Avant de prendre la parole face au public venu nombreux, le chorégraphe Boris Charmatz se tortille. Se prépare-t-il pour danser et se jeter dans la fosse aux lions? Probablement. Artiste associé de la 65e édition du Festival d’Avignon, il sait que le rôle l’expose jusqu’à nous confier plus tard que tout commence pour lui avec cette première rencontre. L’homme a de la ressource pour créer un climat de confiance, d’autant plus qu’Avignon n’est pas un festival de danse. Le public fait preuve ce soir d’une belle curiosité, démontrant une fois de plus qu’Avignon est un festival de création et de langages.
Boris Charmatz commence donc par poser un contexte historique. Le sien. Enfant, il passait ses vacances à Berlin, là où la création artistique était déjà le fruit de croisements et d’enchevêtrements. D’Avignon, il se souvient d’un spectacle en 1989 où Maguy Marin avec «Eh qu’est-ce-que ça m’fait à moi !?” se faisait conspuer. À partir de ces deux anecdotes, le message est explicite : vive la controverse, la diversité, et les nouveaux langages ! À une approche descendante du lien à l’art, Charmatz préfère les chemins de traverse : « Je suis resté un spectateur, car je ne pense pas les choses en terme d’échelon». A ceux qui attendraient de lui une vision bien précise de son rôle d’artiste associé, il répond modestement «qu’il est là aussi pour apprendre». S’ensuivent alors quelques extraits filmés de ses créations (aucune ne fait partie à proprement parler du «patrimoine» populaire de la danse). Nous découvrons, distanciés. Puis vient un joli moment d’émotions avec «une lente introduction» (2007), sculpture vivante de chairs et de mouvements. Manifestement, Boris Charmatz danse en inversant les prémices, dans des espaces particuliers pour un «spectacle mental».
«Et pour cet été?», s’impatientent (en silence) quelques spectateurs!
Il fait un détour par le «Musée de la danse» qu’il dirige depuis deux ans à Rennes. C’est un Centre Chorégraphique National, pensé comme un musée en mouvement, ouvert dans le temps. Je le relie à Marseille, où Michel Kelemenis prépare l’ouverture de «KLAP Maison pour la danse», espace à disposition des complémentarités avec les acteurs culturels, pour ouvrir la ville aux chorégraphes. Il y a chez ces deux artistes une vision moins descendante du positionnement institutionnel, plus rhizomique, plus créative.
Mais ce soir, le public souhaite savoir. Que veut Boris Charmatz pour Avignon ?
De l’ouverture, toujours de l’ouverture. A-t-il l’intuition que les Français sont à la peine pour penser les articulations créatives? «C’est le moment de s’ouvrir», précise-t-il, «il faut la perméabilité des corps, de la porosité, de ne plus être dans le regard qui juge». Tout un programme, qu’il va décliner à la Cour d’Honneur, avec dix adultes et trente enfants. Car «l’urgence, c’est la question de l’enfant. Nous faisons pression sur lui ; nos enfants portent nos angoisses et nos problématiques d’adulte. C’est donc politique». Mais à côté de la Cour, il désire nous faire vivre un moment particulier avec son dernier spectacle, « la levée des conflits», qu’il voudrait bien jouer dans un grand pré (et y retrouver l’esprit de Woodstock!). L’intention est palpable : Boris Charmatz pose la question de la place du collectif au festival d’Avignon (tant du côté des artistes que des spectateurs). Il compte donc investir l’École d’Art pour «soutenir le geste collectif» (à partir de créations au croisement de l’exposition, de la conférence et de la performance), car «l’expérimentation est la chose la plus solide que l’on ait». «J’ai envie que le festival résonne collectivement, qu’il soit un espace de perméabilité» finit-il par préciser.
«Oui, mais qu’avez-vous à dire au peuple tunisien ?»
Boris Charmatz reste sans voix.
«Quel message voulez-vous faire passer pendant le Festival ?»
Boris Charmatz pense avoir été explicite.
«Pourriez-vous nous faire une improvisation ?»
C’est alors qu’il invite le spectateur à monter sur scène. Deux minutes pour créer le lien, l’alchimie, le souffle. Suspendu, le moment est unique, car généreux.
Mais Boris Charmatz sait probablement que le public du Festival est prêt pour des ouvertures à condition qu’elles ne soient pas seulement des expérimentations esthétiques. Pressent-il que l’édition 2011 devra faire du bruit et non du tapage? On est un certain nombre ce soir à vouloir l’accompagner, car «la nouvelle voie», si chère à Edgar Morin, s’improvisera collectivement.
Pascal Bély – www.festivalier.net
Compte-rendu de la rencontre publique organisée par le Festival d’Avignon le 20 janvier 2011