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Danya et Olivier: Frère et soeur de danse.

Il y a quelques jours, je publiais un article sur Olivier Dubois, chorégraphe de «Rouge», présenté au dernier festival d’Uzès Danse. Habillé en soldat russe vêtu d’une robe en latex, de chaussures à talons rouges, il incarne le combattant universel et ce long processus qui renoue la parole avec le corps pour une pensée en mouvement. Parce que la danse se ressent par la chair, parce qu’on ne fait pas taire celui dont le corps intime parle de l’humanité, «Rouge» est une bombe chorégraphique. Quelques jours plus tard, à Montpellier Danse, une autre déflagration fait trembler l’Agora. La Libanaise Danya Hammoud s’avance vers nous, tandis qu’une musique vrombissante nous fait entendre le bruit des bombes comme s’il venait du fond de scène. Quasiment immobile, elle nous invite à percevoir, à ressentir son déchirement: cette intériorité fulgurante est à l’image d’une chorégraphe qui porte son projet en elle, son enfant en quelque sorte. Coûte que coûte, danser. DANSER.

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Elle maintient la salle éclairée, comme si le moment de notre rencontre était une scène de cinéma.

Elle maintient la salle éclairée, comme en temps de guerre, pour ne pas se perdre de vue. Sait-on jamais.

Elle danse, lentement, très lentement. Danser est un combat quand il s’agit d’affronter la vitesse foudroyante des bombes, mais aussi celle de l’internet, de nos désirs d’immédiateté.

Elle s’avance vers nous, bouge millimètre par millimètre et j’entends déjà le mouvement intérieur, celle d’un rôle statufié vers un positionnement assumé. Son corps est territoire. Mes ressentis sont ma carte. Il y a cette musique qui vrombit, mais qui n’est plus seulement un contexte : elle est la partition de son tourment. Le sol fait corps avec elle pour qu’il devienne sa terre d’élection. L’espace parait immense à la mesure du chemin à parcourir pour que le danse au Liban se fraie une voie.

Elle finit par s’allonger, presque aguicheuse.

Je suis masculin.

Du corps biologique, vers le corps social, elle parie sur ma sensibilité à partir de petits gestes  qu’elles prolongent à l’infini.

Je suis féminin.

Elle ose danser à reculons puis revient vers vous, spectaculairement, pour m’électriser. Pour dénouer les n?uds.

Je suis de rock.

Peu à peu, le mouvement se fait plus doux. De nouveau allongée, le geste se meurt dans son regard jusqu’à m’atteindre. Puis elle disparait dans la lumière tamisée. Elle est chorégraphe de l’ombre pour éteindre la bombe humaine.

Danya Hammoud est la soeur d’Olivier Dubois. Ces deux-là ont d’étranges “matières“: une chair politique pour une danse sociale. Avec eux, une même sensation : celle d’appréhender la danse par la communication. À aucun moment, ils n’ont lâché le lien comme si cela ne pouvait être possible (et pourtant, combien sont-ils les chorégraphes centrés sur leur propos, à nous de nous y conformer !).

Parce que Danya et Olivier sont probablement habités par une vision commune: le travail sur soi est politique.

Pascal Bély, Le Tadorne

ps: J’ai vu cette vidéo après avoir écrit l’article. Troublant.

« Mahalli » de Danya Hammoud à Montpellier Danse les 24 et 25 juin 2012.

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PAS CONTENT

La Scène Nationale Le Merlan à Marseille, est-elle au bord de la faillite ?

À quelques jours du Festival d’Avignon, le courrier s’amoncelle dans ma boîte aux lettres. Des plaquettes, des livrets, des dossiers de presse auquel s’ajoutent les programmes des saisons théâtrales.

Une enveloppe très légère m’intrigue. Elle provient du Théâtre du Merlan à Marseille. Depuis quelques années, je m’inquiète du projet de sa directrice, de ses dérives financières, délocalisant trop souvent sa programmation des quartiers nord vers le tranquille centre-ville. Ce courrier est une feuille A4 mal imprimée, pliée en trois parties, qui présente trois  spectacles pour seule proposition pour l’automne 2012 (danse, cirque, « balades » pour les journées du patrimoine).

Un texte non signé m’informe que rien ne sera dévoilé du reste de la saison 2013 (concept que le Merlan veut faire disparaitre de son vocabulaire). Plus de rencontres pour présenter la saison, mais ce feuillet comme tout lien avec une invitation «à joindre directement le service des relations avec le public».Un texte précise d’ailleurs ses missions comme s’il fallait combler en urgence le vide de contenu artistique.

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Ce flyer est très inquiétant, car il corrobore les rumeurs entendues ici ou là sur la situation financière de la Scène Nationale qui n’aurait plus les moyens de proposer une saison. Le spectateur ne sait rien du contexte. La presse locale ne fait toujours pas son travail d’investigation.

En tant que public qualifié de «partenaires» et de «complices», nous serons peut-être sollicités pour faire nous-mêmes le spectacle. Ce sera la nouvelle trouvaille marketing d’une direction à la dérive.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Le Merlan sur le Tadorne:
Le Théâtre du Merlan vagabonde et se perd / A Marseille, le Théâtre du Merlan perd de l’argent par magie et se délocalise.
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OEUVRES MAJEURES Vidéos

La révolution « Rouge » d’Olivier Dubois revitalise la danse.

Curieux festival que celui d’Uzès Danse où je me perçois souvent décalé au milieu d’un public composé quasi exclusivement
de professionnels. J’ai besoin des spectateurs amateurs pour me ressentir «entouré» et non étranger à un réseau autocentré. Mais surtout l’absence d’un public de danse me rend triste: et 
s’il n’était finalement qu’une variable d’ajustement comme si les enjeux de la production et de la diffusion étaient ailleurs? Mais quel est donc le sens d’un festival en l’absence d’un public amateur?

Ce soir, j’ai fait le voyage pour lui. Depuis longtemps,Olivier Dubois a toujours nourri ma relation à la danse. Il le fait par une approche de l’humain englobé dans une humanité célébrée et éprouvée par les danseurs et le spectateur (je pense notamment à l’une de ses dernières créations, «Révolution»). Pour Olivier Dubois, interprètes et publics forment un tout: scène et salle se répondent en continu.
Ce soir, je suis au premier rang. Seul à seul. Face à face. J’ai décidé que cela serait entre lui et un spectateur amateur, depuis longtemps éclairé par sa danse.

Dès mon arrivée, il est de dos. Je sens qu’il va hurler. Du haut de ses talons aiguilles rouges, il affronte le fond de sa cage, celle de nos mémoires emmurées. Du bas de mon siège, je vois sa robe de militaire qui moule un corps empêché. Ce féminin dans ce masculin est l’alchimie pour que la parole fasse son travail, bien au-delà d’un devoir de mémoire mortifère. Ce soir, sa langue sera celle de ce soldat russe vers un spectateur qui a trop vite oublié que le corps est une arme de guerre.

Olivier Dubois danse et hurle. “Il faut que cela sorte” invoquent les psychologues après le trauma. Aujourd’hui, combien sommes-nous, combattants des temps postmodernes, à fermer notre gueule face à cette guerre financière qui automatise nos comportements, réduit nos systèmes de pensée à des logiques binaires et généralise une «bêtise systémique» (pour reprendre l’expression du philosophe Bernard Stiegler)? Combien sommes-nous, emmurés dans une parole empêchée tandis que le corps fait le sale boulot? C’est à nous qu’Olivier Dubois s’adresse par l’intermédiaire de cette étrange figure mythique qui déterre nos morts pour éclairer nos consciences. «L’humain au centre» est ce sang qui coule sur ses jambes, échappé des plaies qui ne cicatrisent jamais. Se remet-on des violences faites à l’enfant plongé dans la guerre que se prêtent les plus grands? «Rouge» est ce long processus qui renoue la parole par le corps: c’est le «vrai» travail, le reste n’est que bavardage. Cette danse est puissante parce qu’elle ne puise pas sa force dans une impuissance qu’elle surmonterait, mais dans le dépassement de soi. Son corps déplacé, encerclé, enlacé, desserré, atterré, relevé, allongé, avancé me fait immédiatement penser aux mouvements que provoque le travail psychanalytique. J’entends dans les cris d’Olivier Dubois les sons de mes pleurs étouffés qu’une image fugace de la toute petite enfance fit exploser dans un cri rageur, ravageur et libérateur.
«Rouge» entre en guerre avec nos désirs normés du corps en mouvement pour que nous osions ressentir la danse par la chair. L’enjeu n’est-il pas de retrouver la paix intérieure que 
procurent les mots du vivant? Ici, la danse s’écoute charnellement et célèbre la vie.

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Peu à peu, l’homme-dansant se mue en animal rampant pour les sans-voix: à l’esprit qui pense le corps, le corps prend la parole et met en mouvement la pensée. C’est ainsi que ce «Rouge» animal m’éclabousse de ses gouttes de sang, de sueur et de salive pour qu’à jamais, je sois contaminé par la force de ce soldat, métamorphosé en
monument vivant aux morts. Pour qu’à jamais me soit transmise la force de ceux qui n’en sont jamais revenus.

On ne fait pas taire la parole de celui dont le corps intime parle de l’humanité.

Pascal Bély – Le Tadorne. 

Olivier Dubois sur le Tadorne:

Au Festival d’Avignon : épidermiquement, Olivier Dubois.

«Révolution» d’Olivier Dubois : Boléro en marche pour onze fois une.

Olivier Dubois, cet empêcheur de tourner en rond.

Une journée avec Le Tadorne au Festival d’Avignon : la mise à nu

« Rouge » d’Olivier Dubois au Festival Uzès Danse le 20 juin 2012.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR LES EXPOSITIONS Vidéos

A la dOCUMENTA de Kassel, ma vie reforestée.

Je n’ai qu’une journée pour parcourir la dOCUMENTA de Kassel en Allemagne. À 10h, les principales salles sont fermées. Le Président allemand Joachim Gauck fait sa visite. La ville est quasiment quadrillée par la police. Nous sommes loin d’une conception «normale» de la Présidence de la République! Il me faut donc trouver un point de chute. Ce sera le grand parc Karlsaue. Pour la précédente édition en 2007, la dOCUMENTA y avait installé un gigantesque hall d’exposition provisoire. En 2012, les oeuvres sont réparties dans cet immense poumon vert. C’est peut-être la marque la plus visible de la commissaire américaine Carolyn Christov-Bakargiev: l’art se niche au coeur des interactions de l’homme avec la nature.

«Ma documenta» commence donc au vert tandis que je m’approche de l’oeuvre de Massimo Bartolini. A l’image d’un battement d’ailes de papillon, l’eau est une vague potentiellement submersible prête à dévaster le petit champ de blé qui l’encercle. Je divague…et j’ai peur.

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Mais ce n’est rien à côté de ce qui pourrait nous tomber sur la tête: un énorme caillou git sur un arbre sans feuille. Ici, pierre qui roule n’amasse plus mousse. Les enfants s’amusent autour de l’oeuvre de Giuseppe Penone, inconscient du danger qui nous menace. Cette météorite serait-elle une «élaboration» artistique de l’industrie nucléaire comme le laisserait penser quelques heures plus tard le film de Mika Taanila, projetté à l’Orangerie. On y voit sur trois grands écrans, trois films qui s’enchevêtrent (construction d’une centrale, les paysages de Finlande, la vie des habitants). La force de cette proposition est l’absence de visibilité démocratique sur ces chantiers dont la vision accélérée finit par faire un film d’animation tout à fait charmant.

Pendant ce temps, la pierre se prépare à nous rouler dessus pour tout dévaster sur son passage, à l’image du terrain défoncé du français Pierre Huyghe. Des barres de béton posées à terre, des arbres déracinés, un chien errant squelettique à la patte rose chair forment un étrange paysage d’après-guerre écologique. Alors que l’on répète à l’envi que l’homme n’est pas un animal, ici l’animal est humain: notre survie passe par celle des abeilles dont la ruche recouvre le visage de l’humanité. Percutant. Cette statue est emblématique de la dOCUMENTA 2012.

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L’ignorance des enjeux complexes, la difficulté à articuler une pensée «écologique» avec nos systèmes politiques et démocratiques trouvent sa traduction dans la bibliothèque de Mark Dion: les livres sont en bois. Il va nous falloir protéger nos arbres comme nos livres. La force de la dOCUMENTA est de nous inclure dans cette interaction art-nature pour penser autrement notre «sensibilité» politique.

Rien de surprenant qu’au hasard d’un chemin, je sois invité par Janet Cardiff et Georges  Bures Miller (découverts au Printemps de Septembre à Toulouse) à m’asseoir sur un tronc d’arbre pour écouter des chants et des cris qui émergent de la profondeur de la forêt. Cette installation renoue avec la tribalité. J’aurais pu y rester des heures tant le chant des oiseaux et le bruit du vent donnaient le tempo à cette symphonie en bois majeur.

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Plus loin dans le parc, je tombe sur l’édifice en bois de Sam Durant. Entre camp de concentration et nouvel habitat écologique…Un seul escalier pour monter et bien d’autres pour descendre. Mais leurs marches ne touchent plus le sol. La vue est magnifique comme si le paysage se dévoilait différemment : ces escaliers vers le vide m’invitent à repenser le rapport terre-ciel à partir de mon corps, centre de gravité. Puissant.

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Au Fridericianum, les oeuvres de Charlotte Salomon m’ont bouleversé. Cette artiste peintre vécut dans l’Allemagne Nazie avant de fuir pour le sud de la France où elle sera déportée à Auschwitz. Elle laissa nombre  d’oeuvres troublantes où le texte côtoie le pictural, à l’image d’un documentaire d’aujourd’hui. À partir de trois couleurs (rouge, bleu, jaune), elle «dépeint» le contexte de l’époque. Une oeuvre me sidère : celle d’un rassemblement nazi. Ils semblent marcher vers moi. C’est inéluctable. L’art n’y peut rien. En me retournant, git à terre un arbre sans feuille. Il ne renaîtra jamais. Il pleuvra toujours sur nos forêts les cendres de l’innommable.

Que penser du choix de dépouiller l’entrée du Fridericianum? Vous serez surpris de ressentir le vent s’y engouffrer (nouvelle référence à la nature?) et de terminer votre errance dans une pièce où une voix douce chante un refrain à l’infini. Ceal Floyer me propose de lâcher bien des repères: il n’y a rien à voir. Juste à écouter cette boucle et plonger dans une spirale ascendante où je m’élève peu à peu. La répétition fait son oeuvre pour y puiser le plaisir du familier et l’angoisse d’un jeu sans fin. À l’image d’un questionnement permanent: que viens-je faire ici ?

Pascal Bély, Le Tadorne

dOCUMENTA à Kassel (Allemagne) jusqu’au 16 septembre 2012.

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PETITE ENFANCE

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

En mai dernier, tandis que le Festival des Arts battait son plein à Bruxelles, se tenait au même moment le Festival International de la toute petite enfance au Théâtre de la Montagne Magique. Tandis que le premier empilait des esthétiques sans fond, le deuxième proposait des formes exigeantes pour un public de tout-petits (moins de trois ans) curieux et participatif. Petit compte-rendu d’un beau «festival des arts».

«Ultra» est une oeuvre chorégraphique conçue et interprétée par Melody Willame du Zététique Théâtre. Ici, la danse est dans tous ses états: à la fois narrative et conceptuelle, elle accueille la sensibilité de chacun. Le décor est d’ailleurs très étrange: des livres suspendus et une commode dans un coin. À l’immatérialité répond un mobilier avec ses tiroirs secrets. Dès le commencement, Melody Willame s’amuse à faire dialoguer le savoir des livres et le «corps du savoir» : la danse a donc toute sa place dans les apprentissages fondamentaux! Mais elle ne s’arrête pas là. Cette jeune artiste frondeuse n’hésite pas à se plonger dans une mer de plastique (dont elle tire le noble matériau d’un tiroir de la commode) pour qu’émerge le corps embryonnaire: nous dansions déjà avant de naitre! Elle ose filer la métaphore de la (re)naissance en plongeant ses bras dans ce mobilier aux multiples fonctions pour en sortir colorée de rouge! Il se dégage de l’ensemble une ode à la liberté du corps pour libérer l’esprit des contraintes matérielles (même si parfois, la danse m’est apparue un peu déstructurée). Le public prend plaisir d’autant plus que notre danseuse se moque avec bienveillance du tutu.  “Ultra” est un beau «rituel» de «passage» entre danse classique et danse contemporaine.

«Lampje, lampje» du couple Hollandais Wiersma & Smeets est probablement l’une des propositions les plus enthousiasmantes de mon vécu de spectateur en compagnie des tout-petits! Ici, deux rétroprojecteurs et divers ustensiles qui se projettent. Nous voici embarqués sous la voute céleste des objets flottants où chaque scène est un miracle tant l’infiniment petit devient gigantesque. Nos deux metteurs en scène de cinéma en plein air s’amusent à créer l’univers des rencontres improbables teinté de lumières fugitives et multicolores. Peu à peu émerge un espace capable d’accueillir tous les imaginaires, où l’art contemporain fait dialoguer le sens de l’observation et le plaisir de la divagation. «Lampje, lampje» est un conte des cavernes pour lutins affamés d’histoires féériques.

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«Azuki» d’Athénor par Aurélie Maisonneuve et Léonard Mischler est une perle posée sur un écrin théâtral pour un opéra miniature en plusieurs dimensions picturales! De leurs voix profondes et accueillantes, ils dessinent un paysage de sables colorés et de galets. Peu à peu, on se laisse aller à ressentir le chant comme une matière à explorer à moins qu’ils ne sondent nos contrées enfouies. Ces deux beaux acteurs aux gestes délicats délient et relient les matières, les sons et les corps à partir d’un fil qui, en toile de fond, traverse ce qui sépare le beau de l’oeuvre.Peu à peu, leur chant m’envole et petits et grands, à l’unisson, lisons sur la toile : «le fil se détend maintenant le cerf-volant est une portion de ciel». Je suis aux anges.

Le théâtre pour tout-petits démontre une fois de plus qu’il est un grand théâtre, parfois en avance sur ce que l’on peut voir ailleurs. L’écriture y est soignée parce que le jeune enfant est considéré comme un spectateur qui, pour prendre la parole, puise dans ses ressentis. Me revient une phrase du pédopsychiatre Patrick Ben Soussan, qui dans un de ses livres («Les bébés vont au théâtre») écrit : «Précisons que le trouble prêté au théâtre, n’est pas un état, mais un processus: il a  un lien avec l’incertitude, le complexe, l’indéterminé. Comme l’enfance!»

Avant de chercher à tout prix ce qui est «émergent», certains programmateurs devraient faire un tour vers ce théâtre-là pour y ressentir ce trouble auprès des tout-petits, de leurs parents et de leurs éducateurs. Pour qu’ils ouvrent leur institution à ce petit spectateur à l’imaginaire si foisonnant.

Pour qu’ils apprennent le respect et l’humilité.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Azuki» d’Athénor par Aurélie Maisonneuve et Léonard Mischler.

«Lampje, lampje» de Wiersma & Smeets.

«Ultra» de Melody Williame du Zénétique Théâtre.

Au Théâtre de la Montagne Magique à Bruxelles du 17 au 20 mai 2012.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES PAS CONTENT Vidéos

Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Je ne m’attendais pas à une telle perte du propos artistique et de la mise en scène. Que s’est-il donc passé au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, pour qu’aucune oeuvre ne soit venue me chatouiller, me surprendre, m’émouvoir.  Après quelques hypothèses émises dans un précédent article, suite et fin avec ce deuxième compte-rendu.

Árpád Schilling est un metteur en scène hongrois. «À papn?» aurait pu être un événement théâtral: une immersion dans un village reculé de Hongrie où une enseignante envoyée par l’Union Européenne introduit le théâtre au collège mais doit affronter l’opposition d’un collègue à cheval sur le dogme catholique. Les enfants et leurs éducateurs sont sur le plateau tandis qu’un documentaire documente à partir de témoignages sur ce conflit entre art et religion, modernité et tradition. Les enfants jouent leur propre rôle à moins que ce ne soit une mise en abyme (un atelier théâtre porté à la scène) dans laquelle nous sommes mis à contribution (ce moment tombe totalement à plat).

Le théâtre est le grand perdant de cette forme hybride : on s’y ennuie souvent tandis que le documentaire nous captive dans ce dilemme qui divise la communauté. Árpád Schilling aurait pu convoquer un auteur pour créer le dialogue entre la scène et l’écran. Mon regard bienveillant s’est porté sur ces enfants forts et fragiles qui sont mes concitoyens d’Europe. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens du travail de Florence Lloret présenté à la première Biennale des Écritures du Réel à Marseille en mars 2012. Dans « L’alphabet des oubliés»,  le documentaire sur les enfants servait leur théâtre et le nôtre.

Autre ambiance. Rendez-vous au Kaaistudio’s pour «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser. Ce dernier incarne le narrateur, tout juste accompagné d’une malle aux trésors dont les différents tiroirs font office de décor d’un conte compliqué et ennuyeux. Ici aussi, le Kunsten joue avec les formes hybrides en invitant ce philosophe et metteur en scène à nous proposer ce «transformatador» («un genre performatif littéraire et visuel qui transforme l’énergie quotidienne en une créature mythique avec des pattes élégantes, des ailes grotesques, des ongles politiques et de grands yeux inquisiteurs. En bref, un être qui rendrait même les toréadors nerveux»). Vous ne saisissez pas l’intention artistique ? Moi, non plus. Pendant une heure trente, je m’accroche à Pieter de Buysser. Mais son jeu ne me dit rien, car son corps théâtral est absent. La malle est probablement l’objet le plus fascinant même si elle ne délivre pas tous ses secrets. Ce conte «postmoderne» se perd parce que la fiction qu’il déploie n’est pas «théâtre». Tout juste une «lecture» performative. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens des oeuvres de l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat. Cet homme me ravit car nos chemins se croisent, à pas contés.

Cette fois-ci, cela commence plutôt bien. Ils sont quatre sur scène: un belge (Pieter Ampe), deux portugais (Guilherme Garrido et Nuno Lucas), un allemand (Herman Heisig). Chorégraphes et danseurs, leurs corps se comparent aisément : petit, grand, maigre, costaud, poilu, imberbe. Manque la couleur : ils sont blancs. Quatre mecs qui dès le début se disputent la vedette autour d’un micro qui ne tarde pas à devenir la béquille de leurs talents si fragiles! Pour sortir de cette escalade, ils convoquent le théâtre, la danse, l’installation performative: qui rira bien qui rira le dernier! Ainsi, l’un glisse sa tête dans un ballon qui gonfle à vu d’ici (d’où l’expression «avoir la grosse tête»), tandis qu’un autre, puis un autre, entrent dans ce même ballon (si, si, je vous assure !). Comment ne pas penser à Magritte, aux surréalistes? C’est drôle et touchant. Mais peu à peu, le malaise s’installe: la danse est moquée jusqu’à lâcher la belle entreprise. Ils convoquent le divertissement (qui, du coup, ne fait plus rire) et finissent par tout casser lors d’un concert rock au ralenti assez pathétique (n’est pas Pierre Rigal qui veut).

Me revient alors le spectacle de Sophie Perez et Xavier Boussiron, «Oncle Gourdin», présenté au dernier Festival d’Avignon. Même rythme et successions de numéros qui moquent l’art chorégraphique jusqu’au final apocalyptique. Dans les deux cas, le propos est réactionnaire: au-delà de leur génie (qui est bien sûr immense, d’où la scène avec le ballon), il n’y a plus d’avenir pour eux, donc pour nous. Cette vision romantique du statut de l’artiste m’effraie: elle prépare le fascisme. À mettre en lien avec mon précédent article où je démontre comme l’esthétique de la communication a contaminé les arts de la scène au cours du festival. Est-ce encore de l’hybridité ?

Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je convoquerai la plus jeune génération pour qu’elle dialogue avec la plus âgée, en attendant que les trentenaires dépressifs fassent leur thérapie en dehors des plateaux. Je pense alors à l’oeuvre d’Anna Halprin et Morton Subotnick («Parades and changes, replay in expansion») créée en 1965, censurée pendant 20 ans aux États-Unis et revisitée en 2010 par la chorégraphe Anne Collod. La danse y était est un art total qui nous déshabillait pour nous inclure dans la parade du chacun pour tous.

“Matadouro” du chorégraphe brésilien Marcelo Evelin allait-il enfin me surprendre? Nu, il sonne l’alerte avec un tambour. Des aboiements accompagnent ces premiers pas. Il est rejoint par six hommes et une femme qui, après s’être déshabillés, tournent le dos au mur. Prêts à être exécutés et sauvés. Ils portent un masque et une machette collée dans le dos. Corps social et politique? Ils entreprennent alors une ronde infernale autour d’un micro sur le «Quintette à cordes en ut majeur» de Franz Schubert. C’est très éprouvant.  À la fois meute guerrière et pacifistes déterminés, je peine à les suivre dans leur recherche. Où vont-ils ? Peu à peu, ils me larguent même si je saisis la métaphore d’une «résistance» à toute épreuve. Mais je n’en suis pas. C’est en dehors de moi. Ici aussi, le final est sans appel. Tout ça pour ça?Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens de «Révolution» d’Olivier Dubois où douze femmes résistèrent en dansant le boléro de Ravel autour d’une rampe: «Je suis pris dans cette dynamique incroyable où le corps intime (symbolisé par la rougeur de l’effort et leurs perles de sueur) entraine le corps social, qui ne renonce pas même en l’absence d’un chef ! Telle une spirale ascendante, les phrases chorégraphiques finissent par créer une poésie particulière où le Boléro se métisse de rock et de jazz. La barre tremble sous le poids du corps, mais ne plie pas: elle est roseau; le corps est lierre, tresse et enchevêtre. La puissance au lieu du pouvoir !».

En 2013, je n’irai pas à Bruxelles. À moins d’un Festival des Arts pour l’imaginaire.

Pascal Bély , Le Tadorne.

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 «A papn?» de Árpád Schilling / «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser / « A coming community » de Pieter Ampe, Guilherme Garrido, Nuno Lucas et Herman Heisig / «Matadouro» de Marcelo Evelin au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles du 16 au 21 mai 2012.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Les Offinités du Tadorne au Off d’Avignon : le chemin se fait en marchant.

Pour cet été 2012, un souffle de renouveau se dessine pour les spectateurs Tadorne (rappel : en êtes-vous ?)…

Au point de départ, une étincelle. C’est une rencontre entre Pascal Bély, le Tadorne, et Christophe Galent, chargé de la communication au festival OFF d’Avignon, qui ouvre cette orientation.

A l’origine, l’été dernier, un partage de plateau entre Sylvie Lefrere et Pascal lors d’une rencontre avec le public sous les tentes du village du Off: il a été le curseur déclenchant l’élaboration de ce projet d’ «Offinités» (rappel ici). Depuis, tout va très vite.

Car il faut bien l’avouer: en France, c’est la première fois qu’un «opérateur culturel» fait à ce point confiance à deux spectateurs éclairés pour leur confier une partie de sa communication vers le public par l’animation d’une série de tables rondes. Sommes-nous à la croisée d’un changement de paradigme, nourri par le besoin d’un élan créatif  pour dynamiser un marché artistique prisonnier de ses corporatismes? N’est-il pas temps d’ouvrir des espaces à ces amateurs, qui ne sont plus consommateurs passifs, mais dans une quête de mise en réseaux avec d’autres spectateurs, en lien avec les différents professionnels et artistes ? Toutes ces questions vont rester ouvertes jusqu’en juillet.

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Depuis quelques mois, nous nous sentons bâtisseurs dans l’élaboration de ces «Offinités» et passeurs puisqu’articulés avec la dynamique du projet global du Off telle qu’elle a émergé lors du colloque du 12 avril 2012 («Le off, une dynamique d’utilité publique»).

Puis ces dernières semaines,  la tension monte lentement. Le flux des écrits par mails, de contacts téléphoniques, de rendez-vous via Skype, de rencontres irrigue nos réflexions. Une mutation s’opère, comme si nous devenions à notre tour des opérateurs dans la démarche d’élaboration d’un espace de communication, avec des désirs de partage, de recherche, de co- construction…Après avoir pensé une organisation globale, nous structurons  de façon horizontale. La complexité se dessine, prend la forme d’un rubis cube et nous découvrirons, au fur et à mesure, les aléas de ces compositions surprenantes.

Avec le soutien de Christophe Galent, la recherche du sens irrigue ce projet pour réunir spectateurs et artistes avec le désir de réinventer des espaces pour un festival régénéré. Leur festival.

Pascal Bély,  Sylvie Lefrere. Tadornes. 

« Les Offinités du Tadorne » du 10 au 21 juillet 2012 au village du Off à Avignon.

Pour participer, nous contacter au 06 82 83 94 19 ou par mail pascal.bely@free.fr

Photo: Mathilde Monnier, “Tempo 76”.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES PAS CONTENT

Mon périple Bruxellois (1/3): trop sympa le KunstenFestivaldesArts !

Un festival est une articulation complexe entre un projet artistique, une communication à partir des valeurs et un management respectueux. Grâce à sa fondatrice Frye Lysen, le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles promeut le dialogue entre Flamands et Wallons, encourage des esthétiques peu reconnues, ouvre le théâtre à la danse, invite des artistes du monde entier. Mais depuis deux années, cette dynamique s’essouffle et 2012 signe peut-être ma rupture. Dès le mois de mars, j’ai été particulièrement choqué par une annonce sur le site du festival («Le Kunstenfestivaldesarts cherche des bénévoles! Tu as du temps libre pendant le mois de mai? Tu as l’intention d’assister à beaucoup de spectacles au festival? Et bien sûr tu voudrais payer tes tickets moins chers? Nous avons une solution pour toi: contribuer au festival en intégrant notre équipe de bénévoles!”). Ainsi un langage publicitaire «sympa» fait la promotion d’un travail gratuit, en échange de billets soldés, signifiant qu’une relation à l’art se monnaye alors qu’elle est «censée nous faire réfléchir» (dixit le directeur Christophe Slagmuylder à la télévision belge). En avril, je m’étonne de lire la page Facebook du festival en anglais et non dans les deux langues (flamand et français) comme auparavant. La réponse ne se fait pas attendre : «Sur Facebook c’est en anglais et cela fait déjà un petit temps. C’est bien plus direct comme cela non? Et bien plus adapté à l’outil…». Ce n’est pas signé. Facebook n’est qu’un vulgaire tableau d’affichage alors qu’il est censé mettre du liant entre programmateurs, artistes et spectateurs. Et si la stratégie de communication et de management était liée au projet artistique du festival? Première démonstration à partir de mon périple festivalier du 16 au 20 mai inclus?

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La proposition du collectif Berlinois Rimini Protokoll confirme mon hypothèse. Au théâtre KVS-Bol, le staff divise les spectateurs en groupes. Je suis casé pour suivre le circuit bleu. On me parle en anglais. Je fais remarquer que je suis français. Aucune réaction. Le périple dans le théâtre commence par une série d’ateliers censés nous immerger au c?ur du Nigéria dont le PIB devrait dépasser celui de la France d’ici 50 ans. Un homme nous installe dans une salle de réunion pour évoquer l’économie du pays. En anglais. Je ne comprends pas. Je m’en inquiète auprès d’un membre du staff (probablement recruté comme “bénévole”) qui me tend un livret résumant la performance. L’oeuvre est ainsi réduite à un synopsis?dans lequel je lis qu’une salle des marchés est un théâtre avec un metteur en scène, des acteurs. Avec Rimini Protokoll, tout est une métaphore du théâtre. Soit. Au deuxième atelier, le scénario se reproduit et, fait rarissime, je quitte le KVS. Rimini Protokoll se représente l’économie en cases, exclusivement basée sur des échanges marchands. Faute d’artistes, il installe des acteurs (comme vous et moi) pour incarner leur propre jeu professionnel. L’art aurait pu nous immerger dans l’interdépendance, dans une articulation entre l’économique, le social et le culturel. Mais «Lagos Business Angels» est un dispositif inspiré par des communicants qui dénoncent, mais qui n’énoncent pas tout en excluant les spectateurs qui ne parlent pas la langue dominante. Un d’entre eux me faisait remarquer dans un mail : «j’ai eu l’impression d’être à un séminaire organisé par une ONG». Ainsi, l’esthétique de la communication d’entreprise a pris le pas sur l’art. Flippant.

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Mais je n’ai encore rien vu. Le lendemain Anna Rispoli et Edurne Rubio nous convoquent au pied de la tour de l’École Hôtelière du Campus Elishout à Anderlecht. Ici aussi, nous voici divisés en deux groupes de spectateurs, casques sur la tête pour y entendre des bruits de circulation, des champs d’oiseaux et une narratrice dans le rôle de?la tour (sic). Une des «actrices» nous accompagne. Je la sens?«habitée» dans son statut de «médiatrice» performeuse tandis qu’elle ralentit nos pas au c?ur du parc du campus. Ce périple nous guide au 13ème étage (je vous épargne les arrêts?) où «la voix» nous parle de son statut peu enviable de tour. Le texte est sans distance, collé au réel (jusqu’au passage digne d’une publicité pour site porno où d’une voix langoureuse, elle évoque les mains qui s’accrochent à sa rampe d’escalier et les corps qui frôlent ses murs). C’est vulgaire, sans recherche, à l’image des produits confectionnés par les Offices du Tourisme. C’est du «théâtre réalité» sans  poète, sans artiste en chair capable de nous extraire de cette écriture métaphorique sans relief. C’est de l’installation pour nous faire vagabonder. Mais qui suis-je au final ? Un spectateur  qui consomme de  la com’. «C’est sympa» me dit une spectatrice. Suffisamment sympathique pour empêcher tout regard critique au risque de passer pour un «emmerdeur».

Mais je n’ai encore rien vu. Cette fois-ci, ils sont quatre (Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille) pour «Hoog Gras». C’est une installation posée sur la scène du KVS. Ici encore, les spectateurs sont divisés en plusieurs groupes, entourés de différents écrans et de haut-parleurs. Il s’agit de nous immerger dans la psychologie d’un enfant soldat tout en proposant au public «un spectacle sensoriel». Sauf que je n’ai strictement rien ressenti de ce flot d’images si ce n’est une belle esthétique sur un sujet terrible. La sophistication de l’installation renforce ce sentiment d’un «art» qui nous prend de haut et nous éloigne durablement de la profondeur de la musique de Dominique Pauwels et des voix du ch?ur des enfants du Théâtre de la Monnaie. Ce «théâtre-là» est effrayant, car désincarné alors que son propos réclame la chair. À corps et à cris.

Mais je n’ai encore rien vu. Le chorégraphe Brice Leroux présente «Flocking-Quintet». S’inspirant des systèmes d’autoorganisation spatiale des groupes d’animaux, cinq danseurs (affublés d’une robe rigide pour princesse obsessionnelle) tournent sur eux-mêmes à côté d’un piano mécanique qui se déplace également accompagné d’une boule de lumière blanche. Pendant une heure, ça tourne entre chien et loup. Ça tourne. Dans le vide sidéral. J’ai encore en mémoire, la grâce mécanique d’Anne Teresa de Keersmaeker dans «Rosas Danst Rosas». On ne devrait jamais penser à elle. Cela coupe tout. Brice Leroux conceptualise, mais ne dit pas. Il cherche, mais ne trouve rien. Mais, comme me le soufflera une spectatrice, «c’était sympa à voir».

Ces quatre propositions ne créent pas les conditions d’un renouvellement de la pensée et du regard critique. Elles s’appuient sur l’illusion groupale comme vecteur de communication entre l’artiste et l’individu. Mais à aucun moment, celui-ci n’est considéré dans ses particularités. Il consomme de la performance et de l’esthétique sans qu’il lui soit possible d’interroger la pertinence de ce qu’il voit. La relation à l’art est si distendue qu’elle ne permet pas la rêverie, tout au plus l’éloignement. Le caractère «sympathique» de la proposition joue sur un lien affectif factice, prémice d’un autoritarisme qui ne dit pas son nom.

L’art se déploie dans la pensée. Hors d’elle, il n’est que produit et finit sa trajectoire sur le page Facebook du Festival. Sans amis.

Pascal Bély, Le Tadorne.

A lire aussi:

Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

Brice Leroux –  «Flocking-Quintet » – du 19 au 23 mai 2012.

Rimini ProtoKoll « Lagos Business Angels » – du 17 au 19 mai 2012.

Anna Rispoli et Edurne Rubio , « Retroterra : audio tour / performance » du 12 au 18 mai 2012.

Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille – «Hoog Gras» – du 12 au 20 mai 2012.

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LA MUSIQUE EST DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avec Maud le Pladec, la musique a du corps.

Combien d’oeuvres de danse contemporaine considèrent la musique comme fond sonore pour chasser un silence pourtant vecteur de sens ? Ce soir, il en va tout autrement. Trois interprètes ne dansent pas sur une musique. C’est la musique qui chorégraphie  leur corps. Je joue avec les mots? Probablement, mais c’est la première image qui émerge à l’issue de «Professor/Live» de Maud le Pladec avec l’ensemble musical Ictus. Cinquante minutes euphorisantes, énergisantes, palpitantes où mon corps a eu quelques difficultés à contrôler mes pulsations rock’embolesques. Comment est-ce possible que trois danseurs soient à ce point si virtuoses pour restituer avec humour et présence, le rock électronique et symphonique du compositeur Fausto Romitelli

«Professor/live» est une succession de trois «leçons», trois chapitres ouverts où j’ai plongé, où mon corps a littéralement interagi à ce croisement musique-danse comme si de ma place, j’animais cette articulation. Rarement une danse ne m’a à ce point accueilli comme un mélomane en puissance et je le dois en grande partie au solo époustouflant de Julien Gallée Ferré qui a su m’apprivoiser. À le voir approcher cette musique si fluide qui lui échappe des doigts, je m’étonne d’entrer si facilement dans la partition. Tandis quel’ensemble Ictus est derrière le rideau noir, ses membres sont instruments, son corps est orchestre. Je le suis du regard tandis qu’il occupe l’espace là où le son ne va pas. Tel un centre de gravité, la musique déséquilibrée trouve son point G à partir d’une chorégraphie si virtuose qu’elle pourrait orchestrer les ressentis des spectateurs ! Il laisse entrevoir un filet de lumière d’où je devine l’ensemble Ictus: ce geste d’une belle élégance me signifie la bonne distance du danseur en maître des lieux. Julien Gallée Ferré devient à son tour musicien, au sens propre comme au sens figuré, alors qu’il intégre l’orchestre pour amplifier les vibrations de son corps avec une basse. Le danseur se permet tout et cette liberté est totalement jouissive. Mais je n’ai encore rien vu, rien entendu tandis que deux complices le rejoignent pour jouer au chat et à la souris, entre chien et loup.

On les croirait frères, telles des cellules d’un même corps qui entreraient en collision pour créer l’illusion d’une partition fraternelle. À ce jeu là, l’univers de la bande dessinée s’invite pour ajouter à la chorégraphie de Maud le Pladec, sa part d’ombres et de lumières, d’apparitions et de disparitions. N’est-ce pas cela la musique ? Je me surprends à me voir jouer avec eux, très à l’écoute de leur musicalité. Je lâche prise. Je suis “multiprises”.

Tandis que la musique se fait plus oppressante, nos danseurs ralentissent leurs gestes. De l’effroi, à la peur, à la catastrophe, la bouche est trombone, les lèvres sont violon. Nos ressentis sont notes et le groupe est la partition musicale de nos métamorphoses. Derrière eux, le rideau de scène  s’ouvre et se ferme, se  découvre et recouvre tel un voile pudique posé sur nos symphonies imaginaires. Couchés ou debout, leurs corps respirent la musique jusqu’au moment fatal où de nouveau seul, Julien Gallée Ferré nous invite à divaguer avec nos fantômes. La ligne a été franchie. La musique se perd dans l’inconscient. Elle est langage.

Ils peuvent revenir vers nous. Alignés, nos danseurs jonglent avec les notes et propagent pour démultiplier les sons puis peu à peu, ils s’entrechoquent, s’articulent. La chorégraphie crée la partition des corps-musiques: nous voici au-delà de l’imaginable, assistant à la création d’une symphonie où les corps orchestrent la vie et la mort, le conscient et l’inconscient, le  geste et le mouvement.

Nous sommes les enfants du rock.

Mortel(s).

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Professor / Live » chorégraphie de Maud le Pladec avec l’Ensemble Ictus au Théâtre de la Criée de Marseille le 15 mai 2012 dans le cadre du Festival « Les musiques ».

Maud le Pladec sur le Tadorne à propos de “Poetry“.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Frédéric Fisbach “dépressive” Juliette Binoche.

Juliette Binoche est à l’affiche du Théâtre de l’Odeon à Paris du 18 mai jusqu’au 24 juin 2012. Retour sur “Mademoiselle Julie”, vu au dernier Festival d’Avignon. A fuir…

J’hésite. J’ai mon billet  pour «Mademoiselle Julie»,  mise en scène par Frédéric Fisbach avec Juliette Binoche. Je doute. L’agent d’accueil du Festival d’Avignon m’attend. J’hésite. Une professionnelle de la culture me repère et me lance : «n’y va pas, tu n’aimeras pas». J’admire ceux qui ont des certitudes à votre place. J’hésite. Fréderic Fisbach, c’est risqué. Je n’ai pas oublié «Les feuillets d’Hypnos» qu’il présenta en 2007 dans la Cour d’Honneur alors qu’il était l’artiste associé du Festival. Jamais la Cour n’avait subi un tel outrage. Je n’ai pas oublié la façon dont il a coupé un équipement culturel («le 104» à Paris) de son quartier, l’obligeant à rendre les clefs d’un établissement déficitaireJuliette Binoche, ce n’est pas rassurant. Elle véhicule un tel imaginaire autour du cinéma. Sans vouloir l’enfermer trop vite, Binoche c’est du cinoche. Nicolas Bouchaud, c’est ennuyeux. Son jeu appuyé ne m’a jamais traversé.

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Finalement, j’entre. Premier rang. Le décor m’est familier : murs  blancs, des néons, des vitres et des troncs d’arbres. Comme d’habitude avec Fréderic Fisbach, j’ai l’impression d’être dans une galerie d’art contemporain. Il sait aménager l’espace pour figer la communication.

Julie est fille d’un conte. Profitant de l’absence de son père, elle organise une fête le soir de la Saint-Jean. Elle fait l’amour avec Jean, son valet. La ligne a été franchie : ils sont prêts tous les deux à poursuivre leur aventure en quittant la Suède pour ouvrir un hôtel en Allemagne. Mais leur différence de statut aura raison de leur folie. Ils restent. Elle se tue.

En 2011, quelle interprétation en fait Frédéric Fisbach ? Je ne doute pas du scandale qu’a pu provoquer cette pièce à sa création en 1906. Mais en 2011?Le jeu des acteurs peine à restituer un conflit de classe, tout un plus une divergence de projet. Dans quel environnement  vit Frédéric Fisbach ? Probablement celui qu’il singe lors de la fête entre « amis » où des comédiens amateurs se déhanchent en fond de scène: relations codées, aseptisées, où l’on fait semblant d’en être. Culturellement, Jean et Julie sont si proches que leurs corps adoptent les mêmes codes de comportement. Nicolas Bouchaud n’incarne qu’un employé de classe moyenne qui trouve en Mademoiselle Julie une opportunité de gagner plus en travaillant plus. C’est un peu court. Psychologiquement, leur relation ne véhicule aucun désir sauf lorsque Bouchaud surjoue la séduction.  Mais tout est factice comme si le théâtre devait cohabiter en permanence avec une caméra. Pour s’échapper de cet enfermement, je finis par n’observer que Juliette Binoche. La star va-t-elle faillir ?La portée politique de la pièce s’estompe très vite, même si je décèle les ressorts d’une classe moyenne qui s’ennuie et sommeille (à l’image d’une partie du public?). Fréderic Fisbach nous lasse : le jeu des acteurs est au service de l’espace, de l’esthétique, les métamorphosant peu à peu en figures désincarnées. Il peine à mettre en scène une tension sociale et psychologique : tout au plus, sait-il la réguler.
Le théâtre de Frédéric Fisbach orchestre le vide, agence les langages tel un puzzle, mais ne sait pas les relier. Quand les « amateurs »de la fête  dansent la ronde de «Nelken» par Pina Bausch, je fulmine : il recycle les gestes mythiques  pour masquer l’absence de propos.
Fréderic Fisbach fait un théâtre dans les pas des autres. Avec Juliette Binoche en tête d’affiche, cela se voit. C’est l’avantage de la lumière : on s’y brûle vite les ailes quand on ne sait pas où l’on va.
Pascal Bély, Le Tadorne
« Mademoiselle Julie » d’August Strindberg mise en scène de Fréderic Fisbach du 8 au 26 juillet 2011 dans le cadre du Festival d’Avignon.