Trois fauteuils et une couverture accueillent le spectateur pour «Le vrai spectacle» de Joris Lacoste. Un espace sur ma gauche et ma droite me sépare de mes voisins : la place rêvée. Nous savons déjà que nous pourrons dormir. Cet acte subversif où nous luttons entre fatigue et loyauté est ici autorisé. L’acteur Rodolphe Congé prend le temps d’expliquer les processus qui sont en jeu dans l’hypnose et finit par nous rassurer : notre imaginaire est le vrai spectacle si nous acceptons de lâcher. Ainsi, suis-je sollicité pour me métamorphoser en outil de production et de diffusion du spectacle vivant! Entre internet, ma banque et mon supermarché, je suis en permanence mis à contribution : producteur et consommateur de service. Ce soir, au Théâtre Garonne de Toulouse, cet homme à la voix douce m’invite à faire le spectacle. C’est dans l’air : après les oeuvres participatives vient le temps des propositions productives…
Rodolphe Congé commence le show hypnotique. Épuisé par une journée de visite des expositions du Printemps de Septembre, je m’endors rapidement.
Je dors.
Je dors.
Profondément.
Puis, c’est le réveil. La salle est plongée dans l’obscurité.
Rodolphe Congé est dans le noir. Il parle. Beaucoup. Calmement. Mais assurément. Il déroule son scénario, probablement persuadé qu’il est le nôtre. Il évoque une danseuse sur scène. Il nous propose d’entrer dans son corps. Rodolphe Congé précise le décor, les faits et gestes pour nous inviter à créer notre chorégraphie. Un synopsis directif. Mais qu’attend-il ? Que son scénario soit le mien ? S’il savait. Je pense à toute autre chose : à mon emploi du temps, aux expositions à visiter dimanche, au titre de mon prochain article, à l’interview de Ségolène Royal dans Libération. Autour de moi, je sens les corps s’agiter d’impatience. Quand cela va-t-il finir ?
«Le vrai spectacle» ne fonctionne pas, car l’hypnose n’est pas un art. Elle n’est ici qu’un dispositif scénique et sonore astucieux qui enferme l’acteur dans une pratique qu’il peine à transcender : imaginerait-on un danseur résumer son art à une technique? Mon inconscient peut-il se suffire d’un cadre aussi pauvre, d’un texte si orienté ? N’est-ce pas une manière de réduire le sens critique du spectateur à qui l’on précise qu’il pourrait ne pas entrer dans la démarche (sous-entendu, qu’il ne verrait pas le spectacle faute d’être disponible et ouvert)? N’est-ce pas une nouvelle forme d’exclusion qui hiérarchiserait les imaginaires? «Le vrai spectacle» n’est qu’une vaine tentative de médiation totalement dépassée qui manipule le regard et isole un peu plus le spectateur dans un « bien-être » vendu comme un produit culturel.
Je n’ai pas attendu Joris Lacoste pour ressentir l’état hypnotique au théâtre. La liste serait longue de tous ces artistes qui m’ont conduit à la frontière de l’inconscient et du conscient. «Le vrai spectacle» n’est qu’une trouvaille séduisante pour programmateurs en quête de nouveauté qui, faute d’idéaux, projette à l’encontre du spectateur, un fantasme de rêverie collective.
Malgré tout, je reste attentif aux recherches sur le corps du spectateur. Celle de Xavier Le Roy («Low Pieces») lors du dernier Festival d’Avignon était une tentative intéressante pour ressentir la danse à partir d’un travail sur la communication entre publics et artistes. «Le vrai spectacle» est probablement là: ouvrir les codes de la représentation pour nourrir les processus démocratiques d’accès à l’art. Je ne suis pas sûr qu’un théâtre soit le lieu approprié, au regard des enjeux de pouvoir dont il est l’objet.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Le vrai spectacle » de Joris Lacoste a été présenté dans le cadre du Printemps de Septembre à Toulouse le 24 septembre 2011.