La rencontre avec un artiste ne peut se réduire à un spectacle. Elle requiert du temps, un lien de confiance, où la somme des propositions créée un univers nourrit de résonances et d’intranquillités. Avec trois de ses dernières créations (“Je tremble 1“, “Le petit Chaperon Rouge” et “Pinocchio“), Joël Pommerat réussit à me conter le monde avec tant d’empathie qu’il finit pas créer le manque, d’autant plus que nous sommes nombreux à nous sentir désemparés face à la catastrophe sociale qui prend chaque jour plus d’ampleur.
« Cercles/Fictions » était donc attendu. Convié à prendre place autour de la piste du cirque (un dispositif en totale rupture avec ses précédentes scénographies), le public est plongé dans une ambiance feutrée où se joue la tragédie humaine. Un univers de pénombres et de bruits (on y décèle l’orage, les bombes) accueille des histoires où l’on dépeint au vitriol nos misérables conditions. Joël Pommerat tisse les fils d’une kyrielle de personnages et nous immerge dans un imbroglio de saynètes traversées par la servitude et la perte du spirituel. Les situations m’emmènent vers les tréfonds de l’âme. Je me sens pris au piège dans un labyrinthe d’où je n’entrevois aucune sortie. À chaque personnage correspond une époque qui laisse peu de place à l’imaginaire malgré l’utilisation de l’odorama. L’enfermement dans leur vie, dans leur petit espoir, dans leur propre recherche du « soi », joue sur mon corps. Je me recroqueville dans mon univers afin d’échapper à cette fatalité d’où j’essaie de trouver de l’oxygène dans la répétition des noirs (artifices déjà utilisés dans les précédentes créations). Mais rien n’y fait et ma confrontation à la souffrance humaine est sans issue. L’irréversibilité semble être le credo de ces destins juxtaposés qui finissent par me positionner au coeur d’un chaos immense qui ne laisse aucune place à une véritable lumière.
Tout est noir et brouillard, sans une éclaircie, une échappée, un sentier que l’on se verrait bien prendre avec nos compagnons pour leur montrer que rien n’est perdu, que du chaos peut se lever un meilleur. Joël Pommerat joue l’excès au service d’une mise en scène vaniteuse. Certes, tout est bien léché, calé, réglé, mais le concept (un plateau transformé en cirque) efface le théâtre sociologique avec lequel il nous avait habitués. Mais dans quelle recherche est donc Joël Pommerat pour donner l’impression de nous conter toujours le même discours ?
Laurent Bourbousson, www.festivalier.net
« Cercles/Fictions » de Joël Pommerat a été joué les 31 mars, 1er et 2 avril 2010 à la Scène Nationale de Cavaillon.