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FESTIVAL D'AVIGNON LE GROUPE EN DANSE LE THEATRE BELGE! OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Festival d’Avignon – Est-ce que la catharsis, ça fait pocpoc?

Si Halory Goerger et Antoine Defoort sont comme ils se plaisent à dire «des analphabètes du théâtre», cela ne les empêche pas de créer leur propre langage scénique entre arts plastiques, performance, conférence, danse et théâtre. Depuis «Métrage variable», «Cheval» et «&&&&& & &&&», ces deux-là contaminent la scène dans un geste tout à la fois ludique, savant et critique des usages de notre époque, de notre rapport à la technologie et au langage: d’ailleurs, le sous-titre de l’une de leurs créations n’était-il pas «un spectacle de câble et d’épée». Tout un programme!

“Germinal se présente comme une pièce (qui) met en scène des individus qui envisagent le plateau comme un espace vierge et fécond dans lequel tout est à faire. [?] à faire émerger un système, en étant candide on dirait : un monde.» En effet, Germinal est une odyssée à rebours, un laboratoire utopique sans but s’appuyant sur l’aptitude des êtres à former leur pensée par le biais du langage, et se construisant au fur et à mesure sur l’idée que du groupe naît la contradiction et la conscience de sa propre identité. Peut-être est-ce cela le «minimum ontologique légal» qui permet de démarrer une nouvelle civilisation. Car c’est bien ce qui est mis en branle et mis en question dans cette création: comme sur une page blanche (mais pas vierge) ou comme au début d’un jeu vidéo dont le fonctionnement et les possibilités sont encore à découvrir, Germinal se doit de tout inventer.

Au commencement la lumière fut, discrète tout d’abord, s’essayant à plus d’intensité, à disparaître, puis à prendre plus de place. Cela dure un certain temps; un monde ça n’est pas si simple à éclairer et petit à petit, l’on distingue quatre silhouettes assises sur ce plateau vide, qui apparaissent tranquillement. Une femme et trois hommes -mais cela a-t-il une quelconque importance?- sont posés là, attendent la suite. L’un d’entre eux se lève, c’est lui qui maîtrise depuis le début tous ces jeux d’éclairage. C’est un monde en vase clos dans lequel tout est à inventer. À ré-inventer plutôt, car l’on se rendra vite compte que ces quatre êtres humains – qui n’ont rien à voir avec une peuplade dite «première»- possèdent un langage très développé, malgré le fait qu’ils ne maîtrisent pas tout de suite leur appareil phonatoire, et s’avèreront être très perspicaces lorsqu’il s’agira d’éviter de retomber dans certains travers à l’oeuvre dans notre société, pas dans la leur!

La germination est en marche, tout d’abord le langage comme forme de pensée, la communication, la contradiction, la voix, le chant, la musique, l’individu qui déjà manipule les idées des autres pour son propre compte. Tout cela s’accomplit dans une douce nonchalance et une fausse naïveté qui rend cette «création du monde» à la fois hilarante, ludique, subtile et nécessairement poétique et politique.

Comme dans les précédentes pièces d’Halory Goerger et d’Antoine Defoort, le rire prend sa source au coeur même des données et des contraintes du langage, de son déploiement. À l’instar de Tiqqun dans la Théorie du Bloom, ils cherchent à «aller jusqu’au bout des possibles que contient leur situation». Situations limites dans lesquels nos quatre interprètes se confrontent à la nécessité d’apprendre comment s’organise un échange de pensée par sous-titres interposés. Comment produire du son avec sa glotte, sa gorge et son larynx…Comment un seul micro pour s’exprimer pose-t-il la question du porte-parole, et donc du mode de gouvernement en devenir… Autant d’approches ludiques et dialectiques d’un questionnement sur la constitution et le fonctionnement d’un groupe, d’un peuple, d’une civilisation, d’une galaxie.

Une fois le langage et la parole mises au point vient le temps de se mesurer à l’espace, aux éléments qui constituent cet espace, qui le circonscrivent et forment les bases d’un vocabulaire plus élargi, du rapport au matériel et à l’immatériel. Il y a ce qui fait pocpoc quand on le frappe avec le micro et ce qui ne fait pas pocpoc. La catégorisation est en route. Mais tiens d’ailleurs, est-ce que la catharsis, ça fait pocpoc ou pas? Et à un moment, se rendre compte qu’il y a des choses qui font pocpoc dans le coeur…


Germinal se déploie dans une «variation continue» pour reprendre l’expression deleuzienne. Il faut détruire pour construire semble être l’un des leitmotivs du spectacle. Chaque élément découvert devient l’occasion pour chaque interprète de mesurer son rapport au monde en train de se créer. Micro, guitare, amplificateur, ordinateur sont autant d’éléments poussiéreux, enfouis sous des gravats tels des restes archéologiques d’une époque révolue, des résidus, et qui aujourd’hui servent à la reconstruction du monde, ou du moins à la construction du spectacle. L’objet occupe dans cette création une place importante d’élément permettant d’établir une critique de nos propres comportements à partir de l’usage que nous en avons, voire même de l’usage qui nous en est imposé.

Dans une approche aussi bien plasticienne que théâtrale et performative à souhait, Halory Goerger et Antoine Defoort parviennent à élaborer un monde en vase clos aux multiples résonnances vers l’extérieur. Une installation théâtrale sous forme de laboratoire tout à la fois farfelu et tellement nécessaire. Ce ne sont pas des personnages qui jouent la comédie, ce sont des êtres en devenir dont les buts sont très incertains. On peut jouer avec le monde, le décortiquer, en défaire une à une chaque brique, faire tomber les murs, ne pas les reconstruire, ré-agencer des ensembles nouveaux. Cependant, les bases restent là: des individus face aux autres et face à eux-mêmes, aux prises avec un langage à redéfinir, à dé-catégoriser, à réinventer.

Lorsque l’on sort de la salle, on se sent plus intelligents (pour une fois!), petits face à l’ampleur de la tâche qui nous attend, grandis par la dimension ludique et critique de cette création, et surtout joyeux que quatre trublions rebattent les cartes de nos représentations individuelles et collectives.

Si ce n’est pas du Zola, on en rêverait presque ! Merci.

Nicolas Lehnebach pour, vers le Tadorne.

Germinal, aux Subsistances, du 18 au 21 septembre 2012 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon. Au Festival d’Avignon du 16 au 24 juillet 2013.

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Avignon Off 2013 – La belle danse du secret.

Confiant dans mon réseau Facebook, un lecteur du blog me conseille un spectacle de danse au Festival Off d’Avignon. Cette discipline artistique peine cette année à se rendre lisible, payant probablement le prix fort de la crise économique et d’une recherche de rentabilité à court terme.

Le Collectif Zone libre, emmené par Cathy Testa et Marc Thiriet, est là, bien présent. Trois solos pour trois danseuses époustouflantes, accompagnées en direct par le musicien Guillaume Feyler. Comment ne pas déceler dans ces choix, une prise de risque, une ambition, au cœur d’un festival de théâtre ?

Il est 22h25 et je suis fatigué par une journée marathon. Une heure plus tard, ce collectif m’a donné l’énergie que procure un voyage de long cours, où des territoires se révèlent, se nourrissent les uns des autres, sans m’épuiser par une concurrence inutile, mais en privilégiant la confiance envers le spectateur, seul capable de créer ses chemins de traverse. Car du chemin, il y a…

Lorsque s’avance Cathy Testa, la lumière projette sur toute sa peau les vitraux d’une cathédrale. Cette rencontre entre une quête absolue de sens et mon imaginaire florissant me propulse dans ses plis, métamorphosés en vallée des merveilles. Le corps phare guide la création lumière tandis que la musique dévale les pentes d’un dos – nef, à moins qu’elle n’émerge de cryptes à secrets. Captivant.

Lorsque s’avance Flavie Hennion, du dehors se fait entendre le feu d’artifice du 14 juillet. Femme centaure, ses mains sont sabots; sa chevelure crinière cache son visage. On la croirait au centre d’un bombardement, sous les feux d’un pouvoir oppressant. Elle chemine, pas à pas, peu à peu, douleur après douleur…Du haut vers le bas…du bas vers l’horizon. Les membres du corps se désarticulent pour accompagner la métamorphose qui s’opère entre enfermement et libération, démarche forcée et désir de danse. À certains moments, j’y vois la danseuse classique se délestant peu à peu de ses pointes pour explorer tout ce qu’un corps peut véhiculer de sens. Elle parcourt le plateau et je la suis, car mon regard est sa force, sa beauté mon désir d’en découdre avec mon épuisement. Tandis qu’elle finit par se relever, cette femme oiseau est toujours en danger: les bombardements sont certes terminés, mais d’autres balles pourraient l’atteindre. De la part de ceux pour qui l’art de la métamorphose est un blasphème. Époustouflant.

Lorsque s’avance Lucie Blain, sa posture m’évoque la petite poupée qui tourne sur elle-même…un jouet dont raffolait ma sœur. Ce soir, elle nous est offerte. Elle est cadeau. Mais peu à peu, elle nous échappe. Ses gestes s’appuient sur la lumière pour explorer l’espace et le sculpter pour que vienne s’articuler à cette dynamique rotative, un mouvement moins linéaire, plus harmonieux. À la mécanique se substitue la fluidité, de celle que procure l’altérité, symbolisée par une musique complexe et accueillante…La lumière est une matière. Elle surgit des coulisses, traverse le corps et ouvre un cheminement sur le sol…

Un chemin que seule la danse peut offrir quand elle relit la pensée et le corps. Sidérant.

Pascal Bély – Le Tadorne

«Le secret de la petite chambre » par le collectif Zone Libre. Au Théâtre de l’Oulle jusqu’au 28 juillet à 22h20 dans le cadre du Festival Off d’Avignon.
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Avignon Off 2013 – Article sans titre pour un spectacle audacieux.

Le titre me semblait rédhibitoire et pourtant, au terme du spectacle, il me serait difficile d’envisager un autre. “La Jeune Fille et la morve” s’énonce en langage cru. Ne rien atténuer…ni sublimer. Plonger au fond du prosaïque pour y trouver une merveille. Difficile de résister à la grâce mélancolique diffuse, dans cette pièce. Un objet visuel qu’on ne sait par quel bout prendre, un «laboratoire du mouvement». Tout apparaît en mode mineur; patchwork volontairement mal cousu d’une conscience déchirée. Celle d’Amélie Poirier, actrice de cette autofiction mise en scène par Mathieu Jedrazak. Ce dernier a créé la Brigitte Nielsen Society. Comme son nom l’indique, l’esprit parodique n’est pas loin, subvertissant des champs aussi divers que l’art, la politique, l’identité sexuelle. Mais, dans “La Jeune Fille et la morve“, il ne recouvre pas le tragique de la situation, qui impose sa durée et son épaisseur tout au long de la pièce.
Amélie Poirier, donc, met en scène son existence, avec ce que cela suppose de mise à distance et de jeu avec la vérité. Le va-et-vient entre durée vécue et espace propre au spectacle constitue une réussite, car il suscite le trouble. Bien d’autres éléments y contribuent également. Au début de la pièce, dès l’entrée des spectateurs, la présence sur scène d’une poupée-ballerine-marionnette, double immobile et muette de la comédienne-danseuse, nous interroge sur le devenir de tout danseur et par-là même de tout individu: l’inertie, la chosification, l’absence. Amélie Poirier se place, elle, sur l’estrade, au dernier rang des spectateurs. Jambes écartées, visage masqué par d’épaisses lunettes de soleil, elle porte la traditionnelle tenue de danseuse classique. Et pourtant, on saisit vite l’idée qu’il ne s’agira pas, à proprement parler, d’un spectacle de danse. La mise en mots compte autant que le jeu du corps, qu’ils soient formulés en direct ou par voix off. La vie de la danseuse importe davantage que sa technique ou son talent.

Alors elle parle, sans retenue, de ses failles. Énonce d’entrée de jeu une sorte de panégyrique psychiatrique mettant en valeur ses faits d’armes névrotiques : séjour en EPSM (Etablissement Public de Santé Mentale), relations avec de très nombreux psychiatres, angoisse liée à la vomissure, à l’alimentation, tentative de suicide. Elle évoque également ses rêves dansants brisés, lorsqu’elle était enfant, par différents professeurs. Ils sont croqués de façon grinçante, comme celle, morte d’un cancer de l’utérus, bien qu’étant vierge. Chaque objet sur scène tisse la toile d’un vécu le plus souvent douloureux, parfois réconfortant : les ballerines abandonnées, la poupée-marionnette renvoyant à son abandon de l’École supérieure nationale des arts de la marionnette.

On se dit que “La Jeune Fille et la morve” constitue le versant négatif, sombre, trouble, de “Véronique Doisneau” de Jérôme Bel. Ce dernier célébrait une danseuse étoile sur le point de s’éclipser, au sommet de sa gloire ; Mathieu Jedrazak donne la parole à une jeune femme de 25 ans, délabrée par ce qu’elle désigne comme la folie, confiant ce terrible : «Personne n’a jamais cru en moi». L’illustre danseuse de l’Opéra de Paris évoquait sa participation à des spectacles prestigieux (Le Lac des Cygnes), Amélie Poirier raconte ses défilés de fin d’année scolaire. La comparaison va jusqu’à contaminer les spectateurs, pour les uns complices d’une ascension, tandis que les autres assistent à une chute. Les deux chorégraphes se détournent de la danse sans pour autant l’oublier: raconter et jouer vont de pair.

Ça et là, Amélie Poirier esquisse des gestes de danse classique pour illustrer son propos. Mais dans”La Jeune Fille et la morve“, l’exécution reste bancale – la non-danse n’est plus un exercice formel, une expérimentation objective sans risque pour son auteur ou ses comédiens : elle constitue une mise à nue physique comme psychique. Amélie Poirier s’exécute sobrement; elle va jusqu’au bout et offre à plusieurs reprises son corps aux regards des spectateurs. De dos, courbée en avant, fesses adressées au public, exhibant son anatomie intime : «Je n’arrive pas à voir la beauté en moi». On est saisi par le décalage entre l’érotisme de la scène et la radicalité des paroles. La mise à nu des artifices théâtraux ne vaut rien si elle n’atteint pas la chair et l’âme.

Alors La Jeune fille et la mort se fait entendre. Amélie Poirier se transforme. D’abord immobile, elle désarticule son corps obstacle, plaque sa poitrine à l’aide d’un épais ruban adhésif, se dessine une moustache et insère sur son sexe un phallus composé de collants. La violence infligée n’en est pas moins très belle. Corps hybride, transsexuel, qui se met en mouvement. Qui danse dans l’entre-deux, des sexes, du théâtre et la performance, de la vie et de la mort. Une bouffonnerie mélancolique. Un corps politique, par les temps qui courent…La poupée, violentée, ligotée, assaillie par le micro phallique, est à son tour sexualisée. Elle semble sortie de l’esprit d’Hans Bellmer. Avant d’être libérée et comme réhabilitée, aux yeux des spectateurs. Amélie Poirier danse enfin…se libérant du cimetière de bananiers, qui tombent les uns après les autres.

La Jeune Fille et la morve constitue le geste brut d’une jeune troupe qui, cherchant à affirmer sa vision, se cogne contre les murs, espérant les détruire, un à un. Tous ne tomberont pas. Mais les quelques facilités potaches ne doivent pas masquer la force du propos. On espère les voir continuer à creuser ce sillon, en maintenant cette ligne de crête.

Sylvain Saint-Pierre – Tadorne

"La Jeune Fille et la morve"  de Mathieu Jedrazak à Présence Pasteur (19h50) jusqu'au 31 juillet 2013.
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Avignon Off 2013- Mardi, c’est Monoprix.

Monoprix existe depuis des générations. Vous avez certainement déjà emprunté ses allées, mais jamais avec une metteuse en scène!  Paule Groleau nous y introduit en nous frayant un passage entre les rayons et les cintres suspendus. Emmanuel Darley a écrit ce texte en 2007. Le Grenier à sel à Avignon nous propose une troisième adaptation pour le théâtre. Jean Marc Bourg et Jean Claude Dreyfus avaient précédé Patrick Sueur, le comédien d’aujourd’hui. Il épouse le corps du personnage de cette histoire singulière. Sa silhouette est longiligne, son visage est doux, son regard clair est apaisant, son attitude est calme.

Il est une femme, Marie-Pierre, à la peau aussi lisse que son caractère. Dans une autre vie, il était Jean-Pierre. Après ce changement d’identité, il a déménagé, mais il revient régulièrement rendre visite à son père dans sa ville d’origine. Une certaine façon de garder un pied dans le passé et dans le réel. Ces prénoms composés ne sont-ils pas les métaphores de désirs de vies multiples ? Nous suivons pas à pas Marie-Pierre dans ses trajets. Elle dégage une forte volonté. Elle assume le regard des autres, et se risque chaque semaine à celui de son père. Il vit seul après la disparition de sa femme, soutenu par son enfant, qui lui rend des visites hebdomadaires.

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Mais Marie-Pierre a de multiples facettes : enfant-homme, femme-adulte, aide ménagère, fille…Elle semble être dans un contrôle permanent. Sa robe rouge et ses escarpins brouillent notre représentation. Elle dégage l’élégance de la dignité. Elle ne baisse jamais la garde. Elle tient tête calmement aux jugements de son père despotique. Son esprit s’évadera une seule fois avec une envie d’envoyer se faire voir cet homme machiste dans ses exigences vis-à-vis de sa fille/garçon/ménagère, mais prisonnier de ses faiblesses, celles de ne pas s’assumer seul. Marie-Pierre fait face. Elle orchestre tous les mardis, dans la perspective de la semaine à venir. Tout est réglé comme du papier à musique: la liste des courses, la lessive à étendre, le menu pour tous les jours…Elle représente la parfaite ménagère, l’enfant idéal, l’épouse  rêvée…Elle rappelle régulièrement son prénom à ce père qui refuse de l’accepter en tant que telle. Mais le jour où elle disparaîtra que deviendra-t-il ?

Le dialogue de ce père et de cet enfant est le quotidien de bien des femmes. Une vie de soumission apparente dans lequel des Matriochkas se cachent. Pour recouvrir leurs corps, elles superposent plusieurs enveloppes d’oignon et de chair, où se combinent force et fragilité, homme et femme et ne débordent que ce qu’elles veulent bien laisser apparaître…

Emmanuel Darley nous tient par la main, en compagnie du jeu de Patrick, du corps de Paule, et nous soutient globalement dans nos cheminements complexes, à l’image de ceux de Jean-Pierre et Marie-Pierre.

Comme un arbre déraciné qui cherche sa source.

Sylvie Lefrere – Tadorne

« Le mardi à Monoprix» d'après le texte d'Emmanuel Darley, mis en scène par Paule Groleau, au grenier à sel du 7 au 27 juillet 2013 au festival OFF d'Avignon.
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Avignon Off 2013 – Pinocchio vous recherche.

Nous avons tous à l’esprit les images édulcorées du dessin animé de la firme Walt Disney. Certains d’entre nous songeront également à la version stylisée de Joël Pommerat. Si ce dernier, par sa réécriture, restait à, ce qu’il nous semble être aujourd’hui la surface du conte, Lee Hall nous plonge dans la complexité de l’histoire de Pinocchio. Loin des idées (fausses) sur ce monstre de littérature de jeunesse décrit par Carlo Collodi.

L’adaptation scénique par Marie Mellier du Caliband théâtre retrace, de façon chirurgicale, l’histoire du célèbre pantin. Avec ses mots et sa direction de comédiens aux scalpels, elle nous immerge dans les entrailles de l’âme. Le récit commence à la morgue. Le corps inanimé du pantin est retrouvé pendu à un arbre. Pourquoi? Comment? Par qui? Conduite par un Monsieur Loyal, le conte prend alors la forme d’une enquête policière qui se transforme peu à peu en un véritable cabaret de poche. On y croise tour à tour un criquet, une chatte, un renard, une fée bleue, un lapin de la mort, Gepetto et Pinocchio (une sorte de double et son contraire), le «pays des nigauds» ou encore le «champ des miracles». Le burlesque, omniprésent, désamorce la noirceur du propos. C’est un univers en mouvement parfaitement rythmé: l’espace scénique se disloque, se tend, s’étend, se réduit grâce aux jeux de lumière et au décor en mouvement. La matière théâtrale, ingénieusement travaillée avec ses casiers-cachettes, ménage de nombreuses surprises. Ouvertures, fermetures…comme les paupières des spectateurs. Ainsi, plusieurs lieux s’agencent dans cet espace clos. Seulement quatre sur scène, les comédiens jouent une grande variété de rôles, du professeur au médecin, etc. et cohabitent dans différents styles : du roman noir au cabaret, de la mythologie à la science-fiction… (Gabriella Meroni parfaite en Pinocchio, David-Jeanne Comello avec sa palette de jeu à l’infini, Mathieu Létuvé et Jean-François Levistre, formidables compères, avec une pensée spéciale à «la chatte»).

Il nous semblerait injuste de reprocher à la pièce la noirceur du propos. Les dimensions initiatiques et éducatives sont très présentes : pour les enfants, aller à l’école, travailler, apprendre…l’inverse de ce que fait Pinocchio. Cette morale repose sur l’idée cruelle que la naïveté se paye au prix fort et que les simples d’esprit ne sauraient être bienheureux. Cette pièce serait comme une fable moderne de La Fontaine: elle enseigne une éthique de la lucidité, à ne pas être dupe des faux semblants.

Surtout, la cruauté à l’œuvre relie le drame à l’absurde, mais aussi à la société actuelle: urbaine, sombre, misérable et miséreuse. En un mot, frappée par la crise économique. Les héros sont des chercheurs d’or dérisoires et pathétiques, mus par la nécessité de manger plus que par une quelconque concupiscence. La force de cette mise en scène réside donc dans l’entre-deux : noirceur et insouciance, âge adulte et enfance, bande dessinée de Winshluss (pour la cruauté à l’œuvre) et celle de Disney… La pièce tient cet équilibre, lui permettant d’être vue par le plus grand nombre, sans exclusion, et surtout sans risque d’être taxée de mièvrerie ou de complaisance dans la noirceur.

Et si toutefois, vous vous mettez à parler à la manière de Pinocchio, une fois sorti de la salle, laissez-vous aller, l’enfant qui est en vous est réveillé…

Sylvain Saint-Pierre – Laurent Bourbousson – Tadornes.

Pinocchio, par le Caliband Théâtre, du 8 au 31 juillet (relâche le 20 juillet), à la Présence Pasteur à 12h20.
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Au Théâtre du Nord à Lille, dès le 8 novembre 2013 – Avec Julien Gosselin, 2076…année clonique.

Ils sont face à nous. Depuis plus de trois heures. Ils n’ont jamais eu peur du public. Bien au contraire. Ils l’ont affronté, non pour le caresser dans le sens du poil, mais pour l’inclure. Ils sont jeunes (entre 25 et 35 ans) et leur arrogance créative provoque un plaisir fou. La salle les ovationne. Ils n’en reviennent pas eux-mêmes. Certains sont au bord de craquer par tant de fatigue accumulée et d’affection reçue de la part d’un public reconnaissant de ne pas l’avoir plombé ou disqualifié.

Je suis également debout. Qu’il est bon de retrouver ce geste après tant et tant de mois et d’années à faire le dos rond, à subir un théâtre français mortifère, institutionnalisé, sans âme, parce que petit-bourgeois. Ce soir, la troupe emmenée par Julien Gosselin fait maintenant partie de l’histoire d’Avignon. Mon aventure avec eux ne fait que commencer.

Mais que s’est-il donc passé ? Ils ont osé porter à la scène «Les particules élémentaires» de Michel Houellebecq. Ce roman est-il adaptable au théâtre ? Rien n’est moins sûr. Mais avec eux, tout est possible…Enfants de cette génération décrite par l’auteur (20 ans en 1980), ils assument cette filiation sans jamais la caricaturer. Ils parviennent avec délicatesse à se mettent à distance, sans cynisme, mais avec une dérision mêlée de tendresse envers une génération dont les représentations sociales se sont structurées autour de la libération sexuelle, d’idéaux politiques d’une gauche prête à jouer l’alternance malgré le septennat réformateur d’un jeune président…Ils ont réussi à créer le mouvement  fraternel entre deux hommes que tout oppose: l’un multiplie les conquêtes avec les femmes jusqu’à en devenir fou, l’autre mobilise la science pour une nouvelle espèce humaine par le clonage. D’un côté, la métaphore d’un paradigme épuisé, où il faut accumuler, produire, être compétitif. De l’autre, une révolution: celle où science et culture prendraient l’ascendant sur le biologique pour fonder une humanité plus apaisée, plus pacifique.

Ce qui les oppose sur le papier se relie : quand Bruno (Alexandre Lecroc) joue le jeune bête et con, Michel (Antoine Ferron) est en fond de scène, assis, profond, tourmenté, presque Gainsbourien. Le décor est là, dans ce regard, dans cette observation, dans cette écoute. Chacun incarne un double rôle : celui dévolue sur la scène, un autre en fond, sur les côtés, à notre place, celle du spectateur, celle de l’écrivain, celle de l’artiste de théâtre, celle où l’on observe l’intime se débattre dans le sociétal.

Il arrive même que la télévision, personnage à part entière, s’invite, mais elle le fait sur les côtés pour se projeter en grand écran : elle se veut de qualité même si on l’on ressent déjà qu’elle se perd dans des effets de communication dévastateurs envers le sens de la recherche de Bruno (on y décèle le langage de l’entre soi, loin, très loin du débat démocratique). Mais ici, elle sert le propos théâtral et n’entre jamais en concurrence.

La mise en scène de Julien Gosselin est exceptionnelle parce qu’elle ouvre le dialogue entre le monde de la recherche et le corps social à partir d’un paradoxe qui ne cesse de s’amplifier : plus Michel avance dans ses découvertes, plus Bruno devient malade. Julien Gosselin comble peu à peu le vide qui s’instaure entre les deux frères (qui se rencontrent finalement très peu au cours de la représentation) en positionnant l’art théâtral comme passerelle, sur laquelle il nous embarque. D’une époque à l’autre, de l’adolescence à la mort, je suis relié, inclus dans la quête, questionné par la force d’une science qui, articulé à l’art, l’humanise comme jamais. Les femmes jouent ici un rôle déterminant : Christiane (Noémie Gantier, magnifique tragédienne), amie de Bruno, l’accompagne dans sa recherche, en multipliant avec lui  des expériences orgiaques, métaphore d’un clonage du couple qui ne dit pas son nom… Annabelle, amie de Bruno (Victoria Quesnel, lumineuse femme de l’ombre) veut un enfant, qu’elle n’aura pas…signe que l’ère industrielle amenuise les facultés de l’espèce humaine de se reproduire dans un amour à mort destructeur. Peu à peu, la fratrie se décompose et se recompose vers une nouvelle humanité (celle d’aujourd’hui étant épuisée…comment ne pas entendre le chaos provoqué par les récents débats autour du « mariage pour tous ») a l’image du gazon présent dans le premier acte qui disparaît au second, laissant le sol froid  d’un laboratoire comme seule surface de réparation pour reconstruire.

Je ne perds rien du jeu des acteurs qui tisse le rire dans le dramatique parce que les joyeuses valeurs humanistes des années 70 (ah, la scène du yoga collectif, inoubliable Caroline Mounier en directrice du camping du changement !) sont aujourd’hui dramatiquement épuisées et provoquent bien des effondrements dans la souffrance.

Les processus impulsés par Julien Gosselin à partir de son collectif, relient les générations de spectateurs Il n’est jamais dans une posture haute en prenant le texte de Houellebecq pour le «verticaliser». Bien au contraire, il le déstructure pour créer un lien ouvert entre littérature, science, art, en nous positionnant comme co-penseur de notre époque !

LES PARTICULES ELEMENTAIRES -

La recherche scientifique mise en scène par Julien Gosselin questionne notre soif de théâtre, nos pulsions ‘destructrices » de sens, notre amour du jeu pour élever nos désirs  de spectateur (et non les cloner !) vers un nouveau «théâtre» qu’il nous reste à inventer.

Vive le Festival d’Avignon 2076!

Pascal Bély – Le Tadorne

«Les particules élémentaires», mise en scène de Julien Gosselin, au Festival d’Avignon du 8 au 13 juillet 2013.
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Avignon Off 2013 – Dans la famille de «Quelque chose de commun…», je voudrais….

Il faut être insouciant pour proposer au public du Off une telle aventure. Il faut être jeune, certainement. La Nivatyep Compagnie, sous la houlette de Juliette Peytavin (vous aurez remarqué au passage l’ambigramme) déborde d’audace, de fraîcheur, d’imprudence, mais surtout de tendresse.

Tout commence à l’ERAC (École Régionale d’Acteurs de Cannes), véritable vivier pour comédiens en devenir. Juliette Peytavin s’interroge sur les variations de rapports au sein d’un groupe imposé. Ses trois années d’étude lui permettront de travailler le sujet, à la manière d’un sociologue de terrain. «Quelque chose de commun…», dans sa genèse, était porté par 17 interprètes. Aujourd’hui, ils ne sont plus que sept, à l’image du jeu des sept familles de notre enfance. Naturellement, on finit par s’attacher à eux, car chacun s’incarne en nous et réciproquement !

«Quelque chose de commun…» nous attire peu à peu dans son filet. Telle une première rencontre, le début est quelque peu déroutant, voire ennuyeux, tout en retenue. Déjà présents sur scène à l’arrivée des spectateurs, les comédiens «font la tronche». Méfiance, défiance, résistance semblent qualifier leurs liens, leur relation au public. La tension monte jusqu’à l’implosion du groupe, moment où l’on s’interroge sur l’opportunité de poursuivre avec eux ! En réalité, cela traduit l’incertitude, la nervosité que suscite toute première fois. Il suffira d’un signe de main, lancé par Romane Peytavin (la sœur de Juliette) pour lâcher-prise, (re)lancer la dynamique du spectacle en nous permettant d’entrer dans la structure psychique du groupe. Tout devient alors plus lisible.

Dans le jeu des représentations sociales, les sept  interprètes lancent à tour de rôle un dé pour créer leur partition, entraînant les autres dans le jeu, le non-jeu, la fiction, le réel. Peu à peu, le propos émerge: cette jeunesse se cherche à travers le groupe, espérant obtenir des réponses à ses errements dans le contact avec l’autre. L’écho psychanalytique n’est pas loin, comme dans cette parole hasardeuse, hésitante et qui bafouille. Mais cette mise à nue n’est pas sans risque: elle expose les protagonistes à la cruauté de leurs camarades. Une troupe de théâtre peut alors se transformer en huis clos terrifiant où le metteur en scène incarne une figure tyrannique. Heureusement, l’humour, grinçant, opère un renversement de situations.

L’élément fédérateur de cette joyeuse bande est Maxime Mikolajczak, véritable découverte, qui capte l’attention du public. Mais chacun apporte sa personnalité à l’édifice: Manon Allouch excelle dans son «puis, tu vois, c’est comme moi» ; Julie Collomb se métamorphose en Célimène du monde théâtral;  Benjamin Farfallini désamorce les situations; Issam Rachyq-Ahrad transpire l’amour; Romane Peytavin est celle par qui tout commence ; Juliette Peytavin (qui remplaçait Louise Belmas pour la première) en angoissée permanente.

“Quelque chose de commun…” est un immense potlatch, un peu à la manière du chorégraphe  Jérôme Bel dans «The Show must go on». Ici, tous les interprètes viennent du théâtre, mais dansent et parlent. Juliette Peytavin réussit à manier le geste et la parole pour unifier le théâtre et la danse et mettre en mouvement la théorie des représentations sociales.

Cependant, réduire cette proposition à sa plus simple pensée serait passer à côté de sa complexité.

Laurent Bourbousson – Sylvain Saint-Pierre – Tadornes.

"Quelque chose de commun..."  par La  à l'Adresse, Festival Off d'Avignon, du 8 au 31 juillet 2013.
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“Offinité Publique” du 10 juillet 2013 des Tadornes au Festival Off d’Avignon….première sélection de spectacles.

Ce rendez-vous des Offinités publiques au Festival Off d’Avignon est notre projet de spectateurs. Depuis 2005, à travers ce blog, nous nous glissons dans le paysage culturel français, non sans mal, mais avec détermination. Comment nous faire entendre, nous, masse anonyme, qui applaudissons, faisons la queue, achetons, achetons…? Comment faire entendre un regard critique en dehors des logiques promotionnelles et des jeux de pouvoir qui freinent l’expression? Car le regard critique (qui ne consiste pas à dénoncer, mais à relier pour questionner le sens), est capital pour un jeu démocratique ouvert, pour un art vivant. Car il n’y a pas de spectacle vivant sans regard critique. Comment nous faire entendre dans le brouhaha du marché où le slogan réducteur fait office de pensée, où la communication consiste à nous empêcher de communiquer?

Ce rendez-vous, ce sont nos Offinités, à lire dans tous les sens, du off dans du on, du in dans du off. Nous l’avons construit à partir de nos questionnements nés de rencontres avec des spectateurs et des artistes. Nos Offinités nourriront l’utopie de Jean Vilar pour qui «le public est l’artisan de son théâtre».

Ce rendez-vous, c’est notre ciel d’Avignon. Le seul regard vertical ne suffit pas pour le scruter. Car notre ciel, est horizon. Il est profondément horizontal. Il est nuage qui englobe…il est étoile qui file pour relier…il est éclair pour éclairer…il est matière pour donner du fond aux formes…il est un cadre pour le contourner…

Je suis arrivé  le vendredi 5 juillet. En quittant ma voiture, un passant m’a lancé : « bienvenu au Tadorne ! ». J’y ai vu un signe. Du ciel? Non… plutôt de la terre d’Avignon que j’ai tant labourée depuis des années, grâce à ce blog. Depuis cinq jours, mon ciel d’Avignon est celui d’une pensée en mouvement. D’abord avec Angelica Liddell au Festival In. Elle seule peut, à partir de son corps d’actrice,  mettre en scène le monde tel qu’il va et ne va pas. Elle seule peut exprimer la douleur intime pour évoquer la douleur du monde. Elle relie l’esprit et la matière du corps. C’est cela mon ciel d’Avignon…A côté d’Angélica, j’ai rencontré  deux jeunes femmes évoquant  notre histoire commune (celle de la France en Algérie) dans « Je vous ai compris », actuellement à la Manufacture.

Mon ciel d’Avignon, c’est une farouche détermination à ne pas me laisser enfermer dans des logiques mortifères. A faire le pari d’un théâtre qui se régénère à partir du chaos ambiant pour nous offrir une utopie joyeuse à l’image de ce jeune collectif  (la compagnie NivaTyep dans « Quelque chose de commun » à l’Adresse).

Mon ciel d’Avignon se dévoile peu à peu. Jeudi 11 juillet, ce sera une journée avec les tout-petits et les professionnels de la toute petite enfance actuellement en formation. Vendredi, ce sera un parcours avec des spectateurs du matin à minuit.

Avec ces Offinités Publiques, mon ciel d’Avignon va s’horizontaliser…parce que vos nuages porteurs de sens vont me relier un peu plus à cet art qui se régénère par la rencontre,  par ce geste, celui d’aller vers…sans savoir toujours où…

Mon ciel d’Avignon, est fondamentalement composé d’un off dans du in vers du on

Car le poids est dans l’air,

Car le minéral solide s’oppose au gaz et crée une nouvelle matière,

Car l’esprit est dans la matière,

Car des paroles parsemées, par l’effet du collectif réuni, forment un paysage d’ombres et de lumières.

Pascal Bély – Le Tadorne – 10 juillet 2013, 11h30

Quelques paroles de spectateurs au cours de l’Offinité Publique du 10 juillet…

«Ici, à Avignon, la force des femmes et leur capacité à faciliter la remise en question des hommes est perceptible dans  «Oléanna» à 12h30 au Théâtre Girasole. »

«Au théâtre, le miroir se brise…on peut aller voir derrière ce qui se passe»

« Mon premier coup de cœur du festival : Zabou Breitman au Chêne Noir à 18h dans «La compagnie des spectres». Sa performance est époustouflante. Sur un tout autre registre, «Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux» de Natéi Visniec décrit avec justesse les affres de la guerre civile en ex-Yougoslavie. L’interprétation des acteurs est magistrale.»

«Aller au théâtre, c’est se densifier, se dissoudre, s’infuser…Justement, dans “Quelque chose de commun“, des comédiens jouent aux danseurs…au départ, on ne sait pas très bien où l’on va…puis on se dissout totalement avec eux, dans leurs mouvements, leurs gestes…leurs mot

Les spectacles évoqués  et fortement conseillés par les Tadornes et les spectateurs présents.

«Le mardi à Monoprix» par la compagnie Le Théâtre Dû – Grenier à sel-13h05-  p 219.

«Je vous ai compris» par la compagnie Groupov- La Manufacture-  11h –  p 261.

«Quelque chose de commun» par la compagnie Nivatyep – L’Adresse  – 21h25 p 30.

SMATCH[1] Si vous désespérez un singe, vous ferez exister un singe désespéré” par le Corridor -Théâtre des Doms-  17h30  p 173

«Silence encombrant» par la compagnie Kumulus – La Manufacture-  18h30 p 263

«Pinocchio» par la compagnie Caliband Théâtre –  Présence Pasteur – 12h20  p 311

«Frozen» par la compagnie Théâtre du Centaure-  Présence Pasteur – 10h30 p 311

«Oléanna» à 12h30 au Théâtre Girasole- P 210

«Qui sommes je ?» de Ludor Citrik – Espace Vincent de Paul – Île Piot- 15h30 – P 196

«Les beaux orages qui nous étaient promis» –  Collectif Petit Travers – Espace Vincent de Paul – Île Piot- 17h – P 196

«Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux» de Natéi Visniec – Théâtre des Lucioles – 11h30 – p 242

«La compagnie des spectres» avec Zabou Breitman- Chêne Noir – 18h- p 132

« Bruits d’eaux» – Théâtre Alibi – Au Girasole –  15h55 – P 210

«Gerro, Minos and Him (version courte)» de Simon Tanguy, Roger Sala Reyner et Aloun Marchal – La Parenthèse – 10h – Jusqu’au 14 juillet.  P 284

Retrouvez toute la sélection du Tadorne, ici.

Les prochains rendez-vous avec les Offinités publiques.

11 juillet, 16h, « Le grand off du tout-petit » par les professionnels de la toute petite enfance du réseau « Art et tout-petit »

12 juillet du matin à minuit, «Une performance de spectateurs».

Rendez-vous à 10h au Village pour vivre un parcours avec les spectateurs Tadorne (tarifs d’entrée entre 6 et 8 euros)

10h40 – La Manufacture – « Discours à la Nation »   d’Ascanio Celestini

15h55 – Le Girasole – « Bruits d’eaux » – Théâtre Alibi.

17h55 – La condition des Soies – « Absente: rendez-vous avec Sophie Calle » de Shakespeare’s Wild Sisters Group.

19h50– Présence Pasteur – « La jeune fille et la morve » de Brigitte Nielsen.

21h45 – La Manufacture – « Nightshots 4″- Compagnie Akté.

14 juillet à 11h30, le retour sur notre performance de spectateurs du 12 juillet   Pascal Bély, Sylvie Lefrère, Laurent Bourbousson et Sylvain Saint-Pierre – Tadornes.

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Festival d’Avignon – Angelica Liddell, nous ancre de Chine….

Angélica Liddell ouvre notre festival d’Avignon. Cela ne pouvait pas mieux tomber. Car «Ping Pang Qiu» est un vibrant plaidoyer pour un théâtre engagé et engageant. Il évoque la bataille à mener: celle d’affirmer nos modes d’expression contre les approches rationalistes qui visent à les museler. C’est un spectacle qui nous donne la force de continuer d’animer ce blog, espace du spectateur critique, sans concession à l’égard du marketing culturel et des logiques quantitatives arbitraires.

Angelica Liddell entre dans l’arène avec une robe rouge sang, comme l’énergie qui coule dans ses veines; rouge vif comme la colère qui gronde en elle; rouge vif comme la couleur du petit livre de Mao qu’elle brandira à plusieurs reprises pour le défier. Mais combien sont-ils en Europe à brandir leur petit manifeste pour nous imposer leur politique libérale sans vision? Elle porte une perruque bleu clair, couleur ciel. L’esprit clairvoyant est au dessus de ce corps souffrant. Elle est notre magicienne à l’allure punk rageuse, toute en grâce féminine, avec un cœur gros comme ça… Sa chair émotionnelle, par capillarité, nous transperce.

Il y a trois compagnons sur scène. Il y a une jeune femme, son double, son alter ego, sa compagne, sa sœur,…les mots finissent par manquer pour qualifier l’ampleur des gestes qui unissent ces deux femmes. Il y a un petit homme, doux mélange d’Asie et d’Amérique…il canalise l’énergie qui déborde, tel un médiateur entre l’art du chaos et le chaos de l’art. Il y a aussi l’homme oiseau jaune canari…il écoute, beaucoup. Souvent attablé. Il entre dans le jeu d’Angélica pour y amplifier l’absurde. Il est l’auto dérision, car le rire est sérieux. Ces trois là sont ses satellites, ses éléments d’hémoglobine qui alimentent son jeu.

Le théâtre d’Angelica est intense: nous avons des tachycardies quand nous rions de ses propos dévoilés, des extra systoles quand le sombre du texte apparaît, et le tout nous donne un souffle au cœur.

Le théâtre d’Angelica est global: elle nous fait cheminer de la Chine vers l’état des institutions en Europe pour mieux signifier la porosité entre les idéologies qui gouvernent ces continents. Avec Angélica Liddell, la dictature chinoise résonne avec notre quotidien. L’humain n’y est finalement qu’une variable d’ajustement à l’image du sort que l’on réserve aux artistes en Europe. Le pouvoir dans les théâtres les écrase, autant que le char de la place Tian’anmen face au jeune étudiant, qui malgré son pas de côté, est suivi à la trace, empêché dans sa liberté d’expression et de pensée: “Quand tu entres dans un théâtre pour travailler, pour travailler, POUR TRAVAILLER, pour faire ton travail, dans un théâtre, il y a toujours un imbécile qui va se charger de ridiculiser le monde de l’expression, juste parce que c’est de l’expression, alors qu’il ne sait même pas encore ce que tu vas dire. Ceux-là, ce sont les empereurs de la clim. Ils se sentent importants face au monde de l’expression, supérieurs, ils adorent montrer leur indifférence au monde de l’expression, leur mépris, ils aiment te le faire savoir, ils veulent que ça se voie, juste parce que tu appartiens au monde de l’expression.”

Angélica Liddell n’en oublie pas les mots qu’elle dégueule de sa bouche d’ensorceleuse: ceux d’une novlangue où «social» et «travail» sont galvaudés, dénués de leur sens. Angelica et ses compagnons nous alertent. La Chine n’est pas loin, mais notre fascination nous aveugle. Pour ne pas sombrer dans la détestation destructrice, elle repart à l’attaque et nous immerge dans les méandres de son paradoxe: elle aime la Chine tout autant qu’elle la hait. Des chorégraphies se déclenchent pour imager les discussions posées cartes sur table. De l’horreur surgit le beau. De l’expression exulte la pensée. Avec son corps de Chine, elle nous souffle un vent de réaction vitale. Le sens nous cingle le visage, rafraîchissement nécessaire après tant d’années où l’on peine collectivement à penser une géopolitique qui n’a plus rien à voir avec celle de papa mais avec…l’amour. Sans lui, point de vigilance. Point de résistance.

Alors ils dansent. En douceur. Et l’on rêve à nouveau tandis qu’Angélica nous dévoile son sein, métaphore d’une terre patrie, d’une terre nourricière qu’il nous faut réalimenter de nos expressions sans concessions.

La dernière scène est une apogée, un idéal. Fini la valse, place au Mambo! Fini le conformisme, place à la créativité, à la liberté de mouvement et de pensée. Un grand festin orgiaque se déploie. Ils nous invitent au plaisir de créer, de se lâcher, de balancer les codes pour retrouver le goût de vivre.

Pour une géopoésie de nos amours contrariés.

La liberté peut se manifester sous forme de douleur et de tristesse ; si elle n’est pas étouffée par la douleur et la tristesse, même si elle sombre dedans, tu peux encore la voir, la douleur et la tristesse sont donc libres aussi ; tu as besoin d’une douleur libre et d’une tristesse libre, si la vie vaut encore la peine d’être vécue, c’est justement pour cette liberté qui t’apporte enfin la joie et la sérénité » Gao Xingjian  – « Le livre d’un homme seul“.

Sylvie Lefrère – Pascal Bély – Tadornes.

« Ping Pang Qiu » d’Angelica Liddell au Festival d’Avignon du 5 au 11 juillet 2013.

 

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Unique, double Angélica Liddell.

Deux heures et quarante minutes de représentation s’achèvent par une clameur. Le public réagit chaleureusement; ému, pensif, il semble avoir traversé des océans pour échouer sur une île, seul. Ce voyage est celui des hautes solitudes. La sidération laisse place au dépouillement, mélange de trop-plein et de vide. Il fait nuit dans la cour du Lycée Saint-Joseph; l’obscurité est en soi. Je me demande pourtant s’il convient d’applaudir. Aimer cette femme jusqu’à se perdre semblerait un geste plus approprié. Résister à sa fureur pour lui prouver qu’elle dispose malgré tout, de compagnons d’infortune. Être là, juste.

Longtemps, durant la représentation de «Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)», je me suis dit que je ne comprenais rien. Chaos scénique (chaises renversées, monticule de terre, pétales disposés à même le sol), morcellement intérieur des caractères et fragmentation du monde empêchent toute lecture linéaire, toute reconstitution d’un récit. Mais il est impossible de décrocher. Comme par le passé, Angélica Liddell compose une beauté monstrueuse, touchant tous les registres. Personnage à la grâce ophélienne et à la blancheur diaphane, ou spectre squelettique au début de la pièce ; corps prostré de douleur et de rage en fin de spectacle. Délicates valses, foudroyantes scènes d’orgasmes onanistes. Combien sont-elles en elle ? Angélica Liddell joue Wendy, mais sur scène, son engagement personnel, à la fois physique et psychique, est tel qu’on ne sait plus si l’on a affaire à sa propre histoire ou au jeu d’une comédienne. L’ambiguïté floute les limites de la représentation. L’effet de réel est au service d’une esthétique de la terreur.

Wendy est censée s’enfuir de la réalité pour gagner, avec Peter Pan, l’île de la jeunesse éternelle. Elle échouera à Utoya, lieu du massacre perpétré par Breivik. Par la suite, elle trouvera refuge en Asie, Shanghai précisément. Wendy, cependant, n’est pas là pour apporter «un supplément de dignité», une dénonciation confortable et moralement satisfaisante des crimes commis par ce fou. Elle fusille les bons sentiments, assassine les «mères» et leur bonne conscience venimeuse. D’une certaine manière, elle semble avoir pactisé avec le mal, consciente que ce qui a été n’est plus. Je crois assister au glissement des identités : Angélica Liddell-Wendy…Peter Pan-Breivik ? Wendy, cette «meurtrière de la joie / Ton vide s’est rempli de cadavres». Qui est qui ? Qui dit quoi ? L’Espagnole donne corps au monstre, à sa folie destructrice. Elle s’offre à lui, chair et âme, parle de l’horreur en se situant de son côté, jusqu’à la nausée. Dégoût des faux-semblants et de l’hypocrisie sociale, indéfectible solitude. Le monstre vomit l’humanité, sombre dans l’abject lorsqu’il évoque ses conversations nocturnes avec des «pervers».

 

Jeunesse, beauté, tout s’effile, s’écoule et s’effondre. La littérature et le mal, une nouvelle fois réunis. Seule joie pour elle, la masturbation, épiphanie solitaire. Pourtant, tout n’est pas si simple : «nous puiserons / Nos forces dans ce qui n’est plus». Susurrés, affirmés, hurlés ou raillés lors de la représentation, ces vers de Wordsworth doivent être entendus. L’attentat poétique à l’œuvre sur scène énonce en réalité une exigence de vie…et d’amour. Wendy, d’ailleurs, est qualifiée de «monstre d’amour». Les «pervers» pensaient faire corps avec elle ; elle leur oppose son désir de «beauté radicale» et les renvoie à leur propre solitude. La beauté, c’est cette valse mélancolique interprétée par les deux danseurs de Shanghai qui, par leur âge avancé, défient le temps, l’espace et les mœurs. Ils recousent, par leurs gestes, le tissu des corps déchirés.

Par-delà chaos et décrépitude, la demande d’amour effleure… «L’amour. L’amour. C’est mon unique sentiment»…heureux celui ou celle qui saura le saisir…

Sylvain Saint-Pierre – Tadorne

«Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)» d’Angelica Liddell au Festival d’Avignon du 6 au 11 juillet 2013.