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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES L'IMAGINAIRE AU POUVOIR Marseille Provence 2013 OEUVRES MAJEURES Vidéos

J’me fais mon cinéma.

Est-il possible que le cinéma puisse émerger du théâtre ? Depuis trop longtemps, j’ai subi l’image sur un plateau où la vidéo est venue se plaquer pour remplir le vide d’un propos égaré. Trop souvent, le numérique s’est imposé pour que je lâche le théâtre au profit d’effets spéciaux très spécieux. La liste serait trop longue à dérouler de tous ces spectacles dits hybrides qui ont noyé le sens dans la forme. Il est d’ailleurs troublant de constater que ce mouvement «moderne» se prolonge aujourd’hui à Marseille où une Scène Nationale nous propose des ballades sonores, de dormir au théâtre (si, si), où le « Off » de Marseille Provence 2013, installe un campement…Dans un article pour le Monde, le philosophe Alain Badiou écrivait: «Les modernes eux-mêmes ont énoncé que tout art authentique devait en finir avec la représentation, se tenir au plus près du dynamisme vital dont les corps sont porteurs et abolir la funeste distance entre acteurs et public, scène et salle, afin de fonder un collectif festif où tous auront indistinctement leur place active. L’idée fait ainsi son chemin d’un “théâtre” sans aucune théâtralité, d’un théâtre qui abolit le théâtre. Religion contemporaine, peut-être, que ce désir éperdu de se confondre avec le réel nu de corps que rien ne représente, et qui ne représentent rien.»


Mais fort heureusement, des artistes pensent le théâtre comme un art global. Il me revient en mémoire le spectacle éblouissant de l’Allemande Katie Mitchell au Festival d’Avignon en 2011 où «Christine, d’après Mademoiselle Julie» librement adapté d’August Strindberg fut d’une telle virtuosité qu’elle m’avait permis d’être l’auteur de mon cinéma théâtral ! Le film s’élaborait en direct, sans montage, car le théâtre ordonnait tout ! Toute la machinerie n’était qu’au service de la poésie pour entendre et comprendre la douleur de Christine.


L’an dernier, toujours au Festival d’Avignon,  Markus Öhrn  dans «Conte d’amour» avait osé la vidéo pour projeter l’horreur qui se déroulait dans la cave où Joseph Fritzl séquestra pendant vingt-quatre ans sa fille Élisabeth et trois des enfants nés des différents viols incestueux. Comment transposer une telle horreur au théâtre si ce n’est en «déréglant» le système de la représentation? Pour que cela soit suffisamment mis à distance pour nous toucher, Markus Öhrn n’avait pas le choix: la cave, floutée par une bâche de plastique, était la scène où le cinéma se fondait dans le théâtre pour rendre compte de la violence de cet amour (et de la créativité qu’il génère pour le bourreau et les victimes). Sans ce cinéma d’art et d’essai, point de théâtre de corps, d’objets, de marionnettes et de refrains musicaux.

Récemment, l’image a surgi du théâtre sans aucun artifice technologie particulier (si ce n’est un ordinateur qui explose à la fin, un congélateur qui se déplace en fonction des vibrations de son moteur déréglé !).  C’était au dernier Festival des Arts de Bruxelles. Le metteur en scène Belge Claude Schmitz y présentait «Mélanie Daniels», protagoniste du film d’Alfred Hitchcock, «Les oiseaux», incarnée à l’époque par Tippi Hedren. Ici, il ne s’agit pas de transposer au théâtre ce chef d’œuvre cinématographique, mais de vivre le processus de création d’une improbable suite où émerge, à la fin du spectacle, l’Image, celle produite par le théâtre et co réalisée par l’inconscient groupal d’une salle de spectateurs attentive, rieuse et sidérée.

Il faut imaginer une équipe de tournage à l’œuvre, mais désœuvrée, parce que rien ne va: le metteur en scène est en panne d’inspiration, l’attachée de production se détache trop, le technicien du son subit le goutte à goutte d’une fuite d’eau. Pendant de longues minutes, j’erre avec eux, ne sachant plus très bien à qui et à quoi me raccrocher. Tous régressent, à l’image de leur goût immodéré du freeze que l’on puise dans un congélateur, métaphore d’une malle à jouets pour adolescents dépressifs. À cet instant, la création théâtrale est embourbée dans une vision mélancolique du monde (autocentrée et infantile) prisonnière de ses pulsions de contrôle: comment ne pas penser à cette génération d’artistes qui, n’ayant rien à dire, occupe le théâtre plutôt que de s’occuper du théâtre…Ainsi, Claude Schmitz ose décrire le processus par lequel la création s’enlise (lire à ce sujet, un article écrit lors du dernier Festival d’Avignon: l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français). Mais parce que tout est complexe, il ne lâche rien, nous propose une autre image, celle qui s’élabore, presque à notre insu: le premier niveau narratif peut bien s’effondrer (au sens propre!), le second, celui où l’art émerge, apparaît peu à peu: les corps lâchent, l’esprit vagabonde pour se perdre dans la vision burlesque de Chaplin, le bruit du vol des oiseaux nous surprend par derrière (comme un rêve éveillé), la figure mythique de l’actrice Tippi Hedren erre, rode…

Le théâtre se fond lentement dans l’univers d’Hitchcock, de la profondeur horizontale du plateau vers ces fenêtres en fond de scène où je projette mes désirs. C’est drôle et grave comme si le sens n’était pas seulement dans l’histoire d’un collectif qui peine à filmer, mais ailleurs, dans ce cheminement où le théâtre nous guide vers le cinéma, où il est l’art de l’art. Peu à peu, l’œuvre d’Hitchcock se prolonge: Claude Schmitz ne propose aucune suite, mais la relie dans un nouvel espace mental pour et vers le spectateur où le cinéma ne se “fabrique pas”, mais où l’Image est une émergence d’un traveling théâtral.  La dernière scène me plonge dans une mise en abime, dans un océan de beauté, où je m’émancipe de la narration, où l’art de Claude Schmitz m’aide à ressentir ce lien si particulier à la scène.

À cet instant précis, alors que le public lui fait un triomphe, cet homme me réconcilie avec la modernité où n’est image, que théâtre.

Pascal Bély – Le Tadorne

Mais encore…

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Toujours au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles ; toujours au sujet du cinéma. L’œuvre théâtrale de Mariano Pensotti, «Cineastas», sera présentée au prochain Festival d’Automne à Paris. Ici, le théâtre et le cinéma cohabitent dans un même espace vertical. Au premier étage, le tournage…au rez-de-chaussée, la dramaturgie de la vie de l’auteur. Il faut imaginer quatre cinéastes argentins, qui ne se croisent jamais, où le spectateur est positionné comme témoin de la genèse de leur film…où leur intimité se joue au rez-de-chaussée tandis que le film s’élabore au premier étage. Ainsi, chaque acteur passe du rôle de cinéaste à celui d’acteur d’un autre film sans aucune rupture de temps!

Le scénario cinématographique de chacun se métamorphose à mesure que le théâtre met en scène la complexité du rapport entre leur visée d’artiste et l’intimité de leur vision. Le cinéma est alors objet d’analyse (ou objet de l’Analyse…) et nous permet de nous projeter à deux niveaux en même temps : la narration et l’écriture de l’histoire entre le cinéma et le théâtre. Ainsi, le spectateur est en permanence sollicité pour faire les liens entre ces quatre «mises en scène», le contexte historique (celui de l’Argentine, de la Russie, …) et le processus par lequel l’image nait du théâtre. C’est palpitant, enivrant et enthousiasmant de constater que la scène est décidément l’un des rares espaces où se pense et s’élabore la complexité.

Crédit photo: © Jorge Macchi

Plus loin encore…

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C’est à Marseille. Dans le cadre des propositions de la capitale culturelle. Je suis pris dans les embouteillages. Soudain, le quartier de la Belle de Mai se révèle. À l’approche d’une école, sur les murs, deux pans photographiques se dévoilent. Un groupe d’enfants entre dans le même mouvement à soixante années d’écart. C’est subjuguant. Mais je n’ai encore rien vu. Sur le toit panorama de la Friche Belle de Mai, je découvre le travail du photographe JR en plusieurs dimensions. Il a séjourné dans le quartier pour révéler sa mémoire, à partir de groupes d’enfants photographiés à des époques différentes. Les murs opèrent le dialogue. La mémoire du dedans des appartements semble surgir vers l’extérieur, vers nous. L’histoire dessine une nouvelle architecture du quartier pour une modernité qui relie les générations. C’est fascinant. JR  photographie le peuple et le propulse sur la scène pour une urbanité poétique. L’Image surgit à l’articulation de la photographie d’art, de la mémoire collective et de notre destin commun. Chapeau l’artiste.

 Crédit photo: © wonder brunette
 
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LES JOURNALISTES! Marseille Provence 2013 Vidéos

Je m’enflamme pour Bernard Stiegler et pour Marseille,capitale européenne de la culture!

Il est assez rare qu’une émission de télévision soit métaphorique d’une crise de la pensée et de la manière dont «on nous parle». Frédéric Taddeï, animateur de «Ce soir ou jamais» sur France 2, a composé un plateau idéal pour commenter la première année de présidence de François Hollande. À notre droite, Marie de Gandt. Elle fut l’une des plumes de Nicolas Sarkozy. Auprès d’elle, trois portes-parole de la droite décomplexée: Éric Brunet, journaliste brut de décoffrage; Thierry Saussez, conseiller en communication politique; Sophie Pedder, journaliste libérale pour The Economist. En face: Thomas Piketty, économiste placardisé par le PS; Elisabeth Roudinesco, historienne, psychanalyste; Bernard Stiegler, philosophe; Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point.

Au commencement, tout se clive lorsqu’est évoqué le mauvais français de Sarkozy et la bonne maîtrise de la langue par Hollande et ses ministres. Jean-Michel Ribes symbolise cette gauche condescendante («je suis attentif quand les gens disent n’importe quoi» dit-il à Saussez) et courtisane. À ce moment du débat, ces «intellectuels» adoptent le même système de pensée, qu’ils évoquent Sarkozy ou Hollande: penser, c’est commenter les commentaires, amplifier l’anecdote. Ribes signe la fin du premier acte en affirmant «qu’ un monde s’achève avec des gens qui ne veulent pas qu’il s’achève». Il ne croit pas si bien dire…

C’est alors que Bernard Stiegler prend la parole. Il analyse le français de Sarkozy: «il a dégradé l’image de la nation auprès des enfants et je lui en veux beaucoup…la vulgarité était un choix politique». Le ton monte et les invectives fusent avec Éric Brunet: «Je ne vais pas discuter avec ce mec…pourquoi êtes-vous ici vulgaire?, lui lance Stiegler. “Parce que je viens d’un milieu populaire”, lui répond Brunet. Stiegler menace de partir: la tension est maximale. Il se rassoit et choisit de changer de niveau logique. Stiegler veut penser et nous entraîner avec lui. Il exerce alors son regard critique «non pour dénoncer, mais pour analyser». Le silence est total sur le plateau. Il qualifie la crise comme un processus, celui du passage d’une société à l’autre: «l’essentiel de l’argent qui rentre vient d’un processus producteur – consommateur qui est en train de disparaître. Il faut aller vers un nouveau processus, qu’il faut faire émerger : l’économie de la contribution…il y a une idéologie régressive : la vulgarité y a joué un rôle…personne n’affronte la réalité du changement…personne n’ose qualifier la question du changement…C’est une 3ème révolution industrielle qui se prépare…Il est temps d’arrêter de prendre les Français pour des imbéciles…ils sont désireux d’être intelligents…». Les interventions suivantes de Thomas Piketty sur la situation économique (trop souvent entendues) ne résistent pas longtemps à la pensée de Stiegler d’autant plus qu’Élisabeth Roudinesco le disqualifie: «on parle trop d’économie. Il y a une crise morale. Une dépolitisation». Mais elle confond «économie» et «chiffres»…

Bernard Stiegler précise: «La classe intellectuelle fuit la question économique. Il y a un déficit d’articulation entre les questions d’économie et l’économie libidinale. On ne peut pas isoler les processus économiques et sociaux. Toute la socialisation des produits nouveaux s’est faite par le marketing et non régulé par la puissance publique d’ÉtatIl nous faut une nouvelle critique de l’économie politique pour relier l’économie et le social…. Il faut un discours sur l’Europe dans un nouveau modèle de la modernité et faire confiance au peuple. On s’adresse à leur bêtise, car les pulsions se contrôlent plus facilement que les désirs. »

Je vous épargne les réponses des «penseurs» présents sur le plateau qui le disqualifieront à tour de rôle («moi je préfère évoquer l’économie réelle» lui rétorque Sophie Pedder). L’émission se termine par un débat autour du lien entre la musique et le cinéma. Les échanges se font plus fluides, la pensée plus circulaire: «l’art nous protège de la réalité qui tue», précise Jean-Michel Ribes.

Le lendemain, cap sur la capitale européenne de la culture à Marseille, où la compagnie Carabosse propose l’un des événements phares de cette année capitale, «Flammes et flots» (sur deux soirées, 420 000 marseillais auront arpenté le Vieux-Port). Ici, point de feux d’artifice, mais du feu, du vrai, qui jaillit de pots suspendus, de brasiers. Ici point de jets d’eau télécommandés, mais du feu qui coule le long de rigoles au cœur de machines inutiles à la production, mais nécessaires à la poésie. Ici, point de sons et lumières…juste une déambulation musicale où la lenteur de nos pas nous fait contempler de petits automates posés là, au milieu de la rue…Sont-ils nos semblables à la marche «mécanique» le long des galeries commerciales?

Ce soir, on ne s’adresse pas à mes pulsions. Ils ne sont pas producteurs et moi consommateur. Ce soir, je me ressens profondément contributeur parce que ma sensibilité et mon intelligence sont mobilisées. La compagnie Carabosse fait confiance à une population pourtant réputée pour sa violence.

Ce soir, les processus de cette nouvelle révolution industrielle évoquée par Bernard Stiegler sont en jeu: se mettre en mouvement pour ressentir l’alliage des contraires ; se mettre en état de rêve pour se projeter dans l’eau, le fer, le feu, fondements de l’évolution de l’espèce humaine vers l’Humanité ; écouter ses désirs, car ils sont vecteur du sens; se transporter physiquement dans le passé pour comprendre les métamorphoses de demain (nous sommes nombreux à nous presser pour traverser le vieux port sur une passerelle flottante posée à l’endroit de l’ancien transbordeur).

Mais Télérama, journal auquel est très attaché Jean-Michel Ribes (sic) n’a pas apprécié ce changement. Gilles Rof et Sandro Piscopo-Reguieg (il faut être au moins deux pour dénoncer) écrivent sur le blog dédié à la capitale européenne : « Marseille a poursuivi sa soirée contre nature, s’ennuyant ferme alors qu’elle n’attendait qu’une chose : faire une jolie fête. » Ici, la fête étant entendue par le spectaculaire, par ce qui fait flash, ce qui fait du bruit loin de l’ennui et de la rêverie…

«Flammes et flots» nous a offert de la lumière, celle qui fait tant défaut à une ville plongée dans le noir de la crise. Ce soir, il n’y avait aucune couleur rose ou rouge (de celles qui font la joie du marketing culturel pour assujettir l’art aux pulsions du consumérisme!), mais une lumière fragile, soumise au mistral, et qui est allé chercher loin mes premières lueurs de gosse.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Ce soir ou jamais », émission du 3 mai 2013.
« Flammes et Flots » de la Compagnie Carabosse à Marseille, Vieux-Port, les 3 et 4 mai 2013, dans le cadre de Marseille Provence 2013.
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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

Roméo Castellucci: Monumenta à ciel ouvert.

Par Sylvain Saint-Pierre

J’aime ce qui se dérobe, dans les pièces de Roméo Castellucci. Ce voile d’opacité posé sur la scène. Dans “The Four Seasons Restaurant”, tout commence par un rideau bleu. «Blue velvet»… Ou plutôt, bleu Klein, dont la puissance visuelle provient de ce qu’il obscurcit autant qu’il éclaire. On resterait longtemps à contempler la beauté trouble de ce voile bleu, imaginant les drames à venir ou déjà-là. Quel pasteur va nous conduire, vers quel périple ? Déjà, nous décollons. Poussée verticale et dorsale qui nous projette vers un lieu vide. Un trou noir. Pas n’importe lequel : il s’agit du plus important de l’univers. Nous nous trouvons précisément à 250 millions d’années-lumière de la terre, au berceau de l’humanité. Fracas sonore, constitué d’ondes qui gravitent autour de ce trou noir. Bruit de vent, de tempête, de chaos. D’explosions. De plus en plus fort, le martèlement devient pulsation cardiaque. Excitation et inquiétude se mêlent. Le son augmente encore. Il fait désormais nuit noire. Haut-parleurs, salle, tout vrombit d’intensité. Serions-nous tombés, à notre tour ?

Eblouissement….D’abord, une lumière, éclatante. Le rideau s’ouvre et laisse observer une salle immaculée, comme au premier jour. La pureté blanche succédant à la nuit. Puis dix jeunes femmes, figures bucoliques et campagnardes, vêtues de tabliers, chaussées de sabots, arrivent sur scène. Chacune, à son tour, se saisit d’une paire de ciseaux et se coupe la langue. Les cris, pleurs, lamentations de ces piétas rejettent le spectateur hors de la scène. Cerné-castré, obligé de fermer les yeux, il retombe fatalement dans ce trou noir, symbole cette fois d’angoisses intimes. Mais cette mise à mal auto-tauromachique constitue en réalité une purification. Comme dans Inferno où Castellucci offrait son propre corps aux chiens loups pour se défaire de son enveloppe charnelle, il s’agit, pour les jeunes femmes, d’accéder à l’au-delà. Il faut couper cette mauvaise langue, celle qui, au sens propre, parle le langage du quotidien et fait obstacle à la poésie. Le faux langage constitue une nourriture terrestre pour les chiens…le molosse qui fait irruption sur scène et avale ces langues…ceux qui pensent pouvoir manger au restaurant aux côtés de la poésie plastique des œuvres de Rothko…

 Ordre et beauté – calme et volupté…Ainsi purifiées, les jeunes femmes se disposent en cercle, circularité renforcée par le va-et-vient sonore. Périodiquement, les vagues musicales viennent s’échouer sur nos consciences. Sur la scène, un ballon et un cerceau rappellent la forme d’un œil ainsi que l’éternel retour. Cette double circularité, visuelle et sonore, est une force régénératrice. La poésie de Hölderin célébrant la mort d’Empédocle a trouvé son lieu, c’est une vita nova au service d’une Renaissance. Les demoiselles prennent la pause, on les croirait issues d’un tableau de Raphaël. Grâce, spiritualité, élévation ; le sensible communique avec l’intelligible. Castellucci fait durer le plaisir, et contraint le spectateur à cette dilatation du temps. On repense alors à La Mort d’Empédocle des Straub : même langueur, même attention accordée à la diction et au corps dans l’espace. Même ennui aussi peut-être…Plus tard, après la mort du poète-philosophe, elles se disposeront à nouveau en étoiles et se feront corps accouchant. La mise à mort sacrificielle est toujours productrice de formes nouvelles. Les jeunes femmes sortiront une à une du corps des autres puis, jusqu’à la dernière, elles se dénuderont, comme pour afficher l’éclat rayonnant de leur peau. Une peau d’ange ou de nouveau-né. Érotisation de la chair qui confine au sublime, semblant ainsi signifier l’harmonie retrouvée du sensible et de l’intelligible. Une parousie charnelle et mutique, extatique !

Fissures…Beaucoup se sont plaints, par le passé, de ce que Castellucci ne «fait pas de théâtre». Alors, il force le trait, à rebours du travail des Straub. Les comédiennes jouent la pièce de Hölderlin avec emphase, elles changent indifféremment de rôle, les codes théâtraux sont exhibés dans toute leur artificialité, des enregistrements remplacent les voix naturelles. À quoi bon «faire du théâtre» quand il est question de réaliser une œuvre d’art ? Le décalage se met en place, sans qu’on sache le situer. Il finira pour tout emporter : Empédocle, abandonné des Dieux et des Hommes ; le théâtre. Le magma sonore du trou noir reprend. La scène se vide. Il n’y a plus rien. Le rideau recule et découvre un cheval mort. Celui qui portait jadis le poète Empédocle ? Pour ce Corpus Christi à l’abandon, le rideau constitue un linceul, et le théâtre, en actes, se mêle au sacrifice. Empédocle, Rothko ont fini par tomber, faute d’atteindre l’au-delà. Mais dans leur chute, ils ont touché la grâce. Une grâce sans image, car de l’ordre de la foi. Indémontrable, irreprésentable. Sans doute faut-il un saut dans l’inconnu pour l’appréhender. En tombant, ils s’élèvent ; en détruisant, ils créent. Comme ces personnages, le théâtre est nu… vidé de sa substance. Ses liens ont rompu avec le monde, avec l’au-delà. Quand le rideau s’ouvre à nouveau, ne restent plus rien que les murs blancs. Le personnage, désormais, est précisément l’espace scénique. Miroir autoréfléchissant d’inanité visible. Il sombre à son tour : les murs se recouvrent peu à peu d’un voile noir, celui des toiles monumentales de Rothko.

Sidération…Le passage du fond blanc au fond noir inscrit, pour la première fois peut-être, l’espace scénique dans la problématique de la fin de la représentation et de la fin de l’art. Après Malevitch en peinture et Guy Debord au cinéma, Castellucci fait chuter le théâtre dans un trou noir. Sur scène, il n’y a plus rien, plus d’image. Mais ce trou noir… à l’origine d’une étincelle de vie. Une fois encore, la renaissance a lieu. Sur scène, elle prend la forme d’une déflagration stroboscopique. Le théâtre m’apparaît comme corps supplicié qui, dès lors, devient un art du cosmos, un art cosmique : sur un écran gigantesque en hauteur et en largeur, des masses noires sont projetées et semblent jaillir vers nous, spectateurs. L’espace théâtral classique repose sur une pratique de l’horizontalité, celle de la scène. Le génie de Castellucci est de l’enrichir par un travail de la verticalité qui donne à penser la représentation autrement, comme mouvement ascensionnel et comme chute, aux confins de la création du monde et de la poésie. Dans ce final en forme d’apothéose épileptique, où destruction et création participent d’une même circularité, on ne sait plus ce qu’on voit. On observe, on imagine, on fantasme. L’ombre du Premier Homme ? Dix nymphes, anges…créateurs d’une nouvelle humanité ? Enfer ou Paradis ? Quelle mère nourricière et originelle émerge du chaos et constitue la dernière image, alors que les masses noires se teintent de lumière ?

Passée l’heure et quart durant laquelle tant d’images et de propos défilent à l’esprit, difficile de se lever de son siège. Par où recoller les morceaux ? Saisir des formes et des idées, des émotions nées de choses vues ou devinées. Peut-être même inventées…La dernière pièce de Castellucci s’offre à tous les dehors. Elle englobe toute forme de création et de destruction. Double mouvement à l’œuvre sur scène, mais aussi dans son rapport interne, culminant dans une épiphanie à couper le souffle. Dernier volet du triptyque façonné autour du Voile Noir du Pasteur, The Four Seasons Restaurant est une Monumenta à ciel ouvert, sans Grand Palais. C’est un petit espace, celui de la scène, qui se confronte à l’immensité de l’univers. Magnifique, c’est une force nue dans la nuit noire…

Sylvain Saint-Pierre – Tadorne.

“The Four Seasons Restaurant” par Roméo Castellucci au Théâtre de la Ville de Paris – Avril 2013.

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PETITE ENFANCE

Bébé danseur.

Par Sylvie Lefrere.

En qualité de professionnelle de la petite enfance, je ne pouvais faire l’impasse sur la deuxième édition du festival «Petits et grands» à Nantes. Il y a deux ans, «Le bal des bébés» du Théâtre de la Guimbarde me faisait déjà rêver. Reprogrammé cette année, je voulais absolument le vivre.

Je suis donc partie trois jours en vacances, sur les côtes de Loire Atlantique,  pour y découvrir un autre Océan : celui de l’art et du tout petit. Ma motivation fait suite à la rareté dans ma région des propositions pour les enfants de moins de trois ans. Je savais que j’allais retrouver les acteurs du festival Méli Mélo de Reims, ceux qui m’avaient sensibilisé il y a quelques années. Ma programmation s’est articulée autour de tranches d’âges différentes afin de suivre l’évolution du théâtre jeune public. Ce festival est important pour mes projets à venir. Il me permet de sentir la créativité, de rencontrer des artistes, d’observer les touts petits et leurs parents, de me mettre en réseau  et partager des visions.

Depuis quelques années, j’ai compris les bénéfices de la relation entre le tout petit et l’art sous toutes ses formes. Les corps se libèrent, la parole se délie, les interactions se fluidifient. Les rencontres s’opèrent entre les petits et les grands, sur un champ de découvertes partagées. Tout est déhiérarchisé afin que le regard change de point de vue vers des horizons communs. Ce regard offert est celui de la première fois, comme si sans l’art, on ne se serait jamais rassemblé à ce point. Au lieu de l’éducatif, nous touchons le vécu sensible, le partage de l’instant. La sensibilisation des sens vers les arts nous entraîne vers la recherche créative, et met notre pensée en mouvement.

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«Le bal des bébés» est un temps suspendu proposé aux parents et aux bébés. La consigne : avoir moins d’un an ou ne pas marcher. L’accueil est feutré. Nous sommes attendus et introduits dans le lieu par les artistes. Coussins et matelas au sol sont nos terrains d’exploration. Nous déposons nos chaussures et nos couches de vêtements du dehors pour laisser nos corps respirer. Le regard, de la douzaine de petits invités, est puissant. L’interrogation transpire. Que va-t-il nous arriver…

Une violoncelliste et son binôme percussionniste, chanteur et joueur de carillon, ouvrent le bal. Ils sont dans l’alcôve de la grande cheminée du château d’où ils diffusent leur chaleur. Chaque parent garde son enfant sur les genoux et observe intensément les grands qui se déplacent sur le sol : quels sont ces drôles d’humains rampants ? Puis l’invitation se met en mouvement, et du sol, les enfants sont transportés doucement dans les airs pour rencontrer l’autre dans une forme de légèreté. Petit à petit, les enfants se délient dans une liberté corporelle. En parallèle, les parents commencent à lâcher prise. Les enfants investissent l’espace, en confiance. Les premiers babilles se font entendre. Le tout petit part à l’aventure contenue, par le regard accompagnant de son parent et des deux artistes. Les genoux protecteurs sont quittés pour se déplacer vers l’autre. La séparation nécessaire se joue. Les enfants qui étaient en posture de résistance, épanouissent leur visage d’une expression de plaisir.

Le parent interrogateur se laisse émerveiller par la magie de l’instant. Le temps va être suspendu dans une atmosphère collective de bien-être partagé. Les parents en couple semblent se retrouver, unis, autour de leur enfant au centre. C’est un moment unique d’accompagnement à la parentalité. Des pas de danse, des vols de tissus, nous mettent en lien ouvert. Dans ce jeu de va-et-vient, une vague nous emporte ensemble. Aucune contrainte n’est palpable. Protégés comme dans espace ouatiné, utérin, libre de corps et d’esprit. Valorisés dans la relation. De un, nous sommes devenus deux, puis trois, puis tous ensemble à l’unisson, réuni sous un halo léger de lumière, recouverts d’un grand tissu rose, métaphore de la légèreté de nos pensées.

La séance se termine en douceur. Chacun peut utiliser la salle comme il le souhaite, sans consigne particulière. Les discussions s’animent pour certains ; une maman allaite son bébé, calée contre un pilier de pierre. Nous sortons lentement de cette bulle, chacun à notre rythme.

Nous sortons du spectacle comme nous y sommes rentrés, dans un temps sans rupture : persuadés d’avoir passé un moment rare.

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“Le bal des bébés” par le Théâtre de la Guimbarde au festival “Petits et grands” de Nantes du 11 au 14 avril 2013.

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ETRE SPECTATEUR OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE Vidéos

Petits et grands: en corps !

Imaginons un instant que l’art soit au centre des projets éducatifs. Rêvons qu’ils permettent aux éducateurs, aux enfants et à leurs parents de se projeter dans un décloisonnement où l’art relierait les savoirs fondamentaux, l’apprentissage de la vie collective et la construction d’un socle de valeurs communes.

Imaginons que la dernière édition du Festival «Petits et Grands» de Nantes soit cet espace qui formerait ce tout dont nous avons tant besoin.

Imaginons…Fermons les yeux…Tout commencerait à la crèche, incluse dans un grand service public de la toute petite enfance. Imaginons…des artistes y seraient en résidence. Après plusieurs jours passés à observer et entrer en relation avec les tout-petits, ils présenteraient leur création, «Caban».

Ouvrons les yeux…Ils ont métamorphosé l’espace… Parents, tout-petit et éducateurs tâtonnent…Cherchent où aller…Progressivement, l’espace nourrit les relations à partir de différents chemins au croisement de plusieurs esthétiques : danse, théâtre, musique et œuvres plastiques. Peu à peu, le tout-petit se métamorphose en acteur et s’inclut dans la troupe parce qu’à cet endroit-là, émergent la scène et la dramaturgie du passage. Peu à peu, un nouveau langage se fait jour, celui de l’imaginaire tout-puissant qui étire le temps pour que l’humain prenne son temps, pour que le parent ai confiance dans son lâcher-prise au profit de rencontres inattendues entre artistes, parents, observateurs solitaires…Rosalie danse…Marylou se cache dans la cabane…C’est son théâtre où le jazz fait écho à ses cris de plaisir et de peurs. Imaginons que le Teater De Spiegel habite toutes les crèches de France pour les métamorphoser en cabane…futurs théâtres ouverts sur les projets éducatifs.

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Imaginons…nourris de cette expérience, parents, tout-petits et éducateurs iraient au théâtre pour «Plis / Sons» de Laurent Dupont. Rêvons…quelques adolescents d’un centre aéré les accompagneraient. Ils auraient la mission de traduire, à partir d’objets créatifs qu’ils confectionneraient, leurs ressentis sur cette proposition artistique pour les 10 mois-3 ans. Probablement qu’ils prendraient plaisir à observer Marie Frashina créer la rencontre entre le corps et le papier, matière de l’art. Tout y est : la musique, le cinéma, la sculpture, le théâtre, les arts plastiques.  Pris dans une spirale, tous nos sens se multiplient pour se soustraire à la raison ! Peu à peu, ce petit espace scénique dévoile ce que l’art procure : la puissance qui autorise tous les rêves, où le fond est au service de la forme…

Imaginons nos adolescents exposer leurs œuvres dans les crèches, symboles des valeurs qui relient leurs singularités revendiquées à nos utopies communes. Probablement qu’elles nous conduiraient à nouveau vers les contrées artistiques de Laurent Dupont. Avec «En corps», on en redemanderait ! Imaginez petits et grands prenant un malin plaisir à observer le jeu de cache-cache entre deux hommes et une femme avec les symboles de la tauromachie pour dessiner un paysage pictural et musical au croisement du flamenco, de Velasquez et de Picasso. Ici, l’outil numérique est au service du corps créatif, vecteur de plaisir et d’un lâcher-prise salvateur. Ici, l’énergie traverse tout le plateau…une énergie durable où le génie de l’un sert la liberté de l’autre. Ici, l’expression « univers artistique » prend tout son sens tant le désir d’ouvrir l’espace de l’imaginaire est contagieux. Laurent Dupont travaille le désir du spectateur en évitant de s’excuser d’être aussi barré. Ici, aucune culpabilité pour poser la créativité comme un combat entre pulsion de mort et anarchie du vivant.  La salle exulte…La Caban de Laurent Dupont est une orgie des arts pour une humanité confiante dans la folie créative des artistes…

Imaginons…Petits et grands sont maintenant prêts à penser autrement la culture : elle n’est  plus seulement un socle de savoirs constitués, mais elle englobe des pratiques sociales prolongées par des pratiques artistiques ! Le rock and roll peut donc faire son entrée dans l’éducation! Avec «The WackiDs», trois musiciens donnent un concert inoubliable. De leur caban, émergent des instruments de musique qui ne sont pas à leur taille : comme quoi, se mettre à la hauteur d’un plus petit que soi procure l’énergie du Rock and roll ! Avec ces trois gugusses, la culture rock se transmet dans la joie et la furie d’apprendre ! De Ray Charles, aux Beatles, en passant par les Rolling Stones, nous voilà tous reliés entre ceux qui ont connus l’époque et ceux prêts à la célébrer pour imaginer leur futur ! Ces trois-là parviennent à créer la pédagogie par le corps, par le jeu, par les valeurs du groupe, par la récompense partagée…

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Libérés par un tel concert, tout semble maintenant possible. Petits, grands, éducateurs, peuvent apprivoiser sereinement l’histoire déconstruite, sans début et sans fin, de Philippe Dorin, «Sœur, je ne sais pas quoi frère». Ensemble, nous nous projetons dans l’espace transversal d’une fratrie de 5 sœurs (de 9 à 75 ans) où l’histoire de l’une est enchevêtrée dans celle de l’autre. Tout se sépare et se relie, dans le mouvement continu du sens qui traverse chaque scène. Nous voilà tous réunis à vivre ce moment théâtral comme une allégorie de la complexité et de la relation créative au profit de l’émancipation pour une autonomie du groupe. Nous rions et tremblons parfois. Nous ressentons les tours que peut nous jouer l’art : nous prendre par surprise à cacher ce que nous peinons à révéler.

«En corps!» crions-nous lors des applaudissements ! Mais un étrange bruit de papier à nos oreilles nous invite à rejoindre nos cabans, car nous n’en n’avons pas fini d’explorer le patrimoine légué par notre toute petite enfance.

Imaginons ce projet éducatif global : avouez qu’il a l’énergie du rock and roll…

Pascal Bély – Le Tadorne.

Festival “Petits et Grands” à Nantes du 11 au 14 avril 2013.

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS ETRE SPECTATEUR PETITE ENFANCE

«Médiasoeurs, pour quoi frère ?»

À ma descente d’avion, la poésie s’invite : «il pleut sur Nantes». Heureux présage ? Alors que nous questionnons le projet de ce blog, le festival «Petits et grands» arrive à point nommé. L’un de ses codirecteurs, Cyrille Planson, a  sollicité Pascal Bély comme consultant et blogueur pour animer une séquence de formation en direction de médiateurs culturels et participer à des «causeries critiques» organisées chaque matin. Intuitivement, nous ressentons que tout va se lier et prendre sens, car le théâtre «jeune public» questionne en continu la place du spectateur, le positionnement des éducateurs et des institutions. Il est un projet global, car l’art et  le jeune enfant enchevêtrent nos questionnements dans la complexité.

Rendez-vous au Grand T, lieu unique de Nantes ! T comme transversalité…Une chapelle, une yourte, une grande salle de briques et de bois constituent cet ensemble culturel chaleureux. «Sœur, je ne sais pas quoi frère» de Philippe Dorin ouvre cette journée mémorable.

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Dix classes de primaires s’incluent dans ce public hétérogène. Sur le plateau, cinq femmes, de 9 à 75 ans. En se reliant, elles nous permettent de nous faufiler dans nos cheminements personnels. Et si ces actrices n’en faisaient qu’une comme l’indique le singulier du titre ? Tout devient  jeu, et le rire des enfants résonne joyeusement. L’évocation de l’enfer pique leur personnalité de petits diables. Par la mise en scène, nous traversons différentes pièces de leur maison pour nous positionner dans plusieurs étapes de réflexion. Nous prenons peu à peu conscience de la richesse du groupe, tout en voyant au loin, telle une vigie, se profiler la terre des expériences individuelles nécessaires. De cet espace artistique familial, on nous offre, petits et grands, un regard ouvert sur de la vision. Toutes générations confondues, qui sommes-nous ? Comment apprendre à vivre ensemble ? Vers quelles libertés allons-nous, nous orienter ?

La marche est engagée. Le spectateur s’émancipe d’une histoire qui aurait une fin et un début. Ici, le mouvement de notre pensée créative fait sens comme le démontrera le collectif de quarante médiateurs culturels qui se retrouve à la Chapelle, dans le cadre d’une formation continue, pour un débriefing quelque peu atypique. Invités, nous les observons tandis qu’ils posent leurs ressentis à partir d’un portrait chinois et d’un exercice d’écriture automatique. Les mots défilent sur les feuilles blanches : le théâtre poursuit ce travail précieux où ils sont coauteurs. Peu à peu, ils échangent leurs images et leurs textes, avec la timidité de ceux qui découvrent qu’écrire est un art qui s’offre à chacun de nous. À 14h, Philippe Dorin écoute ces restitutions un peu particulières. Son regard pétille à l’écoute du texte profond d’une jeune médiatrice qui s’inclue dans cette fratrie pour y puiser l’énergie d’une écriture poétique. Il est 14h30. Dans trente minutes, nous serons en responsabilité de ce groupe. Pour deux heures. À les entendre, nous pourrons nous appuyer sur l’œuvre de Philippe Dorin pour poursuivre nos traversées de spectateur-médiateur. À 15h, nous constituons quatre groupes à partir de consignes créatives…

Vous êtes des journalistes du Canard Enchaîné, envoyés spéciaux au Festival Petits et Grands”

Mariage pour toutes !

Photo de famille : cinq sœurs qui jouent à l’unisson dans un décor cosy, un gynécée autour d’un samovar, pantoufle de verre et robe de bal. Tout cela aurait pu être rose bonbon, mais ne vous y fiez pas : ce huit clos vire plutôt au Cluedo sur un « air de famille ». Cinq comédiennes de 9 à 75 ans campent une fratrie toute droite sortie de l’imagination de Philippe Dorin. La mise en scène de Sylviane Fortuny sert à la perfection l’écriture fragmentée de l’auteur. À l’image du décor qui évolue à vue, l’intrigue s’imbrique pièce par pièce à la façon des matriochkas. Attention terrain miné pour les hommes : qu’ils soient tsar ou simple communiste, père ou futur époux, elles resteront unies face à la menace et au secret. À l’heure de la transparence, elles sauront se lever pour rejoindre leur propre paradis. Si ce soir, vous ne savez pas quoi frère, courrez au Grand T à 20h30. »

« Médiateurs issus de grandes fratries : un texte en résonance avec la pièce de Philippe Dorin”.

Les échanges des spectateurs issus de « grandes fratries » laissent entendre différentes résonances du spectacle avec leur histoire personnelle. Certains se sont identifiés sur la fratrie évoluant sur scène, d’autres non. Pour autant, tout le monde s’accorde sur le caractère unique et privilégié du lien fraternel. Comme en témoigne la solidarité autour du secret et l’instinct de protection mutuel. On a tous dans nos fratries des souvenirs de jeu. Ces moments deviennent le lieu des premières expériences à l’image de la scène des cigarettes. Ils permettent aussi une réinterprétation de la réalité, telle la scène du Cluedo. Chacun sa place, chacun son rôle : la responsable, le garçon manqué, la conciliatrice, la petite dernière…La pièce nous interroge sur cette distribution, sur le caractère aliénant de la fratrie et comment s’en défaire pour vivre sa propre vie tout en gardant un lien, à l’image de l’émancipation de chacun des personnages à la fin de l’histoire ».

« Mettre en jeu, une thématique de la pièce, qui s’adresserait aux enfants et aux adultes ».

Thème choisi par le groupe : le secret de famille.

Les concepteurs débarquent dans la salle, déterminés à jouer. Ils donnent les consignes («Mettez-vous en trois groupes. Vous êtes une fratrie de 10. Enchaînez-vous. En circulant dans la pièce, chacun d’entre nous vous donnera un indice pour trouver le secret qui traverse l’œuvre de Philippe Dorin»).

La dynamique collective est  visible dés l’énoncé des règles. Instantanément, le chaos produit l’énergie créative. Les codes de complicité sont posés: on a fait connaissance depuis le début de la journée, on se reconnait, on co-construit en confiance, ensemble.  Des squelettes, les chairs bougent, enchaînés, mais reliés par les mains, symbole de la force vive du collectif. À petits pas, les idées galopent, les rires fusent, le plaisir partagé est là. La jubilation ludique entraine tout le monde dans son sillage et personne ne cherche à connaitre l’enjeu («jouer, mais pour gagner quoi ?»)

La noirceur des secrets émerge et questionne l’adresse au jeune public. Nous apportons le regard théorique sur les processus ainsi déployés. «Travaillez votre groupe. Investissez dans le temps du groupe tout au long de vos saisons théâtrales ».  L’écoute est là. Chacun semble repérer la force du jeu comme outil de médiation.

« Des spectateurs arriveront à 20h30 pour un spectacle du chorégraphe Angelin Preljocaj. Mais une erreur s’est glissée dans le programme : ce soir, « Sœur je ne sais pas quoi frère » est à l’affiche. Vous avez une heure pour créer une feuille de salle pour que le public reste au théâtre »

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La feuille de salle épate. Elle est en trois D, telle une invitation au jeu. Elle vise à créer la relation circulaire entre les spectateurs et le lieu à partir de mots qui relient danse et théâtre. Puis viennent quelques informations pratiques avant que ne se dévoilent les raisons pour lesquelles il faut rester. Ce groupe a réussi à mette en mouvement créatif,  les trois niveaux de la communication : le contenu, la relation, le contexte.

Articulés entre eux, ces quatre exercices dessinent une médiation en dialogue avec l’œuvre artistique où  le jeu, le groupe, la recherche du sens créent la communication. C’est ainsi qu’un collectif de médiateurs, en réseau (métaphore de la fratrie), a mobilisé ses différentes sensibilités pour créer, pour amplifier ce que l’art nous donne : être sujet au cœur du chaos.

Sylvie Lefrère, Pascal Bély – Tadornes.

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Pourquoi j’arrête ce Tadorne là…

Ils ont osé. Elle a osé. Pour la première fois en France, la directrice d’une Scène Nationale (Le Merlan) a envoyé une lettre recommandée à un spectateur qui a eu la mésaventure d’interroger son projet et de pointer ses graves manquements à ses missions de service public. Pour la première fois en France, un syndicat (le SYNDEAC) a examiné la requête du Théâtre du Merlan de Marseille pour qu’il entame une procédure en diffamation contre un spectateur, auteur d’un blog sur l’art vivant depuis 2005. C’est du jamais vu. Pour la première fois, suite à ma dénonciation, le directeur de la Scène Nationale de Cavaillon, Jean-Michel Gremillet, déverse des injures sur le blog et affirme dans un mail privé qu’il m’interdira dorénavant l’accès au théâtre. Cela n’a provoqué aucun émoi particulier : ni dans la presse locale (tellement occupée avec l’affaire Guetta et à préserver ses subsides publicitaires avec le Merlan), ni sur les réseaux sociaux (où l’on semble feindre de ne pas comprendre où est le problème). À part le cercle proche, je me suis senti bien seul.

C’est ainsi que des femmes et des hommes de culture ont collectivement  envisagé d’intimider un spectateur pour le faire taire. Ils exercent un pouvoir sur les artistes sans véritable régulation démocratique et ne supportent pas l’idée qu’un spectateur «d’en bas» s’immisce dans leur projet. De tous les services publics, la culture est le seul système où le citoyen n’a strictement aucune possibilité de faire entendre sa vision. Mais à quoi sert l’art si ce n’est d’exercer son regard critique sur tout ce qui fait sociétal, ce qui fait politique?

Ainsi donc, une corporation s’arroge le pouvoir de définir de façon univoque sa vision de la relation avec le spectateur : elle a des outils (action culturelle, service de communication, de relation avec les publics, …), des dogmes prêts à l’emploi (ah, la sacro-sainte «démocratisation culturelle» si possible «par l’éducation populaire»), des relais associatifs (parce qu’il existe des publics empêchés), des pratiques de management d’une autre époque (un affect très corporel mêlé d’autocratie). Tout est fermé de l’intérieur par un système de nomination occulte où le Président suprême a le dernier mot. C’est ainsi qu’ici ou là, des mandats de direction de 15, 20, 30 ans verrouillent sur le territoire tout processus de changement au profit d’une caste qui sait à quel moment il est judicieux de se placer auprès du maître (la maitresse est plus rare vu la forte virilité du secteur…).

C’est ce système qui positionne la culture dans une vision descendante là où la mondialisation et la puissance de l’horizontalité de l’internet appellent d’un lien à l’art renouvellé pour l’extraire du consumérisme. Mais aujourd’hui, ce système autocratique sert une industrie culturelle qui impose ses esthétiques, sa communication et les procédures de contrôle de la parole du spectateur qui vont avec, ses dynamiques de réseau fermées contre une approche transversale de l’art.

J’ai pensé que je pouvais «jouer» dans ce système pour l’ouvrir au profit d’articulations créatives. Peine perdue. Ou presque. J’ai pensé que la sensibilité de mon écriture pouvait légitimer la parole de tout spectateur. Cela s’est avéré impossible au risque de me compromettre avec la dictature du slogan, d’aller à l’encontre de mon éthique, de mes valeurs. À plusieurs reprises, je me suis senti à la limite de leurs jeux. Je sais pourtant qu’ici ou là, des spectateurs et des artistes se sont reconnus dans la démarche un peu «frondeuse» du Tadorne. J’ai entendu la parole encourageante d’acteurs socio-éducatifs pour qui un changement de paradigme était possible (à savoir co-construire des projets culturels plutôt que des contenus auxquels il faut se soumettre).

Il est donc urgent de réinterroger en profondeur le projet de ce blog. Il n’y a plus de temps à perdre, car tout mouvement créatif a besoin de se nourrir de la base, du peuple (oh, le vilain mot que le système ne prononce même plus…lui préférant territoire, terme plus chic). Il me faut en premier lieu m’extraire des logiques de pouvoir. Je présenterais donc ma démission à la DRAC PACA comme expert danse tout comme je mettrai fin à mon mandat de président d’une compagnie.

D’autre part, il n’est plus imaginable d’écrire sur les œuvres à partir d’un positionnement perçu comme “critique professionnel”. J’ai besoin de relier l’art à mon contexte (qui grâce à mon métier de consultant pour les services publics et associatifs est foisonnant de ressources créatives). Je ressens l’extrême nécessité de me nourrir des propos artistiques en les déconnectant de la communication abrutissante qui les entoure pour les prolonger vers les chercheurs, vers les praticiens de la créativité que je croise au hasard de mes missions et de mes lectures. Je vais donc changer de réseau d’information (arrêter ces abonnements sans fin aux pages Facebook si pauvres du secteur culturel) pour m’intégrer dans ceux qui font la promotion de pratiques sociales et éducatives innovantes.

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Le Tadorne veut relier l’art différemment et échapper au consumérisme organisé par les lieux culturels qui, peu à peu, compliquent l’achat des places, starisent leur programmation, empilent toujours plus de propositions pour répondre à nos pulsions de consommateurs avides de nouveautés.

J’aimerais tenter une autre écriture. Elle sera délicate à ses débuts, mais j’ai confiance dans mon expérience de sept années auprès des artistes. Elle aura besoin de temps pour émerger et s’affirmer. Mais ce saut dans l’inconnu est la seule façon de ne pas se laisser absorber par le néant de la communication et du commentaire dans lequel ont veut plonger ceux qui pensent par eux-mêmes.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Se remettre dans le bain.

Comme spectateur qui écrit en amateur, j’ai parfois besoin d’être en lien pour avoir confiance. Le Théâtre de Lenche à Marseille m’a dernièrement envoyé un mail pour m’inviter à «Belle de seigneur (extraits)» mis en scène de Renaud Marie Leblanc et Jean-Claude Fall. Cet écrit accueillant et personnel change des invitations robotisées et abondantes. J’avais prévu ce déplacement. Mais l’énergie ne venait plus.  Je suis donc (re)parti…

Il est 20h30, j’y suis. Deuxième rang. Du centre de la scène, je perçois à peine ses cheveux. Son corps semble disparaitre. Elle est dans sa baignoire d’où s’échappe un tissu blanc qui reconfigure tout l’espace. Me voici spectateur, un peu voyeur, de ce corps inanimé. Cette baignoire-cercueil oblige au recueillement, mais il est couvert par le brouhaha du public, bruit de fond de la foule qui se presse…pour elle…pour la voir. Imaginez donc…une création théâtrale issue d’un des chefs-d’œuvre de la littérature, écrit par Albert Cohen. Ce soir, Roxane Borgna incarne la belle Ariane, épouse d’Adrien (petit bourgeois), mais surtout éprise de passion pour Solal, haut responsable de la Société des Nations. Ariane…tel un fil…qu’elle va tirer entre sa fougue, ses pulsions, ses déraisons, sa drôlerie et nous, spectateurs assis dans cette salle de bains, boîte noire où pourraient siéger nos désirs inavouables!

Elle se lève. L’eau dégouline de sa robe-camisole de force dont elle se libère peu à peu. Cette eau évoque cette pluie bienfaitrice après la chaleur torride d’une journée de labeur. Ariane s’ouvre et nous éclabousse parfois avec ses gouttes gorgées de mots qui abandonnent leur poésie sur nos terres asséchées par nos quêtes rationnelles d’amour. Ariane entre et sort de l’eau: à chaque délivrance de ce liquide presque amniotique, elle n’est plus la même. Au début, presque apeurée lorsqu’elle se confie sur l’enfance et son mari, elle devient peu à peu provocante, charmeuse de serpent, soumise et rebelle, folle amoureuse d’un prince des fous…À la fois force créative quand elle se met à distance de celui qu’elle aime (moment savoureux où elle se moque de son amant qui éructe pendant l’acte sexuel), elle se métamorphose quand elle se passionne pour lui, prélude à un corps à corps que je devine brûlant…mais l’eau est toujours là, pour éteindre ou raviver, en fonction d’un jeu de lumière qui explore ce corps qui a tant à donner, à dire.

Eugène Delacroix - La Liberté guidant le peuple delacroix_la_liberte_guidant_le_peuple

Je suis suspendu à son fil. Je bois ces mots. Je m’émerveille de la voir monter sur les rebords de la baignoire, comme pour en découdre contre l’ordre établi qui régit les bonnes mœurs et les meilleures façons de s’aimer. Bras tendus, tête haute, elle me fait penser à la toile de Delacroix, «La liberté guidant le peuple» : «C’est l’assaut final. La foule converge vers le spectateur, dans un nuage de poussière, brandissant des armes. Elle franchit les barricades et éclate dans le camp adverse. A sa tête, quatre personnages debout, au centre une femme. Déesse mythique, elle les mène à la Liberté. A leurs pieds gisent des soldats.».

Me voici soldat de l’amour à vouloir reprendre les armes, à ses côtés. Parce que Roxane Borgna est splendide dans le rôle (elle incarne cette  beauté au théâtre qui donne l’énergie d’espérer…) ; parce que ce plateau de noir et de blanc forme ce champ de bataille entre vie et mort, entre amour et haine, entre «ça» et «moi» ; parce que ce théâtre-là est généreux de mots et de corps; parce qu’un petit espace suffit pour lutter entre demande d’amour et pulsions mortifères ; parce qu’Ariane a donné 5o minutes d’un beau texte, trop peu pour qu’une armée de cupidons lance dans sa baignoire des flèches rouge sang qui la réveilleront d’un trop long silence…

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Belle de seigneur (extraits)» mise en scène de Renaud Marie Leblanc et Jean-Claude Fall au Théâtre de Lenche, à Marseille, du 12 au 23 mars 2013. 

 

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ETRE SPECTATEUR LES FORMATIONS DU TADORNE PETITE ENFANCE Vidéos

En avril 2014, 4ème édition de la formation “L’art et les tout-petits”.

Depuis 2010, j’accompagne, via mon cabinet TRIGONE, la mise en oeuvre d’un projet autour de «l’art et les tout-petits» visant à créer un modèle de relations contributives entre professionnels de la toute petite enfance, artistes et opérateurs culturels. C’est ainsi qu’un réseau s’est formé, composé du Théâtre Massalia, des directions de la toute petite enfance des villes de Fuveau, Martigues, Vitrolles (bientôt les Pennes Mirabeau)  et des associations de crèches privées, la Maison de la Famille et Balou à Marseille. Trois cursus (2011, 2012, mars 2013) ont permis à 45 professionnels et artistes de se former à «l’art et les tout-petits» auxquels s’ajoutent des réunions où le management des structures relie les actions artistiques de terrain à un projet éducatif global.

Depuis 2011, cette dynamique de réseau a permis de :

– Diffuser des spectacles et d’cccueillir des résidences d’artistes au sein des établissements de Fuveau et de la Maison de la Famille en étroite collaboration avec le Théâtre Massalia.

– Mettre en oeuvre en 2012 une formation en intra à Martigues. Le projet “A tout petit pas dans l’art, un grand pas dans l’humanité” a ainsi vu le jour et va se déployer  en 2013 en s’articulant aux évènements de Marseille Provence 2013.

– Rencontrer le 4 octobre 2012 la ville de Charleroi et le Théâtre de la Guimbarde pour croiser et relier les expériencesles  lors du festival «Pépites» prévu en 2013.

– Associer Klap, Maison pour la Danse à Marseille et le Théâtre de Fontblanche de Vitrolles au programme de la  formation.

– Organiser lors des Offinités du Tadorne, des journées au Festival d’Avignon («Le grand Off du tout-petit») où professionnels et artistes débattent sur des propositions artistiques.

Projet Enfant Phare avec Philippe Lafeuille et le cabinet TRIGONE pour la ville de Vénissieux.

Pour 2013, un troisième cursus de formation a débuté en mai 2013. Un cursus est prévu en 2014:

– La plaquette de la formation est en ligne ici avec l’inscription: ici.

– Un retour de professionnelles sur la formation 2012:  L'art et les tout-petits, une formation à PART! L’art et les tout-petits, une formation à PART!

– Un article de Piccolo sur la formation.

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à me contacter au 06 82 83 94 19 ou par mail (pascal.bely@free.fr).

À très bientôt.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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LE THEATRE BELGE! OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

«La légende de Bornéo»: un si beau travail.

Tandis que les désirs d’ouvertures s’entendent ici ou là, la peur donne le tempo et les enferme dans un «no futur». Tandis que l’on nous exhorte de changer, nous continuons à imposer un modèle productiviste finissant pour trouver des solutions à la crise. Le cercle est vicieux. Heureusement, le théâtre est encore là pour nous aider à penser autrement, à nous interroger différemment, à faire corps social pour retrouver l’élan collectif. Parfois, il y a le théâtre (souvent belge d’ailleurs) pour nous inviter à relier ce que nous cloisonnons, à bousculer l’ordre établi et ouvrir nos systèmes de représentation, levier de tout changement (au-delà des dogmes tout faits qui nous tombent dessus ou des slogans de communication, vecteur de l’insignifiance). Confiant envers deux lectrices fidèles du blog qui m’invitaient à faire 200 km pour aller à leur rencontre, parce que «c’est intelligent», je suis parti voir le collectif «l’Avantage du doute» pour leur dernière création «La légende de Bornéo». J’en suis sorti plus fort, plus penseur, plus acteur alors que la question du lien au travail (thème de la pièce), aurait pu m’éloigner du plaisir.

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Ce qui frappe d’emblée, c’est le collectif composé de cinq acteurs. Leur hiérarchie est invisible, à l’image des entractes où chacun contribue à débarrasser la scène…Ils font collectif ouvert parce qu’ils nous accueillent. Alors que nous attendons que le spectacle commence, Simon Bakhouche, «acteur à la retraite», améliore ses fins de mois en nous proposant pour 1 € pièce, des crêpes de Dunkerque élaborées par sa femme. Certains spectateurs achètent…comme quoi, le théâtre ne pèse pas lourd face à la pulsion de faim! Dans cette séquence, la relation marchande artiste–spectateur évoque aussi la précarité grandissante de ceux qui ont atteint l’âge de se reposer…ou de poursuivre leur oeuvre! J’y vois également l’urgence d’ouvrir cette relation pour l’émergence d’un nouveau paradigme à partir d’un collectif non hiérarchisé. Leur dynamique de groupe nous y aide d’autant plus qu’ils parviennent à inclure le vaudeville, le one woman show, dans une esthétique contemporaine où le signifié prend le pas sur le signifiant. Chapeau ! Car, comment aborder la question complexe du travail, si l’on ne pose pas la relation ouverte entre artistes et publics pour que s’accueillent nos ressentis, nos visions, nos mots, nos corps…?

A ne pas être sur le pouvoir, ce collectif dégage une puissance contaminante qui autorise bien des porosités. C’est ainsi que je navigue du couple, à Pôle Emploi, à la famille, à la relation pédagogique, à la reconversion, sans avoir une seule fois l’impression d’être dispersé et manipulé. D’autant plus que pendant que certains jouent, d’autres observent. C’est toujours contenu, jamais sous contrôle. Avec eux, tout se relie, tout se traverse : leurs corps d’acteur captent, restituent, subliment. Ce sont des artistes populaires.

Ce collectif aborde le travail par tant d’angles que cela forme une vision. De scène en scène, je le ressens comme un système d’opérations. Il n’est plus un système de valeurs. La pulsion, la mécanique a pris le pas sur l’échange de nos représentations (l’épisode où la jeune sœur, comédienne –sincère Judith Davis– entre en conflit avec son beau-frère robotisé par son entreprise, est sur ce point saisissant!). Même le couple importe dans ses jeux amoureux, l’opérationnalité du travail. Tout est contaminé jusqu’au système absurde de Pôle Emploi (instant drôle et tragique où Claire Dumas incarne un conseiller), pris dans un engrenage de procédures qu’il ne supervise plus. L’opération a pris le pouvoir sur le système de pensée censé le réguler. Le corps et l’esprit sont déconnectés si bien que le biologique lâche (à l’image de la troublante scène où Nadir Legrand – acteur exceptionnel- ne se contrôle plus), à moins qu’il ne soit matière de travail (la danse de Mélanie Bestel avec son mari n’est qu’une succession de gestes sans rapport avec le  propos…). Le collectif élargit sa focale jusqu’au système culturel responsable d’instrumentaliser la poésie à des fins de communication pour cacher la misère sociale à partir de «matières» produites par des acteurs de plus en plus précarisés (avez-vous remarqué le nombre de lieux culturels qui se nomment «Fabrique», «Atelier», voire même «Usine»?).

Je comprends que, peu à peu, changer le travail supposerait de transformer notre relation à l’art, au beau dans une société où la pulsion a remplacé la raison.

Pour que le rêve d’être quelqu’un ne se réduise pas à conduire les opérations de déneigement lors d’hivers sans fin…

Pascal Bély – Le Tadorne.

« La légende de Bornéo » par le Collectif l’Avantage du Doute au Théâtre de Nîmes les 14 et 15 mars 2013. Au Théâtre Garonne de Toulouse du 19 au 23 mars 2013.