Il est 8h55. Sur France Inter, François Morel chronique tous les vendredis. Ce matin, sa poésie tourbillonne autour du préfixe «Mademoiselle». Il regrette la prochaine disparition d’un symbole d’émancipation de la femme. Il évoque Mademoiselle Moreau, Mademoiselle Danièle Darrieu, Mademoiselle Greco. Je divague. J’aurais presque envie de chanter, de danser. Elle apparait. François Morel a oublié Mademoiselle Caroline Blanc dans sa liste. Je ne suis pas certain qu’il l’a connaisse. C’est une danseuse. Je l’ai rencontrée en 2005 alors qu’elle interprétait le chef d’oeuvre de Michel Kelemenis («Aphorismes géométriques»).
Elles étaient quatre sur scène à célébrer la relation si particulière entre danse et musique. Elle m’emportait dans sa partition gestuelle où mon regard s’égarait dans les plis de sa peau, s’échouait sur les rivages de son visage vers une terre chorégraphique qui m’était encore inconnue. Depuis, je ne l’ai jamais perdue de vue. Car Mademoiselle Caroline Blanc a cette présence féminine qu’aucune chorégraphie ne pourra altérer.
En octobre 2011 lors de la soirée d’inauguration de Klap, Maison pour la Danse à Marseille, elle était le fil rouge entre les différentes représentations. Elle s’amusait de son statut, entre clown et personnage de conte de fées. C’était son «échappée belle». Elle est probablement l’une des rares danseuses à pouvoir jouer un rôle, pour s’en abstraire, sans saturer l’espace de l’imaginaire. Fidèle à Michel Kelemenis, elle a incarné différents personnages pour que la danse s’invite là où l’on ne l’attend pas («Besame Mucho», «L’amoureuse de Monsieur Muscle» «Henriette et Matisse»). Mademoiselle Caroline Blanc est une «émerveilleuse».
Ce soir, elle nous revient. Toujours à Klap alors que la Maison inaugure son «Channel» sur la plate-forme «Numeridanse.tv». Charles Picq (l’heureux créateur de ce site-carte aux trésors) et Michel Kelemenis nous proposent “le Pasodoble de Caroline“, film de vingt-cinq minutes. Ils nous transmettent la vision de Mademoiselle Caroline Blanc alors qu’elle était l’une des interprètes de «Pasodoble», création de Michel Kelemenis. Alternance de séquences filmées en 2007 et de confidences cinq ans après, ce film est un écrin: la caméra chorégraphie cette interprète pour en dessiner le portrait. Si la danse est un langage alors la caméra de Charles Picq est sa grammaire. Son corps en mouvement devient cette page où notre désir s’écrit. Ce film est un angle vivifiant pour évoquer l’histoire d’une danse: une «interprétation» de l’interprétation en quelque sorte !
Tandis que l’écran disparaît, apparaissent sur la magnifique scène de Klap, Mademoiselle Caroline Blanc et Monsieur Michel Kelemenis pour dix minutes (probablement plus) d’un duo coloré. Leur histoire fait mouvement: allez savoir ce qu’ils ont du se raconter pour prendre autant de plaisir. Entre coups de poing et stratégies de séduction, se lovent la confiance, la peur, leur créativité, leurs recherches. S’ils s’éloignent, c’est pour mieux se rapprocher. S’il l’approche, c’est pour mieux l’effleurer d’un geste qu’elle prolonge vers nous. Alors qu’ils jouent au chat et à la souris, on devine que leur projet est leur pelote! J’observe avec jubilation leur relation créative et leur corps se transformer par la musique de Philippe Fénelon. Entre ces ceux-là, la partition est leur territoire commun pour que la musique puisse s’écouter par le mouvement. À l’heure où les solos se multiplient sur scène en France, je ne saurais encourager ces deux explorateurs à poursuivre leur aventure pour nous mettre dans leur confidanse.
Mademoiselle Caroline Blanc ne sera jamais Madame. C’est la force de la danse que de résister aux pressions qui normalisent nos désirs d’émancipation.
Pascal Bély, Le Tadorne.
Soirée Numéridanse à Marseille, le jeudi 8 mars 2012 à Klap, Marseille.