« Aphorismes géométriques » commence. Comme en août 2005, je suis littéralement happé par ces quatre danseuses. Le quatuor émerge tout au début ; elles se cherchent ; je les suis ; les corps se touchent, s’évitent ; je les sens. Puis une à une, elles disparaissent pour mieux nous revenir. J’assiste alors à 4 solos époustouflants. De la femme en colère à celle qui souffre, de la femme sensuelle à celle qui accouche, de la femme caresse à celle qui fait mal, de la femme masculine à celle qui s’effondre, de la femme enfant à celle qui assume, de la femme stressé à celle qui paresse…De la femme à celui qui la regarde…Elles me regardent ; m’invitent ; je résiste. Puis, elles reviennent ensemble ; se soutiennent les unes des autres avec des mouvements lents comme un lien solidaire, solide. La lumière est devenue orange comme un coucher de soleil ; les mouvements deviennent alors indestructibles ; elles me relient. Cette lenteur, cette beauté du geste donne à ce quatuor une force qui fait face à ce monde si violent, si masculin. Je baisse la garde ; je sors de mon carré pour me faire tout rond. La lumière s’éteint sur l’œuvre de Michel Kelemenis. Avec elles, il pourrait parcourir le monde. Pour l’éclairer.
La photo est d’Eric Boudet.
A lire "l’After / Before" de ce psectacle.
Il s’est donc passé quelque chose au Théâtre du Merlan en ce dimanche après-midi pour qu’aujourd’hui ma tête divague, pour qu’il soit si difficile de me centrer sur une tâche.
Il s’est donc passé quelque chose pour qu’encore une fois la danse y aille de son joli travail sur mon inconscient.
En ce lundi opaque, il y a l’image de cette femme magnifique et de sa jolie robe bleue (en photo). Elle est "âgée" comme ses 26 autres partenaires. Elle danse « Kontakthof » de Pina Bausch à Marseille devant une salle comble. Cette pièce créée en 1978 est rejouée en 2006 à l’identique mais avec des danseurs de plus de 65 ans. La scène se joue dans le hall d’une maison close avec autant d’hommes que de femmes. Le contexte est explosif. Au bout de 2h45, je sors hagard, lessivé, ailleurs.
Pendant cet espace temps, ces hommes et ces femmes vont s’aimer, se toucher, se haïr, se séduire, nous séduire, se manipuler (dans tous les sens du terme), nous manipuler, s’émouvoir, se tuer, s’embrasser, jouer à l’enfant, se fuir, s’enfuir, s’enlacer, nous larguer, se séparer, revenir, partir. D’un bout à l’autre de la scène, je les suis, je la suis. Elle me submerge d’émotions. Qui est cette femme ? C’est l’Allemagne que je chéris, c’est la femme qui m’a mis au monde, c’est elle que je défends contre l’oppression masculine, qui me laisse pour un autre sans me quitter. Je sais ce que je suis pour elle ; lui n’est là qu’un court instant. Et les autres ? Je fais avec. Ils tournent autour d’elle, elle s’amuse d’eux. Avec eux, elle tourne en rond mais elles les aiment…c’est plus fort qu’elle. Ils sont toute sa vie ; jusqu’à la mort.
Le hall de cette maison est l’espace où toutes leurs vies se rejouent en accéléré, comme dans un film animalier qui suivrait une couvée de canards, de la naissance à la mort…A 65 ans, leurs corps parlent plus que jamais. Leur moindre geste est une danse. Leurs lèvres dansent la séduction, leurs pieds chorégraphient leur inconscient.
A 65 ans, leurs corps sont façonnés, pétris par les mains de l’amour et par la brutalité des sentiments. Ces corps ont tout encaissé ; ils dansent devant nous. A 65 ans, je danserai comme eux, pour elle.
« Kontakthof » est un chef d’œuvre d’humanité. Il nous renvoie à notre propre histoire, à notre vieillesse, à notre corps.
« Kontakthof » est cette maison close dans laquelle nous jouons nos vies amoureuses. Pina Bausch nous ouvre la porte pour aller danser ailleurs.
« Les Hivernales » débutent pour « Le Tadorne » par « Icare » de Claude Brumachon du Centre Chorégraphique National de Nantes. C’est une histoire d’oiseau. Il n’y a pas de hasard…
La scène se déroule à la Chapelle des Pénitents Blancs, célèbre petit lieu du Festival d’Avignon. Deux barres parallèles, une chaise, font office de décor pour une pièce que le public verra deux fois ! En effet, la transmission est le thème fédérateur de cette édition des Hivernales. D’un danseur (Benjamin Lamarche) à l’autre (Vincent Blanc) comment cette œuvre majeure de Claude Brumachon se transmet-elle (d’autant plus que les programmateurs brouillent les cartes dans l’ordre de passage !) ?
Il est difficile de comparer les deux prestations ; cela n’a pas de sens. L’élève ne dépasse pas le maître comme certains spectateurs semblent le croire à la fin de la représentation. La transmission entre Benjamin Lamarche et Vincent Blanc s’opère dans un lien de confiance où, loin d’un copier – coller, les deux artistes ont voulu donner à « Icare » un deuxième souffle pour que cette œuvre se perpétue dans le temps. Cette transmission est une réussite : ce n’est déjà plus le même spectacle…et pourtant rien n’a changé ! « Icare » est Vincent Blanc qui, loin d’être prisonnier de son aîné Benjamin Lamarche, prend son envol à partir d’une pièce écrite pour des générations de danseurs. En effet, cette chorégraphie est sublime, hors du temps, où les mots manquent pour décrire un moment de pure magie. Inutile d’ailleurs de vous décrire ce qui se joue sur scène tant « Icare » entretient avec le public un lien intime d’une forte intensité. Mes yeux d’enfant s’écarquillent pour le suivre tantôt pris dans sa cage, tantôt prêt à s’envoler mais qui n’abdique jamais. L’émotion est palpable dans cette chapelle où les jeux de lumière renforcent la féerie, la gravité du spectacle, et transforment Icare de vol en vol.
Dans le même lieu où « Icare » a été crée pour le Festival d’Avignon en 1996, Claude Brumachon réalise peut-être ce soir le rêve de tout chorégraphe : transmettre son œuvre non par l’enseignement mais par la filiation entre danseurs, qui du même coup se transmettra de spectateurs en spectateurs.
Dorénavant, « Icare » est en moi.
Le bilan des"Hivernales d’Avignon 2006" par le Tadorne!
Il y a des spectacles qui sont des petits cadeaux ; des petites attentions qu’une personne un peu lointaine aurait pour vous…Par gentillesse, par tendresse… « Les songe-creux », chorégraphié par Christophe Garcia et mise en scène par Stéphanie Chaudesaigues est de ceux là. J’étais heureux hier soir d’être accompagné de deux oisillons venus accompagner le Tadorne dans sa migration hivernale ! C’était aussi un joli cadeau…
Programmé à la Friche Belle de Mai dans le cadre des « Soirées de rêves » organisées par le Ballet d’Europe de Jean-charles Gil, « Les Songe-Creux » est un bien joli rêve. Six danseurs – comédiens sont sur scène, aux accents franco – québéquois, signe que le rapprochement entre continents facilite le lien entre la danse et le théâtre ! On pourrait croire à une famille (un peu déjantée certes…comme beaucoup de familles d’ailleurs !), à un groupe d’amis ou d’exclus de la société. Ils ont tous en commun d’avoir des rêves, d’y croire encore malgré la cruauté d’un corps qui ne l’entend pas de cette oreille, malgré les difficultés de communication…Ces six personnages forment un tout qui pourrait être à notre image à un moment ou un autre de notre vie. Le texte est beau, fait de petites phrases métaphoriques, joliment mises en mouvement par une chorégraphie légère comme un rêve éveillé ! Le dernier solo d’une femme vêtue de noir, à l’image de nos peurs, de nos rigidités, est d’une beauté époustouflante…
Les deux spectacles de Jean-Charles Gil qui suivront cette oeuvre d’une belle profondeur seront d’un creux rarement égalé de nos jours! A demain pour connaître la teneur de ce cauchemar!
A lire la critique enthousiaste de Christophe d’Agenda-culturel.com.
Comment écrire sur un spectacle qui deux jours après vous habite, sans savoir pourquoi ! Je revois la pièce, des images se télescopent. J’ai le sentiment de m’être plongé dans un autre univers, qui laissera des traces. Cette sensation est étrange…très intime…J’aurais pu en rester là…Mais « le Tadorne » a fait le pari fou d’écrire…
Ce samedi soir, au Théâtre de la Minoterie dans le cadre de « Marseille Objectif Danse », j’assiste à 21h à la chorégraphie de Jean-Claude Sanchez, « Le rêve de Jane ». Après « Le parlafon » de François Bouteau, le changement d’univers est radical. Point de vidéo, ni de balafon poussif sur scène. Juste une danseuse qui nous parle brésilien tenant avec elle un sac de sport (là où les occidentaux traîneraient des valises !), une chaise d’école près du mur, une nappe en plastique posée au sol et des grosses bougies décorées d’icônes religieuses à terre. A droite, un musicien et sa basse qui donne à ce spectacle les couleurs du Brésil et une tonalité musicale poétique et réaliste. Il y a entre la danseuse et ce musicien un lien si fort que mon regard est tout autant porté sur la scène que sur la guitare ! Car ces deux là nous offrent un très beau moment de danse. 45 minutes de plongée dans l’univers du Brésil, dans la tête de Jane ! Elle nous montre le Brésil du quotidien fait de rituels, d’attentions, de désirs. Très peu de mouvements mais des gestes d’une précision d’orfèvre comme lorsqu’elle pose par terre une série de carrés de tissus comme autant de territoires intimes. Tous les mouvements de Jane sont le Brésil ! Pourrait-on imaginer une danseuse française danser la France ? Il faut voir Jane se transformer tour à tour en femme libérée, pieuse, sensuelle (le passage où elle lèche son corps est sublime). Et puis, il y a cet album de famille comme autant de cartes postales liées que Jane pose à terre comme toile de fond de son histoire, de ses rêves.
La puissance de ce spectacle réside dans le meta-language qu’il véhicule. Il donne au rêve de Jane une portée universelle.
Il faut nous voir tous les trois, Anne-Laure, Marie-José et moi-même quitter le Théâtre de Cavaillon après les deux chorégraphies de Russell Maliphant, « Transmission » et « Push ». Quelque chose vient de nous arriver, comme un moment de grâce qui suspend, rend heureux, et fait de nous des spectateurs plus en lien que jamais.
Tout a commencé après le rituel du Directeur.
« Transmission » (titre si cher au festival « Les Hivernales » d’Avignon) voit quatre danseuses se métamorphoser sous nos yeux. On ne sait plus très bien qui fait corps : la lumière ou l’artiste ? Les deux s’articulent et donnent à ce quatuor des formes inédites. Le plus merveilleux dans ce spectacle est de ressentir le processus de transmission entre ces 4 danseuses et nous. Maliphant nous englobe. Mais il ne chorégraphie pas la fusion comme pourrait le laisser croire certains passages mais la transmission transversale. 35 minutes de bonheur!
L’entracte de 20 minutes me permet de remettre en mouvement mon corps maltraité par les sièges du Théâtre et de déambuler au milieu de ce public chaleureux (il recevra bientôt une palme du Tadorne !).
« Push » débute. Alexander Varona et Julie Guibert sont sur scène. La lumière s’allume puis s’éteint. Elle sur lui, lui pour elle. Différents tableaux alternent. Puis, lentement, « Push » dévoile le jeu, le lien. Dansent-ils l’amour ? Oui. Assurément. Que peuvent-ils danser d’autre pour que l’émotion me submerge ? Tout est fluide, les corps coulent, me touchent. L’espace scénique est peu utilisé comme si Maliphant choisissait un autre espace, celui de la relation. C’est d’autant plus magnifique que les escalades du départ (c’est vraiment le cas de le dire…) deviennent mouvements circulaires, attachements, détachements, relliance. Comme pour « Icare » de Claude Brumachon présenté aux Hivernales en février dernier, je suis sidéré par cette danse porteuse d’un nouveau langage.
Russel Maliphant cohabite dorénavant avec "Icare" dans la mémoire du Tadorne. Les liens se complexifient…La danse est décidement un art majeur.
A lire, "l’After / Before" du spectacle!
Il y a des chorégraphies qui peuvent marquer durablement la vie d’un spectateur. C’est souvent mystérieux comme processus et je n’ai pas fini d’être étonné sur ce qui peut m’émouvoir, là où d’autres seraient plus à distance. Depuis 1998, je découvre la danse…et chaque spectacle est pour moi un nouveau champ à explorer.
Samedi soir, j’étais donc curieux d’accueillir le langage chorégraphique de Geneviève Sorin au Théâtre de la Joliette à Marseille, pour « ¾ face ». Voilà donc 4 danseurs (deux hommes, deux femmes), 3 tabourets, une chaise pliante, un fond blanc et une pianiste. C’est une histoire de … communication où ce quatuor se fait, se défait, se recompose comme un processus qui pourrait ne jamais s’arrêter ! Le spectateur est sans arrêt sollicité dans ce mouvement perpétuel comme si « eux » étaient « nous » et inversement (suis-je clair ??). Le spectateur n’est pas observateur mais fais partie de ce quatuor, comme un 5ème élément. Car tout est en lien avec Geneviève Sorin et son talent de chorégraphe donne à la création sonore (mention toute spéciale à Bastien Boni) une dimension qui n’est pas qu’un bruit d’accompagnement mais une communication sur la communication (je sais, cela parait complexe mais comment l’écrire autrement ?!!). Elle arrive à créer des contextes différents, à sculpter la matière « relationnelle » (certaines formes du quatuor épousent le lien… éblouissant !). Elle donne aux relations homme – femme une forme de tendresse infinie, une recherche permanente où rien n’est figé, où tout est possible tant que le désir est là. La relation entre les deux hommes sème le trouble (comme d’habitude, me direz-vous !) mais Sorin est loin de nous en donner une forme précise (à nous d’en faire notre propre interprétation). La pianiste suit à distance l’évolution de ce quatuor en se transformant elle aussi comme si elle donnait le « la» !
J’ai rarement assisté à une telle évocation de la relation sur une scène de danse. Geneviève Sorin pourrait incontestablement faire penser à certains thérapeutes qui aident le couple, la famille à structurer autrement la relation, à créer d’autres modalités de communication.
« ¾ face » n’est donc pas qu’une chorégraphie. C’est autre chose…un OVNI que l’on prend en pleine face, avec plaisir, heureux d’avoir participé à ce joli mouvement relationnel que rien n’empêche de continuer ailleurs…
Elle est là, dans le hall du Théâtre des Salins de Martigues. Elle tient un tapis à la main sous le regard des spectateurs ; ils attentent « Jeux d’intentions » de Raphaëlle Delaunay. Avec sa jolie robe blanche, elle tente de faire ses pointes sur ce tapis. Son corps se désarticule. Elle tombe, se relève, se transforme comme si nos regards métamorphosaient sa danse. Elle tombe, se relève de nouveau et se dirige tout droit…vers moi ! Elle s’appuie sur mes petites épaules, me dépasse et me fixe droit dans les yeux. Je suis raide, intimidé, pendant qu’elle me murmure quelques mots. Suis-je ce public qui la soutient sans défaillir? J’ai peur. Les regards se dirigent vers nous deux. Je tremble, elle aussi. Son corps se glisse alors parmi le public, pour disparaître. Il veut jouer avec elle car il sait que le spectacle se fera avec lui et pour lui. Elle, c’est Raphaëlle Delaunay, chorégraphe, danseuse.
Je sais d’elle qu’elle fait corps avec nous…
Le public prend place dans la « petite salle » du Théâtre des salins. Eux, ce sont deux hommes qui dansent pour nous sur des rythmes africains mélangés aux sons d’un marché venu d’ailleurs. Ils frappent dans leurs mains ; le public fait de même. Ils dansent et leur corps se désarticulent de nouveau. Ils dansent aux quatre coins de la salle. Ils nous viennent des quatre coins du monde. Avec eux, le monde est métis.
Elle arrive, toujours avec sa jolie robe blanche. Elle fait tourner la tête et les corps. Parfois ils se brisent, s’enveloppent, se jettent contre le sol. L’émotion me submerge face à ce trio qui danse si bien nos doutes, nos désirs, nos fragilités prises dans nos relations d’amour et d’amitié.
Elle est le lien entre eux car cette femme, répare, relie, là où ces hommes sont séparés par la guerre, les luttes de pouvoir, les relations de haine. Elle recolle les morceaux d’un corps, d’une vie mise à mal. C’est étourdissant de beauté et d’amour. Cela nous est donné en cadeau. Ce soir, la danse se veut réparatrice. Fragmentés nous l’étions peut-être en venant au Théâtre. Entiers nous repartons.
Elle, c’est Raphaëlle Delaunay ; eux c’est Grégory Kamoun Sonigo et Mani Asumani Mungai. Je sais qu’ils sont dorénavant à côté d’Icare.
Je m’envole de bonheur.
A voir, le reportage d’Arte sur Raphaëlle Delaunay, dans le cadre du Journal de la Culture.
Voir deux solos de deux sœurs chorégraphes dans la même soirée est un contexte pour le moins atypique. Quand l’une fait partie de la célèbre compagnie flamande «La Needcompany » (Carlotta Sagna), l’autre vole de ses propres ailes (Caterina Sagna). Toutes les deux nous présentent au Théâtre d’Arles deux pièces aux noms pour le moins étranges : « Transgedy » et « Tourlourou ». Une centaine de spectateurs a fait le déplacement, heureux d’être là. Nous sommes loin d’un public d’abonnés…
Le premier, « Transgedy » de Caterina est dansé par Alessandro Bernardeschi. Sur scène, un guéridon, une radio-cassette, et tous les ingrédients pour passer à l’heure de l’apéro. Une photo trône sur cette si petite table. L’homme fume puis se lève pour danser sur la musique des Bee Gees (« Tragedy »). Il danse sa solitude et je me sens dérouté. Rien n’est linéaire dans les gestes, tout est saccadé comme une vie qui perdrait le fil conducteur, le sens. Pendant plus de vingt minutes, j’assiste à la souffrance d’un homme seul, qui se jette à terre, pour se relever, souffrant, mythomane de surcroît (il se prend pour Shakespeare – la photo, c’est lui !-). Et pourtant, je reste à distance, sans empathie particulière pour cet homme, comme si ma position ne faisait qu’accentuer sa solitude. Le final où il s’asperge de Ketch’up pour simuler un drame shakespearien frôle le pathétique. Mais loin du ridicule et du pathos, Caterina Sagna touche là où cela lui fait mal ; nous fait mal. Avec poésie.
Le deuxième solo (« Tourlourou ») dansé par Carlotta Sagna va faire l’effet d’une petite bombe dans ce si joli théâtre. Elle arrive, tutu vert et pointes au pied. Un petit plateau en forme de cible l’attend. Au cours d’un très beau texte, elle nous annonce qu’il ne lui reste que dix minutes à vivre. Une autre tragédie se joue devant nous (on n’est quand même pas là pour rigoler ce soir…). Dans ce si petit espace, Carlotta Sagna va danser l’impossible à savoir le passage de la danse classique à la danse moderne, métaphore des transformations, des virages qui parsèment la vie. Je reste ébloui par ce corps qui se plie, se déplie, se lève, se couche alors que tout va se terminer dans quelques minutes. Le corps habite l’intensité dramatique comme je l’ai rarement vu en danse. A la voir se remettre à danser avec ses pointes, provoque en moi un élan d’émotion comme si le film de sa vie se jouait là, face à nous, dans cet espace si petit. Carlotta Sagna est au cours de ces trente minutes, plus qu’une danseuse. Elle est une artiste qui repousse les frontières de son art à l’image de la Needcompany, espace de création pluridisciplinaire basé à Bruxelles et animé par Jan Lauwers. « Tourlourou » est beaucoup plus qu’une « Transgedy ». C’est un petit chef d’œuvre d’humanité.
Je ne m’attendais pas à cela, à une telle rencontre. Après le spectacle éblouissant de Susan Buirge vue en Arles mercredi dernier, voilà que ce festival me transmet un autre cadeau : Claire Heggen. Cette artiste décide de créer sa biographie de mime, de danseuse, de pédagogue, sur scène ! Non par exhibitionnisme, mais pour nous transmettre les fragments de sa vie pour nous aider à recoller les nôtres !
Claire Heggen construit un spectacle complet (théâtre, danse, vidéo) à partir d’objets flottants miraculeux.
Des cubes en bois, petits cailloux semés ici et là, s’emboîtent à certains moments de sa vie, se cognent à d’autres.
Il y a ce papier fin, première enveloppe du bébé , qui devient écran de cinéma (les moments de ses spectacles passés sont très émouvants) puis se transforme en habit de scène.
Il y a ce sac orange (nous sommes très loin de la valise…), boite magique d’où sortent les moments phares de sa vie.
L’utilisation de la vidéo ne se substitue jamais à l’artiste mais la sert (que certains chorégraphes puissent comprendre la nuance !). Claire Heggen est tout à la fois danseuse, mime, responsable de compagnie, femme et mère de famille. Toutes ces facettes sont liées et c’est ce lien qui fait le spectacle. Nous passons du rire (le passage sur la peur est à mourir de rire) à l’émotion (la mort de Lucas…bouleversant). La mise en scène d’une heure trente ne souffre d’aucun temps mort alors qu’elle est seule sur scène. Mais Claire Heggen sait à quel moment s’éclipser, changer de registre. Elle sait cela de sa propre vie. Cette manière de nous la conter est à elle seule une transmission : on peut parler de soi avec humilité, créativité, inventivité avec notre corps et nos mots…
"Le chemin se fait en marchant" est un spectacle trés émouvant.
Peu de dates sont programmées (le 4 mars aux Ulis).
A nous internautes d’en faire l’écho car la transmission d’une telle énergie se fait en écrivant.
Le bilan des"Hivernales d’Avignon 2006" par le Tadorne!
Samedi 25 février 2006, 17h, dernière journée des Hivernales. Après « l’Encontre » de Cré-Ange, me voilà salle Benoît XII pour cette œuvre Danoise. La salle est comble. Je n’ai aucune attente, comme plombé par le spectacle précédent ! Je lis « Libération » en attendant. Notre Ministre de la Culture y donne une interview. Etonnant de constater à quel point il s’enferme dans ses certitudes avec si peu de créativité!
Le rideau se lève ; des lampes flexibles entourent un tapis de laine avec sept danseurs en ligne. Ils chantent doucement puis la clameur monte. J’ai l’impression immédiate de me retrouver dans l’univers d’une comédie musicale où l’on ne comprendrait ni la langue, ni l’histoire ! C’est une histoire d’hommes et de femmes, où chacun tente de trouver sa place, son alter ego. On chante beaucoup, parfois fort pour se faire entendre. On chante et on danse en même temps (quelle prouesse !) dans cet espace un peu réduit où tout est mis en lumière, car tout a de l’importance. « Obstrucsong » est un poème vivant où chaque spectateur peut se raconter son histoire, se voir sur scène. Le plus impressionnant, c’est la créativité qui se dégage de cette œuvre ! Chaque mouvement en rencontre un autre qui l’entrave ; cette contrainte (d’où l’obstruction) devient une force créative pour les danseurs. Comment ne pas voir une métaphore de nos actes quotidiens guidés par nos schémas linéaires qui ne cessent de se confronter à la complexité de l’environnement?
Cette jeune troupe venue tout droit du Danemark invite avec douceur le public français des Hivernales à se dépasser, à créer dans la contrainte. A l’heure où certains voudraient renforcer la contrainte sans la créativité, « Obstrcsong » est un magnifique message d’ouverture dans ce monde globalisé.
Triomphe garantit. Chapeau !
Le bilan des"Hivernales d’Avignon 2006" par le Tadorne
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