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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français.

Après une semaine au Festival d’Avignon, une évidence s’impose: le théâtre français que l’on m’a proposé est en crise et porte les stigmates d’un système culturel sans vision qui s’enferme dans un entre soi parisien terrifiant. Nous sommes très loin des créations allemandes, flamandes et d’Amérique du Sud qui percutent, embarquent les spectateurs dans un jeu où le corps rivalise avec le texte au profit d’un propos. Ce que j’ai vu à Avignon est profondément mortifère, ancré dans un théâtre où la forme, les effets visuels prennent le pas sur tout le reste. À chaque représentation, je ne me suis jamais ennuyé, séduit par une approche «produit» déconnectée du sens. Je me suis ressenti consommateur, mais jamais sujet.

J’ai subi «La faculté», mise en scène d’Éric Vigner à partir d’un roman de Christophe Honoré, thriller théâtral porté par les jeunes comédiens de l’Académie du CDDB- Théâtre de Lorient. Ici, la mise en espace (la cour du Lycée Mistral transformé en immense plateau de sable fin) s’est substituée à la mise en scène posant l’arrogance comme unique relation avec le spectateur.

Dans «La nuit tombe» de Guillaume Vincent, je n’ai même pas frémi à ce thriller théâtral (encore un !) dans lequel l’auteur – metteur en scène s’amuse à se faire peur. Avec comme décor une chambre d’hôtel, il emboîte différentes situations à partir d’un lien binaire comme seul ressort dramaturgique.

Dans «Six personnages en quête d’auteur» de Pirandello, le metteur en scène Stéphane Braunschweig semble s’être beaucoup préoccupé de faire «vrai» au détriment d’une conduite d’acteurs livrés à eux-mêmes dans une scénographie censée faire sens à elle toute seule.
Dans «Plage ultime» de Séverine Chavrier, un collectif d’acteurs trentenaires dépressifs s’enferme dans une vision romantique du monde dans laquelle nous observons à défaut d’être ému (ce dernier point étant un détail pour la metteuse en scène).
Mais de quels maux souffre donc ce théâtre? En premier lieu, tout est cérébralisé: le corps supporte le texte, mais ne le porte pas. Le jeu s’enferme dans la déclamation (dans «Six personnages…», on frôle même la caricature), dans une scénographie sophistiquée qui nous impose  des acteurs posés comme des pions (dans «La Faculté», ils passent plus de temps à se déplacer qu’à créer du mouvement). Affublés pour certains de micros, immergés dans un dispositif vidéo leur faisant concurrence, l’environnement technologique leur impose un tempo nous empêchant de ressentir la chair. On se contente tout au plus d’allures. Dans «Plage ultime», je peine même à identifier qui joue!
C’est un théâtre du comportement là où le théâtre européen nous avait habitués à un corps performatif, engagé. En 2012, les acteurs français ne transpirent pas. Ils ne sécrètent rien, car asséchés par les reflets de leurs miroirs.
J’ai été particulièrement étonné par la sophistication de la scénographie inspirée d’une culture du «design relationnel» là où le théâtre a me semble-t-il besoin d’objets signifiants (ou flottants). Nos metteurs en scène semblent très influencés par les ressorts de la téléréalité où il convient de faire «vrai» au détriment de la poésie. Nous sommes très loin des chaises de Pina Bausch, du mobilier recyclé du théâtre argentin, des objets d’art du théâtre belge. Cube blanc, table sans âme, échafaudage, décor en carton-pâte d’un cinéma de série B peinent à relier corps et dramaturgie pour des textes très plats. Serions-nous à ce point en panne d’auteurs pour subir une écriture démonstrative, explicative, si peu poétique (mention toute spéciale à Christophe Honoré et Guillaume Vincent). D’ailleurs, ces quatre mises en scène font souvent diversion à partir d’artifices répétitifs (provoquer constamment la peur dans «La nuit tombe», impressionner en convoquant un gros camion et des motos sur le plateau de «La Faculté», déplacer en permanence le décor dans «Plage ultime» pour «mettre» en scène, utiliser la vidéo pour fabriquer le 4ème mur à défaut de l’incarner dans «Six personnages..“). J’ai d’ailleurs été frappé par la façon dont ces quatre metteurs en scène structurent leur dramaturgie. Tout au plus deux ou trois “jeux” déclinés à l’infini jusqu’à donner  l’impression d’être pris dans un engrenage sans fin. On «fabrique» un théâtre  qui impose une «mécanique» de jeu au détriment de l’improvisation et du plaisir d’être sur scène. Je finis même par ressentir le cynisme comme unique forme d’engagement politique.
Jour après jour, le lien entre ces quatre oeuvres forme un étrange paysage: celui d’un théâtre d’État, de commande, qui permet probablement aux institutions d’avancer leurs pions dans un jeu d’échec où le public n’est qu’une variable d’ajustement. La question n’est plus de savoir s’il y a ou pas prise de risque dans un changement de paradigme (ce questionnement est au centre des propositions d’Angélica Liddell, Thomas Ostermeier, Roméo Castellucci, Rodrigo Garcia, …). Cette année, au Festival d’Avignon, un petit cercle d’auteurs et de metteurs en scène impose leur vision consumériste du théâtre, celle qui leur permet d’afficher un produit sans odeur, sans matières qui tâchent, sans fuite pour être aisément exportable sur des scènes dépolitisées.
Ainsi, le spectateur se trouve privé d’interroger leur légitimité puisqu’il n’est jamais interpellé.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Six personnages en quête d’auteur », mise en scène de Stéphane Braunschweig du 9 au 19 juillet 2012.
«  La nuit tombe » mise en scène de Guillaume Vincent du 10 au 18 juillet 2012.
« Plage ultime » mise en scène de Séverine Chavrier du 9 au 15 juillet 2012.
« La Faculté », mise en scène d’Éric Vigner du 13 au 22 juillet 2012.
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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, la Cour dans tous ses états…

«Le maître et Marguerite» de Simon Mc Burney présenté dans la Cour d’Honneur divise les Tadornes. Pascal Bély est très réservé sur ce spectacle «qui mobilise la pulsion, la même qui nous conduit dans les pièges posés par le consumérisme le plus abject.».

Sylvie Lefrere a un tout autre avis… 

Le Palais des Papes est plein pour cette première représentation. Les trompettes résonnent sous les gradins, et réveillent nos émotions de festivaliers; les spectateurs se pressent, se serrent la main ou s’embrassent au hasard des rencontres. Je suis bien entourée ce soir: amis, familles, journalistes, Ministre de la Culture, comédiens, couturier: tous ensemble spectateurs pour tous nos sens sollicités.

Dés les premières minutes du ‘Maître et Marguerite” par Simon McBurney, le plateau est envahi d’une valse de chaises, glissant à toute vitesse. Ce siège va téléporter notre esprit à différents niveaux. Nous allons traverser le temps: la quête d’un écrit sur Ponce-Pilate nous fait naviguer dans les époques du christianisme, de la Russie de Staline, de la guerre de 1940. Le tout relié par l’écran. La connexion à notre aujourd’hui en parallèle au rêve.

Le mur du Palais des Papes se transforme en gigantesque Google Earth qui nous aspire, nous écrase. Une métaphore de nos addictions de recherches incessantes; toujours plus, toujours plus loin…Il devient l’écran géant d’images subliminales, notamment celle du Christ, qui prend une dimension esthétique fascinante. Les écrans sur les côtés me donnent une vision à facettes de mouche, élargissent le champ de mon regard après un temps d’adaptation. L’accent des comédiens et la force des mots, bientôt, m’emportent. Leurs corps prennent une dimension 3D.

Joseph me renvoie à l’image  de Freud, le Satan à un homme de la Gestapo, le maitre à un Frankenstein humain et fragile, Marguerite à une douce  Louise Brooks poétique, le chat à un Aline Sarkoziste et son acolyte chapeauté tout droit sorti d’Orange mécanique…Dans cette Voie lactée, je me sens fragment de la partition. Ma mémoire se réveille dans cette quête et ces peurs. Mon estomac se noue comme avant un saut au dessus du vide. Le texte, les comédiens sur le plateau, l’image m’envahissent dans une vague qui me ballote dans mes états d’âme. Quel que soit le contexte, les doutes, les tiraillements vers des amours impossibles, les engagements se répètent. Aucune règle. Pas d’erreur, tout est réglé comme dans un bain mécanique.

Je suis à fleur de peau. Le moindre mouvement de mon voisin me secoue. Mes émotions me submergent; je me sens toute petite dans une angoisse enfantine. J’y entrevois un passé historique et un avenir incertain. Simon McBurney devient le magicien d’un soir. Le public est dans un calme religieux. Nous faisons corps tel un collectif pris dans sa toile en projection recto verso. Happé dans la dynamique de l’action qui nous tient. Complices…Rien qu’en écrivant, les larmes remontent, sans que je puisse expliquer pourquoi. Elle va faire son travail intérieur d’habitation de mon patrimoine.

L’achat du texte me servira peut-être d’exutoire …

Sylvie Lefrere de Vent d’art vers le Tadorne.

Sur “Le Maître et Marguerite” , les regards de:

Pascal Bély / Au Festival d’Avignon, l’effondrement.

Francis Braun / Au Festival d’Avignon,”Sympathy for the Devil?…Les Rolling Stones.

« Le Maître et Marguerite » par Simon Mc Burney dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes du 7 au 16 juillet 2012.

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CONCERTS FESTIVAL D'AVIGNON

Ce soir au Festival d’Avignon, la lumineuse Camille.

Certains s’en étonnent. Pas moi. Ce soir, Camille est l’invitée du Festival d’Avignon à la Carrière de Boulbon pour «Ilo veyou». En 2006, j’écrivais à propos de son concert à Bruxelles: «Camille positionne la chanson comme pluridisciplinaire. Elle s’aventure dans le chaos pour faire naître de nouvelles formes artistiques. Programmée par «Les Nuits Botaniques», Camille aurait eu toute sa place au KunstenFestivaldesArts programmé au même moment». Six ans après, Avignon a donc franchi le pas et ce n’est que justice pour celle qui théâtralise et chorégraphie son chant pour embarquer le public dans une danse de mots et d’ombres corporelles.

Retour sur le concert donné en mai dernier à Marseille et qui sera joué ce soir.

Ce soir, au Silo à Marseille, le public ne s’y trompe pas: la confiance est là et nous la suivons dans son embarcation faite de tissus tendus, de lumières qui chaloupent et d’instruments de musique échappés d’un grenier de boites à musiques! Il se dégage une étrange atmosphère ouatée, toute à la fois protectrice et piquante,  à l’image de ces draps un peu rêches où nous aimions nous lover même s’ils nous grattaient…

Cela commence par une naissance. Camille est maman depuis peu. A capella, entourée d’un tissu où elle cache une ampoule, elle chante «Aujourd’hui» pour évoquer l’accouchement. Cela dépasse l’entendement. Ce soir, elle enfante d’un concert éclaireur où elle puise dans l’imaginaire du théâtre pour enfants (apparitions, disparitions ; jeux d’ombres et de lumières), les ressorts de sa créativité et donc de la notre (à l’image des bulles de «Bubble Lady» qui font des ronds dans l’eau sur ma peau). Ici, points de projecteurs descendants qui écrasent. Bien au contraire. Avec Camille, la fragilité d’une petite ampoule est une force pour accoucher d’une danse puisée dans la voix qu’elle fait surface de divagation pour jouer avec nous au chat et à la souris. Rarement la lumière ne m’est apparue aussi primordiale dans un spectacle: elle y projette son corps et ceux de ses musiciens vers les espaces de jeux de l’enfance. A la fin du concert, elle nous convoque autour d’une ampoule boule de feu dans une salle transformée en caverne (pour y entonner, entre autres, un mémorable «Que je t’aime !»). Auparavant, elle aura pris soin de la métamorphoser en cathédrale pour qu’aux chants des spectateurs de l’orchestre répondent les refrains des balcons! Magnifique, magique. Elle ne cesse d’ailleurs de s’amuser des frontières en invitant une vingtaine de spectateurs à rejoindre la scène derrière la toile pour jouer aux chats et chiens («Cats and dogs»). Soucieuse d’unité, elle n’hésite pas à faire monter un homme de droite et une femme de gauche pour une valse sur une chanson patriote dépassée («La France») !
En écho à ses performances vocales, Camille stimule notre créativité. Comme si c’était lié. Et ça l’est! La chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin  a signé la mise en scène. Ce choix n’a rien d’étonnant, car il y a chez Camille le souci de réconcilier le corps et la voix (tant clivés dans les concerts par une machinerie et des technologies qui séparent), de créer une autre relation entre scène et salle. Je pense encore à son essoufflement après une danse qu’elle métamorphose en chant quasi religieux («Pleasure»); il me restera longtemps gravé son visage projeté tandis que l’ampoule s’approche de son corps allongé pour y puiser ce qu’il y aurait de plus intime («Wet boy»). Je n’oublierais pas de sitôt ce chant déterminé contre cet homme qui fait souffrir les femmes («Le banquet»): chez Camille, le corps chante aussi les plaies corporelles de l’amour…
«Ilo veyou» est un concert festif qui vous embarque très rapidement dans une contrée de jeux et de chants. Il y a là un certain état d’esprit: celui de créer les conditions de la communauté.

Celle des fous chantants.

Pascal Bély, Le Tadorne

«Ilo veyou» de Camille au Silo de Marseille le 4 mai 2012. Au Festival d’Avignon le 15 juillet à 23h.

Camille sur le Tadorne:

Camille poétise ma “scène d’amour”.

Camille, à un fil du KustenFestivalDesArts de Bruxelles.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon,”Sympathy for the Devil”…Les Rolling Stones.

«Le Maitre et Marguerite» de Simon Mc Burney présenté dans la Cour d’Honneur divise les Tadornes. Pascal Bély est très réservé sur ce spectacle « qui mobilise la pulsion, la même qui nous conduit dans les pièges posés par le consumérisme le plus abject.».

Francis Braun a un tout autre avis.

Osmose entre la scène et les images. La Cour investie. A une rapidité insolente. Fulgurantes images. Le Bâton est levé, ce bâton que l’on nomme à présent Fenêtre, Porte ou Ouverture, passage obligé, symbole du chemin à gravir. C’est la Fenêtre écho à celles du Mur que Simon Mc Burney aura le talent de faire vivre, d’éclairer ou d’assombrir, de faire trembler ou de laisser se reposer. It’s a Google man utilisant Google Map.

Les images vont se cogner aux  histoires entremêlées. Paf, bang, je mets du sang en image, j’allume les fenêtres, tombe la neige,  j’explose le mur, merde voilà les pierres qui  tombent, c’est un peu facile, mais c’est l’effet escompté. Le monde en image est sur les côtés, les coulisses sont apparentes et les sous-titres très mal placés. Il va falloir jongler: on écoute OU on regarde. Là on ne lit pas, ou alors on lit et c’est dommage, les images s’en vont trop vite. On jongle et à regret on s’habitue. Satan, Woland et sa troupe, les Élites littéraires, Moscou en 1930, le Maitre qui se vend au Diable, l’Amour de Marguerite, Ponce Pilate et le Christ…..

Une allégorie philosophique que cette épopée tragique ou ironique. Épopée qui se balade entre désir de liberté et célébration des Créateurs, où le jour et la nuit chevauchent le Rêve et la Réalité, où le Bien et le Mal se joue l’un de l’autre. Sur le plateau de la Cour, les Péchés des hommes réunis devant nous vont  provoquer la mort innocente d’un Christ décharné…Des peintures classiques et incroyables sur les pierres, le Mur et les flancs. Il y a du Kantor chez Simon McBurney, il y a du Arturo Ui, il y a du Caravage chez lui…

Il est arrivé à faire de ces trois histoires une épopée intemporelle. Pas d’intériorité, pas de sensibilité effleurée. Tout reste extérieur, mais complètement intégré. De choses éparses, il en a fait un tout. Et c’est réussi. Beaucoup de spectaculaire contemporain, mais utilisé avec maitrise, brio et toujours juste.

Des images qui soutiennent et soulignent le propos. McBurney reste hors du temps. Je ne crois pas que ce soit un faiseur malgré ce qu’il annonce. Pas un faiseur en tant que “truqueur”, mais faiseur en tant que fabricant, artisan, créateur. Il maitrise et tient les ficelles. Sa grande habileté transforme l’univers classique en un monde actuel et intemporel.

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Le résultat fait qu’il y arrive avec succès. C’est là, l’utilisation de moyens techniques ingénieux,  dans des habitudes qui ne nous sont pas étrangères. Bien sûr, on se souvient de Roméo Castellucci, Thomas Ostermeier ou Guy Cassiers qui sont passés maitres en vidéo… Il a la connaissance de la magie de la technique. Il sait employer ces “artifices” intelligemment, les intégrer après les avoir digérés. On peut parler là d’intégration et non de superposition. Il y a enfin,  dans ce lieu, le TOUT totalement lié. En fait il y a l’osmose entre un texte et ses images.

Merveilleux crucifié, superbes chevaux qui s’envolent. Je garderai longtemps dans ma tête, ces allusions christiques, ces “peintures corporelles” vivantes et imagées. Je garderai longtemps présents, ses mouvements prolongés, ces tentatives horizontales sur scènes qui, subtilement s’envolent sur le mur vers nulle part. L’humain déshumanisé devient picturalisé sur un mur, un Homme en croix de chair et d’os écorché, mais aussi en image sublimée sur la pierre. Je garderai présente en moi cette croix vivante sur le plateau et sur le mur…Images florentines, images Burneysques et sensuelles…images écartelées, ensanglantées…

Simon McBurney recycle nos images et les métamorphose en une ligne droite, jamais cassée. Elles sont leur propre miroir sur des plans différents. C’est le plateau de la Cour dans les airs, c’est les coulisses sur les côtés, c’est le Mur qui se fracasse, ce sont les têtes qui vont tomber, c’est le sang qui éclabousse, c’est l’amour fragmenté. On s’attendait à un effondrement et se sont les pierres qui sont tombées.

Le talent de Simon McBurney réside dans la synthèse des multiples données littéraires de Boulgakov. L'”entité” ne devient qu’une grande  émotion “tragique”. Tatouée sur les pierres, la courbure d’un mouvement, cette intimité humaine dans un lieu si vaste, cette humilité humaine souffrante sous le regard de 2000 personnes, ces corps enlacés…McBurney a fait dans le fracas intime. Cette fresque fut complètement magnifique. Peut-être emportée plus  par la présence visuelle que par les mots criés en violence. Rien n’est artificiel. Rien ne se substitue aux propos. Force et densité se rejoignent dans cette folie meurtrière.

Un salut quand même au Chat perfide incarné, cruel parmi les cruels. Un salut aux Comédiens qui nous racontent cette histoire, salut à McBurney qui a embrassé la Cour pour se l’approprier, salut au décor minimal, à cette Table-Cercueil, à ce Bar ambulant, à ce lit-hôpital, lieu de toutes les analyses.

On pourrait parler de la Compassion, on pourrait parler de perfidie, on pourrait évoquer la haine et la manipulation. On pourrait parler histoire et géopolitique et enfin on pourrait parler de l’histoire réelle de ce Maître et de sa Marguerite!

Et bien ce sera pour plus tard, je ne veux pas effeuiller le propos…..d’autres l’ont fait, d’autres le feront.

Francis Braun, Le Tadorne

Le regard d’un autre Tadorne: Au Festival d’Avignon, l’effondrement.

« Le Maître et Marguerite » par Simon Mc Burney d
ans la Cour d’Honneur du Palais des Papes du 7 au 16 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au Festival d’Avignon, Steven Cohen, vertigineux petit rat des camps.

Cette après-midi, sous la scène du Palais des Papes, il y a «l’origine». Il y a LE cimetière. Il y a notre conscience de citoyen européen, nos valeurs, même celles que nous piétinons. Sous la scène, il y a le pour quoi du théâtre. Il y a un journal qui page après page souffle aux comédiens LE texte qu’il ne faut pas oublier. Sous la scène, il y a le Camp, les bruits étouffés et les cendres des âmes torturées, des corps déchiquetés.

Sous la scène du Palais des Papes, je me suis engouffré pour en ressortir une heure après, frigorifié, vêtu de noir, poussiéreux. Endeuillé à jamais. Pour toujours.  

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Sous la scène du Palais des Papes, il y a un des «fils» cachés de Jean Vilar. C’est le chorégraphe Steven Cohen. C’est mon «pédé papillon». Depuis quelques années, il se pose régulièrement sur mon épaule. Il est juif et Sud-Africain. Autant dire qu’il est la part abimée de l’humanité dont il soulève le rideau noir pour créer son théâtre où la tragédie prend “corps”. Il a de grands yeux où les étoiles poursuivent leur danse quand le soleil tape. Il n’est pas tout à fait nu: il a juste une petite coquille transparente pour protéger son petit sexe de «pédé papillon» des oiseaux de mauvais augure. Dieu sait s’ils sont encore à l’affut. Steven Cohen est grand parce que nous sommes parfois trop petits pour voir loin. Sous la scène, il a creusé la question de l’Holocauste. Profondément.  Pour montrer ce que le cinéma n’a jamais pu filmer. Pour danser ce que le théâtre n’a jamais pu dire.

Une lumière orange le voit surgir du trou. Celui de l’origine du monde. Il renaît. L’humidité me prend à la gorge. Son cul apparaît. Il est visage, il est “Le cri” d’Edvard Munch. Combien de galeries a-t-il creusées pour arriver jusqu’à nous? Je sursaute tandis que des rats dans des canalisations transparentes assurent le tempo, par petits bruits bien ordonnés. Ils sont derrière moi: j’ai l’impression qu’ils effleurent ma nuque, prêts à me grignoter, à jouer avec mon «refoulé». Ils sont les bons petits soldats des basses besognes. Ils sont venus faire un petit tour sous la scène du Palais. En permission. Probablement de Syrie.

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Steven Cohen apparaît donc pour nous «livrer» le journal intime d’un jeune homme, écrit dans un camp de concentration. On en perçoit certains extraits sur deux petits écrans, semelles de ses immenses sabots de fer qui, telles des mâchoires, enserrent ses pieds. Collé à ses basques, il porte le poids de notre barbarie passée. Il s’approche, longe la rangée des spectateurs pour nous donner à lire sous ses pieds, ce livre tiré de la Bibliothèque Universelle. L’important n’est pas de déchiffrer les mots, mais de les ressentir par son corps, chemin éclairé et étincellant qui explore notre conscience. L’important, c’est que nous ressentions l’effroi quand le corps est pénétré par l’innommable; que nous écoutions ces paroles proférées même si c’était celles de Pétain, celles de la France. L’essentiel, c’est d’entrer par une caméra dans le corps de Steven Cohen pour y percevoir ce que l’homme barbare voit: des galeries creusées qui mènent vers la mort, des trous explorés pour trouver la formule efficace de l’extermination, des plis labourés pour semer la graine du chiendent. Je sens que je m’écroule sous le poids de cette scène où les pas des comédiens qui répètent plus haut« Le maître et Marguerite», résonnent  comme le bruit des bottes. Ils donnent la mesure pour annoncer l’arrivée des rats qui, munis de torches, inspectent l’usine à gaz que Steven Cohen a installée au fond de l’espace.

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Pour l’instant, ils ne nous ont pas trouvés. Je les observe, apeuré. Ils exécutent une danse macabre à partir d’aller-retour indécents. Peu à peu je m’enterre, je m’affaisse, je croule sous le poids de ces petits rats lumineux qui me disent aussi que la danse nous éclairera encore et encore parce que le corps est un trésor de mouvements à explorer, qu’il est le rempart contre les barbaries idéologiques.  Steven Cohen est notre (sur)vivant; il est ce corps universel offert à l’art. Je sens qu’il est la plus belle créature que le Palais des Papes n’a jamais engendrée. Qu’il est ce petit rat qui se faufilera souvent entre nos pattes pour gentiment nous faire trébucher. Et de sa main, il ne cessera de nous aider à nous relever. 

Parce qu’au-dehors, il y a foule pour venir voir les comédiens.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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“Hommage , dédicace à STEVE COHEN , ses rats, sa lumière, sa nudité. Son ÉTOILE JAUNE, son KADDISH, son sous-sol, son constat … Rien de trop, juste. Pas de salut, il part du sous-sol, humble et discret.”

Francis Braun, sur la page Facebook du Tadorne.

Steven Cohen, « Sans titre pour raisons légales et éthiques », au Festival d’Avignon du 11 au 16 juillet 2012.

 

Steven Cohen sur le Tadorne:

Steven Cohen, pédé papillon.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon OFF 2012 / «La femme placard».

Un plateau recouvert de vêtements d’homme pêle-mêle, une femme sur un canapé…Pendant soixante-cinq minutes, nous allons suivre ses émotions, en ayant les nôtres qui trotteront en parallèle.

Chacune  des femmes du public pourra se regarder dans ce miroir sans teint. Comme dans la course d’Alice au pays des merveilles, avec ses frissons de plaisir, ses prises de risque et ses désenchantements. Une femme amoureuse, quoi de plus banal. Habillée dans une chemise d’homme, elle habite ce corps fusionnel. Elle est aveuglée…comme une toute petite fille, noyée dans ses croyances et ses espoirs. Dans notre distance de spectateur,  sa représentation de l’amour résonne tel un cliché, mais fait vibrer en nous une quête intérieure. 

Son questionnement autour du rangement, ce n’est pas pour nous, les autres femmes, mais très vite, par petites pointes, on ressent le liquide amer injecté lentement dans nos veines.  Notre corps s’échauffe, et nous commençons à nous tortiller sur notre siège. Le déroulement de la vie de cette femme, et si c’était nous de près ou de loin? Le théâtre doit nous faire rêver donc on résiste, on sourit…jaune. Après la vision d’un rangement de printemps, on se retrouve dans un sacré capharnaüm.

La position au premier rang nous rapproche de Patricia Kell, la comédienne. On se sent, dans cette proximité, sa “bonne copine”, à vouloir la conseiller. Lui dire, “mais pars!”.  Le cheminement du texte nous fait explorer plusieurs voies; celui de la femme soumise, puis celle qui se rebelle; la version masculine n’est pas négligée entre ses émois, ses atouts et ses faiblesses.

Nous sommes comme des dragons à multiples têtes,  suivant nos âges, nos humeurs. Au-delà d’un mobilier décrit, on se sent vivant, guerrier. La chemise tombe et la féminité reprend le dessus. Notre chair, notre sexe revivent enfin…Mais à quel prix? Famille, enfant, patrie, vous dites? Non, je ne suis pas enfant de Pétain, mais enfant des années quatre-vingt, vent de liberté qui rue dans ce 21ème siècle. Le couple est-il mort pour ouvrir la souveraineté de l’individualisme jouisseur? Ne sommes-nous pas des êtres singuliers et prisonniers de nos sensibilités? Malmenés ou aimés en famille, par les  enfants, les amants, et bousculés par le poids des institutions?

Mais la soif de rêve de liberté d’Alice réapparaît. L’énergie est plus forte. Pas de remords. Juste une mémoire pleine d’empreintes. «La femme placard» fera partie de mon intime et créera des passerelles vers «Le maître et Marguerite» de Simon McBurney vécu intensément dans la soirée au «In». Magie des grands écarts du festival.

Tout se relie… 

Sylvie Lefrere de Vent d’art vers le Tadorne.

“La femme placard”, mis en scène de Christian Garcia Reidt, à l’Albatros. Festival Off d’Avignon à 12h45 jusqu’au 28 juillet 2012.

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HIVERNALES D'AVIGNON

Avignon Off 2012 / Thierry Baë m’a fait les poches.

Depuis la création du Tadorne, j’ai à deux reprises croisé le chorégraphe Thierry Baë (au début de mon parcours en 2005 avec «Journal d’inquiétude» puis en 2007 avec «Thierry Baë a disparu»). À chaque fois, la rencontre n’a pas eu lieue…Les récits autobiographiques de ce chercheur infatigable ne m’ont jamais touché. Trop d’entre soi.

Ce soir, pour sa dernière création, «Je cherchai dans mes poches», Thierry Baë réunit autour de lui trois artistes : Corinne Garcia (danseuse), Sabine Macher (auteur et danseuse) et Benoît Delbecq (musicien). À quatre, ils font le pari d’un récit commun fait d’événements marquants de leur vie, reliés par ce propos intriguant: «Refus d’oublier ses premiers rêves, peur de ne pas avoir tout réalisé, mais jubilation de l’artiste de le dire»

?Jubilation du spectateur de pouvoir écrire?

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Ce spectacle est un espace de dialogue permanent entre ces quatre artistes et le public, à condition qu’il accepte de se laisser relier?Car Thierry Baë ouvre sa mise en scène pour que nous puissions y entendre un souvenir, une émotion, un fragment, un fil, sa pelote, nos noeuds. Les leurs. Ce soir, il nous offre cet envers du décor (comment des artistes font-ils oeuvre commune?) en y incluant, un cinquième récit : le nôtre. Pour cela, Thierry Baë célèbre l’hésitation, le fragile, mélange les évocations pour les rendre perméables les unes des autres et finit par forcer notre écoute sans pathos, ni artifice de mise en scène (même la vidéo se fait discrète, juste là pour tirer un fil supplémentaire). Tout n’est qu’espace. Rien n’est «droit», linéaire : Thierry Baë pratique l’art de l’oblique et donne à ce récit, un aspect bancal, qui ne démontre rien : aucune leçon de vie, aucun conte de fées, juste des corps en mouvement qui ne veulent pas crever sous le poids d’une société qui vante en permanence la performance quantitative.

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À chaque instant, j’entends le récit de l’une en percevant le corps de l’autre tandis que je me laisse émouvoir par la musique d’un ailleurs. Peu à peu, Thierry Baë me confie le pouvoir de tirer les fils et de construire la trame de l’histoire. Il nous donne ce qui peut faire résonnance chez chacun d’entre nous: le cadre contraint qui rend créatif; l’enfant abandonné là, posé sur un cintre pour faire galerie; le corps empêché; la démarche gauche tout en devant marcher droit; l’art de la maladresse sans cesse recadré,…

Ce récit commun laisse entrevoir tant de possibles : nos ressorts créatifs sont au coeur de nos contraintes ; un propos tient même (et surtout) dans le chaos ; la désinvolture ne résiste pas à la danse ; se mettre à nu ne signifie pas se mettre à poil ; glisser ses pas dans celui d’un autre fête le mouvement; un corps, quel qu’il soit, peut traverser les mots pour célébrer la poésie; la pluridisciplinarité, c’est du vivant qui relie;  il n’y a pas de destin, seulement «le renoncement de soi, pour l’avancement de soi-même» (Louis Jouvet).

Peu à peu, la danse virtuose de Corinne la métamorphose en Cendrillon émancipée.

Peu à peu le jeu théâtral de Sabine fait d’elle une des enfants de Pina Bausch.

Peu à peu la partition de Benoît le propulse dans un film de Jacques Tati.

Peu à peu, Thierry Baë quitte le premier rang d’où il écrit sur sa table d’écolier pour rejoindre la danse avec sa trompette, vers un souffle retrouvé.

Peu à peu, je fouille dans mes poches; je n’ai plus froid.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Je cherchai dans mes poches » de Thierry Baë, Aux Hivernales – Avignon Off- à 21h30.

Crédit photo: Esther Gonon – Théâtre Durance.

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L’indigne colonie de vacances de Régine Chopinot.

À la sortie de «Very Wetr !» de Régine Chopinot, nous sommes quelques spectateurs réunis à nous soutenir après ce que nous venons de voir. Nous sommes éberlués. Atterrés. Mon corps en tremble presque: rarement la danse n’est allée aussi loin dans un propos aux relents colonialistes, voire racistes. Car comment ne pas ressentir dans cette proposition l’inacceptable? Que se passe-t-il pour qu’une partie du public se prête à des applaudissements si complaisants? Comment écrire sur un spectacle que je n’aurai jamais dû voir?

Madame Chopinot a passé du temps en Nouvelle-Calédonie pour réussir à (re)venir vers nous avec onze danseurs. Ce qui frappe d’emblée, c’est le contraste entre elle et eux. Il ne cessera de s’amplifier tout au long du spectacle. Tous affublés de costumes de Jean-Paul Gaultier, on hésite entre rire et pleurer: que peut bien signifier ce déguisement grotesque? Reconnaissons que le couturier a eu la main très lourde sur Régine Chopinot : cuir de moto, fesse façon Robyn Orlin, et coiffe de paille style «Marie-Antoinette avant la décapitation». Cette dernière image me poursuivra jusqu’au bout. Concernant les autres danseurs, je suis frappé par la manière dont les corps des femmes sont traités : enserrés, empêchés de la tête au pied, plastifiés. Les hommes sont un peu mieux lotis pour qu’ils soient à leur aise dans leur montée aux arbres. Il faut ne rien comprendre à la danse, art de la métamorphose, pour la contraindre ainsi. Il faut ne pas entendre une culture pour la customiser de cette façon.

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C’est une prise de pouvoir. Presque assumée, voire revendiquée. Il y a Madame Chopinot qui lit un texte sur son IPAD: elle y évoque sa rencontre avec la culture kanake et enfile quelques perles sur la différence. Elle ne lit pas, mais se regarde dans un miroir où son petit doigt glissant lui donne la contenance offerte par l’outil technologique face à ceux qui ne l’ont pas. Elle se positionne à plusieurs reprises sur un tabouret. Elle n’a pas osé le trône. Mais son visage et sa gestuelle ne trompent pas lorsque son regard glacial et suffisant croise les interprètes qui se présentent face à elle comme à la Cour. Telle une reine déchue, elle s’accroche à ce qui lui reste de son pouvoir tandis qu’à l’extérieur, la danse contemporaine s’est depuis longtemps affranchi d’une telle relation descendante entre un chorégraphe et ses interprètes. Mais pas elle. Elle s’y croit encore. Jusqu’à ce chant sur «Madame Chopinot» qu’elle écoute avec jouissance. Le groupe est son deuxième miroir?

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Ils dansent avec parfois un bruit de fond d’avion prêt à atterrir. Je pense aussitôt à ses descentes de chef d’État quand, au pied de la passerelle, des groupes locaux folkloriques font le comité d’accueil. Ce soir, Régine Chopinot orchestre de multiples descentes aux enfers. Elle ose tout, comme cette partie de foot entre hommes tandis que les femmes assurent l’ambiance…comme cette  montée sur le platane! Après qu’ils aient fait place nette, elle assume même un mouvement dansé décalé, bien occidental. À aucun moment, elle ne se mêle au groupe. C’est probablement sa vision de la différence: scénographier la frontière, sculpter l’espace pour que l’on n’oublie jamais la grande chorégraphe qu’elle fut, structurer le groupe autour de la tribu, organiser les déplacements dans le rectangle, en rang, pour danseurs obéissants.


Je suis au premier rang. Je vois leurs visages. Ils sont tristes. Leurs regards sont ailleurs. Ils ne sont pas là. Je n’ai aucune peine à imaginer ce qu’ils endurent ce soir à jouer cette danse sous les cocotiers face à un public majoritairement blanc qui trouve cela si exotique pour applaudir entre les scènes. Il n’y a aucun propos artistique: juste une démonstration brute de différents aspects d’une culture chorégraphique sans aucune dramaturgie sauf celle de saluer le grand retour de Madame Chopinot sur le devant de la scène. Il n’y a rien de ce qui fait un spectacle au Festival d’Avignon: une création, une prise de risque, une esthétique innovante au service d’un propos lisible et assumé. Rien. Juste une danse métamorphosée en folklore où ressurgissent nos relents colonialistes.

Madame Chopinot célèbre notre inconscient colonial. Avouons que c’est tristement bien fait.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Pascal Bély, « Very Wetr !! » au Festival d’Avignon du 9 au 16 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

“Tragique Liban, vital Facebook.”

À mon arrivée dans la salle du Lycée Saint-Joseph, je comprends très rapidement qu’il n’y aura aucun acteur sur scène pour le spectacle des Libanais Lina Saneh et Rabih Mroué, «33 tours et quelques secondes». Le décor est en soi un objet «plastique» qui créé immédiatement la distance: un tourne-disque, une télé à terre, un bureau, des chaises, un mac, des téléphones. Je pense à tous ces espaces abandonnés en catastrophe, à ces lieux dans lequel il(elle) n’est jamais revenu(e).

Nous voici immergés dans l’appartement de Diyaa Yamout, 28 ans, militant des droits de l’homme libanais, qui décida de mettre fin à ses jours en octobre 2011. Dans une lettre, il confiait vouloir se libérer non pour des raisons psychologiques, mais politiques. Reste que les objets continuent de fonctionner, qu’ils lui survivent. Les deux téléphones (fixes et portables) ne cessent de sonner. On y entend la voix de Lina Saneh qui cherche Diyaa et s’empare de la bande du répondeur pour évoquer leur aventure d’un soir. À cet instant, on ne sait pas si elle sait. Ses paroles résonnent dans un ailleurs entre la mort d’une relation et celle qu’elle tente désespérément de ranimer.

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À peine raccroche-t-elle que le portable sonne intempestivement et vibre à l’arrivée de plusieurs SMS d’une amie palestinienne qui, longuement bloquée à l’aéroport de Londres pour avarie, finira par atterrir à Beyrouth sans pouvoir débarquer. Ses messages de colère, d’impatience semblent vains au regard de la disparition de Diyaa Yamout. Et pourtant; ses textes courts ont une intensité dramatique, car politique: être palestinien, n’est-ce pas ne jamais pouvoir décoller et atterrir ?

Pour occuper l’espace entre les SMS, deux écrans entrent directement en concurrence: la télévision et ses pratiques de racolage; la page Facebook du disparu et ses messages au caractère parfois douteux. Les deux médias mènent alors une guerre sans merci autour du suicide de cette personnalité publique connue pour son activisme face à une société libanaise morcelée, corrompue,  paralysée. Nous sommes clairement pris à partie. D’un côté Facebook  poursuit sa fonction: celle de relier des individus qui profitent de cet espace totalement démocratique pour poster des messages empreints d’émotions et de poésie dans les heures qui suivent la disparition de Diyaa, puis deviennent peu à peu plus politiques et conflictuels. Religieux et laïcs s’affrontent; partisans de sa cause et  opposants à sa «secte» s’invectivent. La page est une stèle funéraire où chacun appose son objet quand ce n’est pas un graffiti. La vie reprend ses droits, car Facebook libère la parole empêchée, d’où qu’elle vienne, sans filtre. Il ranime les passions, construit sa toile. Il est politique. À côté, la télévision parait bien ringarde avec ses codes de communication marketing. Elle est mortifère dans la façon dont elle contrôle le vivant. Objet de convoitise du capitalisme et du politique, elle porte les gênes d’une manipulation de l’humain au profit d’un système de pensée totalitaire.

Dans cette guerre médiatique, après une chanson de Jacques Brel, un objet s’est définitivement  arrêté: le tourne-disque. Lui seul fonctionne dans une relation intime avec son utilisateur. Il n’y aura plus jamais personne pour y poser délicatement le saphir sur l’objet noir du désir.

À la sortie, nous sommes plusieurs à nous interroger sur la finalité du spectacle. Certains y voient une dénonciation de Facebook tandis que d’autres s’inquiètent de l’absence d’acteurs dans un festival de théâtre. J’ai pour ma part ressenti la portée politique et psychologique du deuil de Lina Saneh et Rabih Mroué qui prend au Liban des dimensions qui nous sont étrangères. C’est le geste grave de deux artistes qui, modestement et courageusement, laisse l’espace virtuel occuper un espace théâtral. C’est en soi un «suicide» artistique, commentés par les spectateurs avec le même engagement vital que les réactions des amis et opposants de Diyaa Yamout.

À mon retour chez moi, j’ai cherché sa page Facebook. Elle semble ne plus exister. Pour remettre  le tourne-disque en marche, j’avais l’intention d’y laisser un message en réaction à la proposition d’aujourd’hui. Mais le diamant a disparu. J’ai cherché son visage sur Google. Aucun résutat.

Mais le théâtre est toujours là. Un saphir.

Pascal Bély, Le Tadorne

Lina Saneh et Rabih Mroué sur le Tadorne:

Le théâtre carbonisera-t-il Lina Saneh ?

« 33 tours et quelques secondes » de Lina Saneh et Rabih Mroué au Festival d’Avignon du 8 au 14 juillet 2012.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Au Festival d’Avignon, Hamlet, le vrai.

Il est de ces moments uniques où nous assistons à la naissance d’un artiste courageux, accompli, car en recherche. Avec nous. Mitia Fedotenko est un chorégraphe, installé à Montpellier. Dans le cadre du «Sujet à vif» du Festival d’Avignon, il s’est associé pour «la circonstance» avec le metteur en scène François Tanguy et le musicien Bertrand Blessing. «Sonata Hamlet» se veut être «un manifeste qui aborde la question de l’individu serré par les mâchoires du rationnel et celle de la frontière qui le sépare du monde de la consommation. Sonata Hamlet puise son inspiration essentiellement dans Hamlet-Machine de Heiner Muller».

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Quel est donc cet Hamlet incarné dans le corps du danseur, électrisé par l’énergie rock de Bertrand Blessing, propulsé sur la scène théâtrale par François Tanguy ? C’est un jeune homme en blouson rouge et jean’s, au visage de mort, qui n’a rien pour s’asseoir sur aucun trône. Il a tout à (re)construire à partir de ce qui est depuis trop longtemps é(tabl)i pour stopper la propagation du désastre. Sa détermination le conduit à pousser deux tables (au théâtre, c’est un objet souvent détrôné par la chaise) qui produisent le son d’une mécanique dévastatrice. Elles l’entraînent vers la barricade, au combat dans un corps à corps perdu d’avance. Telle une mâchoire, elles l’enserrent, mais il ne renonce pas. Son texte de toute beauté accompagne sa danse de résistance où son corps caméléon impose une morale et des valeurs. Je ne peux m’empêcher de l’imaginer dansant dans les allées du mémorial de la Shoah de Berlin, où entre les rangées des «tables», les touristes déambulent tandis que d’autres y puisent l’énergie de combattre tous les autoritarismes.

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Là où les mots donnent la matière pour le canon, Mitia Fedotenko danse leur trajectoire. Corps et texte s’emparent du mythe shakespearien pour imbriquer le royaume danois corrompu de Shakespeare, l’effondrement du bloc soviétique  et le régime autocratique de Poutine. La réussite de Mitia Fedotenko est de faire sens en 2012 en reliant ces trois contextes et d’y puiser sa puissance en mêlant danse et théâtre là où d’autres empileraient les tables pour leur petit pouvoir, il met tout en jeu, en espace, en projection pour nous inviter à saisir ce qui se (re)joue: le pouvoir contre le corps. Il s’empare alors de la robe d’Hamlet pour imposer sa danse sur les tables transformée en scène, sans issue. Un moment stupéfiant m’immobilise: une créature hybride émerge, où l’on perçoit son jean’s d’aujourd’hui s’entremêler dans la robe, tel un serpent prêt à piquer. Bien que le pouvoir corrompu et autoritaire lui retire tout (micro et costume, comment ne pas y voir la main de Poutine ?), Mitia Fedotenko oppose une danse de la puissance qui s’empare de tous les espaces pour y autoriser les mouvements d’une pensée libre. Au sol, en hauteur, dans les vibrations de la guitare, le corps est une parole fluide.

On sort troublé de ce «Sonata Hamlet», conscient que la rencontre entre Mitia Fedotenko et François Tanguy ouvre un espace de création tout juste exploré, où tout peut jaillir sur la paroi en plexiglas des pouvoirs surprotégés.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Sonata Hamlet » de Mitia Fedotenko du 9 au 15 juillet 2012 dans le cadre du «Sujet à vif », Festival d’Avignon.

Crédit photo: Paul Delgado