J’ai perdu l’équilibre. Au sens propre, comme au figuré. Présentée à la Sucrière, l’oeuvre monumentale de Robert Kusmirowski («Stronghold») vous accueille au rez-de-chaussée. Inutile de vouloir entrer. Tout est cadenassé. Il faut monter au premier et contempler un cratère encore en activité : une bibliothèque dévastée se consume tandis qu’un poêle crache une fumée qui enveloppe l’ensemble des oeuvres de l’étage. Je vois la «Maison Terre» qui brûle par notre inconscience et nos ignorances. Je ressens la forteresse “Europe” qui ne pense plus son avenir et dénature son patrimoine en l’offrant au marché. Je songe à la Grèce, berceau de l’Humanité, qui va renaître de ses cendres et nous sauver. Je me penche et j’ai le vertige. Il faut stopper cet autodafé encouragé par les politiques ignorants et par une société du spectacle qui barre toute possibilité de créer le chemin en marchant. C’est en imaginant un modèle de civilisation que nous ouvrirons cette forteresse
C’est au Musée d’Art Contemporain que je descends au sous-sol de l’oeuvre de Robert Kusmirowski, là où la citadelle tremble sur ses bases ! L’Argentin Diego Bianchi occupe toute une salle où le sol de plastique noir finit par se répandre jusqu’au plafond, où une énorme pierre se fond dans un fauteuil. Ici, la matière se dématérialise ! Ici, des corps démembrés forment des sculptures qui célèbrent la légèreté. On entre dans l’oeuvre, avec délicatesse, pour se faufiler entre des montages et des démolitions qui dessinent une jungle où rien n’est tracé. Comment, dans un si petit espace, Diego Bianchi réussit-il à créer de l’élasticité, des chemins improbables qui vous conduisent dans des coins et recoins? Là où les restes de notre civilisation participent à l’émergence de nouvelles formes corporelles tandis que les objets sont détournés de leur fonction première pour soutenir le sens. Ce bric-à-brac rend joyeux parce que ce chaos permet la réflexivité: «pour quoi?», «à quoi cela sert-il?» «je vois ceci, mais pourquoi le voir ainsi ?»?. “The ultimate Realities” est une oeuvre complexe qui requiert du temps pour l’apprivoiser et se dégager d’un raisonnement binaire (chaos = bazar !). Pour cela, il nous faut divaguer et créer son espace relationnel. Loin d’être un visiteur passif, Diego Bianchi stimule mes pas et me perd…
Si bien que quelques salles plus loin, le temps s’arrête : la pendule de Jorge Macchi calle sur “10:51″.
A quelques kilomètres (à l’Usine T.A.S.E), je croise les drôles de volatiles de Laura Lima («Gala Chicken and Gala Coop »), qui semblent m’indiquer qu’il est temps de changer de plumage!
Après l’eau de Mélancholia dans l’oeuvre d‘Eduardo Basualdo (voir l’article du 16 septembre), la fumée de Robert Kusmirowski, le plastique de Diego Bianchi, c’est une autre matière qui nous fait trébucher. Pour cela, il faut imaginer le sol d’une salle du Musée couvert de 3000 kilomètres de fil ! Avec «La Bruja 1», le brésilien Cildo Meireles frappe fort. À l’origine, les fils proviennent d’un modeste balai posé dans un coin : impuissant, il ne contient plus rien et génère une matière qui empêche tout balayage. Pour éviter de se prendre les pieds dans le tapis (!), le visiteur est obligé de marcher lentement comme s’il avait des ressorts sous les pieds. Quand le désordre produit le silence, du recueillement…
Chacun contemple les oeuvres et je m’attarde devant les dessins de Christian Lhopital : tandis que le sol m’emmêle, ses figures fantomatiques m’enlèvent. Je vole, je plane.
Je suis au paradis des artistes.
Pascal Bély, le Tadorne.
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Toutes les oeuvres mentionnées dans cet article sont à voir à la Biennale d’Art Contemporain de Lyon jusqu’au 31 décembre 2011.