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L’Italie me botte!

“Que la prudence est triste.”
C’est la phrase emblématique choisie par les occupants du Théâtre Valle de Rome. Depuis la mi-juin 2011, ce théâtre est occupé; il devrait à plus ou moins long terme se transformer en restaurant de luxe et salles de jeux. Cela ne sera pas. Ce qui se passe au Valle Occupato est exemplaire; ce n’est ni une programmation, ni une saison, les intéressés eux-mêmes qualifient leur action. «Nous occupons un théâtre comme des ouvriers occuperaient une usine : coupant flux de production et mettant en place une grève permanente des intermittents, s’interrogeant sur les modalités du travail culturel et de son exploitation, questionnant le champ juridique des droits et des lois. Nous occupons comme des agriculteurs occuperaient leur terre : par la réappropriation des temps et des fruits de notre travail»
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Actuellement, une fondation se fabrique : le Valle Occupato essaie de mixer argent public et sociétaires. Leur site internet teatrovalleoccupato fournit tous les renseignements nécessaires à qui veut les soutenir. Ils revendiquent l’art comme un bien commun.
Cela écrit, le Valle n’est pas le seul exemple: à Catania, en Sicile, des artistes et des habitants de la ville reconstruisent le théâtre Coppola, abandonné depuis des années.  Ils y sont maçons, électriciens, plombiers et autres corps de métiers. À Naples, le musée Madre, musée d’art contemporain a fermé, mais fi de cette fatale série, les occupants du Valle avec des associations et habitants napolitains l’ont rouvert faisant sauter le verrou de l’entrée: ils furent accueillis chaleureusement par le directeur du Madre. Pour poursuivre avec ces belles initiatives les «Chantiers culturels de la Zisa» de Palerme sont réinvestis, il n’y a ni lumière, ni chauffage, des salles de travail totalement délaissées par la mairie, mais beaucoup reste à faire et inventer pour celles et ceux qui début janvier célébrèrent l’occupation symbolique des chantiers de la Zisa. À Milan, à Venise, des actions similaires ont eu lieu.
Mais que se passe-t-il au pays de Berlusconi, de la maffia, de la Dolce Vita, du Bel Canto, des Brigades Rouges, de Pasolini, Nanni Moretti, Pippo Delbono, Emma Dante, Roméo Castellucci, Sabrina Guzzanti. À la radio, l’Italie apparaît comme un laboratoire pour l’Europe : cela veut tout dire et ne rien dire. L’État italien a démissionné depuis une bonne dizaine d’années dans le domaine artistique, culturel, social, éducatif, bref là où les services publics remplissaient une mission qui aujourd’hui bat de l’aile en France. Il y a dix ans ce n’était pas la crise. En Italie c’était une volonté farouche d’en finir avec le progrès, lui qui adoucit la vie, la rend plus supportable malgré les inégalités de salaires et de traitement.
Pourquoi évoquer l’Italie? Aucune prétention d’explication économique ou plutôt comptable dans mes propos ne motive cet article. Alors? C’est le désir et le plaisir de rencontrer des «imprudents», qui n’ont pas honte de se fourvoyer, de se tromper, qui le disent, l’écrivent et le vivent. Ces imprudents ne voulant plus du consensus mou que les mots subventions et rentabilité engendrent; ils ne s’illusionnent plus sur la démocratie même participative, ils savent bien que les assemblées générales ne sont pas la potion miracle d’un fonctionnement collectif. Mais ces imprudents laissent la porte ouverte, squattent des lieux en essayant de ne pas cultiver l’entre-soi, le réseau, dernier avatar de notre système de relations sociales qui nie celles et ceux qui n’en font pas partie (Deleuze n’est plus là pour faire la critique de ce fameux régime rhizomatique).
Et après ? La boucle se refermera sur le regret de ces imprudents Romains : «nous n’avons qu’un regret. Nous ne saurons jamais ce que nous avons raté. En effet l’argent public investi par pure formalité, sans aucun projet précis, sans aucune perspective de développement : c’était bien la proposition artistique de l’administration de la capitale européenne ayant le plus grand patrimoine artistique de l’humanité. »
Élisabeth Ferracci, contributrice de la page Facebook du Tadorne.

Pour aller à la rencontre de ces imprudents, les vignettes d’Aude Lavigne de France Culture.