Dimanche matin.
Il y a ce commentaire de Pascal Bély, alias le Tadorne, sur ma page Facebook, suite à la mise en ligne d’un article du Monde relatif au futur changement de direction du 104, établissement culturel parisien. Alors que Christophe Girard, adjoint à la culture de Bertrand Delanoë déclare : « On va se tourner vers des gestionnaires plutôt que vers des artistes », Le Tadorne estime que « gestionnaire ou artiste, là n’est peut-être pas la question! C’est le projet lui-même qu’il faudrait interroger ».
Dimanche, début d’après-midi.
Lecture du récent rapport de la Cour des Comptes relatif au bilan de la décentralisation. Les conseillers fustigent le Gouvernement de n’avoir pas suffisamment défini le niveau de qualité de service public attendu, dans le cadre des transferts de compétence de l’Etat vers les collectivités territoriales. Encore aujourd’hui, les relations entre ces deux niveaux se réduisent à des querelles sur le montant des compensations. L’objet même de la décentralisation a été négligé. Une nouvelle fois, la question financière avant celle du projet.
Dimanche, milieu de l’après-midi.
Proposition impromptue d’une amie : aller voir “Vollmond” créé en 1997 par Pina Bausch et présenté au Théâtre de la Ville à Paris.
Un cours d’eau d’abord tranquille a été mis en place en fond de scène. Il deviendra le lieu de mille trouvailles scénographiques. A l’image de cette eau qui ne cessera de couler durant les deux heures que dure le spectacle, l’?uvre vibrante et vivante qui se déroule sous nos yeux est celle d’une femme libre.
J’entendrai des spectateurs regretter l’épure de la mise en scène présente dans “Café Müller” ou dans “Kontakthof“. Mais pour spectaculaire qu’il soit, en raison notamment des trombes d’eau qui s’abattent parfois sur scène-, ce spectacle ne sacrifie rien à la puissance émotionnelle du geste dansé.
Au contraire, chaque tableau est porteur de rires comme de larmes. On s’esclaffe quand une danseuse à la voix de stentor s’exclame d’un ton excédé : « Si l’eau bout à 100 degrés, le lait c’est toujours quand on a le dos tourné ! ». On pleure quand une autre, hurle sa douleur d’être livrée à elle-même dans l’eau devenue sombre marécage.
Même si Pina Bausch est morte, je refuse à me résoudre à ce que les organisations humaines laissent désormais la performance financière être leur seule raison d’être.
Pourquoi ai-je l’impression, qu’à l’image de “Gyrations of barbarous tribes” de Franck Micheleti, la chorégraphie de Pina Bausch nous montre le monde tel qu’il devrait être ?
Sa danse est celle de la communion des êtres humains. L’univers bouleversant qu’elle créée nous indique que quel que soit le contexte, le vouloir être ensemble des hommes doit prédominer. Avec notre diversité, ses danseurs viennent des quatre coins du monde: notre destin reste commun.
Ce monde-là est l’antidote à la gouvernance de l’argent. Il est la réponse aux questions posées par le documentaire de Jean-Robert Viallet sur la “Mise à mort du travail” présenté sur France 3.
Je veux croire avec Edgar Morin citant Friedrich Hölderlin que « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve». Car au final comme l’écrivait Hervé Guibert pour Le Monde en 1982 « Ce n’est pas Pina Bausch qui nous blesse le c?ur, il était déjà blessé, seulement cette blessure était tombée dans l’oubli, on s’était employé à nous la faire oublier, à la faire passer pour futile, romantique, narcissique, et Pina Bausch, par l’intermédiaire des corps de ses danseurs, nous rappelle à la réalité, à la vitalité de cette blessure. Elle ne nous tend pas de miroir, ou l’illustration, mais une sorte de radiographie cinglante qu’elle accompagne en même temps d’émollients, d’une trousse de secours pour brûlés du second degré. »
Elsa Gomis -www.festivalier.net
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