Le Festival de Marseille, installé au Parc Henri Fabre, donne l’impression d’un camp retranché dans ce quartier chic. En effet, depuis l’an dernier, la Vieille Charité au coeur du Vieux Panier, n’est plus son lieu névralgique. Ce transfert a certes permis au Festival de se rapprocher symboliquement du Ballet National de Marseille dont le bâtiment jouxte le parc. Pour le reste, ce lieu confirme une tendance lourde depuis onze ans : le festival se coupe de la ville, privilégie la classe bourgeoise et les salariés des entreprises. L’observation du Parc, lors de deux soirées, est riche d’enseignements.
Juste après, sur la droite, trône l’accueil du Festival. De jolies hôtesses attendent comme lors d’un défilé de mode pour maison de haute couture. À l’heure où les institutions culturelles subissent la baisse des subventions, leur grand nombre contraste.
Sur ma droite, un restaurant installé provisoirement. Point d’étudiant (les prix sont élevés) mais plutôt une classe moyenne aisée. Il leur faut du courage pour supporter la longue file d’attente quand vient l’heure de payer.
Tout près, un jardin éphémère. Comme le fait remarquer un spectateur : « c’est le seul jardin que je connaisse où il n’y a rien à bouffer ». Certes, mais la question n’est peut-être pas là. Pourquoi un jardin aussi laid ?
Après ce jardin, deux hôtesses attendent, assises à une table. Au fond, des salariés d’entreprise dînent ou prennent l’apéritif (je ne vois pas bien). Evidement, je demande si je peux m’y rendre afin de pouvoir acheter une bouteille d’eau. « Vous n’êtes pas invité », me rétorque-t-on avec condescendance. Trop occupés à déguster leurs agapes, ces salariés voient-ils les perturbations chorégraphiques de Bernard Menaut (série d’improvisations où le public est souvent sollicité. Hilarant la plupart du temps !) Rien n’est sûr. Toujours est-il que le contraste est saisissant : Menaut, ses deux musiciens et une danseuse peinent à perturber cet agencement savamment élaboré. Autant leur chorégraphie trouve la poésie et leur dynamique dans les rues de la ville, autant elle tombe à plat dans cet environnement si policé.
Le clivage est tout autant observable le mardi 4 juillet. À 19h, Pierre Rigal pour « Érection » et The Guests Company pour « Popular Music » sont programmés, isolés, à l’écart, dans le Grand Studio du Ballet National de Marseille. J’en sors à 21h15. Je ne trouve ni de quoi boire, ni manger alors que les agapes pour les salariés des riches entreprises se tiennent au fond du Parc. A 22h, Fréderic Flamand propose « Metapolis II ». Il me reste peu de temps. Avec d’autres spectateurs, nous devons marcher jusqu’à la Plage du Prado pour pouvoir nous restaurer un peu. Je ressens ce moment comme une disqualification pour le public. Mais ce n’est rien à côté de la désinvolture affichée par le Festival lorsqu’il vend des places sur les marches à 10 euros, au mépris des règles élémentaires de sécurité.
Je pourrais évoquer ce public…majoritairement blanc alors que la ville de Marseille est de toutes les couleurs. Comment ne pas s’étonner de voir les salariés de ces entreprises suivre le match de foot sur leur téléphone portable pendant la si belle chorégraphie d’Emmanuel Gat. Dois-je évoquer les commentaires entendus lors de cette soirée à la fin du spectacle ? Pour « Métapolis II » le contraste est encore plus saisissant : la classe bourgeoise et politique aux premiers rangs, de prés le public d’entreprise, puis en hauteur et sur les marches le public des habitués et les moins fortunés.
À ma connaissance, Le Festival de Marseille est le seul, qui sépare autant les publics. Il y a comme un paradoxe à se réclamer « manifestation pluridisciplinaire » et faire en sorte que les publics ne se mixtent pas. Il y a comme un malaise à utiliser la culture comme produit d’appel auprès des entreprises alors que la mission de Service Public exigerait une ouverture vers la population de Marseille par des propositions artistiques plus en lien avec cette ville cosmopolite.
Au final, le Festival de Marseille ne peut accompagner dans la durée le public vers des œuvres pluridisciplinaires à l’instar d’Avignon, de Montpellier Danse ou du KunstenFestivaldesArts de Bruxelles. Pour cela, il faut une autre vision de la société. Une autre culture du lien. Crédit photo: © Gérard Ceccaldi et Aurélie Martin.
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