A Montpellier Danse, le 22 mars 2007
J’ai envie de danse. En déplacement professionnel, il est temps de sortir de cette chambre d’hôtel déshumanisé où la télévision fait office de fenêtre vers l’extérieur. L’air est glacial et j’entre me réchauffer au « Chai du Terral », beau théâtre de l’agglomération de Montpellier. Rita Cioffi présente « Pas de deux », duo dansé sur le couple à partir duquel « les processus d’identification et de différenciation créent l’identité et construisent l’individu ». Ambitieux programme. Inutile d’aller chercher dans la confrontation des deux danseurs une quelconque métaphore du couple amoureux. Je n’y trouve rien. Trop loin de moi, peut-être…Est-ce la rencontre entre l’homme et une femme ? Difficile à cerner tant ils me paraissent asexués. Lui est fort, elle plus frêle. A quoi bon de les voir ainsi ? Cela n’a toujours pas de sens…Alors ? Je m’accroche moi aussi à leurs vêtements : ils ont une fonction essentielle quand ils se relient à partir de la poche de leur jean’s, glissent leurs mains dans les plis d’un tissu rebelle, s’engouffrent dans le t-shirt de l’autre. Le textile est alors cette seconde peau que nous cherchons en l’autre, en soi, avec peur, colère, désir et détermination. Leur danse, parfois mécanique, les transforme en statue, comme si le corps était matière dont nous serions le sculpteur par nos regards furtifs ou appuyés. C’est beau et profond. Nous aurions pu en rester là. Mais voilà qu’une vidéo de Roberto Sacova vient ponctuer ce « pas de deux ». Avec nostalgie et tristesse, le film normalise leurs rapports, joue sur les ralentis et annule le lien que je construisais pas à pas avec ce couple. La vidéo prend alors le pouvoir sur le vivant.
Je quitte le théâtre avec un goût d’inachevé. De retour à l’hôtel, j’avais laissé la télévision allumée. Un homme et une femme s’affrontent. J’éteins.
Pascal Bély- www.festivalier.net
Deux années plus tard, aux Hivernales, pendant le Festival Off d’Avignon. La vidéo a disparue.
Dans le petit studio des Hivernales, Rita Cioffi, chorégraphe, et Claude Bardouil, comédien, nous offrent un « Pas de deux » sublimant le corps.
Ils nous tournent le dos : elle et lui, le féminin et le masculin, deux corps.
C’est dans un calme absolu que leur danse débute. Chacun s’échauffe puis c’est l’approche. Le rapport de force commence puis la dualité du féminin et du masculin se complexifie. C’est physique, psychique, tactile, érotisant, tout en respect. Juste ce qu’il faut sans tomber dans l’excès.
S’attachant à leur vêtement, comme s’ils se prenaient à même la peau, Rita Cioffi et Claude Bardouil arrivent à n’être qu’un seul corps. Ils se fondent littéralement l’un dans l’autre. De l’interprète à la chorégraphe, les rôles s’inversent et s’abandonnent. Le public plonge alors dans cette danse charnelle qui lui offre une belle leçon chorégraphique.
La collaboration entre Rita Cioffi et Claude Bardouil se déploie parce que chacun semble avoir fait un travail sur lui-même. Pour Martha Graham, chorégraphe américaine, « l’art du danseur est bâti sur une attitude d’écoute, qui implique tout son être ».
Impliquant pas de deux.
Laurent Bourbousson – www.festivalier.net