«Danser sa vie». Le titre de l’exposition est une invitation pour tout spectateur engagé à promouvoir cet art majeur. C’est au Centre Georges Pompidou à Paris, pour 13 euros. On pourrait ne pas dépasser l’entrée tant le premier tableau vivant est somptueux. Sous la protection des femmes de Matisse («La danse de Paris»), un danseur à terre nous accueille. Tantôt foetus, tantôt enfant, il crée une série de mouvements et reproduit nos gestes primitifs. Il danse déjà ma vie ! Comme au dernier Festival d’Avignon avec « This situation», l’artiste inclassable Tino Sehgal laisse une empreinte: le sens de toute oeuvre de danse est à rechercher en nous. Nous (im)portons les traces de tant de chorégraphies! Cet engagement artistique est si fort qu’il me sera bien difficile d’apprécier la suite de l’exposition.
Différentes thématiques («danses de soi», «abstraction des corps», «danse et performance») proposent des mises en résonnance (sic) entre vidéo, dessins et peintures. Je m’étonne très rapidement que l’on m’explique si longuement le rôle de l’abstraction dans l’origine de la danse moderne. Je ne comprends pas très bien l’espace dédié à Pina Bausch où les visiteurs serrés et par terre, se ruent devant une vidéo mal filmée du “Sacre du Printemps“. Pina, réduite à une attraction de foire. Comment est-il possible d’enfermer Anne Teresa de Keersmaeker dans une vidéo où des danseurs vagabondent dans la nature, alors qu’elle est surtout une artiste de l’ombre, de la lumière du jour et des corps musicaux ?
Je conteste que l’on puisse résumer les recherches de William Forsythe à la kinésphère alors qu’il avait proposé au Festival Montpellier Danse différentes installations majestueuses au croisement de la performance, des arts plastiques et de la danse (voir la vidéo ci-dessus et mon article). Je m’étrangle de voir l’?uvre de Jan Fabre «Quando l’uomo principale è una donna» (epoustouflante Lisbeth Gruwez couverte d’huile d’olive, mi-femme, mi-animal) côtoyer Yves Klein, Nicolas Floc’h, Jackson Pollock et Ana Alprin. Cherchez l’intrus! J’ai compris depuis longtemps que le corps pouvait être pinceau parce qu’il puise les ressorts de sa métamorphose dans un espace où la chair se libère des contraintes psychologiques et sociales. Mais que vient faire Jan Fabre (débilement réduit à un film alors qu’il est précisément un artiste de chair et de sang !), dans le même espace que la vidéo brouillonne de Nicolas Floc’h ?
Peu à peu, l’exposition finit par me statufier. «Danser sa vie» est une lecture fastidieuse d’une histoire académique de la danse résumée à une éternelle recherche esthétique, hors de tout propos politique (le seul repère en la matière est un mur dédié aux défilés nazis!). Comment puis-je accepter l’omission de toute référence au Sida, qui a décimé tant d’artistes! Danser sa vie fut aussi un amour à mort? Comment puis-je valider l’absence de Dominique Bagouet et de tant de chorégraphes français scandaleusement gommés (mais paradoxalement présent en tête de gondole dans la librairie attenante. De qui se moque-t-on?). Pour quoi retracer l’histoire, si c’est pour la revisiter et ne servir que sa seule vision, à savoir celle des arts picturaux et plastiques ? C’est faire insulte à la danse (art qui accueille tant de disciplines) que de l’enfermer ainsi.