A l’occasion d'un débat organisé par le Festival Off d’Avignon (“Quels espaces de parole pour le spectacle vivant?“) auquel participait Pascal Bély du Tadorne, quelques bloggeurs s’essaient à expliquer leur démarche, et esquisser le portrait d’un autre blog… comme pour esquisser une cartographie des blogs consacrés au spectacle vivant. Nous vous proposons un jeu de pistes entre quatre blogs : Images de Danse (de Jérôme Delatour), Un soir ou un autre (de Guy Degeorges), Le Blog de l'Athénée (de Clémence Hérout) et Marsupilamima (de Martine Silber.)
A vous de trouver le fil?d'Ariane ?
Jérôme Delatour : Ma chère Clémence, me voilà déshabillé pour l’été… Pourquoi que de la danse, il y a tellement de raisons que je n’en finirais pas : parce que la danse est l’art du corps, et que le corps est ce que nous avons de plus immédiat, de plus beau et de plus politique ; ou parce que mon blog s’appelle Images de danse, et que si je me mets à y parler de théâtre, de cuisine et d’arts plastiques, il faut que je lui trouve un autre nom. Mais le mieux est de passer par une petite anecdote, un de ces moments vécus qu’on érige, à quarante ans, en tournant de sa mythologie personnelle.
Quand j’étais petit, j’assistais chaque été au son et lumière de Château-Chalon, un des plus anciens de France, à ce qu’on dit. C’était une sorte de théâtre amateur, populaire et de plein air où l’avenir de la patrie se jouait dans ce trou sublime de Franche-Comté, de l’homme des cavernes à De Gaulle. Mais, outre le froid qui saisissait le public quand la nuit était tombée, j’en ai surtout retenu la forte présence des chevaux qui allaient et venaient sur la place du village changée en scène, leurs corps massifs et chauds dont s’échappait force crottin. J’ai retrouvé cette impression il y a quelques années au Théâtre de la Ville quand Jan Fabre proposa sa vision du Lac des Cygnes. Les chevaux étaient cette fois des ballerines dont la troupe nombreuse, étrangement lourde, faisait trembler les planches. Je crois que ce sont ces chevaux que je recherche inlassablement. Quant au Texte, j’en veux bien s’il est corps lui-même, je veux dire s’il est poétique, qu’il sort comme une incantation, une parole magique qui en impose au c?ur, fait advenir des choses. Je ne sais pas si le théâtre de ce texte existe, probablement. Je compte sur vous pour m’initier.
Le hasard veut que le dernier à parler ici ait été le premier à se lancer dans l’aventure des blogs… car le blog de Pascal Bély, dont je dois parler maintenant, a été créé deux mois après le mien, en juillet 2005. Les blogs, c’était presque encore nouveau à l’époque, rendez-vous compte ! Pascal et moi sommes partis sur des bases quasi opposées. Mon blog est la voix d’un lonesome cowboy qui ne cherche qu’à travailler son expérience singulière, et la partage avec qui veut bien ; le blog de Pascal (appelons-le Pascal) se veut entièrement ouvert, engagé, militant, communicatif, et ne néglige d’ailleurs aucun art art vivant, s’aventurant même, à l’occasion, sur le terrain des arts plastiques. Tout a commencé pour lui avec un spectacle de Jérôme Bel, “The Show Must Go on“, qui lui apporta l’intuition que le spectateur n’était pas là pour se taire et consommer, comme il était forcé de le croire auparavant. Que le spectateur n’était pas le bas d’une pyramide, mais le maillon d’une chaîne, et d’une chaîne qui n’entrave pas, mais relie ; la chaîne de la démocratie et de la vie ensemble.
Depuis lors Pascal est sur tous les fronts, ne rate aucun festival de France ni de Berlin ni de Bruxelles. Et s’il ne peut se déplacer lui-même, il diligente un de ses “tadorneaux”, généralement un admirateur de sa démarche et de son style qui s’engage sous sa bannière. Car notre homme a beau être de gauche, il n’en est pas moins impérialiste. Pascal défend ses idéaux jusqu’à devenir le plus parfait emmerdeur. Il refuse par exemple de se laisser inviter et tient à payer toutes ses places, car il se sent spectateur et entend le rester, pleinement. Dans ses papiers, écrits à la première personne, il s’avoue transi, transporté, le souffle coupé, trépignant, furieux, exclu, ne sachant que dire… ce sont comme des petites dramaturgies personnelles dont l’enjeu serait, invariablement, la rencontre de l’artiste et du public.
En même temps, il ne laisse rien passer : critiques de la presse traditionnelle, politiques culturelles publiques, il traque et décortique tout sans complaisance. C’est peut-être pour cela qu’il se dit blogueur hybride.
Chez Pascal, le blog est aussi le prolongement de son métier de consultant en ressources humaines dans le domaine social et de la petite enfance. L’un et l’autre semblent vivre en parfaite symbiose. Pascal parle souvent horizontalité, réseau, dynamique, rhizomes, Morin, reliance, hybridité, positionnement, excommunie les cases et les cloisonnements. Je ne comprends pas toujours tout, mais j’admire.
Mais la seule question que je trouve à lui poser, c’est quelle stratégie, si ce n’est pas un gros voit-il pour que la parole des spectateurs non professionnels soit plus audible et respectée des professionnels…
Pascal Bély : Merci Jérôme pour ce portrait si…horizontal et reliant!
Pour être audible, la parole des spectateurs doit-être entendable. Aujourd'hui, elle ne l'est pas parce que le cadre n'est pas suffisamment structurant. Nous nous sommes donné le blog pour nous faire entendre. La stratégie viserait à créer des espaces participatifs à l'image de nos blogs. Mais cela nécessitera un travail de co-construction entre artistes, institutions et spectateurs. Mais la première démarche serait de leur demander : «Qu'avez-vous envie de dire ? Pour quoi le dire ? Et comment le dire ?“
A mon tour maintenant de vous présenter Martine Silber.
“Marsupilamima” est un blog au nom imprononçable, image d'une contrée lointaine, pays imaginaire peuplé de femmes et hommes de l'art. O
n a parfois plus vite fait de dire, « le blog de Martine Silber, ex-journaliste au Monde ». Et là, silence dans les rangs ! Total respect, car Martine jouit d'une excellente réputation dans le monde du spectacle vivant où elle entretient de solides amitiés. Elle se nomme « journaliste sans journal ” statut hybride, mais légitime sur internet où sa prise de parole perpétue l'esprit de ces anciens articles. C'est un blog sur l'amitié (rare y sont les critiques négatives) car Martine Silber porte sur les artistes de théâtre et les écrivains un regard profondément fraternel. Ses réflexions sur les liens complexes entre presse et blog, entre internautes et blogueurs nous rappellent la fragilité de ces espaces virtuels et de la profonde humilité dont nous devons faire preuve. Marsupilamima est la contrée de l'écriture libérée du poids des contraintes, qui s'amuse, virevolte et finit par vivifier le lien entre spectateurs, artistes et programmateurs.
Martine, où en es-tu après trois années d'écriture sur Marsupilamima? Si tu imagines un pont avec « Un soir ou un autre », quelle porte ouvrirais-tu ?
La suite, ici…