Au-delà d’une magnifique scénographie, d’un décor inventif et d’une très belle lumière, c’est à une mise en scène très chorégraphiée que nous invite Eric Lacascade. Son adaptation des “estivants” de Maxime Gorki est une invitation à entrer dans la danse pour mieux y saisir les travers de nos errances et la fragilité de notre aujourd’hui.
Nous sommes loin d’un théâtre de l’esbroufe et du clinquant, tout en étant dans le plaisir visuel d’une occupation de l’espace scénique joliment orchestrée. Les déplacements du décor participent pleinement à la chorégraphie de ces hommes et ces femmes qui cherchent « des places pour pouvoir se cacher de la vie », tout est là pour que le jeu des comédiens se déploie sur un jeu de lignes, courbes ou droites, qui souligne le propos. Bien sûr on pourrait rêver qu’Eric Lacascade soit allé plus loin dans sa mise en scène, qu’il nous ait touchés et secoués un peu plus.
Un des angles du propos de cette pièce politique et sociale traite de la difficile relation hommes – femmes ; la « société des hommes », hors des femmes, nous est représentée, entre autres, comme misogyne et infantile.
La scène de beuverie entre Bassov et Chalimov nous les montrent « cul nu » ; il aurait (au regard d’une autre scène d’hommes, où se rajoute Souslov, plus loin dans la pièce) peut-être été plus fort et pertinent que le trouble lâcher-prise de ce moment soit traduit plus violemment par un baiser.
Dans cette pièce, il n’est pas que la relation de Vlas et Maria Lovna qui interroge les normes et les interdits, obstacles au désir.
Les comédiens sont tous très bons ; Grégoire Baujat en tête qui nous propose un Vlas tout en tension et fragilité ; Millaray Lobos Garcia nous offre une Varvara suspendue entre graves carcans du réel et rêves d’adolescente et Christophe Gregoire surjoue Bassov juste ce qu’il faut pour nous faire entendre son mensonge de vivre.
Les scènes collectives sont comme toujours chez Lacascade de très beaux moments et chacun a l’espace nécessaire pour déployer la lecture qu’il a fait de son personnage.
Au final, du théâtre de très bonne facture, qu’il est bon de goûter lorsqu’il se présente. Ne serait-ce que pour revoir nos classiques et voir que les années qui ont passées n’ont pas réussi à changer si fondamentalement l’humain. Ce regard sur la pièce de GORKY devrait nous rendre attentifs à notre aujourd’hui, afin de ne pas nous laisser prendre aux jeux du politique et ne pas céder à la peur.
« Oublier ses racines est toujours un problème. C’est peut-être ce qui fait que tout à coup, cette société, qui ne sait plus ni d’où elle vient ni où elle va, vacille » (Eric LACASCADE extrait de la feuille de salle).
« …Nous devons être différents ! Ce n’est pas par pitié, par charité que nous devons travailler à élargir la vie…c’est pour nous-mêmes que nous devons le faire… » Varvara dans « Les estivants »
Et de repenser à une phrase de Maxime Gorky extraite des « bas fonds », comme en écho : « Pour un vieux, la patrie, c’est là où il fait chaud ».
« Les estivants », pièce écrite en 1903 nous tend un miroir qui n’a rien d’un miroir aux alouettes.
Bernard Gaurier – www.festivalier.net
“Les Estivants”, de Maxime Gorki, mise en scène d’Éric Lacascade, du mardi 12 au samedi 23 janvier 2010. En tournée, Scène nationale de Sète les 3 et 4 mars, les Gémeaux de Sceaux du 9 au 21 mars, TNBA de Bordeaux, du 14 au 16 avril, Scène nationale d’Evreux les 28 et 29 avril.