La critique est divisée sur la création “Sang et Roses” du flamand Guy Cassiers jouée à la Cour d’Honneur. Mais ces divergences ne sont qu’apparentes. Fascinée par la rencontre entre Jeanne d’Arc, Gilles de Rais et la Cour d’Honneur, elle peine à dénoncer comment Guy Cassiers maltraite le lien théâtre- public. Tout ce qui fait la force de cette Cour est ainsi gommé au profit d’un dispositif technologique sophistiqué qui malmène les sens. Pourtant, mettre en résonance l’histoire de ces deux figures du Moyen-Âge est séduisant. L’un et l’autre, sont pris en tenaille entre leur foi religieuse, leur folie et le jeu pervers d’une Église toute-puissante. Construite en deux parties, Jeanne d’Arc et Gilles de Rais subissent le même sort : les faits, le procès, l’exécution. Cette linéarité empêche bien des mises en lien…
Dans «La Croix», Didier Mereuze voit dans ce décor d’écran métallique «l’écrin de la cour d’honneur qui retrouve magiquement ses couleurs originelles d’un Moyen Âge». Une Cour dans la Cour, en quelque sorte ! Que restituera cette pièce dans un théâtre de béton ? Fabienne Darge du Monde peut enfin légitimer sa plume de critique de théâtre : «voilà enfin, la grande création théâtrale que l’on attendait depuis le début de ce Festival d’Avignon, qui semble voué depuis quelques éditions à offrir plus de bonheurs du côté de la danse que de l’art dramatique». La vidéo contre les corps, voilà un bien bel aveu. À plusieurs reprises, Fabienne Darge justifie que l’«on est pleinement au théâtre». Comme si ce n’était pas évident jusqu’à s’appesantir sur les costumes: « Ils ne sont pas seulement d’une beauté inouïe : chacun d’eux est doté de mains postiches, qui donnent une image synthétique de chaque personnage». Nous frôlons l’image de synthèse…
Laurence Liban de L’Express (dont le titre de l’article est quasi identique à celui du Monde, «Jeanne la Pucelle enflamme la Cour d’Honneur») formule une critique sans appel : «Habité, presque encombré parfois, d’écrans, le plateau est dominé par un immense panneau fait de carrés métalliques où sont projetés les visages en gros plan des comédiens à l’oeuvre en chair et en os. Du fait des sous-titres traduisant le texte flamand, on a très vite l’impression de regarder un film. Ceci d’autant plus que, pour faire face à la caméra, les acteurs jouent de profil. Ce qui est accompli sur scène devient dès lors moins important que ce qui est vu à l’écran. C’est l’une des limites de ce spectacle par ailleurs splendide et passionnant, mais qui fait peu de place aux comédiens de chair et d’os pour laisser la plus grande place à l’image et à la parole. Et rive le spectateur aux écrans et aux sous-titres, sans lui donner le loisir de balader son regard ailleurs ». Mais se reprend : «Malgré ces réserves, Sang&Roses rend justice à la mémoire de la cour d’Honneur du palais des Papes et place haut les enjeux du théâtre contemporain. L’accueil fut on ne peut plus chaleureux. Et mérité sous le grand vent». Ainsi, Laurence Liban est fascinée par ce décorum jusqu’à le relier aux enjeux du théâtre contemporain! Ici aussi, s’interroge-t-elle sur le sens de cette oeuvre au-delà de la Cour ? Ne voit-elle pas que ce théâtre incarne les processus réactionnaires de la représentation?
René Solis de Libération se laisse lui aussi aller à des accents lyriques puisqu’il voit dans ce spectacle programmé en fin de festival, une «clôture monumentale dans la cour d’honneur» pour reconnaître plus loin un décalage: «Grand sujet, grands décors, grands acteurs. Et c’est tout. Difficile d’imaginer plus parfait décalage entre forme et fond. La pièce de Tom Lanoye a l’art d’habiller l’anecdote de grands mots pour ne rien dire.» La critique est un peu plus sévère. René Solis ne s’interroge pas sur ce théâtre qui lui fait dire le tout et son contraire jusqu’à terminer sa critique par une analyse de texte?
Armelle Heliot du Figaro attaque à la machette : «Bref, de grands personnages, une troupe superbe, mais un mélange de naïveté et d’arrogance du côté des concepteurs oublieux aussi du vent dans la cour : le grand écran a dû très vite être replié».Mais là aussi, aucune analyse de ce théâtre d’images qui offre au spectateur un cours d’histoire sans solliciter ses sens. Assurément réactionnaire.
Ainsi va la critique en France. Fascinée par La Cour, elle oublie de décrire les processus de fascination utilisés par le metteur en scène au détriment de l’émancipation du spectateur. Elle repère les divergences entre le fond et la forme sans s’interroger sur le sens de ce grand écart. Dit autrement, Guy Cassiers propose un théâtre autoritaire sans que la critique n’y trouve rien à redire. Inquiétant, non ?
Pascal Bély, Le Tadorne.
«Sang et Roses, le chant de Jeanne et Gilles » de Tom Lanoye, mise en scène de Guy Cassiers au Festival d’Avignon du 22 au 26 juillet 2011.