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THEATRE MODERNE

«L’air semble plus léger».

Le 6 mai 2012, une des chapes de plomb s’est effondrée. Elle a pesé sur la conscience collective jusqu’à faire échouer toute dynamique de changement durable. Au cours de ces cinq dernières années, tout a été dicté du haut vers le bas, positionnant les enjeux humains à la périphérie quand ce n’est pas au centre pour les réduire à un dogme raciste d’État. Ce soir, cinq jours après, «l’air semble plus léger» d’autant plus que ce sont mes retrouvailles avec la metteuse en scène palermitaine Emma Dante. Elle nous propose «La Trilogia degli occhiali» (La trilogie des lunettes), succession de trois petites pièces qui, mises bout à bout, forment un poème théâtral qui nourrit notre vision universelle de l’humain. Au-delà des frontières, Emma Dante vient peu à peu interpeller nos utopies, nos chemins pas tout à fait tracés et nos folies créatives et mortifères.

Dans «Acquasanta», O’Spicchiato (Carmine Maringo) est un bateau ivre sur mer agitée. Les engrenages dépendent de ses déplacements sur la scène. Les ancres par des cordes sont attachées à ses mollets et pendent du plafond. Un monde à l’envers, comme si nous marchions sur la tête ! Il évoque sa vie de mousse jusqu’au moment fatidique où le capitaine ne veut plus de lui. Son corps est bateau, ses utopies sont brume, et ses mots sont autant de SOS qui s’égarent dans l’immensité de la mer. Détaché, fatigué, mais léger, je n’écoute pas toujours Carmine. Il bouge, mais peine à créer un mouvement qui m’entrainerait dans son bateau fantôme. Il se fond dans les engrenages comme s’il y avait chez Emma Dante, la nostalgie d’un certain rapport de l’homme à la machine qui prend le pas sur son émancipation.  Je décroche littéralement pour larguer mes amarres.

«Regarde 
Quelque chose a changé.
L’air semble plus léger.
C’est indéfinissable.»

La deuxième oeuvre («ll Castello della  Ziza») me remet les pieds sur terre. Avec le corps comme unique langage, il n’y a quasiment plus de texte. Deux infirmières bigotes prennent soin de Nicola, un enfant attardé. À la place des ancres du premier épisode, tels des pompons de manège, pendent des croix avec lesquelles elles s’amusent. La foi est une foire d’empoigne et de jeux de loteries pour réveiller Nicola qui semble statufié à jamais dans sa maladie. Emma Dante signe là une mise en scène exceptionnelle: elle déploie toute l’énergie du théâtre pour (r)éveiller Nicola et nous immerger dans son imaginaire. Les mouvements des corps déterrent pour ranimer les âmes torturées par un soin tout-puissant et mortifère. Le désir reprend ses droits, magnifiquement interprété par Onofrio Zummo, qui du «fou à lier», nous lie à sa folie de vivre. Il parvient à transmettre l’extase, celle que l’on peut ressentir quand l’art sidère et (dé)joue nos défenses. Je tangue littéralement, happé par cette scène métamorphosée en bateau ivre. Après la déraison vient l’art déraisonnable d’Emma Dante.

«Regarde 
Plantée dans la grisaille,
Par-delà les murailles,
C’est la fête retrouvée

«Ballarini» signe la fin de l’épopée. Deux vieillards dansent, entre prises de médicaments et essoufflements dus à l’envie incontrôlée de s’envoyer en l’air. On croirait Nicola et O’Spicchiato enlacés coûte que coûte, contre vents et marrées. Ils s’endorment en dansant, c’est pour dire à quel point leur foi dans la solidité de leur union est inébranlable. Ici, le corps peut tout supporter. Et quand les deux acteurs (magnifiques Manuela Lo Sicco et Sabino Civilleri) dansent à reculons, c’est pour refaire le chemin inverse : les voici se métamorphosant peu à peu en jeunes parents, jeunes amoureux, jeunes libertins. Au-delà des corps, leur positionnement n’a jamais varié: éviter les pièges du consensus mou, s’émanciper des règles pour se mettre en mouvement, s’ancrer pour mieux libérer leurs amarres. Leur danse déjantée déjoue le temps, même celui imposé par une montre-bracelet qu’ils peinent à contrôler! Tout va si vite, tout tangue et je m’extase: le théâtre me rend fou d’amour.

«Regarde 
Moins chagrins, moins voûtés,
Tous, ils semblent danser
Leur vie recommencée». (Barbara – “Regarde” – Pantin, 1981)

Pascal Bély, Le Tadorne

«La Trilogia degli occhiali» d’Emma Dante à la Criée de Marseille du 8 au 12 mai 2012.

Emma Dante sur le Tadorne: “Emma Dante, à la vie, à la mort“.

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THEATRE MODERNE

Las Vanitas, plaisir coupable.

Se rendre jusqu’à Cucuron, un village du Vaucluse, décentrer ses habitudes de spectateur ne semble pas avoir été la seule surprise de ce mardi soir du 17 Avril, tant le spectacle programmé par le Centre Culturel Cucuron-Vaugines a divisé et bouleversé son public. La compagnie suisse Chris Cadillac emportée par ses co-auteurs, Marion Duval et Florian Leduc, y présentait sa nouvelle création «Las Vanitas», objet de théâtre non identifié, expérimentation frontale d’un divertissement culturel. Le public rentre par la scène. Les premiers installés regardent les autres arriver, défiler, chercher leur place parmi ses affinités ou ses habitudes d’observateur. Le spectacle a déjà commencé, les frontières sont poreuses; sommes-nous déjà un spectacle pour nous-mêmes ?

Quand le dernier spectateur, une grande blonde en mini-jupe et shorty, arrive en retard, avec son mp3 aux oreilles, et qu’elle demande au public s’il y avait un cours de gym dans la salle, on comprend vite alors que le doute et la confusion vont prendre le pouvoir sur nos nerfs et peut-être sur toute attente narrative, voire littéraire. Aucune pitié pour un texte éventuel; je repense aussitôt aux intuitions de Jean Vilar, circonscrites depuis longtemps en livres et en interviews, quant au changement qu’allait devoir subir la scène ces 50 dernières années, illustré par les conflits incessants du Festival d’Avignon, aujourd’hui presque caduques. Si donc la question du choix cornélien entre un théâtre d’auteurs et un théâtre d’idées est enfin dépassée, où pourra nous mener l’énergie des jeunes comédiennes dans laquelle «Las Vanitas» nous largue avec de plus en plus de fureur et d’électricité. La réponse ne pouvant être claire, je crois cependant qu’il y a des indices mûrement réfléchis par cette nouvelle génération, archirassasiée et consciente de tous les mensonges idéologiques et autres fausses promesses sociales: une présence, une vigilance accrue aux facteurs du hasard qui pourraient abonder le propos onirique de leur spectacle. Car c’en est un en fait. La trame parfaitement dessinée, met en scène trois muses contrastées, potentiellement spectatrices, pas obligatoirement cultivées, possiblement marginalisées, sûrement «non professionnelles». Jeu de dupes, ces trois exceptionnelles comédiennes exposent leur fragilité et leurs angoisses pour faire apparaître le cauchemar d’un monstre clochard, aux yeux rouges, recouvert de vêtements qu’il aurait volé aux honnêtes spectateurs que nous sommes. C’est du moins ce que confie la retardataire du cours de gym, après nous avoir abasourdie d’une danse vaine, débile, mais subtilement assumée, en nous invitant à la rejoindre sur le plateau, alors qu’il n’y avait aucune raison de fêter quelque chose ensemble ou de participer aveuglément à cette société d’exploitation.

C’est bien là qu’est le mordant de ce type de spectacle et en même temps le risque de ses écueils. Je me souviens du spectacle d‘Angelica Lidell, «Maudit soit l’homme qui se confie à l’homme : un projet d’Alphabétisation», dans lequel nos réflexes bourgeois étaient vilipendés avec autoritarisme, sans aucune capacité d’auto-dérision. «Las Vanitas» part sur le même terrain, mais à cloche-pied, avec la joie des enfants, jeunes et lycéens du public ayant le plus ri dans la salle, gargarisant nos aspirations poétiques et nos consciences d’adultes construits dans un vaste rire guignolesque. Cruauté par laquelle passe d’essentiels et de subliminaux messages: qu’est-ce qui nous met si mal à l’aise, riant ou excluant ce miroir qui nous est tendu? Est-ce la peur d’être avili par la vacuité du spectacle sous toutes ses formes? Est-ce la présence des «voyous» au fond de la scène derrière la vitre, qui chahutent, fument quelque chose et nous observent? Où est-ce le manque de contrôle vertigineux, peut-être aussi délicieux qu’un plaisir coupable, que nous avons sur les évènements du réel?

Merci, merci Chris Cadillac, reviens nous vite, encore plus jeune.

Sylvain Pack:http://sylvainpack.blogspot.fr/

«Las Vanitas»  La compagnie  Chris Cadillac au Centre Culturel Cucuron-Vaugines le 17 avril 2012.

 

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Appel à participation pour les Offinités du Tadorne au Festival Off d’Avignon.

Au prochain Festival Off d’Avignon, nous vous proposons de nous rencontrer autrement, au-delà d’un lien producteur et consommateur de spectacles qui peine à transmettre la complexité des nouveaux langages de la création. Pluridisciplinaires, voire «indisciplinaires», ils n’opposent plus le corps et le texte, mais les enchevêtrent. Loin des chemins tout tracés, les spectateurs font leur «traversée», carte du off et programme en main ! Ainsi, nous nous  croisons sans toujours prendre le temps de nous arrêter pour échanger collectivement sur nos ressentis. Dès lors, quels espaces faut-il ouvrir, quels outils créer pour entendre la parole des spectateurs engagés ?

Une communication différente est à promouvoir pour s’éloigner d’un «j’aime», «je n’aime pas» qui finit par cliver texte et mouvement, théâtre contemporain et patrimonial. Le spectateur émancipé y a toute sa place ; le spectateur intimidé aussi.

Nous souhaitons que le Festival Off soit un espace de dialogue ouvert d’autant plus qu’il ne se positionne pas comme programmateur. C’est le spectateur qui fait son programme, mais ce sont les organisateurs du Off qui multiplient les rencontres au Village. Espace circulaire et convivial, il y accueille depuis deux ans des «chroniques critiques» et les Offinités du Tadorne. En 2012, le Festival Off proposera six rendez-vous au Tadorne animés par Pascal Bely et Sylvie Lefrere. Ils relieront petits et grands, spectateurs, professionnels et artistes?Car pour les animateurs du blog «le Tadorne », l’art relie et fait société?

MARDI 10 JUILLET, 17H, «Le grand OFF du tout-petit».

Au cours de cette journée, des professionnelles de la toute petite enfance assisteront à différentes représentations. A 17h, elles croiseront leurs regards et échangeront avec des familles et des artistes sur la place de l’art dans l’éveil du tout-petit.

Plus généralement, nous nous interrogerons sur la place du spectateur tout-petit dans le festival Off et les opportunités de dialogue qu’elle nous offre.

Jeudi 12 JUILLET, mardi 24 JUILLET  à 11h: «Spectateur, quel programmateur êtes-vous ?»

Nous proposons d’écouter les choix de programmation de deux groupes de spectateurs (présent du 7 au 14 et du 21 au 28). Comment programmons-nous en début et fin de festival ? Quels sont les processus en jeu ? Comment sommes-nous conditionnés dans nos choix ? Comment nous émancipons-nous des pressions publicitaires ? Comment programmons-nous au-delà d’un lien consumériste ?

Dimanche 15 JUILLET à 11h, «Médiateurs, pédagogues : pour un partage du plaisir créatif»

Nombreux sont les professionnels de l’éducation (du tout-petit à l’Université), de la médiation et des artistes qui créent des outils et des démarches pour promouvoir un autre lien à l’art. Ils sont des créateurs invisibles, mais jouent un rôle essentiel dans la vitalité artistique du pays. Et si nous écoutions leurs expériences ? Que viennent-ils chercher au Festival Off d’Avignon ? Et si Avignon était le lieu de rassemblement des médiateurs et pédagogues, quel en serait le projet ?

Mercredi 18 JUILLET à 11h, «Danse,théâtre: tous dans le même mouvement !»

En écho à la journée sur la parité homme-femme organisée par le Festival Off, nous proposons un dialogue inédit autour d’un « sensible » partagé qui transcende les genres. Des chorégraphes et des danseurs assisteront à des représentations théâtrales tandis que des metteurs en scène et des acteurs gouteront à la danse. Nous proposerons un spectacle «hybride» vu par tous. Ainsi, ce croisement des regards nous permettra d’explorer de nouveaux territoires, d’entendre d’autres langages et de s’exercer à la critique transversale, territoire de la parité !

Samedi 21 JUILLET à 11h ,«artistes, spectateurs : quels étrangers sommes-nous ?»

Pour inaugurer la semaine internationale, nous proposons d’inviter des spectateurs et artistes étrangers pour croiser nos regards sur les propositions étrangères du festival. Comment percevons-nous le langage de l’art dans une langue qui n’est pas la nôtre ? Qu’observons-nous depuis quelques années de la création internationale ? Comment le Festival Off peut-il être l’espace de la conversation des cultures ?

Vous souhaitez participer à ces tables rondes ? Vous pouvez nous contacter à l’adresse suivante :

pascal.bely@free.fr ou au 0682839419

Pascal Bély – Sylvie Lefrere – Des Tadornes.

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THEATRE MODERNE

En tournée, Le commerce équitable de Joël Pommerat.

Dimanche 6 mai 2012. François Hollande est élu Président de la République. J’ai attendu cet instant pour écrire sur la dernière création de Joël Pommerat, «La grande et fabuleuse histoire du commerce», vue au Théâtre d’Arles le 13 avril 2012. J’ai ressenti le besoin de relier ces deux hommes, tous deux habités par le désir de ne rien cliver, d’être à l’écoute, de rassembler. Tandis que le «candidat sortant» n’a cessé de diviser autour du «vrai travail», il m’est agréable de saluer le Président Hollande qui incarnera une nouvelle époque où être humaniste ne sera plus considéré comme une incompétence.

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Car le «vrai» est dans ce propos lisible, au croisement du conte et de l’histoire économique, du rêve et des faits. Joël Pommerat signe là une ?uvre théâtrale puissante qui relève parfois de la magie tant chaque scène parvient à relier l’universel à notre intimité. Avec lui, je suis un étrange spectateur, observateur et acteur de ma destinée. Il incarne une écriture du réel où les murmures de la «majorité silencieuse» répondent à mon désir d’être entendu dans ma singularité. Avec Joël Pommerat, jamais la notion de «résonance» (mot trop souvent dénaturé par de nombreux programmateurs) n’a eu autant de sens. Je n’ai jamais imaginé que l’histoire du commerce pouvait croiser la mienne; j’en avais même oublié que le commerce structurait le lien social pour traverser les époques et métamorphoser les corps. Joël Pommerat réussit donc un miracle : avec écoute et empathie, il nous restitue cette histoire à partir d’un groupe de cinq hommes commerciaux qui arpentent un territoire, le quadrillent par un porte à porte minutieusement préparé. Deux générations se succèdent : mai 1968 et 2012. Même unité de lieu: une chambre d’hôtel. En apparence, tout change parce que rien ne change: vendre est une relation asymétrique. C’est un rapport de force dans lequel viennent se mêler des liens de solidarité entre ces hommes. Tandis que les idéaux de 68 s’expriment violemment à la télé, ils font preuve d’une belle persévérance à soutenir l’un d’entre eux qui n’atteint pas les chiffres. Et c’est le même, pétri d’empathie pour ses clients, qui pulvérise les ventes tandis que ses compagnons, plus âgés et usés, font grise mine. L’ascenseur social marche! La relation commerciale humaniste (professionnalisée à partir des techniques de manipulation venues des US) est l’avenir («on ne vend pas, on propose un service» dit l’un d’eux). Me reviennent des souvenirs d’enfance tandis que des vendeurs s’invitaient à la maison pour proposer des livres et des aspirateurs. Ils me fascinaient parce qu’ils symbolisaient la modernité, le progrès infini tout en prenant le temps d’instaurer la relation de confiance dans une famille qui ne connaissait que la défiance comme mode de communication?

Deuxième acte. Changement de décor. Nous voici propulsés en 2012. Toujours une chambre d’hôtel, mais deux petits lits bien séparés. L’individualisme a aussi son mobilier. Toujours les mêmes hommes sauf que c’est le plus jeune qui manage les anciens. Il joue sur l’affectif. En permanence. Face aux résultats désastreux, il encourage en entrant dans la vie intime de chacun d’eux (comme si la technique de 1968 ?«entrer dans la vie des gens»- visait à vendre le commerce aux commerciaux?qui semblent ne plus y croire). Le commerce ne véhicule plus aucune valeur si ce n’est SA valeur. Le chef célèbre le groupe, la solidarité, mais c’est décontextualisé, hors de propos. En dehors de lui. Il vante des concepts qui ne s’incarnent pas dans son corps. Tandis qu’aucun commercial ne vend, il manie le paradoxe, son arme fatale: «Mutualisez vos succès et vos pertes». Les idéaux de 68 sont ainsi recyclés! Le management affectif dilue la responsabilité et transforme chacun en chef de l’autre, tout à la fois unité de production et de commandement.  À ce jeu pervers, le collectif ne résiste pas. Mais avec Joël Pommerat, l’humain reprend toujours ses droits. Toujours. Car se qui se clive à un niveau, s’articule harmonieusement dès qu’il le complexifie. Ici, “l’homme fragile“(sublime dernier tableau du corps qui s’effondre) s’immisce dans le grand jeu du commerce pour l’enrayer. Totalement sidéré, je n’ose quasiment pas applaudir comme si Joël Pommerat, à partir d’une mise en scène millimétrée où le sens s’invite à chaque instant, m’incluait dans une interaction. Je fais donc partie de l’histoire du commerce parce qu’au-delà des théories et des techniques, c’est l’humain pris dans sa globalité qui autorise les conditions de l’échange.

Un mois après, je n’ai rien oublié de cette oeuvre jusqu’à imaginer François Hollande habité par les visées théâtrales de Joël Pommerat.

 «Moi, si je suis Président de la République, j’essaierai d’avoir de la hauteur de vue, pour fixer les grandes orientations, les grandes impulsions, mais en même temps je ne m’occuperai pas de tout et j’aurai toujours le souci de la proximité avec les Français.» (François Hollande, lors du débat télévisé, d’entre les deux tours, 2 mai 2012).

Pascal Bély, Le Tadorne.

«La grande et fabuleuse histoire du commerce» de Joël Pommerat au Théâtre d’Arles le 13 avril 2012.

Les dates de la tournée en 2013:

  • Liège du 7 au 9 février
  • Châlons-en-Champagne les 14 et 15 février
  • Velizy-Villacoubay les 21 et 22 février
  • Petit Quevilly du 5 au 8 mars
  • Saint-Etienne du 12 au 15 mars
  • Bruxelles du 19 au 29 mars
  • Aubusson les 21 et 22 mars
  • Athènes du 28 au 31 mars
  • Montluçon du 9 au 11 avril
  • Rennes du 16 au 20 avril
  • Evry les 24 et 25 mars
  • Tournai les 7 et 8 mai
  • Chateauroux les 14 et 15 mai
  • Compiègne les 22 et 23 mai
  • Saint Brieuc les 29 et 30 mai

Joël Pommerat sur le Tadorne:

Avec “Au monde”, Joël Pommerat révèle un théâtre d’ombres et de lumières.

Avec “Les marchands”, Joël Pommerat fait du beau travail.

“Je tremble” de Joël Pommerat: deux contre un.

“Pinocchio” par Joël Pommerat ou le parcours initiatique de la vie.

“L’enfant” des Ephémères de Joël Pommerat.

Joël Pommerat, mineur de fond.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

«Robert Plankett» : une déflagration de tendresse humaine à double effet.

«Il» se nommait Robert Plankett; a-i-t, parce qu’il est mort? Il est mort, mais, vivant, là, encore un peu?

Sur un thème difficile et «ultra glissant», le Collectif «La Vie Brève» mis en scène par Jeanne Candel nous propose un spectacle jubilatoire, d’une infinie tendresse. Un théâtre d’une grande beauté plastique émaillé de «trouvailles» d’une intense poésie. Comme un voyage en «kaléidoscopie» d’instantanés, fragiles. Le rire qui nous secoue nous porte aux rives de nos humanitudes pour laisser l’espace se glisser, doucement, vers nos singulières solitudes, perdues en pertes insensées. On va ouvrir avec tendresse nos miroirs, nos tiroirs, nos armoires et nos cartons. Nos «erreurs» et nos «compromis» sont ici bien «jaugés»; humains nous sommes et, il est à souhaiter, nous serons. Fragiles, imparfaits, rêveurs, maladroits, empêtrés,…«C’est ainsi que les hommes vivent»…Rien dans ce spectacle n’est «déplacé» ni «grossier»; rien de ce qu’il crée en nous ne nous enferme; il est vitalité pour nos tendresses (parfois) oubliées et nos «maladresses» (souvent) mal «pardonnées».

Au final, c’est un moment jubilatoire, vivifiant et vitalisant sur lequel il est difficile d’écrire «clair» sans dévoiler les encours poétiques et tendres. Ces chemins, proposés, qui nous conduisent vers un après sont à prendre comme un bonbon vie. La Vie Brève (compagnie à suivre, assurément) nous invite à «Investir» nos Aujourd’hui ; laissons les nous toucher dans nos «programmes» «communs» et, peut-être, «tendressement», «corriger» nos «intolèrepeauxerrances» et nos «co-errances» avant qu’elles ne soient que cendres. Là où, sans danser, nous ne serions que perdus.

En ces temps «d’humanité» cruelle, ce spectacle est salutaire pour nos êtres et nos zygomatiques; réclamez-le à vos programmateurs de proximité!

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La «poussière» d’une vie pensée en «poids» balancée soupesée pour être aux vents, même contraires, jetée. De l’un ou de l’autre, qui, trahi, désavoue, désarme, déprécie, annule?? Comment dire et agir aimer quand l’autre et l’un ne sont plus là pour danser la vie, ensemble, sans être «perdu»? Qu’est-ce qui emporte vers (un) demain? Qu’est-ce qui se laisse quand on (se) meurt? Cervelle de veau versus cerveau humain; lobe droit, lobe gauche? Leçon « anatomique». L’herbe est-elle plus verte là où poussent les pommes?? Qui de l’écureuil, du hérisson, de la panthère ou de l’ours nous ouvrira la voix?? Quoi qu’il en Soi(t), il ne restera au bout du conte (compte) que des hier à (se) partager demain tant on peine à (se) «trouver» aujourd’hui. Quel difficile exercice pour l’entourage d’un Robert nommé Plankett? Mais, un poulet, «qui a la frite», vaut bien une Bible et la pomme est d’Eve, d’Adan et de Newton avant que d’être au four!

Bernard Gaurier, Le Tadorne

« Robert Plankett » par le Collectif La Vie Brève, mise en scène de Jeanne Candel ? TU Nantes du 3 au 5 avril 2012

Tournée :Théâtre de la ville (Abesses) Paris du 2 au 11 mai 2012

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE Vidéos

«Vortex» de Phia Ménard : Sous le vent d’être.

Je l’avais laissée sur un «P.P.P.» arctique de bon souvenir et c’est le vent qui là, la ramène. Seule encore, mais cette fois sur une piste comme une Agora où le souffle des ventilateurs porte les mots silencieusement donnés. Un «Vortex» qui nous conduit vers l’enfant de nous. On se souvient d’un objet «banal» dont on faisait «tout». Avec du vent et du plastique, Phia Ménard va nous conduire à ré-ouvrir nos contes. Mais seront-ils, comme on les voudrait, toujours «pimpants» et sans défaut  apparent?
Ça commence «trash»; nous découvrons en entrant un «gros Boudoume» occupé à la découpe d’un sac de course rose comme on en croisait partout avant un sursaut des supermarchés vers une «responsabilité écologique citoyenne». À l’aide de gros ciseaux et de scotch, un petit personnage, tout à plat se construit. Bientôt, mais il ne le sait pas, le souffle du vent lui donnera l’épaisseur pour accomplir sa danse et il sera même rejoint par un aréopage arc-en-ciel de «camarades» pour un ballet pensé en liberté. Mais, Cut/Raccord. le bal n’est pas à l’heure de notre hôte «encostumé», un parapluie «troubleur» ne tardant pas à indiquer le chemin de la benne. Pourtant, qui sait si sous le «Boudoume» se «cachait» quelque chose, quelqu’un, «May be peut-être». Un prince, une princesse d’un étrange ailleurs où la seule raison serait d’Être? Alors il serait peut-être une fois un pays où les garçons et les filles ne se tenaient pas toujours obligatoirement la main. Il serait peut-être une fois un monde où les enveloppes n’étaient pas toujours sans contrefaçon bien adressées. Il serait peut-être une fois un chemin, même tortueux, qui conduirait, un, deux, trois peut-être, à Soi.

Sous l’égide du vent, Phia Ménard nous emporte vers un quelque part où, quand bien même nos histoires seraient différentes, les couches à «gratter» pour tenter d’advenir, ne nous seraient pas si étrangères à nos «étrangetés». Ce spectacle/performance est un moment «rare» ; il nous invite, cinquante minutes durant, à nous pencher vers sensations de peau et émotions de corps. Il nous chatouille à l’identité plurielle de nos êtres et nous questionne sur les «oripeaux» que nous arborons en oriflammes.

Pour l’heure, laissez vous conduire au coeur du souffle; Phia Ménard, en femme de choix, sait guider nos pas au creux des «simples» poésies humaines; et, quand bien même elles sont tourmentées, il y aura bien un nid où se poser.

Le plastique n’est pas fantastique. Sauf qu’enfants, «tout» nous semblait possible ; serions-nous devenus trop grands?

Le vent en vortex m’a soufflé que non !

Mais, à vous de voir maintenant.

Bernard Gaurier, Le Tadorne

« Vortex » de Phia Ménard au TU du 24 Avril au 5 mai 2012. Du 9 au 11 mai , Le Manège – Reins

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ETRE SPECTATEUR

Nicolas Sarkozy: «Fini. C’est fini. Ça va finir. Ça va peut-être finir.»

A quelques jours du second tour, je ne résiste pas à publier l’article que j’avais écrit au lendemain de l’élection présidentielle de 2007. Ce texte est cruellement d’actualité?

A Peggy, Smaïn, Alain-Marc, Igor, Marie-José, Evelyne, Sabine, Claire, Sylvie, Christian. A Ariane M. A François B. A Ségolène R. Pour Maguy Marin. 

Oh mes théâtres! Le soleil apparaît enfin après une semaine pluvieuse. La Sainte Baume est rayonnante alors que nous filons vers La Penne sur Huveaune, ville de la banlieue marseillaise, pour assister à l’un des chefs d’oeuvre de Maguy Marin, «May B». En cette veille d’élection, nous avons besoin de luminosité, pressentant le cataclysme du lendemain. Avant d’entrer dans le théâtre, mon ami et moi ne parlons que de cela. Je sens bien que ce contexte pèsera tout au long de la soirée.

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Nous sommes le mardi 8 mai. Je n’ai toujours rien écrit sur «May B». Tout a déjà été dit sur cette pièce majeure. Que puis-je ajouter ? La victoire de Sarkozy m’a sonné. Je pense à Maguy Marin, elle qui en avait « gros sur le coeur” après la crise des intermittents et qui nous l’avait exprimé, un soir d’octobre 2005 en ouverture de la saison du Théâtre de Cavaillon. Je me souviens de sa colère, saine au demeurant, contre cette société du divertissement qui nivelle tout vers le bas. Après avoir été agressé par une partie du public lors d’une représentation d'”Umwelt” («on ne vient pas au théâtre pour se prendre la tête»), elle leur avait répondu par «Ha ! Ha !», oeuvre percutante puisqu’elle interrogeait notre passivité face au rire dégoulinant de nos médias. En ce dimanche de victoire Sarkozienne, Clavier et toute sa clique pérore sur la place de la Concorde, triomphe éclatant de tous ces bouffons qui, sous prétexte de faire rire la société française, l’ont annexée au moins-disant culturel. C’est ainsi que Maguy Marin a pressenti le succès de l’idéologie d’une droite décomplexée.
En ce mardi 8 mai, je pense à elle, à sa compagnie, à son Centre Chorégraphique National de Rieux la Pape, installé au coeur de la banlieue lyonnaise.
Quel décalage entre ce Président «inculte» (qui méprise les artistes  et les «intellectuels») et ce modeste blog, censé m’aider à réfléchir sur mon rêve de divertissement en le transformant en désir d’écriture pour communiquer!

C’est ainsi que le 5 mai, voir «May B» de Maguy Marin, est un acte de résistance, d’insoumission et de rébellion. C’est une oeuvre intemporelle (crée en 1981, elle continue de tourner pour assurer la stabilité financière de la compagnie) : la victoire de Sarkozy n’est alors qu’un petit phénomène au regard du dessein de “May B” qui n’en finira pas d’émerveiller des cohortes de spectateurs.

«May B», c’est le destin de l’humanité sur scène symbolisé par ce groupe d’hommes et de femmes enfarinés qui progressivement, se libèrent de leur animalité pour s’habiller de leurs costumes, métaphore du lien social.
«May B», c’est un jeu d’ombres et de lumières qui éclaire notre conscience sur notre avenir commun.
«May B» est une musique entêtante où l’autonomie se nourrit de liens de dépendance au coeur d’une dynamique groupale.
«May B» donne la force de croire que tout progrès peut devenir universel s’il crée de nouvelles solidarités.
«May B» est une palette colorée de nos petits gestes insignifiants, mais qui, par la magie de l’art (où la danse rencontre l’univers théâtral de Beckett), se transforment en mouvements subversifs libérateurs, loin des codes enfermants de nos sociétés mécanisées.
«May B», ouvre et ferme à la fois, à l’image de cette phrase énigmatique qui fait office de prologue et d’épilogue : «Fini. C’est fini. Ça va finir. Ça va peut-être finir».
Sarkozy est un homme poussiéreux qui feint d’ignorer que le monde ouvert part à sa catastrophe si nous ne remettons pas la culture et nos connaissances sur l’évolution de l’humanité au profit des nouvelles solidarités. « May B » de Maguy Marin est l’oeuuvre qu’il fallait voir pour ne pas se laisser abattre. Elle nous a permis de nous enrichir du sourire bienveillant de Ségolène : on ne peut rien contre la longue marche vers de nouvelles fraternités.
Pascal Bély – Le Tadorne
“May B” a été joué le 5 
mai 2007 à la Penne sur Huveaune dans le cadre du Festival “Danse en mai”.
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PAS CONTENT

«Baron Samedi» d’Alain Buffard divise.

Au sein des Tadornes, la dernière création d’Alain Buffard divise. Profondément.

 Par Pascal Bély.

À l’entrée du Théâtre de Nîmes, on me tend une jolie feuille de salle. Comme à mon habitude, je ne lis rien. Je fais confiance à la scène. Elle se suffit. Mais le lendemain de la représentation, je me surprends à faire des recherches sur Google à partir des intentions artistiques d’Alain Buffard. Pourquoi aller explorer ailleurs ce que «Baron Samedi» aurait dû me donner? Que de malentendus! C’est le cas de l’écrire. Ce chorégraphe iconoclaste m’a habitué à des propos forts et souvent lisibles. Mais ici, rien ne vient. Ou si peu?Je ne me sens pas dans le coup. J’ai ce ressenti quand, pour faire «décalé», des artistes proposent une forme «brouillée» qui perd le spectateur, mais permet d’affirmer un «propos tendance» destiné à nourrir la bonne moralité de la «communauté culturelle»…

À mon arrivée dans la salle, un plateau blanc en pente fait office de décor. Comment vont-ils réussir à créer une danse sur cette page blanche? Mon interrogation est-elle illégitime ? Je ressens la scénographie d’un plasticien. Autant dire que la question du mouvement ne se pose même pas. À peine le spectacle commencé, je sais que cela ne sera pas de la danse. Dans la lignée des «concepteurs» en vogue (c’est ainsi que se nomment François Chaignaud et Cécilia Bengoléa), les mots de «chorégraphe», de «danseur» disparaissent de la feuille de salle. À la place, on y lit «conception et mise en scène», «fabrication et interprétation»…Je perds beaucoup de temps à entrer. Non que je veuille catégoriser. Mais j’ai besoin de savoir d’où l’on me parle. Par clarté. Par honnêteté envers le spectateur. Une fois baissées mes barrières de défense, je décide de faire confiance au propos. Mais de quoi me parle-t-on puisque l’on me parle ?! À certains moments, le texte est surtitré; à d’autres, il est brut. Sous-titrer serait donc signifiant. Soit. Que dois-je comprendre ? Peu à peu, je déteste la relation de pouvoir qu’Alain Buffard instaure avec le spectateur.

Je peine à saisir le contexte de cette oeuvre alors je cherche le mouvement. Mais les grosses fesses ne me suffisent pas ; comme les corps trimbalés sur cette scène en pente. Progressivement, je vois émerger un tableau. Oui, c’est ça, un tableau vivant sur notre humanité. Il y a des noirs, des blancs. Des acteurs et deux musiciens pour faire «hybride». Des symboles historiques avec sa dose de dénonciation du racisme. C’est donc un tableau, le même que l’on me montrait enfant afin que je comprenne. On m’emmenait au Musée pour que je saisisse le sens à défaut d’être ému. Ce soir, à Nîmes, Alain Buffard veut que je comprenne sa vision de l’humanité. Sauf que j’ai besoin de la ressentir et non de subir la linéarité du propos (on s’aime, on se sépare, on revient), l’interpellation culpabilisante du public, une scène «trash» de cul suggéré en fond de scène (au cas où?). C’est une vision de l’humanité tant rabachée sur les plateaux de théâtre, qui repose sur les mêmes clivages, où l’on empile des références à défaut d’assumer un propos complexe. Comment puis-je accepter de me ressentir aussi incompétent alors que dernièrement, je me suis effondré avec Pippo Delbono, émerveillé avec Thomas Ostermeier, passionné avec Joël Pommerat, projeté avec  Vincent Macaigne ? Désolé de faire la comparaison, mais elle s’impose. Comme une évidence.

Parce que l’humanité traverse ces quatre artistes de théâtre.

Pascal Bély.

 

Par Sylvie Lefrere.

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Du plateau sombre, une voix profonde monte, accompagnée du son d’une guitare qui lui fait écho. Est-ce un enregistrement? Qui chante donc ? Un homme ? Une femme ? Qu’importe. Seule, on distingue une forme, d’où découle une émotion vocale. Nous sommes au début de «Baron Samedi» d’Alain Buffard, projeté au coeur de notre civilisation. En soixante-quinze minutes, nous allons suivre l’intensité d’un voyage dans le monde des vivants et des morts, où nous invite un sculptural Baron Samedi, père spirituel. Dans cette période de repli sur soi national, on nous invite à suivre l’au-delà du pays Vaudou pour quitter notre pays matérialiste, prendre du recul, et chercher à mieux décoder nos systèmes. Depuis le premier tour électoral de la présidentielle, je ne sais plus dormir sereinement, je fais des cauchemars. Dans la journée, je suis épuisée, “au bout du rouleau”. Mais cette pièce va me donner une nouvelle énergie.

Chaque danseur se campe dans une personnalité forte, où la différence des genres se mélange dans un bouillonnement de richesses multiculturelles. Nous traversons le globe entre le Brésil, Haïti, les États-Unis, l’Espagne…Les langues d’origines claquent comme des fouets, les corps en chair, musclés ou fins, chaloupent en harmonie. Les volutes de la séduction, les secousses de la révolte ou de la transe s’expriment librement. La mémoire de l’esclavagisme et du colonialisme transpire. Les hommes, les femmes, mammifères, deviennent caméléons, tels des gallinacés ou des reptiles pour des parades de séduction, de pouvoir, de prise de territoire… Mes larmes coulent quand les danseurs se masquent d’un sac de tissu blanc, troué au niveau des yeux et de la bouche…Je pense au Ku Klux Klan, aux masques blancs, à nos propres visages, dans lesquels nous pouvons être figés dans nos valeurs identitaires sectaires. Je vois des hommes qui grimacent, “des monstrueux”. Certains partagent dans un même sac/masque. Mêmes pensées, même visage double, fossilisé. J’y vois des condamnés à mort, des humains perdus, aux abois. Les chants des danseurs, les cordes des instruments, pulsent d’une belle énergie ce voyage dans notre monde violent, étriqué alors que la liberté peut encore se saisir dans ce parcours Vaudou. Mais où sommes-nous? Dans quel monde? Là où les coeurs battent? Là où les corps sont glacés? Les chants de West Side Story émergent, les claquements de doigts rythment les étapes. Le travail, le désir des corps, mais aussi les violences et les abus qui lui sont infligés. Le voyage dans le temps continue dans un compte à rebours.

De retour de Berlin depuis peu, cette musique de Kurt Weil résonne d’autant plus dans ma mémoire. Lili Marlène et des chansons des années 40, pleines d’émotions, comme “Surabaya Johnny“, découvert il y a longtemps à travers l’expression sensible d’Anna Prucnal, “Alabama song“…L’amour, la disparition, accompagnent notre vie comme une quête de recherche de sentiments humains. Après toutes ces souffrances, les rencontres, les réflexions qui en découlent nous entrainent vers les chemins de la résilience. La pente douce et blanche qui barre le décor devient piste pour glisser, virevolter, grimper, jouer, se cacher. Les mouvements explorés nous renvoient un écran métaphorique. Tous nous appartiennent et nous donnent un socle commun, où nous nous rejoignons. Le personnage de la prostituée nous réunit dans des surenchères de désir de pouvoir. Toujours plus détenir. L’institution est représentée, étiquetée dans ses fonctions de juges, d’avocat, de témoins….Le musicien, lui ne compte pas. L’artiste est jugé : il a un rôle négligeable, pourtant sa musique nous reste gravée dans nos mémoires et chemine tout au long de notre parcours. Deux pas en avant et trois pas en arrière …Salut tremblé, pour le général De Gaule, d’une des danseuses. Et ce lundi, on entend des mots dans les médias, proches du maréchal Pétain, sur les valeurs du «Vrai travail»… Nos modes de fonctionnement restent encore et toujours très rigides. Où est la dynamique de la pensée?

«Baron Samedi» implore un changement de paradigme pour qu’ensemble nous bravions l’histoire vers le retour d’une véritable démocratie. À l’image de cette salle où, toutes générations confondues, nous étions citoyens côte à côte, tournés vers la vision de la richesse cosmopolite.

Sylvie Lefrere.

“Baron Samedi” d’Alain Buffard au Théâtre de Nîmes le 24 et 25 avril 2012.

Crédit photo: Marc Domage

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EN COURS DE REFORMATAGE

Papier indisponible en Magasin.

Ma programmation de spectateur a d’étranges coïncidences. Mercredi 3 avril, Pippo Delbono dans «Dopo la Battaglia» à la Comédie de Valence métamorphosait la scène en espace mental où le péril d’une folie collective faisait émerger la poésie du fou dansant, celle qui nous sauvera («Pina, Bobo, Pippo») . Quelques jours après, le 3 bis F (lieu d’art contemporain à Aix en Provence niché au coeur de l’hôpital psychiatrique Montperrin) programmait «Tentative de trous pour voir le ciel à travers» de Christelle Harbonn. C’est un diptyque d’après «le papier peint jaune» de Charlotte Perkins-Gilman et «Un homme en suspens» de Saul Bellow.

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Dans la première pièce, une femme souffre d’un post-partum. Son époux psychiatre lui prescrit des médicaments pour atténuer ses délires «hystériques» tout en renforçant sa domination. Elle se projette dans le papier peint, espace imaginaire qui accueille sa parole de femme séquestrée où son nouveau-né à tête de cochon se blottit dans une humanité à la dérive. Solenne Keravis est impressionnante dans le rôle, toute habillée de blanc où son corps projette dans ce décor d’hôpital, force mentale et fragilité psychique. Le mari (Sébastien Rouiller) est assis à droite, de dos. D’une console, il envoie une série de couperets sonores qui glacent, surprennent et finissent par créer une atmosphère mortifère. La mise en scène métaphorise ce papier peint (invisible à l’oeil nu) dans lequel je me projette: n’est-il pas l’espace de l’art, où l’interaction entre l’artiste et le spectateur rend intemporel le sort de cette femme ? Où sont nos «papiers peints» contemporains (et si c’était la danse ?). Qui est à la console aujourd’hui pour couper la parole (le médiatique, les règles qui uniformisent ?).

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Le passage vers la deuxième oeuvre est quasiment imperceptible, preuve il en est que le papier peint se déroule pour créer l’illusion d’un nouvel espace du dedans (l’appartement d’un couple) et du dehors (celle où un homme, démissionné de son travail, qui attend d’être mobilisé pour la guerre). Olivier Boréel est prodigieux dans le rôle de ce «tueur en suspens» qui cherche dans le présent, toutes les raisons de partir à la bataille. Sa rage contre ses contemporains navigue entre guerre de civilisation et violence sociale. Elle n’est pas sans me rappeler ces hommes qui attendent le jour J pour (se) (tout) faire exploser. Sa folie fait écho au mutisme de sa femme (l’armée, cette grande muette?) qui, s’approchant de la paroi blanche qui sépare l’espace privé et public, se fond dans la toile et crée l’illusion d’une peinture de MunchAshes»).

Ce dytique forme une vision cauchemardesque et «fantastique» de la folie des hommes à la recherche du sens perdu. Sublime.

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Le metteur en scène Laurent de Richemond ne sait probablement pas qu’un «critique  amateur» l’inclut dans une traversée théâtrale aux côtés de Pippo Delbono et de Christelle Harbonn. «L’ivresse de la parole», sa dernière création à la Cité, Maison de Théâtre à Marseille, est un bien joli «papier peint». Dix comédiens amateurs s’évertuent à créer une épaisseur à leur «parole» prise en tenaille entre un «je» envahissant, un «nous» trop englobant et différents «couperets» maltraitants. Pendant quatre-vingt-dix minutes, la parole se «balade» entre anecdotes, confidences, et métalangage du corps. C’est parfois drôle, souvent grave, quelquefois un peu long, mais ce collectif finit par former un groupe. L’important n’est pas de savoir jouer, mais d’explorer son «je» dans le «jeu» pour tendre vers «l’?uvre». Ainsi s’enchevêtrent ressentis du réel et actes artistiques qui font écho à ma  propre ivresse ! Peu à peu, tout s’entend, tout se relie, tout se joue : le théâtre devient la bonne étoile de chacun, vers la Voie lactée pour tous.

À côté, le spectacle de Grand MagasinMordre la poussière») présenté à la Scène Nationale de Cavaillon fait pâle figure. «Je suis, que je le veuille ou non, le personnage principal de mon histoire, mais simple figurant dans celle des autres»: l’intention est à l’opposé du projet artistique de Laurent de Richemond! Ici, quarante amateurs, réduit à la fonction de «simples figurants», apparaissent et disparaissent au gré des scènes où l’un des acteurs se rêve tout puissant (jusqu’à fondre l’humain dans des mécaniques invraisemblables?jouissif), tandis qu’un autre combat et gagne à tous les coups. Le rêve et ses paillettes ne sont plus qu’une marchandise pour télé-réalité. La partition quasi chorégraphique de Grand Magasin (car cela en est une !) mêlée d’injonctions verbales  paradoxales s’étire en longueur dans des mouvements trop répétitifs qui lui font perdre peu à peu son caractère surréaliste. Cette mécanique m’amuse, mais ne fait pas lien comme si j’étais définitivement positionné en observateur complaisant. Ici, le «papier peint» disparait au profit d’un mur gris dont je peine à voir au travers.

Pascal Bély , Le Tadorne

«Tentative de trous pour voir le ciel à travers» de Christelle Harbonn au 3 bis F d’Aix en Provence les 6 et 7 avril 2012. À voir au Théâtre des Argonautes à Marseille les 18, 19 et 20 avril. Puis du 24 avril au 10 mai à la Loge à Paris.

« Ivresse de la parole » de Laurent de Richemond à la Cité, maison de Théâtre à Marseille dans le cadre de la Biennale des Écritures du Réel les 3 et 4 avril 2012.

« Mordre la poussière» de Grand Magasin à la Scène Nationale de Cavaillon le 5 avril 2012.

Crédit photo 1 et 2: Alexandra Licha.

Crédit photo 3: Mathieu Bonfils.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

L’exceptionnel « cochon dingue » de Thomas Ostermeier.

À quinze jours du premier tour de l’élection présidentielle, le théâtre de l’allemand Thomas Ostermeier nous remémore quelques fondamentaux. Le pouvoir, ce désir de toute puissance, rend fou dès que le sexe s’en mêle. Cela ne vous rappelle-t-il rien? Dans «Mesure pour mesure» tragicomédie de William Shakespeare, nous rions d’être surpris que tant d’images, tant de scènes, nous soient si habituelles. Thomas Ostermeier sait que nous sommes complices. Il en joue, jusqu’à devenir familier, mais sans tomber dans la vulgarité. Ici, religion et politique s’unissent implicitement pour faire respecter la norme malgré un contre-pouvoir qui régule faute de changer le système. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? À chaque époque son puritanisme, ses damnés de la terre, ses complotistes, ses traitres et ses sauveurs. Retour sur l’intrigue.


Mesure pour Mesure par TheatreOdeon

Le Duc doit s’absenter pour un long voyage. Il confie les clefs du pouvoir à Angelo, homme de vertu qui ne se fait pas prier pour rétablir certaines règles dont celle de ne pas avoir de relations sexuelles avant le mariage. Claudio paiera donc le prix fort pour avoir franchi la ligne: il sera condamné à mort. À moins que sa soeur, Isabella, jeune novice, puisse convaincre le chef impétueux. Mais le voilà pris à son tour de désir pour cette femme si pure, qui devra céder…sauf, si elle envoie à sa place, la future épouse (Mariana) auparavant congédiée pour absence de dot. Elle est aidée par un moine, qui n’est autre que le Duc, observateur actif de l’exercice du pouvoir. Il crée l’intrigue qui lui permettra de retrouver son rôle, en rétablissant la justice à son profit, jusqu’à imposer à Isabella de l’épouser?

La première scène est déjà jubilatoire: alignés en rang face au duc «chef de choeur», acteurs, musiciens et chanteuse entonnent un air, mélange harmonieux de rock acidulé et de chant médiéval qui n’est pas sans rappeler la mélodie du pouvoir, teintée de promesses et de renoncements. À peine l’intrigue commence-t-elle que l’on s’étonne du décor planté par Thomas Ostermeier. Point de fenêtres, juste un cube paré de murs dorés défraîchis, couvert à certains endroits de suie noire. À cet enfermement, répond une société autarcique, où la lance à eau est l’outil d’un pouvoir autoritaire. Angelo en use et abuse pour tout nettoyer sur son passage (il a dû se retenir pour ne pas la diriger contre nous !). À la puissance du jet répondent des corps apeurés, fuyant la suie dégoulinante. Angelo (Lars Eidinger) est impressionnant dans le maniement de cet objet phallique d’autant plus que l’unité de lieu (palais, prison, place pour pendre les prévenus) renforce le désir d’opprimer. Progressivement, ce sont les interactions qui vont sculpter l’espace. Les acteurs se fondent dans le décor pour en modifier la perception : le cube imposant disparait pour faire place à un espace qui transforme des corps institués au combat, en corps biologiques torturés d’avoir tant désirés. Peu à peu, le sang, les larmes, le sperme dégoulinent et nourrissent ce théâtre de chair, de désir, de pulsions. Ici, le corps parle tout autant que le texte de Shakespeare. C’est stupéfiant et exceptionnel comparé à la mollesse de bien des mises en scène françaises. Avec Ostermeier, je tremble. Je transpire. Je désire. Je ris. Je vis.

Car tout l’enjeu est là : les rituels et les obligations de l’homme de pouvoir doivent composer avec les pulsions de l’homme de chair. L’équation est impossible. Seule la justice peut trancher à l’image de cette moitié de cochon qui pend au lustre, métaphore des «porcs impudiques» pour Isabella, symbole des prisonniers pendus pour Angelo. Une question ne cesse de me tarauder : qui est l’autre moitié du cochon?  Thomas Ostermeier semble nous la laisser pour en faire ce que nous voulons. D’ailleurs, lui-même ne se gêne pas: au porc impudique d’Angelo, répond sa moitié suspendue au lustre! L’image est saisissante! La force du théâtre de Thomas Ostermeier est dans ce cochon: suivant le jeu, il est un symbole à multiples facettes qui prend le pouvoir sur les acteurs à l’égo si faible. Mais ce cochon est aussi notre piètre condition humaine contemporaine prise en tenaille entre le religieux et la finance toute puissante. Ne reste que la justice pour décrocher ou choisir le croc le plus adapté?

Pendant les deux heures de spectacle, on ne perd rien du jeu, car tout est dialogue. Tout! Le slip blanc du condamné se fond dans la blancheur de la robe d’Isabella. À la scène de séduction impudique d’Angelo face à une Isabelle tétanisée, répond sa sonnerie de portable! Jusqu’à la tentative de viol qui voit Isabella plaquée sur le cochon, lit de la souillure. Ce n’est plus seulement du théâtre. C’est la peinture de la vierge Marie crucifiée et toutes les femmes soumises au désir des hommes. Scène sublime et poignante.

D’ailleurs Thomas Ostermeier semble peu s’attacher au dilemme d’Isabella (laisser condamner son frère ou le sauver en couchant avec Angelo) comme si le propos était ailleurs: quels cochons sommes-nous devenus ? Quel avenir pour une civilisation épuisée par un système démocratique où le pouvoir pulsionnel transforme la raison d’État en déraison psychique ? Pour quelle justice ?

Quel autre personnage que Mariana, joué par l’époustouflant Bernardo Arias Porras, pour symboliser cette déchéance? Son corps désarticulé est une marionnette avec un voile blanc qui s’avance vers nous et nous observe, telle Doramar apeurée : qu’avons-nous fait là?

Pascal BélyLe Tadorne

« Mesure pour mesure » de William Shakespeare par Thomas Ostermeier au Théâtre de l’Odéon de Paris du 4 au 14 avril 2012.

Thomas Ostermeier sur le Tadorne :

Au Festival d’Avignon, Thomas Ostermeier ? Hamlet : la terre?enfin ! / Thomas Ostermeier éblouit: l’avenir est décidément allemand. / Thomas Ostermeier au coeur de L’Europe.