Le ?Sculpture Projects de Münster?, manifestation décennale d'art contemporain, née en 1977, sème dans toute la ville des amateurs qui, plan en poche, cherchent l'Oeuvre comme si c'était celle de toute leur vie. Plus de soixante-dix artistes (dont trente pour cette année), reliés par l'histoire de ce territoire, nous offrent un périple qui vaut, à bien des égards, les voyages à l'autre bout de la planète. Cette ville, quasiment détruite au cours de la dernière guerre, retrouve une histoire par l'art contemporain: cette belle dialogique place le visiteur au coeur d'un processus d'introspection, où l'on pense le futur par le passé (et inversement), où l'on fait ressurgir, à l'image de Münster, des (nos) vestiges que les bâtiments modernes ou les quartiers reconstitués à l'identique ont enfouis.
C'est ainsi que l'art rapproche les hommes sur ce territoire à l'image du fil de Mark Wallinger (cherchez bien sur la photo!) qui relie les édifices pour former un rond, une frontière quasi invisible entre réel et virtuel: elle délimite ce nouvel espace, prêt à contenir ce processus émergant. Où que vous soyez, vous êtes au centre du monde, comme la gare de Perpignan de Salvador Dali! Et quand au hasard d'une virée en bicyclette, j'aperçois le fil tendu entre deux arbres par un étrange jeu de lumière avec le soleil, je m'étonne d'être heureux, d'avoir repéré la frontière entre un processus et un autre!
Il est d'autres découvertes tout aussi exceptionnelles comme les pierres posées par Gustav Mettzger. Par deux, quatre, voir plus, elles sont contre un mur, une devanture d'une pharmacie, au pied d'un banc public. Elles sont ces pierres qui formaient les gravats des bombardements. Elles sont redevenues des édifices, elles n'existent que par le regard que nous portons sur elles: comme autant de repères dans la ville, elles la redessinent comme un calque sur une feuille de papier dont nous serions l'urbaniste.
Ces pierres, amassées en nous, se transforment en clocher d'église: l'oeuvre de Guillaume Bijl surgit de terre est sidérante de beauté où penchés sur notre passé et celui de Münster, on se surprend à vouloir sauter pour continuer à creuser, ce qu'à oser faire Bruce Nauman, avec sa pyramide inversée, dans le quartier des Universités des sciences. Ce ?square dépression?, au coeur de la terre, vous plonge dans le paradoxe le plus total: pour la gravir, il faut descendre; pour la contempler de haut, on doit se coucher; pour la parcourir transversalement, nous devons la monter verticalement! Sublime moment suspendu au milieu des cohortes d'étudiants chercheurs qui passent là sans nous voir…
Toujours sous terre, la Française Valérie Jouve nous convie dans un passage piéton, sous un boulevard, transformé en salle de projection ouverte aux quatre vents: cet hiver, caméra vidéo sur l'épaule, elle a suivi quatre personnages. Sans paroles, le film hypnotise par l'ambiance qu'il dégage comme si chacun, dans sa solitude, était une partie de la ville. Ici aussi, la frontière entre l'art et Münster est si mince qu'un des protagonistes était près de moi, puisqu'il semble avoir élu domicile dans ce passage. Troublant.
Cette terre de Münster est au coeur du projet de Jeremy Deller. Sur un terrain qui regroupe des jardins familiaux (imposants par leur beauté où tout n'est qu'ordre et couleurs), il notera sur des cahiers pendant dix années tous les événements qui vont s'y dérouler. Ce n'est qu'en 2017 qu'il présentera son oeuvre dont il ignore encore aujourd’hui la teneur. À Münster, l'art émerge dans l'incertitude, et la graine que les visiteurs peuvent planter chez eux accompagnera à distance l'artiste dans ce processus.
Et puisque l'art se découvre en marchant, rien d'étonnant à ce qu'il vous surprenne même sous un pont (the Torminbridge) par temps pluvieux. Susan Philipsz, y a installé des enceintes de chaque côté des berges. Une chanson douce et entêtante se diffuse alors (avec des magnifiques effets d'échos) et le pont devient sculpture, comme un bâtiment immergé dans l'eau à l'horizontale. La pluie amplifie la beauté du dispositif en soulignant ses contrastes. Je reste médusé, vélo à la main avec une envie de plonger pour rejoindre l'autre rive.
Pascal Bély
www.festivalier.net
?????? ?Sculpture Projects de Muenster? a lieu jusqu’au 30 septembre 2007.