La pièce va commencer. Annette Breuil (Directrice du Théâtre des Salins de Martigues) et Catherine Marnas (metteuse en scène) prennent le micro et exposent leurs préoccupations sur les négociations en cours avec le MEDEF au sujet du protocole de l’assurance chômage des intermittents. L’inquiétude est lisible sur le visage de ces deux femmes engagées dans la création théâtrale. Les applaudissements sont nourris et le contexte est posé : « Sainte Jeanne des Abattoirs » de Bertolt Brecht est toujours d’actualité…
Cette œuvre retrace le contexte économique d’un abattoir de Chicago au cœur de la crise de 1929. Nous assistons aux spéculations boursières du riche patron Mauler flanqué de son courtier et soutenu par l’église, pour qui la multiplication des pauvres légitime l’appel à Dieu. J’assiste pendant 2h15 à la charge féroce de Brecht contre un système qui traite la main d’œuvre comme de la viande. Le texte est loin d’être léger : les mots pèsent comme pour mieux accentuer la perversité sans fin du système capitaliste.
A l’image du décor, Catherine Marnas a vu les choses en grand : longue passerelle métallique qui cisaille la vue, imposantes lames de plastique d’une chambre froide qui permettent d’apercevoir en fond les ouvriers maltraités. Sur scène, comédiens professionnels et amateurs forment un collectif impressionnant. Des micros pendent ici et là, accentuent le bruit de la colère et permettent aux spéculateurs de mieux se faire entendre.
Comme une musique grave que l’on me ferait écouter avec un son poussé au maximum, je quitte le Théâtre des Salins migraineux, sonné. Catherine Marnas, loin d’alléger et de fluidifier le texte de Brecht, charge le propos. Il y a trop de cette musique répétitive qui rend inaudible le texte, trop de scènes d’hystérie. Il y a trop de caricatures de la caricature, trop d’effets de scène empruntés aux comédies musicales, trop de comédiens sur scène, trop de ces sacs plastiques volant censés tomber comme la neige ! Tout me semble démesuré pour ces comédiens qui peinent à porter leur personnage (à l’exception notable de Guillaume Clausse, magnifique). D’ailleurs, Catherine Marnas n’élude pas le problème ! Le narrateur (et oui, parce qu’il faut bien nous guider dans ce fatras) signifie aux comédiens qu’il est temps d’écourter le jeu et d’être plus clair dans le propos. Apparaît alors une pièce dans la pièce… !
A ce rythme là, la mise en scène épuise l’œuvre de Brecht. Les cercles concentriques voulus par Catherine Marnas se juxtaposent et donnent à l’ensemble une lourdeur, à l’image d’un bœuf que l’on traînerait à l’abattoir ! Quelques beaux moments m’aident à sortir de ma torpeur (notamment les rencontres entre Jeanne et Mauler) mais l’ennui me gagne…La colère de Catherine Marnas contre le capitalisme alourdit le jeu et m’éloigne des comédiens.
Le contexte de création de cette pièce la sauve. En effet, les comédiens amateurs sont issues des villes où « Sainte Jeanne » tourne : Gap, Martigues, Cavaillon Cannes. On ressent l’engagement de ces amateurs et c’est peut-être de cela qu’il s’agit ! S’engager…pour résister. Cette troupe, c’est du lien social au cœur des territoires et cela se voit. C’est une réponse à la brutalité d’un capitalisme qui ne connaît que fusions, spéculations et précarité à l’image d’un gouvernement Villepin qui conduit le pays vers le chaos social. A sa façon, Catherine Marnas donne au MEDEF, au Gouvernement et aux citoyens une réponse : publics et comédiens peuvent se relier et faire du bruit jusqu’au…vacarme. Il n’y a pas d’un côté le public et de l’autre la précarité des intermittents. Tout cela forme un tout.
Oreilles sensibles d’abstenir…