Les spectateurs sont quasiment tous debout. Je suis assis. Encerclé. Seul. Je veux quitter ce théâtre. Impossible. Il faut attendre que cela finisse. Le public délire. J’aurais pu être avec lui. Mais ce que je viens de voir est au-delà de moi. Ce n’est pas scandaleux sauf que je n’en suis plus là dans mon rapport à la danse.
Pina Bausch a disparu le 30 juin 2009. Ce fut un jour funeste. Depuis, j’ai croisé la compagnie à Monaco avec «Café Müller» et «Le sacre du printemps». Elle n’est plus là, mais sa troupe poursuit la route. Avec des hauts et des bas. Ce soir, à Nîmes, «Ten Chi», inspiré d’un voyage au Japon et écrit en 2004, est une œuvre mineure. Je m’interroge: pourquoi nous proposer une création dont on sait probablement qu’elle n’est pas la meilleure? Sauf qu’auréolé du mythe de la chorégraphe, «Ten Chi» fait un triomphe.
Il y a ce décor, impressionnant, qui vous happe à peine assis. Cette queue de baleine, animal mythique, m’invite au grand plongeon. Les danseuses et danseurs ne cessent de lui tourner autour, mais le célèbrent-ils pour autant ? Pourtant, tout débute par un solo époustouflant. Avec sa longue robe, elle est eau, poisson, vent, mer, soleil. Elle danse le fluide pour nous inviter dans cet environnement aquatique, là d’où nous venons, vers là où nous irons peut-être. Puis, cet univers onirique s’effondre peu à peu. Se succèdent des solos de cabaret où l’on entre et sort à la recherche d’une inspiration pour métaphoriser le contexte du pays. C’est parfois drôle, souvent lourd.
Pendant 2h40, le procédé fatigue : solo, cabaret, duo, solo, cabaret, duo….C’est interminable. Le propos se répète sans que je ne sois invité au dépassement: tout s’additionne sans se relier. «Ten Chi» emprunte le cheminement classique du spectacle du divertissement: on rit, puis l’on est saisi par une danse virtuose, avant de plonger dans la beauté du décor (notamment quand des pétales de cerisiers tombent sur le plateau à la vitesse de l’intensité dramaturgique). Puis l’on recommence: on rit, …Peu à peu, la troupe réussit à produire l’illusion d’une œuvre majeure accentuée par de beaux écrins relationnels avec le public. Quand Dominique Mercy nous interpelle sur la meilleure façon de ronfler, il salue notre corps sifflotant et se veut complice de nos empêchements de dormir en rond. Quand elle s’avance du bord de scène pour compter sur ses doigts à partir des mains de spectateurs du premier rang, la danse est une poésie pour travaux manuels. Quand Dominique Mercy se fait déshabiller par un danseur, ses multiples peaux tombent à terre et la chenille devient papillon du soleil levant.
Pour le reste, je subis une bande-son dépassée, illustrative, sans profondeur. Je tremble lorsque Dominique Mercy danse en solo et semble au bord de l’épuisement. Je soupire de n’avoir pas saisit la beauté et la complexité du Japon, réduit à quelques scènes où la caricature l’emporte sur la compréhension d’une culture (moment pathétique lorsqu’est énuméré toutes les possibles onomatopées :kikikiki-momomo-nononono…,).
Je fulmine de voir s’éclater le groupe lors d’un final où l’on se croise sans jamais s’entrechoquer. J’attends un lien, une rencontre entre danseurs. Peine perdue: les hommes sont ridicules et les femmes sont égocentriques.
Je refuse d’aimer cette pièce parce que mes ressentis ne sont jamais factices, même s’il s’agit de Pina Bausch.
Je ne vais jamais au théâtre pour entrer dans un mausolée. Encore moins pour m’incliner.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Ten Chi » de Pina Bausch au Théâtre de Nîmes du 6 au 9 décembre 2012.