mots et les corps expriment leur désespérance. Malgré des attouchements auto compulsifs, le plaisir ne vient pas, l’individu reste impuissant. Les insultent fusent, les mouvements explosent de violence. Ils semblent tous pris dans une forme d’écrasement, apathiques ou se jetant massivement comme des pierres. Une jeune femme, vêtue de rouge, style années quarante, bottes Western aux pieds, exprime une folie fragile. Elle est chaussée par le pouvoir libéral américain et reste momifiée dans cette couleur symbolique révolutionnaire, surannée. Ses mains tremblent, sa voix est fluette, mais ses yeux immenses écarquillent notre regard, ses mots questionnent telle une voix off et nous obsède comme une ritournelle. Elle apparait au dessus de nous, sur des écrans vidéo: elle est une  conscience déshabillée, plus gaie, plus libre, nous faisant des confidences sur son bonheur. Mais en dessous, tout devient sombre et les scènes de toxicomanie se répètent dans des lieux festifs. La vie perd son sens tant la mort est palpable. Même le téléphone portable de la jeune fille lui a été offert en cadeau de Noel anticipé, au cas où d’ici là, elle disparaitrait?Peu à peu, le temps posé par Krystian Lupa  nous échappe, mais l’histoire en plusieurs dimensions nous rattrape.
En premier plan, on ne peut s’empêcher d’entendre le désespoir de jeunes “adulescents” des années 80 devant la réalité et l’avenir. En second plan, une vision de l’idéal européen en miettes à l’heure où la Grèce s’accroche vaille que vaille. La jeunesse recherche le plaisir sur les décombres d’une civilisation européenne qui ne s’est jamais relevée de la Shoah. Elle hante notre «bonne conscience» guidée par une “social-démocratie» qui n’a rien trouvé de mieux que de vendre nos valeurs aux dures lois du marché qui n’égaleront jamais le plus grand crime que l’humanité n’ait jamais commis. Dès lors, Krystian Lupa met en scène nos grands corps malades accros aux substances qui libèrent nos imaginaires. À des degrés divers, nous sommes addicts de produits interdits ou autorisés, de normes et de manipulations injectées, qui se glissent insidieusement en nous. Sous nos yeux,  L’Homme se déconstruit.
Pendant l’entracte, nous ne pouvons sortir, abasourdis. Sous le choc. Nous échangeons avec deux spectateurs venus eux aussi de loin. Nous partageons cet engouement soudain pour des idées noires si bien explorées ce soir. Les comédiens jouent juste. Leur posture les habite d’autant plus que le corps intime évoque la douleur du monde. Chacun joue avec et pour l’autre avec liberté et respect au service d’un texte où la poésie n’écrase jamais, mais ouvre nos imaginaires.

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Nous abordons avec inquiétude la deuxième partie. Nous y perdons nos repères tant le temps semble filer autrement et nous échapper. Nous retrouvons la «bande» et sa galerie de personnages (le schizophrène, le chômeur, l’alcoolique, Johan, le travesti,…). Différents tableaux nous sidèrent parce qu’ils font référence à des scènes mythiques, fantasmées, symboliques. Elles puisent dans nos représentations, dans notre histoire, nos visions de notre  «civilisation». La scène où une vidéaste hésite entre film pornographique et cinéma d’auteur et doit se battre avec des êtres qui n’obéissent pas en dit long sur la marchandisation du corps et la perte du statut de l’artiste. Arrive un «Jésus commis voyageur» ensanglanté qui  vient  faire, pour la deuxième fois, son laïus, mais il est dépassé, débordé. Nous tressaillons alors qu’il s’injecte le produit à rêve dans les yeux. Pourquoi est-ce si insoutenable? Ce geste interpelle-t-il notre incapacité à être clairvoyant? Nous tremblons également alors qu’une femme et son caddie «débordant» se fait agresser par un homme épuisé en manque de sensation. Krystian Lupa relie tout: la société consumériste amplifie la violence faite aux femmes.
Mais peu à peu, les corps s’assagissent et les échanges se font plus construits; ils questionnent le sens de nos actes. Le deuxième acte nous inclut dans une «renaissance» là où le premier nous plongeait dans nos «inexistences». Les références à la Shoah sont plus explicites. Les images et les symboles aussi.  D’un théâtre «expressionniste», nous glissons vers un théâtre «impressionniste» (au sens où il «s’imprime» en nous). Lupa travaille notre conscience d’Européen à partir de tirades qui emportent nos imaginaires. 

Tandis que Sana évoque la cure de désintoxication, l’espoir surgit. Rien n’est inéluctable. Tout est possible si nous changeons. Krystian Lupa laisse le champ libre et ne s’aventure pas à donner les solutions. Il nous offre le regard de ses quinze comédiens qui s’avancent face à nous sur la chanson de LhasaI have a dream»). Ils viennent s’asseoir sur cet arceau de métal, comme sur une bordure d’autoroute. Nous rêvons de les embarquer dans notre fin de voyage, enveloppés par les paroles du fantôme de Lhasa.

Ces acteurs exceptionnels sont les quinze étoiles de notre étendard européen que nous hissons délicatement au sommet de ce chapiteau, confiants. Déterminés à vivre.
Sylvie Lefrere, Pascal Bély, Tadornes.
« Salle d’attente », librement inspiré de Catégorie 3.1 de Lars Noren, mise en scène de Krystian Lupa le samedi 3 mars 2012 à Sortie Ouest (Béziers).

Photo: Photos de Mario Del Curto