« Arles-Avignon », n’est pas qu’une équipe de football. C’est aussi une diagonale apparue au hasard de plusieurs expositions, entre un festival de théâtre et les Rencontres de la Photographie.
Léon Ferrari est Argentin. Ce n’est pas à proprement parler un photographe. C’est un « plasticien » dont les oeuvres plastiquent. D’un tableau de roses en tissu émergent des cafards. Des poèmes d’amour en braille sont posés sur des photos de femmes nues. Dans l’autel de l’Église Sainte-Anne, un christ est cruxifié sur un avion de l’US Army. On devine tout le sang versé au nom de l’Église, au nom de la politique. Cela me poignarde.
Il me revient « La casa de la fuerza » de l’auteuse et metteuse en scène espagnole Angélica Liddell vue à Avignon le mois dernier. Théâtre, photo, installation semblent traversés par le sang mêlé aux corps intime, social et politique. Ces deux artistes font pousser des fleurs sur des terreaux improbables, tout en dénonçant les collusions politico-religieuses qui amplifient la douleur du corps intime.
Cette atmosphère sanguinolente se retrouve chez un autre photographe argentin, Marcos Lopez. Ses personnages auraient pu rencontrer Liddell tant ils incarnent la douleur, l’angoisse liée à la perte d’un paradis perdu, celle de l’Argentine qu’il qualifie de pays en « carton pâte ».
Plus loin, les visages des mères d’enfants disparus qui défilent sur la place de mai à Buenos Aires photographiés par Marcos Adandia portent les stigmates de la sauvagerie du politique. C’est beau et terrifiant.
Et que dit mon visage ? Qu’incarne-t-il alors que je vis dans un pays démocratique? Le photographe Hans-Peter Feldmann a pris 101 photos de personnes de sa famille et de ses amis. De 0 à 100 ans, je parcours les âges pour m’arrêter sur le portrait d’un homme de 46 ans. Je me projette dans ce miroir (« il fait plus vieux que son âge » !) et comprends aussitôt que mon corps vieillit dans un pays riche.
En 2010, je n’ai plus l’opportunité de me « faire tirer le portrait» comme au bon vieux temps des fêtes foraines où un fusil déclenchait l’appareil à photo. L’exposition « Shoot !» présentée par le commissaire Clément Chéroux est un tour d’horizon vivifiant sur ces portraits à couteaux tirés. Il y a bien sûr le plus connu (Beauvoir / Sartre) et tant d’autres (personnes célèbres ou inconnues). Mais une femme attire l’attention : Ria van Djik, âgé de 90 ans, se tire une balle chaque année depuis son adolescence pour s’immortaliser seule ou accompagnée. A chaque cliché, toujours cette étrange impression : l’instant est entre la vie et la mort, entre force et fragilité ; comme si tous les contraires étaient convoqués. Au spectateur de vérifier qu’elle a bien tiré dans le mille !
Eux, ils n’ont pas eu besoin de jouer avec le feu pour être immortalisés. Claude Gassian s’en est chargé. Iggy Pop, Keith Richards, Beth Ditto, Justice, Françoise Hardy, Beth Ditto (photo) et tant d’autres tapissent les murs de l’espace. Sans musique, ils sont icônes. Le rock est religion. Je suis prêt à m’agenouiller. Il me revient le spectacle du chorégraphe Pierre Rigal, « Micro », présenté le mois dernier à Avignon. Avec un collectif de musiciens, il a mis en mouvement nos « clichés » sur le rock pour en dégager sa poésie, ses aspects sulfureux, sa religiosité et sa fragilité. Je les imagine habiter les salles de concert et de studios d’enregistrement inoccupés photographiés par l’Américaine Rhona Bitner. Quand le théâtre s’occupe de la photo, je crée de l’écho. Jouissif.
Tout comme l’exposition consacrée à Mick Jagger. L’icône parfaite. Son corps a traversé toutes les tendances et les extravagances du rock. Mais où sont donc « les enfants du rock» en 2010 ? Probablement tous marketés. Claude Gassian est encore là pour nous aider à continuer d’y croire tandis que la vidéo de l’artiste américain Christian Marclay poursuit le vacarme. Un camion traîne une guitare sur les routes abîmées. Le bruit rappelle le cri de naissance, de la jouissance, de la douleur, de l’agonie. Troublant.
Je suis soulagé. La révolution rock poursuit sa route dans les espaces d’art contemporain…à moins qu’elle ne se joue au théâtre, avec Angelica et Léon en guest star.
Pascal Bély – www.festivalier.net
A lire aussi l’article suivant sur les Rencontres d’Arles. C’est ici.
Leon Ferrari – Eglise Saint-Anne jusqu’au 29 août.
Marcos Lopez – Marcos Adandia – Hans-Peter Feldmann – « Shoot ! » – Claude Gassian – Rhona Bitner – Christian Marclay – Parc des Ateliers jusqu’au 19 septembre.
Mick Jagger – Eglise des Trinitaires jusqu’au 12 septembre.