A l’arrivée, le décor évoque une maison de poupée, et l’on pense à la pièce de Thomas Ostermeier « Concert à la carte » présentée en 2004 au Festival d’Avignon. L’intimité entre acteurs et spectateurs est immédiate, vu le crépitement des flashs d’appareils numériques. Avant le début de la représentation, « Sonia » du metteur en scène Letton, Alvis Hermanis, est déjà une attraction. Ce décor est mutique. Mythique.
Deux cambrioleurs (exceptionnels Gundars Abolins et Jevgenijs Isajevs) pénètrent dans l’appartement. Ils fouillent maladroitement et tombent sur un pot de confiture. La gourmandise prend le pas et le doigt dans la gelée, nos hommes perdent de leur superbe machiste pour jouer aux enfants. En violant son identité, l’un fait essayer à l’autre une robe puis s’assoit à table pour feuilleter l’album photo de l’absente. Tel un processus de transformation de la pierre en liquide, de l’horloge à la cellule, Sonia se réincarne. Nous sommes dans un décor des années trente, mais la pauvreté de cette femme semble intemporelle. Nous la suivons de la cuisine vers la table puis de nouveau aux fourneaux. Elle fait de beaux gâteaux qu’elle décore comme le plateau d’un théâtre de cabaret. Elle chorégraphie ses talents culinaires alors qu’elle fait danser un poulet, prêt à cuire, une bouteille dans le derrière.
Lorsqu’elle est fatiguée, elle sort sa dizaine de poupées russes qu’elle allonge sur son lit. «L’autre », finit par se goinfrer de ce gâteau et se maculer le visage de crème au chocolat. Muni de ce masque, il s’assoit pour écrire des lettres d’amour fictives à Sonia. Incarné en metteur en scène machiavélique, il lui offre le plus beau rôle de sa vie. Elle se prend au jeu et la voilà amoureuse. Toute une mécanique théâtrale entre poésie et humour se met en place jusqu’à la scène finale, où nos deux compères, retrouvant leur statut de cambrioleur, continuent leur besogne. Le libéralisme sauvage reprend ses droits.
« Sonia » est une oeuvre d’aujourd’hui. Parce qu’elle évoque l’Europe, ces peuples de l’Est qui ont été écartés de ce projet politique pendant les années de plomb du communisme. Dans cette Europe à vingt-sept, le théâtre peut tous nous rapprocher, car « Sonia » parle à chacun de nous. De pureté du sentiment amoureux, de sacrifice, d’obstination. Le théâtre d’Hermanis nous plonge dans nos premiers pas d’enfant alors qu’il n’est question que de vieillesse sur scène. C’est le corps transformé, maculé qui charrie, véhicule notre désir de vie. Le texte accompagne, mais la voix (on parle doucement dans ce théâtre là), est celle du corps.
Avec Hermanis, le moindre mouvement est à la croisée du social et de l’intime. Ce n’est plus le théâtre classique français, encore moins l’approche transdisciplinaire belge.
Le théâtre d’Hermanis, c’est cette broche représentant une colombe blanche que les cambrioleurs posent sur la table avant de partir.
Une utopie venue de l’Est.
Pascal Bély
www.festivalier.net
Deux cambrioleurs (exceptionnels Gundars Abolins et Jevgenijs Isajevs) pénètrent dans l’appartement. Ils fouillent maladroitement et tombent sur un pot de confiture. La gourmandise prend le pas et le doigt dans la gelée, nos hommes perdent de leur superbe machiste pour jouer aux enfants. En violant son identité, l’un fait essayer à l’autre une robe puis s’assoit à table pour feuilleter l’album photo de l’absente. Tel un processus de transformation de la pierre en liquide, de l’horloge à la cellule, Sonia se réincarne. Nous sommes dans un décor des années trente, mais la pauvreté de cette femme semble intemporelle. Nous la suivons de la cuisine vers la table puis de nouveau aux fourneaux. Elle fait de beaux gâteaux qu’elle décore comme le plateau d’un théâtre de cabaret. Elle chorégraphie ses talents culinaires alors qu’elle fait danser un poulet, prêt à cuire, une bouteille dans le derrière.
Lorsqu’elle est fatiguée, elle sort sa dizaine de poupées russes qu’elle allonge sur son lit. «L’autre », finit par se goinfrer de ce gâteau et se maculer le visage de crème au chocolat. Muni de ce masque, il s’assoit pour écrire des lettres d’amour fictives à Sonia. Incarné en metteur en scène machiavélique, il lui offre le plus beau rôle de sa vie. Elle se prend au jeu et la voilà amoureuse. Toute une mécanique théâtrale entre poésie et humour se met en place jusqu’à la scène finale, où nos deux compères, retrouvant leur statut de cambrioleur, continuent leur besogne. Le libéralisme sauvage reprend ses droits.
« Sonia » est une oeuvre d’aujourd’hui. Parce qu’elle évoque l’Europe, ces peuples de l’Est qui ont été écartés de ce projet politique pendant les années de plomb du communisme. Dans cette Europe à vingt-sept, le théâtre peut tous nous rapprocher, car « Sonia » parle à chacun de nous. De pureté du sentiment amoureux, de sacrifice, d’obstination. Le théâtre d’Hermanis nous plonge dans nos premiers pas d’enfant alors qu’il n’est question que de vieillesse sur scène. C’est le corps transformé, maculé qui charrie, véhicule notre désir de vie. Le texte accompagne, mais la voix (on parle doucement dans ce théâtre là), est celle du corps.
Avec Hermanis, le moindre mouvement est à la croisée du social et de l’intime. Ce n’est plus le théâtre classique français, encore moins l’approche transdisciplinaire belge.
Le théâtre d’Hermanis, c’est cette broche représentant une colombe blanche que les cambrioleurs posent sur la table avant de partir.
Une utopie venue de l’Est.
Pascal Bély
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“Sonia” de Tatiana Tolstaia, mise en scène d’Alvis Hermanis a été joué le 6 juillet 2008 au Fesitval d’Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage.