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AUTOUR DE MONTPELLIER THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

L’échappée belle.

Clermont-L’Hérault se trouve à 40 km de Montpellier. Aux portes du Lac du Salagou et de Lodève, cette petite ville possède un vrai théâtre avec des strapontins rembourrés et confortables ainsi qu’un lieu d’accueil pour le forum avec les spectateurs. Devant, de grandes allées piétonnes offrent un parvis très agréable qui suscite la convivialité. L’équipe y est particulièrement chaleureuse. C’est pour moi une belle découverte. Le ciel noir de nuages, et les rafales de vent m’accueillent. Mais je suis déterminée: je veux aller à la rencontre de Catherine Vasseur et de Jean Cagnard. Leur façon passionnée d’évoquer leur travail artistique m’avait à une époque vraiment alléché. Je ne vais pas être déçue…

La salle est composée de spectateurs de la région, de quelques professionnels et d’enfants d’une dizaine d’années. Quand l’enfant et la jeunesse sont là, je suis d’autant plus attentive, car je m’amuse de leur réception. Ils ont le goût du vivant. Le plateau est comme un vaste garage rempli, dans un bazar organisé. Comme dans une vie…Jean Cagnard, l’auteur, s’affaire bruyamment sur un établi, nous tournant le dos. Il met en jeu son travail. Il sera comme un Géo Trouvetou, bricoleur de génie. Les mots sont en mouvement dans la langue ainsi que dans les objets. De petites pancartes portent des mots clefs pour nous faire suivre différents chapitres. Elle défilent le long de fils, reliés à des rouages qui structurent notre pensée à partir de celle de Jean. Il est l’artisan de son esprit, en lien avec nous. Il cherche sans cesse à nous stimuler ludiquement et intellectuellement, à travers des rythmes et des mécanismes dynamiques.

Catherine est comédienne, entre ce manipulateur de la langue et la musicienne, Julie. Catherine pose sa voix, intègre les jeux de lumière, chorégraphie sa posture, seule ou en lien avec ses compères, car complicité et harmonie il y a. J’observe un spectacle savamment orchestré, entre supports d’images, de sons, d’objets, de pas de danse et de musique. Les matériaux bruts s’élèvent vers une perspective, une vision. Le temps passe à travers l’eau qui s’écoule par les petits trous d’un tuyau d’arrosage. Ce fluide transparent, si difficile à maîtriser, nous nourrit, nous hydrate…Voilà un théâtre qui nous alimente. Il nous fait entrer dans des mondes surréalistes qui nous embarquent. Il est rare d’assister à un plateau artistique aussi complet.

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Je retrouve Agnès Varda et sa plage dans “Les plages d’Agnès”  et son humour un peu loufoque, mais si poétique. Je repense à Maguelone Vidal, musicienne comme Julie, passionnée, élève de conservatoire, mais qui conçoit son art comme un perpétuel renouvellement, dans des improvisations qui rebondissent contre les mots. Ce soir, les corps de l’instrument et de Julie s’accouplent en ballet, et la voix les porte haut. Tout est exprimé comme pour donner un jus savoureux à nos oreilles, réveillées, et apaisées, dans cette invitation au voyage de la poésie. Les objets sont centraux et l’instrument est aussi prégnant que les artistes autour. Il capte la lumière, devient polyphonique. Les pas de danse lents me renvoient à la douceur de ceux vus cet été à Avignon dans «La Mouette» d’Arthur Nauzyciel. Le théâtre me touche dès qu’il y a un corps qui s’engage, en finesse et en recherche de sens.

La distance qui nous sépare du prochain poème” est une pièce qui renouvelle le théâtre en se donnant le luxe du  temps de la réflexion, de la création…Et si on se distanciait aussi sur notre propre parcours et celui qu’il reste à bâtir comme semble le suggérer la superbe dernière scène où sont posés différents mannequins métalliques, couverts de rétroviseurs? Nous voici face à notre vie passée, et au loin, dans un désir de regarder devant, la route qui s’ouvre vers un collectif poétique en marche.

Sylvie Lefrere, Le Tadorne.

 “La distance qui nous sépare du prochain poème” de Jean Cagnard. (Texte paru aux éditions Espace 34) Compagnie 1057 roses. Au théâtre de Clermont-l’Hérault le 18.10.12 puis le 8 et 9 novembre au Périscope à Nîmes, le 28 novembre 2012 au théâtre de la Mauvaise Tête  à Marvejols et le 14 décembre 2012 à la maison théâtre d’Amiens.

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OEUVRES MAJEURES PRINTEMPS DE TOULOUSE

Pour l’Histoire, filez à Toulouse!

Depuis quelques années, je le vis comme un rituel. Partir à l’automne vers Toulouse et y retrouver la lumière de ma vie d’étudiant. Chaque année, «Le Printemps de Septembre», festival d’art contemporain, m’invite à parcourir la ville, ma ville. Cette année, le titre un peu racoleur («L’histoire est à moi»),  cache la profondeur et la délicatesse du projet du directeur artistique, Paul Ardenne, historien de l’art. Comment l’Histoire Universelle peut-elle croiser notre intimité ou comment notre intime peut-il évoquer un passé collectif?

En ce dimanche matin, un ami m’accompagne. J’aime sa présence, toujours rassurante, souvent interpellante. Il habite le quartier où vivait Mohamed Merah. Je lui demande de faire un détour par la rue de l’événement. Je regarde à peine l’appartement, gêné, presque tremblant. Étrange hasard. À peine arrivés au Musée des Abattoirs, nous sommes plongés dans l’installation de Christophe Draeger sur la prise d’otages de sportifs israéliens lors des Jeux olympiques de Munich en 1972.

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Il a récréé la chambre où otages et terroristes se confinaient jusqu’à l’assaut final. Elle aurait pu être celle de Merah. La télé qu’ils regardaient est toujours là et nous suivons, comme eux, les informations diffusées en direct sur l’événement. Nous voici quasiment dans la même position que ce matin: une  reconstitution entre images télévisuelles mémorisées et un contexte de réalité?irréel. Ainsi, le terrorisme gagne une partie de la bataille: s’ancrer dans nos mémoires avec l’aide des médias. Troublant.

Plus loin, une autre «chambre» s’impose dans le hall du musée. J’y entre. Par séquence, un spot de lumière projette des images d’enfants délivrés par des adultes. Il s’agit de la prise d’otages de centaines d’écoliers et de professeurs par un commando tchétchène en 2005 à Beslan en Ossétie. Avec «Beslan is mine», l’anglais Mat Collishaw signe une installation profondément émouvante. Chaque posture projetée laisse une empreinte sur le mur, tandis qu’une autre image de délivrance nous illumine. Suis-je dans une chapelle dont les vitraux seraient une icône délivrée? À chaque fois, nous devons nous tourner, nous retourner. Pris dans un tourbillon, les visages se télescopent jusqu’à provoquer le tournis. Que nous reste-t-il de cette histoire traumatique, à la fois lointaine et si proche: une guerre sans arme où l’homme maltraite l’humanité. La force de cette ?uvre est de nous remémorer pour ne pas oublier que nous sommes aussi mémoriels?

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Autre enfermement. Autre délivrance grâce à l’artiste Jean-Michel Pancin. Il apprend que la prison d’Avignon va fermer. Avant que les travaux ne commencent, il récupère des pans de murs et une porte où les prisonniers avaient gravé et peint : Lascaux n’est pas si loin. Il a pris des photos où la lumière du soleil caressait clandestinement les murs. Il a exposé dans des armoires à pharmacie des chaussettes envoyées par les familles du jardin des Doms surplombant la prison. «Tout dépendait du temps?,» (le plus beau titre de ce Printemps de Septembre!) est une sublime exposition où l’art pictural, photographique et plastique nous relie à ces hommes invisibles et crée une mémoire collective. Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec le Mémorial du Camp des Milles, près d’Aix en Provence, où l’on peut voir les ?uvres murales d’artistes prisonniers qui peignaient pour survivre à la barbarie nazie. Jean-Michel Pancin libère l’art de l’enfermement des hommes. C’est prodigieux. Sa démarche s’apparente au travail d’un archéologue. À l’Hôtel Dieu, vous serez peut-être surpris d’être happé par la vidéo d’Ali KazmaPast») qui filme avec une minutie incroyable des archéologues dans le Morvan. Sans paroles, la caméra déterre le geste, scrute les visages, fait le lien avec le paysage. Ces orfèvres délicats, tels des psychanalystes, creusent mon histoire.

De la terre au ciel, il n’y a qu’un pas de géant. Renaud Auguste-Dormeuil expose d’étranges photos au Château d’Eau. «The Day Before_Star System» est une série de clichés de la voute céleste pris la veille d’un bombardement. Ainsi, les cieux du 11 septembre, de Dresde, de Guernica, de Nagasaki nous plongent dans un étrange imaginaire, celle de l’Histoire à reculons, où la beauté du ciel annonce l’horreur d’une terre déchirée. De retour sur terre, aux Abattoirs, je me suis pris à rêver de nouveau avec l’étrange film de Louis Henderson, «Logical Revolts». Il capte les trous dans l’histoire de l’Égypte de 1952 à 1972 à partir de son alter ego, personne absente dont il relate le parcours. La poésie accompagne son cheminement comme s’il fallait relier ce que l’histoire officielle et la mémoire des hommes escamotent, oublient, piétinent. Cette ?uvre est troublante, car elle revisite le genre du film historique: la recherche de la vérité croise la quête poétique de l’historien lui-même englobé dans un projet cinématographique qui donne sens aux trous qui parsèment la linéarité des faits. C’est profondément beau.

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On est ainsi tenté de faire le lien avec l’installation de la Chilienne Voluspa JarpaBibliothèque de la non-histoire») qui expose des pans entiers de documents des services secrets de la CIA sur la période de la dictature chilienne. Mais de nombreux feuillets sont barbouillés de noir, censurés: la non-histoire est là, implacable. C’est alors que l’artiste demande aux visiteurs d’emprunter un de ces livres et d’expliquer ce qu’ils en feraient. Certaines réponses sont gravées en blancs et exposées: à la censure, le citoyen reprend la main pour réécrire l’histoire. Cette bibliothèque me touche: elle est dorénavant en moi?

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La démarche est peut-être similaire à celle de l’allemand Anselm Kieffer qui propose une série de  ses« saluts nazis » où la photo se fond dans l’acier de la toile. Il déterre ce symbole de son inconscient tout en veillant à ce que le visiteur fasse aussi ce travail d’introspection. À la vue de ses peintures, je ne peux m’empêcher de penser aux gestes qui font l’histoire, à ces dictateurs fous furieux qui ont chorégraphié les corps pour mettre en mouvement leur funeste scénario. De quels gestes terribles, de ceux qui structurent l’histoire,  suis-je donc fait ?

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C’est ainsi que ce Printemps de Septembre m’offre la plus belle traversée historique qu’il m’ait été donné de faire. Où le visiteur s’engage d’autant plus que la manifestation est parsemée de mises en scène comme autant de partis pris artistiques assumés. Celles photographiées par Gohar DashtiToday’s Life and War») sur le sort du peuple iranien qui, après la guerre contre l’ennemi extérieur, doit faire face aux délires de son dirigeant m’ont touché. Le dessin animé de l’Irakien Adel AbidinMémorial») voit une vache hésiter à traverser un pont coupé en deux par les bombardements américains et beugler dans le vide. Surgit alors une profonde émotion sur le sort des hommes plongés dans l’horreur.

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Puis, Pierre et Gilles, Angel Vergara, Gérard Rancinan et Samuel Fosso finissent par me convaincre : l’histoire, mise en scène par les artistes, est un art majeur. Parce qu’au-delà de comprendre les faits, nous nous approprions avec eux l’Histoire par le rêve, par l’imaginaire, par le corps pour qu’elle nous permette d’entendre notre présent et de penser notre futur. À ce jour, je ne connais aucun historien capable d’un tel processus.

Pour sa dernière édition à l’automne, «Le Printemps de Septembre» est une belle ?uvre. Elle entre dans l’Histoire des spectateurs, amateurs d’Art Contemporain.

Pascal Bély, Le Tadorne.

“Le Printemps de Septembre” à Toulouse du 28 septembre au 21 octobre 2012.

Crédit photographique des oeuvres de Christophe Draeger, Jean Michel Pancin, Voluspa Jarpa, Anselm Kieffer:  : Nicolas Brasseur, Le Printemps de Septembre 2012.

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS

Je n’ai pu aller jusqu’au bout du rêve.

Je suis ce soir à Paris. Je sais ce que l’on pourrait me rétorquer. Qu’est-ce qui peut justifier un voyage aller-retour express Aix en Provence à Paris pour le théâtre? Le Festival d’Automne invite le metteur en scène polonais Krystian Lupa avec sa création, «La Cité du rêve». Je l’avais quitté au printemps à Béziers pour la dernière de «Salle d’attente» (Sous chapiteau, le théâtre de Krystian Lupa claque), allégorie du cauchemar européen et de nos espoirs dans la jeunesse. Quelques mois se sont écoulés. Je pars de la salle vers la cité. Ce soir, je ressens ma disponibilité pour entrer dans une recherche intérieure de près de quatre heures.

La salle est comble. Elle ne le restera pas. Les spectateurs semblent fatigués, lassés de ne plus trouver l’énergie pour «faire face», comme me le confiera plus tard ma voisine. Toujours est-il qu’à chaque entracte, le théâtre se vide peu à peu. Sur scène, les acteurs interrogeront à plusieurs reprises leur jeu («que racontons-nous?») provoquant une salve de rires et d’applaudissements. J’ai rarement ressenti une telle interaction d’autant plus que Krystian Lupa intègre dans sa mise en scène l’espace de la représentation. Nous sommes le plus souvent éclairés (je me retourne parfois pour chercher du regard mes congénères, à la recherche d’un soutien). Il crée une avant-scène avec des bandes blanches, espace transitoire entre l’inconscient et le conscient, entre la réalité perçue et la réalité psychique. Vient ce moment, cette interrogation: de leur «Cité du rêve», les habitants descendent dans la fosse pour un portrait de groupe. Mais sur la photo, les sièges sont vides. La réalité n’existe pas. Nous serions là, sans y être. Le rêve d’un public acteur s’est-il envolé ?

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Me voici donc propulsé vers cette Cité, adapté du roman du peintre Alfred Kubin. Dix comédiens incarnent ses habitants. Ils paraissent échoués là, sonnés…un peu comme nous. C’est une salle d’attente aux murs gris, ceux-là mêmes qu’affectionnaient Pina Bausch dans «Kontakthof». On y entre pour en sortir transformés d’autant plus que ces murs poreux projettent des vidéos qui scrutent l’inconscient et sculptent son langage. D’autant plus que trône une cage sans barreaux: à l’intérieur, ce divan vertical provoque le rêve éveillé, où les mots métamorphosent le visage à l’image de l’oeuvre de Dali, «Galatée aux sphères». Pour entrer dans cette cité quasi transparente, Krystian Lupa nous propose plusieurs espaces mentaux afin de se projeter dans la folle utopie de Patera, homme riche, qui créa cette cité au confluent de l’Asie. Nous y suivons Alfred et sa femme qui visitent ce pays, au bord de l’abyme. Le rêve s’est peu à peu transformé en cauchemar, même pour le spectateur.

Je suis rapidement happé par ces dix acteurs. Ils sont de tous âges. Sans âges. Comme si leur jeu dépassait leur rôle. Sont-ils notre humanité, notre civilisation européenne en perdition? Ils sont entre deux mondes. Ils sont passés par l’Expérience. Nous entendons la rumeur de la ville (est-ce une  manifestation, une symphonie humaine?). Chacun donne sa version entre mouvement unitaire et clameurs artistiques. Comment ne pas reconnaître la voix des peuples espagnol et grec qui souffrent face à une intelligencia prisonnière d’une idéologie fermée? Peu à peu, ils entrent dans cette salle, font un rapide arrêt dans la cage. L’un des habitants peut bien arriver nu avec ses belles chaussures pour nous faire croire qu’ici, la liberté est absolue. Personne n’y croit. Il finira avec un tissu tel un Jules César déchu. Un ange à la beauté fulgurante passe. Que vient-il faire ici, se demandent-ils? Même le poète fétichiste ne trouve pas la réponse. Le vide s’installe progressivement: les corps bougent à peine, presque statufiés. Cette cité est notre forteresse: psychologique, sociale et politique. À cet instant précis, la mise en scène millimétrique de Krystian Lupa décourage le public comme si cet «indéfinissable», ce gouffre, était insupportable. Je résiste. Lupa ne me retient pas, sauf quand il convoque l’assistant de Federico Fellini qui explique ce qu’est cette cité du rêve.Je ressens la disparition de l’Italie des artistes?

Au deuxième acte, Lupa zoome. La salle est la chambre d’un couple où trône une femme alitée. Que sommes-nous donc devenus? Le dialogue entre elle et lui est saisissant: je ne comprends pas tout, mais j’entends l’impossibilité d’aimer. Le langage du lien amoureux me touche. L’homme finit étalé. Je suis totalement éreinté. Je persiste à vouloir tenir le choc. Ma rangée de sièges se vide. Je suis seul, échoué. Vais-je échouer à me faire “cité” ?

Nous voilà à nouveau dans la grande salle. Tout va crescendo. Le premier acte a posé l’écoute, le deuxième la parole du sens?le troisième incarne le pouvoir et le chaos. Le quatrième, le franchissement de la limite, entre là-bas et ici, entre rêve et conscience. C’est tourbillonnant, car Lupa nous projette dans cette cité à plusieurs dimensions dans une même unité de temps (l’individu, le groupe, le sociétal) pour ressentir ce qui fait civilisation en chacun de nous. Mais le texte est ardu et laisse si peu de respiration (d’autant plus que la traduction et le surtitrage sont à la peine). Il manque la générosité du metteur en scène italien Pipo Delbono pour nous guider vers la folie sans nous prendre de haut. Il manque le courage artistique de la chorégraphe Maguy Marin pour faire l’Histoire à partir de la métamorphose des corps. Il manque la subtilité d’Arthur Nauzyciel qui sait introduire la danse dans le théâtre pour que le texte traverse notre inconscient.

Il manque tant dans ce théâtre où il y a tout?Quel paradoxe! Peu à peu, je m’éloigne de cette cité qui me ramène à ma fatigue, à ma faim. Il est près de 23h30 et je n’en peux plus. Dans le tableau final, Fellini peut bien lancer ses cordes de son poisson-nacelle aux âmes perdues. On peut bien me clamer «Soyez heureux de vivre!». C’est trop tard. Beaucoup trop tard.

La cité? Ma cécité?

Pascal Bély, Le Tadorne

“La cité du rêve” d’après l’autre coté d’Alfred Kubin, mis en scène par Kristian Lupa au Théatre de la Ville à Paris dans le cadre du Festival d’Automne. Du 5 au9 octobre 2012.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON

À Lyon, en si bonnes compagnies.

Il me plait d’aller sur des territoires inconnus, à la rencontre d’artistes qui ne bénéficient pas toujours d’un réseau de diffusion élargi. Il y a dix jours, j’ai assisté à cinq représentations  proposées par «le Off» de la Biennale de la Danse de Lyon. Elles furent d’une belle vitalité, d’un engagement communicatif qui démontre, une fois de plus, que la danse contemporaine française sait accueillir le spectateur même si elle peine parfois à  révolutionner ses propres codes de la représentation.

Avec «E Tango», la compagnie Moebius impressionne par sa qualité d’écriture dramaturgique enchevêtrée dans un propos chorégraphique plutôt vivifiant. Articulant jeu théâtral et mouvements dansés, ces quatre interprètes interrogent la communication postmoderne de l’internet à partir de la relation codifiée du tango. Le propos est intelligent, car ouvert: ici, point de culpabilisation inutile sur nos comportements d’internautes, mais une lucidité bienfaitrice! La danse résiste aux nouvelles technologies (quitte à s’amuser avec!), voire s’en inspire pour enrichir ses esthétiques. «E Tango» est beau à voir d’autant plus que la musique est une recherche, entre tradition et modernité. Le jeu d’ombres et de lumières est particulièrement réussi (moment délicieux qui voit un couple se dédoubler derrière un rideau ou comment un plus un est égal à quatre !). L’alternance d’un tango plus classique avec une danse décomplexée des convenances démontre comment la communication créative peut se déployer dans une société hyper connectée. Le numérique, s’il influence la danse, n’est après tout qu’un outil: il n’est pas «la» communication. Juste un espace où l’on s’amuse à créer. Certes, il y a quelques longueurs, mais l’ensemble se tient, car le quatuor ne lâche jamais son propos: le tango est une danse du lien, un territoire infini de possibles où le geste éphémère s’emmêle dans le désir.

 «Thirst» de David Hernandez est un très beau duo dansé par deux excellents interprètes (Stanislas Dobak et Colas Lucot). Avec la création sonore de Philippe Cap (où les voix émergent des ténèbres du corps), ils s’explorent chacun à partir d’une danse qui capte l’énergie de l’introspection. Dans un premier temps à terre, ils occupent tout l’espace par la force de déplacements désirés quand d’autres semblent plus inconscients. Ils sont différents donc interdépendants ! Ils glissent sur l’eau, fluide de leur danse. Rien ne déborde, bien au contraire: ici l’art est maître des corps. Ils s’offrent quelques instants de pause où l’un jauge l’autre dans cette recherche au croisement du spirituel et d’une quête intérieure de bien-être. Puis ils repartent, corps debout, mouvements plus amples sur un sol nourricier. Les quelques longueurs parfois ressenties sont peut-être utiles pour lâcher son regard de spectateur et tomber avec eux dans leur territoire où la danse est le langage de la complexité. La compagnie «DH+» est à suivre. Le rendez-vous est pris.

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«Après-minuit» de Luis Gomes est une étrange proposition. Invité à prendre place dans un grand studio, je m’assois près des techniciens. Cette proximité et le lieu sont propices à entrer dans la confidence, à s’immiscer dans la relation entre les deux interprètes (Luis Gomes et Anne Guéguiner). Je suis rapidement troublé par l’énergie du premier, par ses mouvements «cubistes», électrisés, qui célèbrent sa métamorphose jusqu’à la sculpture. Pourquoi l’image de Dominique Bagouet m’a-t-elle traversé ? À côté, Anne Guéguiner est plongée dans une recherche fondamentale où le trouble, le désir, le corps aimant seraient ses champs d’exploration.  C’est souvent profond, parfois éloigné de ma propre quête. La musique sophistiquée accompagne cette relation énigmatique (à ce stade, peut-il en être autrement ?!). Il faut attendre la dernière minute pour qu’un «déshabillez-moi» suggéré m’invite à faire tous les liens possibles et inimaginables?

La dernière proposition de Corinne Lanselle, «des poissons dans les arbres» serait presque une articulation entre les trois précédentes tant j’y trouve une théâtralisation, une recherche de la danse par la relation (du duo au trio puis au quatuor). Si le duo de départ me séduit par sa fraîcheur et par leur engagement à créer un univers de recherches et de tâtonnements, je suis beaucoup plus réservé quand arrive la troisième danseuse. Son jeu incarné dans un rôle trop voyant de perturbatrice du désordre établi me gêne, comme si ce souci de clarté cachait un désir de maîtrise des émotions du spectateur. L’arrivée de la chanteuse lors du dernier tableau confirme mon pressentiment : chanter n’est pas danser, mais contribue à calmer cette chorégraphie débordante d’énergie qui, avec le temps, trouvera son bon tempo. Parce ce que ces quatre artistes sont généreux.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« E Tango » par la Compagnie Moebius – «Thirst» de David Hernandez – «Après-minuit» de Luis Gomes – «Des poissons dans les arbres» de Corinne Lanselle; Au Croiseur à Lyon dans le cadre de la Biennale Off de la Danse.

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Pourquoi je n’irai pas à Avignon.

Entre présentations de saison et bilans de festival, le cérémonial est immuable. Directrices et directeurs d’institutions culturelles se mettent en scène pour créer le «dialogue» avec les spectateurs. En général, le décor est spartiate (chaises-table pour les plus réservés, canapés et table-basse pour les plus audacieux) tandis que la scénographie est le plus souvent inspirée d’un séminaire pour managers fatigués. Les cas sont rares où ce dialogue est mis en scène au profit d’une célébration de l’art vivant, d’une valorisation de la parole du spectateur. Depuis quelques années, je fuis ces faux espaces où «la rencontre» n’opère jamais, où le lien vertical empêche la relation circulaire, où les affects plaintifs s’ajoutent aux éloges funèbres ou partisans! À l’heure où les artistes multiplient les ?uvres percutantes qui interrogent le positionnement du spectateur, force est de constater que les formes pour en évaluer la dynamique sont usées, car datées.

Le manager culturel peine manifestement à imaginer autre chose qu’une cérémonie du pouvoir institué: je m’étonne d’ailleurs qu’il soit le plus souvent seul sur la scène comme s’il n’avait pas d’équipe et de partenaires qui participent à l’élaboration de sa programmation.

Comme chaque année, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, directeurs du plus important festival de création (Avignon) invitent les spectateurs à faire le bilan de l’édition passée. Positionnés à l’extrême droite de la scène, ils nous font face. Généralement, la tonalité des interventions diffère assez peu de celles entendues lors de la dernière conférence de presse qui clôture le festival à la fin juillet. Les questions autour de la billetterie, de l’accueil, du confort sont les grands classiques de l’exercice (sans que la situation s’améliore au fil des ans), tout juste ponctuées de références à Jean Vilar pour se donner de la contenance. Le même système interactionnel se met en place: une question appelle une réponse; une plainte pour une diversion; un militant du théâtre populaire s’oppose au fervent de la création contemporaine; «c’est de plus en plus difficile pour avoir des places» contre «oui, mais on fait ce que l’on peut».

Au cours des années précédentes, j’ai participé à l’exercice pour y faire part de ma vision, mais je n’ai jamais ressenti le moindre écho dans la salle et sur scène. Ces retours de «traversée» ne servent finalement qu’à valoriser le fait qu’il soit permis de les exprimer! Les spectateurs se prêtent à un jeu qui, tant qu’il existe sous cette forme, freinera toute évolution de leur statut.

Je n’irai donc pas à la réunion publique du Festival d’Avignon organisée le 15 octobre 2012. Outre le fait que mon bilan est déjà écrit (voir ci-dessous), je ne souhaite pas être infantilisé par un cadre qui m’empêche de l’interroger. Or, à part provoquer (je n’en ai ni le talent, ni l’envie), je ne vois pas d’issue à un système fermé, descendant, qui conforte plus qu’il n’énonce pour le futur.

Il ne me reste plus que ce modeste blog pour m’exprimer en espérant qu’il trouve un écho chez Olivier Py, futur directeur du festival en 2014, qui saura probablement organiser d’autres cérémonies pour fêter nos Apocalypses joyeuses.

Pascal Bély, Le Tadorne

 Bilan du Festival d’Avignon 2012 : nos présences, nos absences et leur indignité.

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Qu’un festival ne soit plus populaire, qu’il ne me permette plus de m’inscrire dans un mouvement, est inquiétant. Sur toute la durée de cette 66ème édition, j’ai vu 38 spectacles pour un coût total de 1850? (830? de places et 1020? de location d’appartement). Seulement neuf d’entre elles m’ont éclairé, enthousiasmé, tourmenté. Respecté, j’ai eu envie d’écrire. Passionnément. Neuf, soit moitié moins que les années précédentes. Neuf soit vingt-neuf propositions où j’ai, au mieux erré, au pire sombré dans le néant.

Cette proportion est inquiétante et signe une crise de sens, de valeurs, de propos. Trop rares ont été les moments où j’ai pu penser, faire mon chemin. Me revient alors le jugement éclairé d’un spectateur, posté sur sa page Facebook: «Cette année le public est absent d’Avignon. Vous ne comprenez pas la différence entre tenir compte du gout du public et simplement tenir compte de sa présence…».

Notre présence.

Le public était présent. J’étais là pour «La Mouette» mise en scène par Arthur Nauzyciel. Rarement, je n’ai vu une telle humanité en jeu dans cette cour qui écrase tout. Ici, l’art a repris ses droits et les artistes ont dansé pour caresser les murs et calmer cet espace autoritaire. Ils ont accueilli mes fragilités pour me restituer une vision sur la place de l’art dans une société en crise. J’en suis sorti plus fort, plus habité. Mouette (Au Festival d’Avignon, la beauté sidérante de “La mouette” d’Arthur Nauzyciel).

Sophie Calle n’est pas une artiste de théâtre. Elle expose. Et pourtant, elle a créé la scène autour de sa mère, décédée en 2006, jusqu’à lire quotidiennement son journal intime. «Rachel, Monique» était à l’Église des Célestins (Au Festival d’Avignon, Sophie Calle: la traversée d’un continent intérieur).Tel un rendez-vous avec une chanson de Barbara, nous y sommes revenus plusieurs fois comme un besoin vital de ressentir une nostalgie créative. Le 28 juillet à 17h, nous étions présents alors qu’elle lisait les dernières pages. Sophie Calle a créé le rituel pour nous rassembler, celui qui nous a tant manqué pendant le festival (Festival d’Avignon : la der des ders?)

Le chorégraphe Olivier Dubois est
arrivé le 25 juillet et a provoqué le séisme que nous attendions. Avec «Tragédie», nous étions spectateurs et acteurs de notre humanité en mouvement. Nous avons ovationné ces dix-huit danseurs. Pas un seul n’a échappé à mon empathie (Au Festival d’Avignon. Secoué). Processus identique avec Jérôme Bel où dans «Disabled Theater» des acteurs handicapés mentaux ont réduit la distance pour que la danse fasse lien au-delà des codes usés de la représentation (Au Festival d’Avignon, l’art brut de Jérôme Bel) . Avec «33 tours et quelques secondes», Lina Saneh et Rabih Mroué ont tenté de renouveler ces codes à partir d’un dispositif sans comédien. Sans ma présence, cette pièce ne pouvait exister. J’étais là parce que l’absence a donné une âme au théâtre (Au Festival d’Avignon, tragique Liban, vital Facebook) .

En nous convoquant sous la scène du Palais des Papes, le performeur sud-africain Steven Cohen nous a plongés au sens propre dans les bas fonds de l’humanité pour y vivre l’horreur de l’extermination des juifs. On ne s’en sortira jamais (Au Festival d’Avignon, Steven Cohen, vertigineux petit rat des camps?). Un regret: peu de spectateurs ont vu cette performance (jauge d’à peine 50 places) et n’auront fait connaissance avec cet artiste hors du commun qu’avec «Le Berceau de l’humanité», ?uvre bien moins aboutie.

Avec «Conte d’amour», le suédois Markus Öhrn nous a lui aussi donné rendez-vous au sous-sol pour y vivre, par caméra interposée, l’effroi de l’amour incestueux. Rarement je n’ai senti un public aussi présent face à une bâche de plastique qui nous séparait des acteurs (Choc au Festival d’Avignon). Même présence pour «Disgrâce», mise en scène par Kornel Mundruczo qui m’a donné envie de lire cet été, le roman de J.M Coetzee. Du théâtre vers l’écrit pour lire autrement.

Au cours de ce festival, j’ai parfois ressenti l’effondrement de notre civilisation. Seul Roméo Castellucci pouvait s’emparer de ce trou noir qui pourrait nous sauver. «The Four Seasons Restaurant» n’était qu’une initiation. Un autre monde est à venir (Au Festival d’Avignon, incritiquable Romeo Castellucci).

Le goût du public.

Festival d’Avignon, festival de création ? Pas si sûr?Comme tant de théâtres en saison, il s’est moulé dans le consensus mou qui ne fait émerger aucune idée, à peine incarnée par des acteurs?Les logiques de coproduction priment sur des prises de risque assumées comme si la responsabilité des deux programmateurs d’Avignon se diluait dans des contrats à multiples feuillets.

Il y avait d’ailleurs une certaine indécence à nous proposer «Les contrats du commerçant. Une comédie économique» de Nicolas Stemann à 36 euros la place, prix à payer pour subir un délire de clichés rabâchés sur la crise financière et la possibilité de quitter le spectacle pour la buvette installée pour l’occasion. Le public aisé (présent ou absent, là n’était plus la question !) a beaucoup aimé. Moi pas (Rupture de contrat avec le Festival d’Avignon) .

Autre propos démagogue. Celui de Thomas Ostermeier (artiste associé du festival en 2004) qui m’avait habitué à plus de rigueur. Son théâtre participatif autour d’ «Un ennemi du peuple» d’Henrik Ibsen n’était qu’une énième reproduction d’un système de pensée que l’on répète à l’infini. Ce théâtre bourgeois sans vision va à coup sûr plaire aux programmateurs qui trouveront là, à moindres frais, de quoi faire de leur établissement un lieu de citoyenneté! Est-ce du niveau du Festival d’Avignon ?(Festival d’Avignon: les articles auxquels vous avez échappé?)

Le public aime Christoph Marthaler (artiste associé du festival en 2008). Était-ce bien judicieux de nous proposer «My Fair Lady, un laboratoire de langues», spectacle certes très drôle, mais si vain? Le public aime Joseph Nadj (artiste associé du festival en 2006). Certes. Mais «Atem le souffle» était une oeuvre venue d’en haut vers le bas. Si Avignon est une chapelle, je n’ai pas choisi d’être pénitent ou pèlerin.

Additionnées, ces propositions ont provoqué  une censure sourde qui n’autorise presque plus aucune élévation de la pensée. La danse a nourri ce processus jusqu’à servir d’appât, elle qui stimulait il y a seulement quelques années, des débats sans fin (Terne bilan chorégraphique au Festival d’Avignon). Romeu Runa produit par les Ballets C de La B (fournisseur officiel annuel du Festival. Je fais le pari qu’ils seront programmés en 2013), Sidi Larbi Cherkaoui (Au Festival d’Avignon, les trop jolies «Zimages» de Sidi Larbi Cherkaoui), et Régine Chopinot (Au Festival d’Avignon, la triste colonie de vacances de Régine Chopinot). n’ont été que des «produits» d’appel: une danse du vide pour un trop-plein de clichés et de déjà vu. J’ai regretté l’échec de la proposition de Nacera Belaza: «Le trait» n’était finalement qu’une courbe s’épuisant sur elle-même. Tout comme ais-je été déçu par le peu d’énergie dans «C’est l’?il que tu protèges qui sera perforé» de Christian Rizzo: le mouvement était au service d’une «installation» où l’on est passé trop vite d’un «ici» à un «là».

À mes remarques, une affirmation est revenue, comme seule réponse: «oui, mais il y avait de belles i
mages
». En tant qu’artiste associé, Simon McBurney nous a imposé sa critique du théâtre: peut-il aujourd’hui transcender sans l’image? Dans «Le maitre et Marguerite» à la Cour d’Honneur, il nous  infligé un surtitrage aberrant, permettant au théâtre d’abdiquer face au poids de l’image (Au Festival d’Avignon, l’effondrement). . Le public a aimé. Et alors ?

Notre dignité, notre potentiel, notre rôle.

Dans un article publié dans Libération en mars dernier, le philosophe Bernard Stiegler et l’acteur Robin Renucci écrivaient: «Jean Vilar a inventé une place pour le spectateur en affirmant sa dignité, son potentiel et son rôle. Réinventons dans notre contexte la relation entre l’art et la société dans un souci d’élévation permanente». Tout au long du festival, cette relation a souffert.  L’artiste associé, Simon McBurney, y a largement participé: il nous a imposé son réseau qui nous a négligés. La palme revient à Katie Mitchell qui a démissionné avec une oeuvre radiophonique («Les anneaux de saturne»; Au Festival d’Avignon, l’ennui comme seule violence.) et une conférence sur le réchauffement climatique («Ten billion»)! Mais de quel théâtre de création s’agit-il? Avec «La négation du temps», William Kentridge a recyclé sur scène son installation actuellement exposée à la Documenta de Kassel (Sale temps au Festival d’Avignon). Mais quel ennui ! Avec «L’orage à venir», le collectif Forced Entertainment m’a bien fait marré la première heure, mais à la seconde, j’ai décroché: s’interroger sur la narration au théâtre aurait pu les amener quelque part sauf qu’ils n’ont cessé de recommencer. Mais pour qui nous prend-on? La palme de l’?uvre indigne revient probablement à Katya et John Berger pour «Est-ce que tu dors?». Cette proposition de médiation culturelle au musée était obscène. Le père et la fille ne se rendant pas compte que leur dissertation d’un niveau terminale sur l’?uvre d’Andréa Mantegna («la chambre d’amour») ne visait finalement qu’à se coucher dans le même lit. Personne n’a quitté la Chapelle des Pénitents Blancs pour autant à la différence de “Conte d’amour“!

Les Français Sandrine Buring et Stéphane Olry n’ont pas été en reste. Avec «Ch(ose) / Hic Sunt Leones», ils ont osé nous faire dormir sur des transats pour mieux nous enfumer sur leur incapacité à finir une ?uvre dans les temps. Pourquoi les avoir programmés ?

Les enfants? Ils n’existent toujours pas dans ce festival. C’est un non-public, jusqu’à leur infliger «Les animaux et les enfants envahissent la rue» de Suzanne Andrade et Paul Barritt. Trois comédiens se baladent dans une bande dessinée projetée en vidéo avec pour seul horizon, l’histoire d’un quartier où les gamins sont voués à ne jamais sortir de leur misère. C’était un spectacle à la pauvreté scénique déconcertante, bête et dépressif.

Notre absence.

Le théâtre français a incarné un «système» sans vision qui s’enferme dans un entre soi parisien terrifiant. Ce que j’ai vu à Avignon fut profondément mortifère, ancré dans un théâtre où la forme, les effets visuels prenaient le pas sur tout le reste. À chaque représentation, je me suis ressenti déconnecté, pas là. Consommateur, mais jamais sujet (Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français).

Éric Vigner pour«La faculté», Stéphane Braunschweig pour«Six personnages en quête d’auteur», Guillaume Vincent pour «La nuit tombe» et Séverine Chavrier pour «Plage ultime» ont pollués ce festival avec leur théâtre insignifiant.

À côté Bruno Meyssat avec «15%» et Jean-François Matignon avec «W/GB84» avaient un propos pour le Festival : sauf qu’ils nous ont perdus en route. L’un par excès poétique, l’autre par excès d’ambition.

Le 28 juillet, je décidais de me rendre aux dernières heures de la performance de Sophie Calle pour revoir ensuite «Tragédie» d‘Olivier Dubois et assister de nouveau au deuxième acte avec les acteurs de «La mouette» d’Arthur Nauzyciel (Festival d’Avignon : la der des ders?)

Le 28 juillet fut mon festival. Comme une réponse aux programmateurs qui sont devenus, comme tant d’autres,  des techniciens du spectacle.

Sans projet.

Pascal Bély – Le Tadorne.

 

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AUTOUR DE MONTPELLIER

Libre et debout.

 

Ce soir, le Théâtre des 13 Vents à Montpellier est un lieu de rassemblement vivant, car le public est là: les amis de la région du monde culturel local, des personnes d’âges, des étudiants. Est-ce le texte de Bernanos soutenu par les professeurs ou Jacques Allaire, le comédien, metteur en scène et enseignant le théâtre, qui les a attirés?

Ce soir, je suis là pour les deux. Des hommes qui semblent se rejoindre dans des qualités d’énergie engagée. La soirée est marquée sous le signe de l’engagement, car je suis assise à côté d’un monsieur de quatre-vingts ans, qui est venu en voiture d’un village voisin, puis a pris le tramway, puis le bus navette. Soit un parcours de trois heures…Être libre, c’est faire ce qui nous plaît, au prix que l’on veut bien lui donner. Ce spectateur engagé, ancien administrateur au ministère des Affaires culturelles, comme Malraux aimait le souligner, me confie-t-il…

Ce soir, la mise en scène colle le texte, comme une seconde peau. Nous partons du noir. Comme dans une nuit profonde, où des éclaireurs nous aveuglent avec leurs puissantes lanternes. Les faisceaux semblent se croiser sur mon siège. Je me sens prisonnière tétanisée, comme prise dans une embuscade. Les mots percutent. Cette société d’avant-guerre, fasciste et autoritaire, ressemble tant à la nôtre où les machines déshumanisent au profit du chiffre. Les étudiants bruyants dans leurs rires chuchotés se sont tus. L’écho des mots suit la trajectoire du faisceau comme un laser brûlant.

Sommes-nous ces imbéciles décérébrés? Mais où est le monde de la pensée? La modernité devrait être le berceau idéal du bien-vivre. Mais le pouvoir prime et nous devenons «sujets». Les chaises en tas envahissent le plateau. Symbole d’institution rigide, elles forment un amas en chaos. Quel plaisir de les voir voler, à peine tenir sur trois pieds ! De l’instabilité apparaît la déconstruction, pour la reconstruction.

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Le texte monte en puissance dans la posture fragile de Jacques Allaire accroché sur son mat, telle une vigie. Il nous donne de la vision. D’un pessimisme ambiant à travers sa voix profonde, où il ravale quelques sanglots, la tempête sociale fait rage, puis tout s’éclaircit. Son acolyte, Jean Pierre Baro, devient notre conscience sage, clairvoyante, raisonnée. Oui, tout nous assaille, mais la volonté est plus forte ; le désespoir nous rend créatifs et nous porte pour que nous restions debout.

Debout, je le suis dans mon c?ur; debout, je suis sur mon siège. Debout je suis avec eux sur scène! J’ai envie de les étreindre, car ils me guérissent de mes bleues à l’âme. De les voir s’activer à petits pas et orchestrer leur espace minutieusement, comme des petits rongeurs donnent la force du labeur nécessaire.

Au fur et à mesure que le spectacle avance,  les lumières se font éclaircies, comme notre regard, notre pensée. De la nuit nos éclaireurs, au visage blanc, sont devenus des hommes dénudés, qui lavent leur corps de leurs blessures, un porte-voix en guise de bouche. La grâce des mouvements de Jacques Allaire lui donne la présence du danseur. Le rouge sang coule. La révolution pointe. De ce monde un peu kafkaïen, dans lequel nous évoluons, le rideau ne tombe pas, mais se relève, comme pour nous redessiner une nouvelle toile, où tout est à réinventer.

Les comédiens se mettent face à nous, derrière des rangées de chaises vides. Un nouvel espace est à créer et pour nous y inviter, un rapide historique des vestes qui se retournent se joue. Les secondes peaux, kaki, marines, noires,  s’enfilent et se défont, puis le blanc de l’élégance apparaît.

À nous de devenir les peintres de notre société future.

Sylvie Lefrere. Le Tadorne.

“La liberté, pourquoi faire? Ou la proclamation aux imbéciles ” texte de Georges Bernanos, spectacle de Jacques Allaire au Théâtre des 13 vents à Montpellier du 3 au 5.10.12.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON Vidéos

Cupidon Dave St Pierre danse pour Pina.

Cette pièce n’a pas de titre (elle ne s’appellera “Foudres” que plus tard). Juste une caractéristique : «Création 2012» pour la Biennale de la Danse de Lyon. Le chorégraphe canadien Dave St Pierre ne peut donc nommer son travail. Je ne m’y aventure pas car je peine à qualifier, à projeter ce spectacle dans une appellation qui pourrait l’enfermer et cataloguer un peu vite la vision qu’il m’en donne.

Dave St Pierre est un des enfants de Pina Bausch. Ils sont peu nombreux à revendiquer cette  filiation. De ma place de spectateur, je ressens ce lien. C’est indéfinissable. Ce soir, il va l’incarner avec ses dix-huit danseurs et mettre en mouvement cette phrase mythique prononcée par la grande dame: «Longtemps, j’ai pensé que le rôle de l’artiste était de secouer le public. Aujourd’hui, je veux lui offrir sur scène ce que le monde, devenu trop dur, ne lui donne plus: des moments d’amour pur.»

Avec Dave St Pierre, ces moments sont là. Fulgurants. Poignants. À l’état brut.

Cet amour pur est un geste de danse, toujours imagé, si rarement chorégraphié: tomber amoureux. Seize cupidons tombent alors comme des mouches, avec fracas. Sur ce champ de mines, j’y vois des partisans qui entonnent en choeur: «Amis entends-tu les cris sourds des corps qu’on enchaîne ?». C’est d’une violence et d’une beauté inouïes.

Cet amour pur est une danse où se livre une guerre sans merci, une armada de cupidons déterminés, sans gêne, parfois conventionnels, souvent culottés contre nos corps égarés, nus, qui ne savent plus où aller entre pulsions mortifères imposées par la société de consommation du sexe et ces figures mythiques qui peuplent nos imaginaires («Roméo et Juliette», «Cendrillon”, …).

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Cet amour pur est un bouquet de fleurs blanches explosé dans le sang des veines de ceux qui n’en sont pas revenus.

Cet amour pur, ce sont les gestes d’une mère qui tout en nous habillant, nous glissait au creux de l’oreille,  «ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid».

Cet amour pur, c’est une  solitude qui s’invite…«Je sais que tes amours sont mortes, Je suis revenue, me voilà». Elle ne tarde  pas pour  appeler en renfort une machine qui lave le sol souillé par nos fleurs ensanglantées et vous déguerpit pour libérer le passage…pour ceux qui attendent leur tour d’être transpercé par nos flèches empoisonnées et recyclables.

Avec Dave St Pierre, cet amour pur vous saute à la gueule lorsqu’avec les tables d’opérations à coeur ouvert, seize cupidons et deux amoureux se livrent à une longue bataille pour créer LA scène de nos amours mortes. C’est interminable. Il n’y a ni vainqueurs, ni vaincus: juste une danse aux accents guerriers pour apprendre à se prendre dans les bras sans se lâcher. Car nous avons tant perdu. Aux «bonnes manières» d’antan se sont substitués des gestes obscènes empruntés à la publicité pornographique des communicants qui collent sur les murs de nos villes et de nos campagnes leurs  sauts de femmes-objets et de corps pénétrés par nos désirs de possession. Nous devons nous soigner et prendre exemple sur ces cupidons qui, lors d’une thérapie de groupe hilarante, convoquent un spectateur d’ici bas pour expulser leurs pulsions dévastatrices!

Nous sommes donc devenus de grands malades de l’amour consumériste. Il nous faut réapprendre à danser, à nous habiller de nos costumes de bal pour nous entrainer à nous lâcher au bon moment, à nous reprendre quand le rythme l’impose. Il nous faut retrouver «la classe», l’élégance, et nous enivrer d’images de danse, de celles offertes par Dave St Pierre. Cette création généreuse nous en offre : à côté des guerres…il y a ces moments d’amour pur, généreux…vers le public…

Où elle et lui s’enlacent et leurs corps colorés par le jus d’orange nous envoient une salve d’odeurs de coeurs pressés.

Où des terriens-cupidons apprennent à danser leurs rêves dansants sous l’oeil vigilant et bienveillant de Pina.

Où elle et lui dansent leurs premiers gestes puérils où «toi c’est moi», ou «moi dans toi».

Où nos terriens-cupidons habillés et habités par Pina, nous saluent lentement, en reculant vers les coulisses, comme un au revoir provisoire pour le plus beau salut qu’il m’est été offert sur un plateau de théâtre.

Mais je le sais : il y a dans ce geste de la main, la disparition d’un amour fou.

Pas d’une utopie.

Pascal Bély, Le Tadorne

“Foudres” à Biennale de la Danse de Lyon le 30 septembre 2012.

Dave St Pierre sur Le Tadorne: “Dave St Pierre: pile-poil”

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FESTIVAL ACTORAL PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival Actoral à Marseille, hivernal « Das Plateau ».

«Notre printemps» du collectif «Das Plateau» s’achève et un vent glacial balaye le Théâtre des Bernardines à Marseille. Qu’ai-je donc vu pour être si loin alors que les sujets proposés (la maladie, la jeunesse, la mort) auraient pu me toucher?

Ce théâtre français là, qui se défini pluridisciplinaire, est une fois de plus incapable de positionner le corps au centre comme si la mise à distance des émotions pouvait tenir de propos (lire à ce sujet: Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français ). Certes, mais pour quoi dire ?

Il y a dans ce théâtre contemporain là, une fascination pour l’image, une obsession de l’esthétique, qui frôle l’entre soi: d’un collectif qui se veut innovant, je n’ai vu qu’un groupe fermé qui se regarde jouer.

Tout commence par un vrombissement (encore lui?) et un noir imposé qui peu à peu laisse place à un lever de soleil. On reconnait très vite l’influence (revendiquée) de Roméo Castellucci. Sauf que chez l’artiste italien, le travail du son et de la lumière est en soi un propos. Ici, il n’est qu’une proposition?à peine travaillée. Un film suit, aux couleurs vintage des années 80. Pierre et son amie coulent des jours heureux dans leur maison de campagne. Pierre junior nait. Pierre papa est atteint d’une maladie rare quelques mois après. Il y aurait-il un lien entre les deux événements? Inutile de chercher dans cette voie?L’image est belle, très léchée. Puis, vient une fête entre amis. À poil (sauf une?). On se projette au coeur d’un banquet entre bobos parisiens: Bacchus et Dionysos de passage dans la rue seraient entrés parce qu’il y avait de la lumière. La caméra frôle les corps. On s’y croirait. L’orgie se prépare. Comment cette «mauvaise pensée» a-t-elle pu m’effleurer? Le collectif a du s’amuser en imaginant le public se rincer inutilement l’oeil. Puis Pierre disparait dans les eaux troubles de «Nature et découverte»?La pièce aurait pu s’arrêter là. Nous aurions vu un beau court métrage de sortie d’école de cinéma.
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Sauf que place est faite à un duo dansé aux gestes millimétrés. Je vois de la danse aquatique synchronisée (lien avec la dernière scène du film?) à moins que le chorégraphe Angelin Preljocaj ait prodigué ses conseils de jeunesse?J’observe la danse et rien ne vient. On m’avait pourtant promis «une confrontation sur scène du théâtre, du cinéma, de la danse et de la musique» qui provoquerait «un trouble, une confusion entre réel et fantasme, présent et passé, événements concrets en train de se produire et souvenirs, rêves, projections, invocations morbides». Cette danse ne produit qu’une forme. Elle est posée là.
S’invite le théâtre. Un salon descend du plafond. Cela doit venir de l’au-delà?Pierre, Jean-Philippe (le frère) et l’amie (j’ai oublié son prénom) discutent de tout  et surtout du rien (le jean’s acheté à Méribel, la question de savoir si Jean-Phi baise,?). C’est surréaliste. C’est long, sans intensité dramatique. Les mots n’ont plus de sens. Le silence aurait donc pu s’inviter. J’essaye de fantasmer?Rien ne vient…Je suis à court. Une seconde chance m’est offerte: nos protagonistes se déshabillent (il doit y avoir un lien avec la scène de l’orgie). Ils nous font face. Je repense au spectacle du chorégraphe Jérôme BelThe show must go on») où les danseurs nous fixaient pour interroger notre positionnement de spectateur. Ici, rien ne vient. Le sourire complice entre deux acteurs ne m’évoque rien.
«Das Plateau» nomme cela «un théâtre de l’âme». Mais peut-on le dissocier d’un théâtre du corps ? Ce collectif empile les esthétiques: or, tant que le spectateur repère qu’elles s’additionnent, cela signifie qu’aucun sens global ne vient les soustraire pour les relier! «Notre printemps» aurait pu être une oeuvre, celle de la mort de mon vivant, de l’âme de ma jeunesse, de la folie de mes groupes d’antan. Rien de tout cela. Juste une musique finale qui déverse son pathos à coup de décibels sur un duo dansé qui disparaît, noyant nos âmes de spectateurs vers les bas fonds d’un théâtre désincarné et prétentieux.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Notre printemps » du collectif Das Plateau dans le cadre du Festival Actoral du 25 septembre au 13 octobre 2012.
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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LE THEATRE BELGE!

A la Biennale de la Danse de Lyon, est-ce que la catharsis, ça fait pocpoc?

Si Halory Goerger et Antoine Defoort sont comme ils se plaisent à dire «des analphabètes du théâtre», cela ne les empêche pas de créer leur propre langage scénique entre arts plastiques, performance, conférence, danse?et théâtre. Depuis «Métrage variable», «Cheval» et «&&&&& & &&&», ces deux-là contaminent la scène dans un geste tout à la fois ludique, savant et critique des usages de notre époque, de notre rapport à la technologie et au langage: d’ailleurs, le sous-titre de l’une de leurs créations n’était-il pas «un spectacle de câble et d’épée». Tout un programme!

“Germinal se présente comme une pièce (qui) met en scène des individus qui envisagent le plateau comme un espace vierge et fécond dans lequel tout est à faire. [?] à faire émerger un système, en étant candide on dirait : un monde.» En effet, Germinal est une odyssée à rebours, un laboratoire utopique sans but s’appuyant sur l’aptitude des êtres à former leur pensée par le biais du langage, et se construisant au fur et à mesure sur l’idée que du groupe naît la contradiction et la conscience de sa propre identité. Peut-être est-ce cela le «minimum ontologique légal» qui permet de démarrer une nouvelle civilisation. Car c’est bien ce qui est mis en branle et mis en question dans cette création: comme sur une page blanche (mais pas vierge) ou comme au début d’un jeu vidéo dont le fonctionnement et les possibilités sont encore à découvrir, Germinal se doit de tout inventer.

Au commencement la lumière fut, discrète tout d’abord, s’essayant à plus d’intensité, à disparaître, puis à prendre plus de place. Cela dure un certain temps; un monde ça n’est pas si simple à éclairer et petit à petit, l’on distingue quatre silhouettes assises sur ce plateau vide, qui apparaissent tranquillement. Une femme et trois hommes – mais cela a-t-il une quelconque importance ?? sont posés là, attendent la suite. L’un d’entre eux se lève, c’est lui qui maîtrise depuis le début tous ces jeux d’éclairage. C’est un monde en vase clos dans lequel tout est à inventer. À ré-inventer plutôt, car l’on se rendra vite compte que ces quatre êtres humains ?qui n’ont rien à voir avec une peuplade dite «première»- possèdent un langage très développé, malgré le fait qu’ils ne maîtrisent pas tout de suite leur appareil phonatoire, et s’avèreront être très perspicaces lorsqu’il s’agira d’éviter de retomber dans certains travers à l’oeuvre dans notre société, pas dans la leur!

La germination est en marche, tout d’abord le langage comme forme de pensée, la communication, la contradiction, la voix, le chant, la musique, l’individu qui déjà manipule les idées des autres pour son propre compte. Tout cela s’accomplit dans une douce nonchalance et une fausse naïveté qui rend cette «création du monde» à la fois hilarante, ludique, subtile et nécessairement poétique et politique.

Comme dans les précédentes pièces d’Halory Goerger et d’Antoine Defoort, le rire prend sa source au c?ur même des données et des contraintes du langage, de son déploiement. À l’instar de Tiqqun dans la Théorie du Bloom, ils cherchent à «aller jusqu’au bout des possibles que contient leur situation». Situations limites dans lesquels nos quatre interprètes se confrontent à la nécessité d’apprendre comment s’organise un échange de pensée par sous-titres interposés? Comment produire du son avec sa glotte, sa gorge et son larynx? Comment un seul micro pour s’exprimer pose-t-il la question du porte-parole, et donc du mode de gouvernement en devenir? Autant d’approches ludiques et dialectiques d’un questionnement sur la constitution et le fonctionnement d’un groupe, d’un peuple, d’une civilisation, d’une galaxie.

Une fois le langage et la parole mises au point vient le temps de se mesurer à l’espace, aux éléments qui constituent cet espace, qui le circonscrivent et forment les bases d’un vocabulaire plus élargi, du rapport au matériel et à l’immatériel. Il y a ce qui fait pocpoc quand on le frappe avec le micro et ce qui ne fait pas pocpoc. La catégorisation est en route. Mais tiens d’ailleurs, est-ce que la catharsis, ça fait pocpoc ou pas? Et à un moment, se rendre compte qu’il y a des choses qui font pocpoc dans le coeur?

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Germinal se déploie dans une «variation continue» pour reprendre l’expression deleuzienne. Il faut détruire pour construire semble être l’un des leitmotivs du spectacle. Chaque élément découvert devient l’occasion pour chaque interprète de mesurer son rapport au monde en train de se créer. Micro, guitare, amplificateur, ordinateur sont autant d’éléments poussiéreux, enfouis sous des gravats tels des restes archéologiques d’une époque révolue, des résidus, et qui aujourd’hui servent à la reconstruction du monde, ou du moins à la construction du spectacle. L’objet occupe dans cette création une place importante d’élément permettant d’établir une critique de nos propres comportements à partir de l’usage que nous en avons, voire même de l’usage qui nous en est imposé.

Dans une approche aussi bien plasticienne que théâtrale et performative à souhait, Halory Goerger et Antoine Defoort parviennent à élaborer un monde en vase clos aux multiples résonnances vers l’extérieur. Une installation théâtrale sous forme de laboratoire tout à la fois farfelu et tellement nécessaire. Ce ne sont pas des personnages qui jouent la comédie, ce sont des êtres en devenir dont les buts sont très incertains. On peut jouer avec le monde, le décortiquer, en défaire une à une chaque brique, faire tomber les murs, ne pas les reconstruire, ré-agencer des ensembles nouveaux. Cependant, les bases restent là: des individus face aux autres et face à eux-mêmes, aux prises avec un langage à redéfinir, à dé-catégoriser, à réinventer. Lorsque l’on sort de la salle, on se sent plus intelligents (pour une fois!), petits face à l’ampleur de la tâche qui nous attend, grandis par la dimension ludique et critique de cette création, et surtout joyeux que quatre trublions rebattent les cartes de nos représentations individuelles et collectives.

Si ce n’est pas du Zola, on en rêverait presque ! Merci.

Nicolas Lehnebach pour, vers le Tadorne.

Germinal, aux Subsistances, du 18 au 21 septembre 2012 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PAS CONTENT Vidéos

Robyn Orlin a decouflé la Biennale de la Danse de Lyon !

Dans un festival, il y a un petit plaisir que je ne me refuse jamais: faire dialoguer les oeuvres. En ce dimanche après-midi, la Biennale de la Danse de Lyon a l’excellente idée de programmer deux spectacles qui, en apparence, non aucun lien entre eux. En apparence?

Philippe Decouflé revient avec «Panorama», un best off de son parcours de plus de trente années de création. L’amphithéâtre de la Cité Internationale est une salle imposante avec ses 3000 places. Le rapport scène-salle est totalement détestable, mais amusant: le plateau parait si petit face à l’immensité de ce mur de spectateurs. Nous sommes accueillis par des majorettes siglées aux insignes de la compagnie: l’ambiance est bon enfant et le restera tout au long du spectacle. En trente ans, le style Decouflé s’est fondu dans le langage publicitaire et les différentes esthétiques de la société du spectacle. La transmission vers ces jeunes danseurs semble très opérationnelle: s’il y a vingt ans, Decouflé transgressait, sa danse parait aujourd’hui un brin décalé avec l’époque, sans énergie subversive. C’est d’autant plus vrai avec certaines scènes où le «noir» fait le show, où la femme potiche et hystérique fait marrer. En sommes-nous encore là? Ces ressorts humoristiques, tant répandus dans la sphère médiatique, me lassent très vite. Les quelques moments de virtuosité sont si empruntés que l’ennui ne tarde pas à s’inviter. Ce «best off» ne tisse aucun lien entre les différentes époques. Troublant. C’est un voyage dans le temps sans résonance particulière, à l’image d’un parc d’attractions posé là. 

Deux heures plus tard, la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin débarque avec la compagnie Moving Into Danse Mophatong pour «Beauty remained for just a moment then returned gently to her starting position ?». Le début du spectacle est dans la continuité de «Panorama»!  On danse pour créer de l’image, de l’effet. Mais «où est la beauté ?» s’exclame une des danseuses. Le microbe aguicheur de chez Decouflé revient sous la forme d’un serpent très laid. Nous sommes invités à le chasser de la scène pour que la beauté puisse occuper le plateau! Robyn Orlin pense à juste titre que nous avons une vision misérabiliste de l’Afrique qu’il convient de changer. Mais n’avons-nous pas aussi une approche esthétique de la beauté qu’il faut «humaniser» pour la replacer dans l’interaction? Elle s’y emploie avec l’humour qu’on lui connait, avec cette troupe de sept danseurs qui prennent plaisir à être là, à venir nous chatouiller sous les orteils, à nous déplumer pour remplumer leur danse, à convoquer Dieu pour le rendre témoin de notre triste destin à chercher ce qu’il nous avait pourtant donné contre quelques concessions! Il y a dans cette pièce une énergie incontestable, dans la lignée du travail de  Philippe Decouflé, le désir d’en découdre en plus (ah, la scène de l’orgasme collectif! Inoubliable!). Le plastique joue ici un rôle majeur: matière à rêves, il recycle notre société du déchet pour créer de nouveaux territoires, celui de nos imaginaires enfin reliés, protégés par une déesse de la beauté bienveillante. Je suis troublé de reconnaître à plusieurs reprises des éléments du spectacle de Philippe LafeuilleCendrillon, ballet recyclable»), présenté l’an dernier à la Maison de la Danse de Lyon et qui avait si joliment célébré la puissance d’imagination du spectateur. La beauté plastique se transmet donc entre chorégraphes pour faire voler nos dernières certitudes sur un lien présupposé entre le beau et le neuf (voir aussi le spectacle de Phia Menard, programmé cette année à la Biennale).

Mais Robyn Orlin peine à totalement m’embarquer. Elle met en scène la recherche de la beauté sans pour autant inclure les danseurs dans un processus qui ferait une ?uvre. Le spectacle se fait avec nous, devant nous, sans que je n’aie eu la sensation d’assister à une proposition chorégraphique. Il faut attendre le générique de fin pour visionner une vidéo où l’une des interprètes danse la, sa beauté. À peine l’image se fige-t-elle qu’elle nous interpelle pour évoquer sa fierté de se voir aussi belle. Interloqué, je m’interroge: et si nous étions passés à côté de l’essentiel, à savoir que la beauté est dans l’art? A moins qu’elle ne soit dans le regard qu’on lui porte…

Pascal Bély , Le Tadorne

« Panorama » de Philippe Decouflé et «Beauty remained for just a moment then returned gently to her starting position ?» de Robyn Orlin à la Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 30 septembre 2012.