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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, avec Edward Bond et Alain Françon, les spectateurs n’ont plus de chaises.

 

 

Deux pièces d'Edward Bond mis en scène par Alain Françon sont proposées en cette journée caniculaire de vendredi. « Chaise » et « Si ce n'est toi ».

La première nous convie dans un huit clos où une femme cache depuis vingt-six ans Billy. Elle l'a recueillie en 2051 alors qu'il était abandonné dans la rue. De peur d'être repéré par le Bureau des Enquêtes sociales, Billy n'est jamais sorti de ce deux pièces. Il a l'âge mental d'un adolescent qui passe sa journée à s'inventer un monde imaginaire à travers des dessins dont il tapisse le mur. Jusqu'au jour où Alice aide une prisonnière qui attend le bus avec un militaire. Prétendant porter une chaise à celui-ci, elle en profite pour fraterniser avec cette femme au bord de l'épuisement. Cette ouverture lui sera fatale. Billy perd Alice et se retrouve livré à lui-même dans une ville hostile.
Avec « Si ce n'est toi », nous sommes toujours en 2077. Un couple vit dans un appartement dénudé où seules une table et deux chaises font office de décor. Jams est un soldat et travaille pour un État répressif qui aseptise et contrôle la population. Sara est une femme soumise qui se réfugie dans ses habitudes et ses névroses. Mais un homme venant de l'autre bout de la ville (là où les suicides collectifs se multiplient) frappe à la porte et se présente comme le frère de Sara. Il s'assoit sur une chaise qui n'est pas la sienne. Il devient alors le grain de sable qui fait dérailler cette machine savamment huilée.
Ces deux pièces décrivent un monde où les hommes ne sont plus en capacité de penser par eux-mêmes. En dehors des alternatives binaires et illusoires que l'État leur propose, il n'y a aucune échappatoire, si ce n'est la mort. La maladie mentale est alors de ressentir, d'avoir des émotions, de transcender le réel par l'imaginaire et la créativité. Les comportements sont prévisibles et l'État, loin de produire des richesses et du bien public, réglemente et codifie la pensée à partir d'un système de surveillance sophistiqué. La puissance de l'écriture de Bond est de mettre en jeu ce que nous ressentons de l'évolution de nos sociétés. Il ne ferme pas tout. Dans les deux pièces, le public peut encore s'identifier: à cette femme qui apporte un soin relationnel à cette prisonnière en fin de vie quitte à se mettre en danger ; à cet homme qui, prit dans le conflit interminable du couple, croit au lien fraternel, à la force des souvenirs d'enfance.
Alain Françon s'appuie sur un groupe de comédiens exceptionnels. Ils paraissent lessivés lors des applaudissements comme si se projeter dans l'univers de Bond en 2077 avait épuisé leurs ressources d'acteurs. Je suis également fatigué tant l'intensité dramatique de la mise en scène positionne le public au centre jusqu'à déplacer le décor dans les gradins à la fin de « Chaise ». Françon nous intègre lorsqu'il accentue les contrastes entre l'État lointain, observateur, jugeant et contrôlant et les hommes et femmes en perte de conscience. Or, l'État, c'est nous qui le construisons. Certains spectateurs refusent peut-être de se positionner en prenant partie pour tel personnage contre l'autre. Françon nous oblige à voir le tout en interpellant notre conscience : la mort des protagonistes n'est pas seulement le fruit d'une interaction qui dysfonctionne dans la famille, dans le couple. Elle est le résultat d'un système que nous élaborons par nos lâchetés et notre désir de nous laisser aller à des facilités. Celles-ci reviennent à nier la complexité de l'être humain, à ne plus le voir comme un sujet en construction à partir de son inconscient.
A la sortie de « Si ce n'est toi », je rencontre un jeune couple d'enseignants. Autour d'un verre, nous échangeons sur ce théâtre qui bouleverse. À notre façon, nous avons entendu Bond et Françon : ensemble, loin des clichés et autres schémas réducteurs, nous échangeons, nous construisons, nous évoquons nos ressentis. Pour maintenir vivante la conscience humaine.


Pascal Bély
www.festivalier.net

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Au Festival d’’Avignon, François Verret s’isole avec « Sans retour ».

Depuis quelques jours, la danse fait  une entrée remarquée  au Festival d'Avignon. Nous en faisions l'écho hier à propos de la Compagnie Kubilaï Khan Investigations qui  présentait le magnifique « Gyrations of barbarous tribes » au Théâtre des Hivernales. Le chorégraphe Franck Micheletti y dessine un nouvel espace de croisement des cultures, de pluridisciplinarité qui s'appuie sur la force d'un groupe métissé où quatre danseurs du Mozambique côtoient ceux de la compagnie. Ils nous ont donné avec enthousiasme des clefs pour sortir de l'isolement pour approcher autrement la différence

Dans le même objectif, mais avec une autre démarche, le chorégraphe belge Alain Platel des Ballets C. de la B. a fait sensation hier soir avec « VSPRS » dans la cour du Lycée Saint Joseph. J'avais vu ce spectacle à Bruxelles en mai dernier lors du KunstenFestivalDesArts. Mon article faisait référence à mes résonances provoquées par « VSPRS ». Deux mois après, j'ai vu cette ?uvre enrichie de mes réflexions. La fascination pour le travail de Platel demeure. Il réussit avec ses onze danseurs et ses musiciens à concevoir un nouvel espace de créativité et de lien social. Les fous (puisque c'est d'eux dont il s'agit) ont comme point de départ ce que nous leur laissons (c'est-à-dire pas grand-chose) pour créer des interactions entre l'art, le sublime, et le religieux. Alain Platel frappe fort pour faire bouger nos consciences. Il nous donne l'énergie pour changer de regard sur la différence par l'art. Sans aucun doute, « VSPRS » restera le spectacle phare de cette 60e édition parce qu'il est au c?ur de la reconstruction du lien social.

« Sans retour » du chorégraphe François Verret n'aura pas de tels honneurs. Et pourtant, sa dernière création était attendue. Je me souviens encore de « Chantier Musil » vu au théâtre des Salins de Martigues au printemps 2005. J'en garde l'image d'un chorégraphe créatif, qui sait relier les arts du cirque et la danse pour un propos porteur de sens sur le monde, notre société et la place des artistes. Avec « Sans retour », François Verret a l'idée de nous proposer un voyage en bateau avec un équipage traquant une baleine. Il s'est inspiré de la lecture de « Moby Dick » d'Herman Melville, illustrée par la lecture de strophes extraites de « The Fiery Hunt » de Charles Olson. Sur scène, trois énormes souffleries et quelques éléments dans un décor blanc sont censés nous faire voyager. Le groupe largue les amarres, en quête d'un idéal, pour se réinventer, seul et à plusieurs. Il est prêt à tout pour tuer cette baleine quitte à s'aveugler du pouvoir qu'il confie au capitaine. Les souffleries sont alors au maximum pour freiner les individualités et le projet. Pour appuyer son propos, François Verret joue son propre rôle, métaphore de celui qui tire les ficelles de ce monde qui part dans tous les sens. Une jeune femme en retrait derrière un pupitre crie et chante les strophes. La pression sur l'équipage est insoutenable. Notre groupe se reconstitue après la mort de la baleine et crée un nouvel espace où les individus pourraient vivre autrement, ensemble.
En cinquante minutes, François Verret produit quelques beaux effets, mais sa vision de ce nouvel espace est enfermante, sans perspectives. La pluridisciplinarité au c?ur de cette traversée est quasiment absente (seul le danseur Dimitri Jourde de la Compagnie Kubilaï Khan Investigations, vu hier dans « Gyrations of barbaroustribes”  impose par sa présence). Les autres (trapézistes et circassiens) semblent porter à bout de bras ce voyage sans finalité. Quand le calme revient, ils paraissent tous désemparés, épuisés par ces souffleries qui les empêchent d'être des artistes. Entre le metteur en scène qui tire les ficelles et la chanteuse qui nous décrit le voyage (depuis quand me raconte-t-on une histoire quand je vais voir de la danse ?), tout paraît sous contrôle. Pour finalement savoir ce que nous savons déjà : les rapports sociaux dysfonctionnent, le lien social est malmené, les jeux de pouvoir personnels prennent le pas sur le projet. Il peut toujours mettre ses souffleries en marche, utiliser toutes les métaphores qu'il veut, sous-utiliser ses magnifiques acteurs, il n'a strictement rien à proposer. Il emprisonne la jeunesse dans une analogie qui n'ouvre pas.
Le public applaudit par convenance pour saluer ces artistes qui auraient mérité d'intégrer des compagnies métissées, ouvertes vers le monde et suffisamment mis en puissance pour être force de proposition. Finalement, François Verret est une métaphore à lui tout seul : celle d'un personnel politique enfermé dans des schémas linéaires de diagnostic.
La presse nationale légèrement complaisante parle, à propos de « Sans retour » d'un “nouveau départ“. Sauf que Platel et Micheletti sont déjà loin.

Pascal Bély
www.festivalier.net



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“VSPRS” d’Alain Platel.

Gyrations of barbarous tribes” du Kubilaï Khan Investigations .

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Une journée avec Le Tadorne au Festival d’Avignon : la mise à nu.


Pour la critique de”Faune(s) ” d’Olivier Dubois, c’est ici.


Hier, “Le Tadorne” m'a offert une journée à ses côtés au Festival d'Avignon.
En dépit de ses m?urs grégaires, le Tadorne demeure farouche et cultive l'indépendance.
J'apprécie donc tout particulièrement d'être son équipière pour la journée.
Première étape : le Théâtre des Hivernales. La Compagnie Kubilai Khan Investigations présente “Gyrations of barbarous tribes“. Une heure de danse?
Nous sortons et ne parvenons pas à nommer ce que nous avons vu?.
Avec le recul d'une journée, je peux quand même détailler les faits : deux danseuses, quatre danseurs (dont le chorégraphe Frank Micheleti), trois musiciens, divers instruments de musique (percussions, table de mixage, violon, guitare électrique, bérimbau, balafon ou balle de tennis), deux paravents dorés seulement pour le décor, plusieurs rythmes dans la chorégraphie (vibrante jusqu'au paroxysme, organisée, déstructurée, organique toujours).
Pour le reste, on ne pas dire ce que l'on a vu.
Parce que ce que l'on a vu est trop beau pour être vrai.
Parce que ce qu'on a reçu ne peut être partagé.
Si la transmission a effectivement le beau rôle, comment décrire l'énergie, la joie, et le sentiment de liberté délivrés dans le spectacle ?

Alors même que ma journée de festivalière en herbe vient de débuter, je me demande comment je vais pouvoir poursuivre le programme prévu par Le Tadorne…!

Pas très bien hélas pour Christophe Huysman qui nous reçoit ensuite dans le cadre de La Chartreuse de Villeneuve-lès-avignon pour La course au désastre“.
Il dit 53 de ses poèmes pendant que 759 de ses Polaroids, sont projetés derrière lui.
Débits rapides de la voix et des images, je ne parviens pas à m'imprégner de son monde. Car c'est bien de son intime dont il s'agit. Sans détours, par les paroles et par les images, Christophe Huysman donne à voir son mal être. Pour avoir vu et entendu sa souffrance, je ressens de la gêne.

Mais nous n'avons pas le temps de nous appesantir sur cette Course au désastre, déjà bien éprouvés, nous courrons retrouver le Sujet à vif, toujours dans le cadre du Festival d'Avignon.
L'endroit est délicieux, ombragé, et doux. Un certain apaisement me gagne. Et ô joie ! Le spectacle débute par une nouvelle chorégraphie de Frank Micheleti !
Il présente le solo d'un jeune danseur éthiopien : Junaid Jenal Sendi. Je perçois les lointains échos de Gyrations of barbarous tribes mais ne comprend pas le sens. A l'image du jardin de la vierge qui nous accueille, « Mondes, Monde » est agréable et rafraîchissant.  Je flotte hélas à sa surface sans pouvoir saisir son propos.

Après un bref entracte, l'imposant Olivier Dubois entre alors en scène avec sa dernière création, « Pour tout l'or du monde ».
Placide et encostardé, il dépose avec précision de longs tubes de métal sur le sol. Une fois l'espace délimité, il vient progressivement y danser.
Je retrouve l'esprit de dérision souvent ressenti ce matin. En plus ravageur.
Olivier Dubois ironise sur l'académisme de la danse classique, l'aspect torturé de certaines partitions contemporaines et sur le sensuel des chorégraphies du r'n'b.
Il est drôle et émouvant. Drôle, car il maîtrise à merveille les expressions de son visage et crée un décalage entre le sérieux de son langage et le ridicule de sa mise en scène. Émouvant, parce qu'Olivier Dubois est gros et qu'il nous dit : « Regardez mon corps, je peux tout danser ! »
Au-delà, il nous interroge. Qu'est-ce qui est ridicule ? Son corps ou les codes de la danse ?
Dans tous les cas, le spectacle d'Olivier Dubois est drôle et futé, tout ce que j'aime.

Après une pause pique-nique-détente sur l'île de la Barthelasse, nous assistons à la mort d'Eva Peron dans le cadre du Festival Contre ? Courant organisé par la CCAS.
Le génial Marcial Di Fonzo Bo interprète et met en scène les derniers jours de la Madone argentine. Comme le décrit le Festival: « L'icône adulée du peuple se transforme sous la plume de Copi en une harpie cruelle et vulgaire ».
Mais ses acolytes ne valent pas mieux, affreux sales et méchants, l'argent et le pouvoir les motivent. Seule la dévouée infirmière est animée d'un c?ur pur?
C'est laid et c'est beau en même temps et je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec l'univers d'Almodovar.

La journée s'achève et sa ligne directrice se dégage?il s'agit avec évidence de la mise à nu. Mise à nu des artistes et, dans le même temps, mise à nu des spectateurs.

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“Le théâtre des maux”
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“Les hors-jeu”

Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:

“VSPRS”
d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.

“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.

“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.

“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hiroschima” d’Eric Vigner.

“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.

“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
“Sans retour”
de François Verret
“Mozart et Salieri”
et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.

“Le bazar du Homard”
par Jan Lauwers.

 

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Au Festival d’Avignon, Thierry Bae vend son journal avec moins d’inquiétude.

J'ai vu «Journal d'inquiétude» de Thierry Baë lors de l'édition 2005 du Festival «Danse à Aix» disparu depuis. Dans un contexte de repli du festival sur lui-même, ce spectacle avait renforcé un sentiment d’entre soi, dynamique mortifère.  La suite des événements m'a donné raison. Avec un peu de recul et dans le contexte d'Avignon, je serais moins sévère même si le côté nombriliste de l'?uvre continuerait sûrement  à m'agacer. Ci-dessous, ma critique de l'époque?

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«Thierry Baë arrive sur la scène du 3bisF, lieu de création artistique attaché au Centre Hospitalier psychiatrique de Montperrin d’Aix en Provence. C'est un homme de 46 ans, au beau parcours de danseur (je l'avais remarqué dans «Les Philosophes» de Joseph Nadj en Avignon il y a quelques années). Il a un micro caché dans les cheveux (décidément, les artistes y succombent tous?). Sa voix dicte ses mouvements de danse. L'exercice dure (péniblement?) vingt minutes. On saura plus tard qu'il est atteint d'une maladie pulmonaire qui l'empêche de faire de gros efforts.
Un film est projeté durant trente minutes sur le processus de création de l’oeuvre présentée ce soir. Tout commence par une rencontre avec Patrice Poyet, Directeur du Festival «Danse à Aix», à qui Baë promet la présence de Mathilde Monnier et de Joseph Nadj dans ce prochain spectacle. Poyet succombe (le succès est assuré), prêt à signer le contrat. Il s'ensuit  des rencontres ratées avec Nadj, Monnier et d'autres danseurs. C'est le film d'un naufrage annoncé. A la fin de la projection du film, Joseph Nadj apparaît sur scène et reproduit, sous les indications de Baë, la chorégraphie du départ, la grâce et le talent en plus. Malaise? J'assiste en direct au suicide professionnel de Baë! (NDLR : La tournée du spectacle et sa présence au Festival d'Avignon me donneront tort !)
C'est un spectacle chorégraphique où l'on m'impose trente minutes de film ; où le directeur du Festival “Danse à Aix” est un des acteurs principaux ; où un danseur en fin de carrière se fait voler la vedette par son mentor, valeur sûre pour tout programmateur  (d’ailleurs, Nadj sera lui même directeur associé de la prochaine édition du Festival d'Avignon en 2006?La boucle est bouclée).
Il aurait été sûrement plus risqué pour Thierry Baë de transmettre à un jeune danseur; d'éviter dans la dernière partie d’accompagner le geste à la parole (ou inversement!); de nous montrer un processus de création par la danse (et non à partir d'un film). Au lieu de cela, j'ai l’étrange sensation de connivence, d'un monde fermé, impitoyable, qui se regarde fonctionner. Quant à moi, j’observe ce joli petit monde avec dépit et amusement en attendant d’autres propositions qui, je le sais, ne manquent pas d’audace dans l’univers de la danse”.

Pascal Bély – Le Tadorne

 

 

 

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Au Festival d’Avignon, Les Barbares calment le jeu.

C'est la première ce soir. L'ambiance est électrique. Les intermittents occupent la scène de la Cour d'Honneur du Palais des Papes. La majorité du public applaudit alors que mes voisins profèrent des insultes. Je me retrouve trois ans en arrière quand, en 2003, des spectateurs vengeurs s'en prenaient aux comédiens. Deux hommes en viennent aux mains derrière moi en ce traitant de tous les mots. La situation n'a pas bougé et les clivages sont de plus en plus forts. En cinq ans, L'UMP aura divisé ce pays comme jamais. Des « Barbares »?
D'ailleurs, la pièce commence avec trente minutes de retard. Un jeune homme à la guitare, chante sur scène une chanson de Bob Dylan puis de Noir Désir. Mes voisins continuent les insultes (« il y en a assez de ces fainéants ! ») sauf que?le spectacle a débuté. Malaise. « Les Barbares » de Maxime Gorki écrits en 1905 sont toujours d'actualité. Éric Lacascade a vu juste en les mettant en scène pour la première fois au Festival d'Avignon.
Tout commence avec l'arrivée de deux ingénieurs chargés de construire un chemin de fer dans une province reculée de l'Empire Russe. Ils vont bouleverser la vie de toute une ville. Ils ne se gênent pas pour mépriser la population locale, pour jouer les justiciers au mépris des règles élémentaires de la démocratie. L'expertise donne le pouvoir et le contexte doit se plier aux exigences du projet. On connaît la chanson et je reconnais dans l'ingénieur en chef, un certain premier ministre français? Très vite, leurs petits jeux et autres mesquineries les mettent au même niveau que les habitants. La fin est tragique et l'on ne parle même plus de ligne de chemin de fer, mais de décomposition sociale, familiale et politique. J'ai rapidement l'impression d'assister à un thriller sur le changement. Lacascade joue sur des effets de mise en scène de cinéma (ma vue se trouble lors d'un changement de décor !). Il utilise le Rock pour renforcer les enjeux et faire monter la pression. L'espace de la Cour d'Honneur est merveilleusement utilisé : sur une petite scène, les lumières sont braquées sur un groupe pendant qu'autour les corps bougent au ralenti. A un autre moment,  l'expert s'enferme dans son arrogance à l'image des projecteurs qui se referment sur lui. Magnifique. L'utilisation de ces petits espaces est intelligente, car ils obligent le spectateur à porter un regard horizontal sur les effets du changement et non de se concentrer sur une partie de la scène.
Les comédiens sont au centre de ce thriller. Ils sont tous impressionnants à se déplacer d'un point à l'autre, d'un groupe vers l'autre, de la haine à l'amour. Les différences physiques (les deux enfants du maire, l'un gros, l'autre menue) permettent d'identifier leur rôle de bouc-émissaire et de médiateur pendant que le système est au bord de l'explosion. Ils sont symptomatiques et pourtant ils facilitent le lien entre les deux groupes antagonistes. Lacascade, loin de les ridiculiser, les accompagne avec bienveillance.
Je ne vois plus le temps passer. Je suis pris dans ce tourbillon de sons, de lumières et de jeux d'acteurs. Je ne cesse de faire des associations comme si je me faisais mon théâtre au théâtre. Loin de m'attacher à l'un des comédiens, je tisse ma propre toile des relations quitte parfois à me perdre. Mais Éric Lacascade sait me rattraper quand il replace les projecteurs et la musique au c?ur d'un groupe, d'un couple, d'un individu.
« Les barbares » sont un beau moment de théâtre. Certains esprits chagrins s'offusquent de certaines lenteurs et de la liberté prise par Lacascade pour contextualiser la pièce dans notre époque. Qu'importe. « Les Barbares » arrivent au bon moment pour nous rappeler les dangers d'une arrogance venue d'en haut et les effets dévastateurs de l'affrontement entre communautés. Renaud Donnedieu de Vabre n'a pas pu assister à la pièce. Messager du MEDEF, il aurait pu devenir porte-voix des artistes. Hors jeu.

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“Les barbares” d’Eric Lacascade.
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Au Festival d’Avignon, Anatoli Vassiliev fait de l’art brute.

Après « Mozart et Salieri », spectacle ringard proposé par Anatoli Vassiliev à la Carrière Boulbon, je persiste pour assister à « Iliade Chant XXIII » dans ce lieu magique. C'est le récit de la vengeance d'Achille contre les Troyens, après la mort de son ami Patrocle. Le Roi Hector, assassiné, sera l'objet de cette vengeance. A l'issue de ces deux heures quarante, je me questionne toujours : comment définir ce théâtre ? Pourquoi ce metteur en scène me tient-il tant à distance? Tout est verticalisé, brutal, et cela fascine certains spectateurs qui sont radicalement en transe face à ce ch?ur de vingt-trois chanteurs. Moi pas. Ils m'ennuient dans leus déplacements et leurs chants m'évoquent une chorale d'enfants de coeur. Les quinze  acteurs parlent toujours avec le même phrasé (style «Comédie Française » et « je vous engueule en même temps ») : cela me glace le sang tant c'est brutal, guerrier, sans nuance comme si Vassiliev faisait fi de la complexité psychologique des personnages. Progressivement, ces acteurs me font peur ; ils ne me regardent jamais : le public existe-t-il ? C'est une relation à sens unique. Nous sommes très loin de la préoccupation des artistes actuels qui s'interrogent sur l'interaction entre l'art théâtral et le public. J'ai l'étrange sensation de régresser, d'être dépendant de cette mise en scène. Comme si Vassiliev ne me laissait aucun espace si ce n'est le sien.
Quant à la danse, elle illustre les propos alors que ce n'est pas sa fonction ! « Iliade Chant XXIII » va donc chercher chez le spectateur sa fascination pour le symbole (les poupées jetées à terre font leur effet, les oiseaux de mauvaise augure transcendent,?), pour le culte du chef et sa recherche d'un au-delà. Anatoli Vassiliev est alors leur gourou. Un tiers du public préfère quitter les gradins ; l'autre s'endormir. Et puis, quelques irréductibles veulent comprendre. Ils attendent le moment où tout pourrait basculer, mais rien ne vient. Ils préfèrent se moquer de ce théâtre prétentieux.
« 
Iliade Chant XXIII » vaut-il un article sur ce blog ? Vassiliev réussit-il à me rendre incompétent pour écrire  sur son théâtre?
Brutal comme questions…

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LECTURE

Au Festival d’’Avignon, la belle leçon de vie de Pippo Delbono.

Depuis 2002, Pipo Delbono, acteur, auteur, metteur en scène italien est un habitué du Festival d’Avignon. Cette année-là, il présentait trois oeuvres de son répertoire («Guerra», «Il Silenzio» et «La Rabbia»). Je me souviens avoir été profondément bouleversé. En 2004, «Urlo » à la Carrière de Boulbon avait déçu. En 2006, « Le temps des assassins » joué au Théâtre des Salins de Martigues m’a confirmé dans mon intuition : le théâtre de Pipo Delbono fait partie de ma vie, sans que je sache vraiment pourquoi.
«Récits de juin» est présenté cet été dans la cour magnifique du Musée Calvet. C’est un rendez-vous incontournable. Je ne suis manifestement pas le seul tant le lien entre Pippo Delbono et les festivaliers semble fort. Il était tant de nous retrouver, car le temps passe vite. Celui de Pippo est peut-être compté…
Il y a une table, un micro, une bouteille de bière et d’eau. Il commence sa « conférence-spectacle » par une confidence : «Il y trois mots à ne pas répéter en dehors de cette enceinte…à ma mère». L’intimité est créée. Pippo peut débuter, même si son français est parfois aléatoire. Qu’importe. Je ne l’écoute pas ; je le ressens. Et cela fait quatre ans que cela dure. Je suis heureux de le revoir et je m’aperçois à quel point je tiens à lui. Il nous raconte sa vie, de l’enfant de choeur troublé par le curé à sa rencontre avec Bobo, sourd-muet, microcéphale, interné dans un hôpital psychiatrique pendant plus de quarante-cinq ans et qui deviendra son acteur fétiche. Entre confidences parlées et extraits de «La Rabbia» ou «Du temps des Assasins», Pippo Delbono tisse peu à peu la trame de son oeuvre, la particularité de son théâtre : celle d’une écriture du ressenti, du geste simple (souffler dans une bouteille de bière pour retrouver le souffle de vie), de la danse qui transcende la douleur pour aller chercher le sens. Il se dégage de la vie de Pippo Delbono une profonde humanité. Ses mots, son écriture touchent ceux pour qui, vivre, est un défi quotidien. Sa vie prend sens dans le lien avec l’autre “différent”. Grâce à ses «Récits de juin», j’ai compris la finalité de son oeuvre et le lien que j’ai avec lui. J’ai ressenti que je l’aimais. C’est aussi simple que cela. Encore fallait-il y mettre des mots. Mais promis, je ne dirais pas à sa mère les trois mots qu’elle ne peut entendre. Nous l’avons compris, Pippo Delbono avait besoin de nous les dire, de poser ces trois mots sur la table pour en écrire d’autres. Avec nous, pour nous.
J’en suis convaincu: il s’en sortira car son théâtre vit avec nous. Ses « Récits de Juin » sont aussi nos « Récits d’Avignon ».
A bientôt, Pippo.
Pascal Bély. Le Tadorne

 

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Au Festival Contre Courant, la belle leçon d’’Edward Bond.

Au c?ur du Festival d'Avignon, existe un petit havre de convivialité et de lien social. Il faut traverser le pont de l'Europe (tout un symbole), se rendre sur l'Ile de la Bartelasse et suivre la ligne droite. Elle nous mène à Contre Courant. Animée par la CCAS (le Comité d'Entreprise des personnels EDF ? GDF), cette manifestation joue la carte d'une programmation de qualité (Edward Bond, Marcial Di Fonzo Bo, Hamid Ben Mahi entre autres). Plutôt que d'être en concurrence, Contre Courant crée une complémentarité avec le Festival d'Avignon en s'appuyant sur les metteurs en scène phare de la 60ème édition, en invitant des compagnies plus confidentielles, pour des spectacles proposés gratuitement, le tour relié à un projet. Il consiste à positionner le théâtre au c?ur du lien social et du monde du travail. D'ailleurs, en arrivant sur les lieux, nous avons la possibilité de visiter une exposition consacrée aux congés payés. C'est bien fait, instructif et les petites tentes posées sur du sable fin font fonctionner l'imaginaire. Je me suis souvenu de la première fois où j'ai vu la mer. Émouvant.
En quittant l'exposition, j'entends du bruit dans un jardin. Là, un miracle se produit sous mes yeux . Edward Bond en personne, assisté pour la traduction par le jeune metteur en scène français Jérôme Hankins , donne une leçon de théâtre à trois jeunes pris dans l'assistance. Une couverture est posée sur la scène. Chacun doit s'approcher d'elle en ayant peur. Parfois, la consigne se complexifie : ils doivent prendre un verre posé par terre et la mettre sur la couverture. L'acteur a peur des deux objets, mais ne sait pas lequel des deux est le plus impressionnant. Les trois adolescents se prêtent à cet exercice non verbal, délicat, difficile, devant une assistance attentive et bienveillante. Un jeune homme avec son t-shirt siglé OM (le football rencontre le théâtre !) s'avance de ce verre tout en faisant bouger son corps. Edward Bond le soutient du regard. Une énergie se dégage de ce duo. « Vous êtes un très bon acteur » lui dit Bond. Émouvant.
À peine remis de cette leçon, « Le numéro d'équilibre » d'Edward Bond mis en scène par Jérôme Hankins, accompagné par une armée de cigales, va faire l'effet d'une déferlante dans ce petit jardin.
Viv est une jeune fille toute seule dans un squat. Elle a tout abandonné pour s'isoler et surveiller un point sur le sol : « C’est le point qui tient le monde en équilibre. Si quelqu'un marchait dessus l’équilibre disparaîtrait. » Nelson, son ami, tente de l'alimenter en lui apportant des chips. Peine perdue. Viv meurt dans les décombres. Malgré l'aide d'un chef de chantier expert en démolition, il ne retrouve jamais Viv. C'est alors que la pièce bascule dans la farce la plus corrosive (la scène où l'assistante sociale en chef questionne et soupçonne Nelson de meurtre est criante de vérité sur le positionnement moralisateur de certains travailleurs sociaux ! Photo ci-contre!). Nelson va errer, trouver sur sa route un faux unijambiste, mais un vrai voleur, sa fausse mère, mais une vraie forte femme. Il finit  par atterrir dans l'appartement du chef de chantier. Celui-ci est atteint de la même obsession que Viv. Il se fixe sur un point d'équilibre (symbolisé par la poussière accumulée dans la cuisine depuis trois ans). Sa femme menace de faire le ménage ; il l'a tue. Le tout finit par une explosion de l'appartement.
« Le numéro d'équilibre » est une puissante métaphore sur nos obsessions, nos mensonges, nos désirs de destruction, nos velléités de domination dès que nos avons un peu de pouvoir (chef, mari,?). C'est une pièce qui touche et prend le spectateur à son propre jeu. La mise en scène arrive subtilement à articuler la farce et la profondeur psychologique des personnages sans s’annuler. Jérôme Hankins n'oublie jamais le sens, là où d'autres plongeraient dans le burlesque. Le public ne s'y trompe pas, ne lâchant jamais son attention malgré les cigales et les bruits de la route.  Il s'appuie sur des comédiens de tous âges, exceptionnels dans leur jeu, peut-être parce qu'ils ont appris les leçons d'Edward Bond. Outre d'être un traducteur, Hankins est un passeur. D'un numéro d'équilibre (le cours traduit aux adolescents) à l'autre (la mise en scène), Jérôme Hankins et ses comédiens font trembler les murs invisibles de ce théâtre de plein air pour nous donner une belle leçon entre l'art et le social.
Contre Courant est un joli numéro.
Pascal Bély
www.festivalier.net

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Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!

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Au Festival d’Avignon, « Sizwe Banzi est mort ». Sarkozy aussi.

 
Ce texte fut écrit dans les années soixante-dix par un auteur blanc et deux auteurs noirs dans le contexte de l'apartheid en Afrique du Sud. Peter Brook le met en scène avec deux acteurs magnifiques : Habib Dembélé et Pitcho Womba Konga. Cette pièce fait écho avec la situation française actuelle française. C'est une histoire de photos, de cartons, d’un papier.
Nous sommes à l'École de la Trillade, dans l'un des quartiers pauvres d'Avignon, traversé par une grande avenue. Je m'étonne qu'un bâtiment aussi laid et dégradé soit une école primaire?
C’est dans ce cadre qu'un théâtre a été installé. Sur scène, des cartons et des matériaux de récupération font office de décor. Nous sommes dans un théâtre de rue, un soir d'orage dans ce quartier d'Avignon.
Habib Dembélé, alias Styles, arrive sur scène. Il travaille à l'Usine Ford et nous décrit par les moindres faits et gestes comment le contremaître le traite, lui et ses collègues « singes noirs », le jour où le « grand patron américain » vient inspecter les lieux. Les mots font mouche et  Habib Dembélé semble danser en même temps qu'il dénonce avec humour ces pratiques d'un autre temps. Mais Styles rêve d'autre chose. Il s'installe alors comme photographe pour tirer le portrait. Il décrit avec drôlerie comment une famille de trente-sept personnes veut s'immortaliser?quelques jours avant la mort du grand-père. Steves évoque celle de son père et sort la photo de sa poche. L'émotion traverse la cour de l'école. Tout semble suspendu. Progressivement, les photos, les cartons ont une âme. Le papier bouge?
Sizwe Banzi frappe à la porte de la boutique. Il veut une photo pour envoyer à sa femme restée au pays. Il est travailleur étranger et son « pass » est périmé. Il est sous le coup d'une expulsion. Il n'est plus rien. Styles le fait jouer pour lui faire la photo (« tu es le grand patron de l'usine?souris ! Clic ? clac »). Par ce petit jeu de rôles, Style donne plus qu'une photo d'identité ; il le rend humain. Mais il faut trouver un stratagème pour avoir un « pass ». C'est alors que Styles découvre un homme mort avec un « pass » en règle. Sizwe Banzi devient alors Robert Zuellima. Survient  ce qui sera sans doute le plus beau moment de théâtre de cette 60e édition : Sizwe (Pitcho Womba Konga, exceptionnel) se dirige vers le premier rang du public (cf. photo) et clame : « Qu'est-ce qui se passe dans ce foutu monde ? Qui veut de moi ? ?QU'EST – CE QUI NE VA PAS AVEC MOI ? ». Les sans-papiers en lutte aujourd'hui en France semblent crier avec lui. La cour résonne. Les murs d'Avignon et de l'Elysée tremblent. Je n'ose plus bouger. Les photos s'animent, les cartons se soulèvent. Le papier vit?
Peter Brook signe une mise en scène magnifique avec trois bouts de cartons et une planche en bois. Dénué de tout, l'homme est toujours capable de créativité. Peter Brook nous invite à retrouver notre conscience des Droits de l'Homme sans quoi le  « pass » devient la procédure qui masque l'émergence d'un nouvel apartheid. En plaçant des spectateurs sur les deux côtés de la scène, il signifie que nous sommes aussi « acteurs » de ce qui se joue avec les « sans papiers » pris au piège en Europe. Cette mise en scène humaniste, loin d'être culpabilisante, nous aide à ressentir la complexité de cette situation en replaçant l'individu (Sizwe) au centre. C'est une façon de positionner les sans-papiers comme sujet au moment où nous les considérions comme objet, comme variable d'ajustement.
Sans que l’on y prenne garde, les photos jaunissent, les cartons brûlent.
« AVEC VOUS , ÇA VA » semble répondre le public.

Pascal Bély
www.festivalier.net



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Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

 

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Au Festival d’’Avignon, «Human» de Christophe Huysman voit de haut.

 

J'ai fait une magnifique rencontre, de celle qui marque la vie d'un spectateur. En sortant, je ne me sens pas tout à fait pareil. J'ai envie de voir le monde différemment, je m'encourage à le penser autrement pour ne pas céder au catastrophisme ambiant qui voudrait réduire le regard et diminuer nos possibilités d'interventions. Ce spectacle, « Human », joué loin du tumulte avignonnais à la Chartreuse, est écrit et mis en scène par un poète, Christophe Huysman. Son dispositif scénique est en soi révélateur : c'est sa vision du monde fait de lignes verticales (des mâts chinois) ou horizontales sur lesquelles 6 comédiens se déplacent. En sous-titre du spectacle : « Articulations ». C'est un mot magique pour désigner la reliance si chère à Edgar Morin, historien, sociologue et père de la pensée complexe. Le cirque et la poésie peuvent nous aider à changer le regard, à voir autrement : Christophe Huysman fait non seulement voler les corps, mais aussi les mots.
Ils sont six pour dénoncer avec poésie, la façon dont nous regardons le monde par le petit bout de la lorgnette, nous arrêtant à la moindre difficulté (photo ci contre!). Plus tard, un homme est seul à tourner en rond sur lui-même pour nous parler de sa situation sociale avec un jargon (RMI, Allocation, ASS, ASI,?) qui étouffe progressivement sa voix et sa créativité. Il y a Lili (magnifique Colline Caen) qui cherche absolument à joindre la famille Toulou, mais elle se perd dans la communication verticale. Ils sont deux
hommes à vouloir se prendre dans les bras, à trouver les mots pour le dire, mais il est plus simple de parler à leur place pour mieux les normaliser. C'est ainsi qu'alternent différentes scènes où chacun dénonce le statut donné à l'artiste, au poète par la société du divertissement et du zapping. Maguy Marin n'est donc plus seule à s'inquiéter.
Mais Christophe Huysman va plus loin. Avec ses comédiens, des lignes verticales et horizontales, il crée des articulations où naissent des espaces audacieux: ainsi les mots s'entendent, la poésie éclaire notre chemin dans le chaos. En reliant le vertical au transversal, Huysman fait émerger une nouvelle poésie : les corps s'entremêlent, s'emboîtent, se soutiennent, impulsent d'autres formes. Si un élément flanche, tout s’écroule. L’interdépendance trouve ici sa magnifique traduction.Je suis médusé de voir ce jeu de Legos où je crée moi-même ma carte du monde. C'est de la poésie dans la poésie, si bien que l'on peut parfois se perdre dans cette complexité. Qu'importe, il suffit de se laisser guider par la musique des mots, de sortir de notre conditionnement qui nous oblige à tout comprendre, à tout moment. Ces acteurs sont magnifiques, ils portent la pièce à bout de bras (c'est le cas de le dire) et permettent de m'identifier à l'un, à l'autre. La vision de Huysman n'est pas pessimiste : si nous dépassons nos rigidités, nous pouvons créer un nouvel art conceptuel, basé sur la poésie et joué par des artistes pluridisciplinaires qui relie le corps et le texte. Le chaos est créatif si nous acceptons les articulations. « Human » est une réponse à ceux qui dénonçaient la place faites aux nouvelles formes artistiques lors de l'édition 2005 du Festival d'Avignon.
Avec deux aiguilles, trois mâts chinois, un cadre fixe et une échelle, Christophe Huysman nous emmène loin. Il a prévu l'échelle pour nous aider à monter, des comédiens ? poètes pour nous soutenir et l'art pour voir loin. J'y vais.


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Crédit photo: Magali Fangat / Christophe Raynaud de Lage


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Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:

“VSPRS”
d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.

“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.

“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.

“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hiroschima” d’Eric Vigner.

“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.

“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
“Sans retour”
de François Verret
“Mozart et Salieri”
et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.

“Le bazar du Homard”
par Jan Lauwers.