Le Tadorne est un grand canard (clin d’œil aux journalistes qui ont vu pendant longtemps le blogueur comme une menace), c’est-à-dire une espèce protégée. Sa particularité « c’est qu’au cours du mois de juillet, il effectue une migration de mue qui regroupe des adultes nicheurs et des non-reproducteurs. Ces regroupements réunissent sur les bancs de sable plusieurs dizaines de milliers d’individus qui, une fois la mue terminée, regagnent leurs pays d’origine. Les tadornes ont des mœurs à la fois diurnes et nocturnes et sont très sociables ».
Je suis donc un Tadorne ; les théâtres sont mes bancs de sable et mes déplacements, mes mues régulières. Au cœur de cette métaphore, c’est tout un lien à l’art, et particulièrement au spectacle vivant, que je mets en mouvement.
Après douze années d’écriture sur ce blog, le Tadorne est une « espèce de spectateur » où sa relation à l’art lui permet de décloisonner vie privée et vie professionnelle, d’assumer un statut hybride entre homme et oiseau, spectateur engagé et blogueur à distance. Il est « et » avant d’être « ou ».
Si l’art crée du lien, le Tadorne pense que tout se relie à l’art. Il ne peut donc plus être consommateur, mais créateur des reliances entre l’œuvre, le contexte sociétal et l’évolution des paradigmes. L’extrait d’une interview de Bernard Stiegler dans la Revue Mouvement l’y encourage:
«Il faut cesser d’opposer la technologie, l’industrie et la modernité à la culture… Il faut se battre pour que la culture vienne au cœur de la lutte économique…Je me bats beaucoup pour la renaissance des figures de l’amateur. Nous nous sommes habitués à avoir des publics de consommateurs : que le public consomme nos produits, et nous voilà satisfaits…Mais ce public, on a perdu toute relation avec lui, et c’est pourquoi ce n’est pas un véritable public. » (à partir de 2’31, Stiegler ne parle-t-il pas du Tadorne?)
Le Tadorne veut donc appartenir au «véritable public». Il met en place les conditions de son émancipation pour n’entrer dans aucune «case». Qu’importe qu’il ne comprenne pas tout, l’important c’est qu’il soit touché, qu’il puise dans son ressenti les ressources pour explorer son imaginaire. Le Tadorne s’éloigne des formes classiques de la critique à partir d’analyses inscrites dans un cheminement. Aux regards binaires sur les œuvres, il préfère des approches engagées où le politique se lie avec la poésie, où l’individu, la communauté et le devenir de l’humanité s’enchevêtrent. Le Tadorne tente des bilans (souvent à partir des festivals), des mises en résonance, des prolongements, des traversées loin des thèmes imposés dans les programmations. Il se pose localement (Aix –Marseille) mais ressent le besoin de «migrer» sur d’autres territoires (l’art contemporain au
Printemps de Septembre à Toulouse ou à Munster, les spectacles petite enfance,…) pour créer ses chemins de traverse (jongler n’est-ce pas danser ?). C’est d’ailleurs son regard sur la danse qui lui permet d’approcher les œuvres à partir de leur dynamique : toute mise en scène est un langage des corps. C’est par la danse qu’il questionne la communication pour se mettre en mouvement. C’est de la danse qu’il puise le désir d’entrer dans des processus participatifs avec les artistes et les institutions pour s’éloigner de posture statique du «spectateur-consommateur».
Le Tadorne milite pour une politique culturelle globale, au croisement du social, de l’accueil de l’enfant et de sa famille, de l’économique et du développement durable pour un nouveau contrat social entre artistes, citoyen et institutions pour en finir avec les prises de pouvoir de quelques-uns au profit d’articulations créatives. Il préconise une plus grande ouverture des structures culturelles vers le spectateur et son environnement afin de substituer aux logiques « industrielles » de remplissage des salles, une approche globale de la communication. Le réseau plutôt que les cases, car le Tadorne pense que l’art peut nous aider à libérer la créativité, ressource indispensable pour affronter les défis d’un monde globalisé. L’enjeu est de permettre au Tadorne de «nidifier» et à l’ensemble de la société d’accueillir la culture comme moteur de son développement. Cela suppose des programmations qui «énoncent» plutôt que d’enfermer notre lien à l’art dans un «prêt à penser» sous prétexte de dénoncer.
Le Tadorne est une espèce protégée. C’est un drôle d’oiseau.