Montpellier Danse est une manifestation culturelle unique. Pour s’en convaincre, il fallait voir mercredi dernier, les visages rayonnants des chorégraphes venus de Turquie et d’Israël, heureux d’être produit par ce festival. J’étais content d’être français et européen au moment où les lois Sarkosy font honte « au pays des droits de l’homme ».
Au théâtre du Hangar, il fait une chaleur étouffante (« notre mission n’est pas de payer la climatisation de ce théâtre » dixit la Surveillante Générale de Montpellier Danse…consternant). Ces mauvaises conditions ne facilitent pas la concentration du spectateur alors que Filiz Sizanli et Mustapha Kaplan venus d’Istanbul, nous présentent une œuvre exigeante (« Graf »). Ils sont deux, architecte et ingénieur de formation, à vouloir conceptualiser un « espace machine » qui « transforme l’énergie du corps en énergie électrique…le corps est ainsi travaillé soit comme une statue en mouvement, soit comme un objet plastique ». Vous l’aurez compris, ce duo nous propose une danse expérimentale où le corps sert de matériau vivant pour se métamorphoser dans un espace lui aussi en mouvement. Pour cela, le dispositif scénique fait avec trois fois rien est tout simplement majestueux : une ficelle avec des poulies permet de créer des espaces où les danseurs évoluent ; une caisse en plexiglas facilite le jeu avec la lumière et donne au corps des formes différentes ; des néons permettent aux danseurs de s’y balancer comme un trapéziste. Il y a dans ce travail un désir de créer du sens (quel corps pour quelle société ?), de rechercher l’énergie pour la traduire en chorégraphie. Je n’ai pas perçu de réponse toute faite, mais plutôt une mise en scène qui permet au spectateur d’élaborer sa vision. À la robotisation du corps dicté par les lois du commerce mondial, Filiz Sizanli et Mustapha Kaplan, répondent par la nécessité de se réapproprier des espaces, d’en créer d’autres afin que le corps devienne source d’énergie créative au moment où certains fondamentalistes religieux voudraient l’enfermer. Cet engagement, dans un contexte turc pour le moins défavorable à la danse, est tout à la fois une prouesse artistique et un acte politique. Chapeau bas.
Après la Turquie, rendez-vous est donné à 22h30 au Théâtre de Grammont par la chorégraphe israélienne Tal Beit-Halachmi pour son « Dahlia bleu ». Ils sont cinq sur scène dont une chanteuse pour évoquer Modelet, le pays natal de la chorégraphe. De cet infiniment petit sur la carte, Tal Beit-Halachmi nous propose pendant plus d’une heure vingt un voyage global ! Ces quatre danseurs, tous magnifiques, me font ressentir la complexité du lien entre territoire (au sens de terroir), l’histoire intime et le destin national d’un pays dans un monde globalisé. Tal Beit-Halachmi provoque d’incessants allers – retours entre l’intime et le global qui parfois nous perdent lors de quelques scènes très conceptuelles. Mais l’ensemble a de la hauteur, une tenue. Les corps expriment tout à la fois Moledet, territoire de montagne, l’histoire douloureuse d’Israël, et le contexte actuel. Je suis ému par ce quatuor qui métaphorise à ce point cette triple articulation. Comme beaucoup de français, je connais Israël à travers le prisme du conflit avec les Palestiniens. Je quitte le Théâtre avec un autre regard, plus humain, plus proche. Je pars avec l’émotion de Tal Beit-Halachmi pour qui jouer le « Dalhia Bleu » à Montpellier Danse semble être plus qu’un acte créatif, comme un devoir de mémoire pour repenser l’avenir. Chapeau bas.
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