Le Festival d’Avignon a donc fait sa conférence de presse pour présenter la 64ème édition. L’exercice ressemble à une réunion d’un “Politburo” d’autant plus qu’aucune question de la presse ne vient perturber ce savant équilibre de prise de parole, jusqu’à s’interroger sur la présence de journalistes dans la salle.
Avec plus de 50% d’abstention aux dernières élections régionales, les politiques présents sur l’estrade n’étaient pas à la fête. Ni la Maire d’Avignon, ni les élus à la culture du Conseil Général et du Conseil Régional, n’ont donné une vision sur la place du spectacle vivant dans l’économie de la connaissance. Ces trois magnifiques joailliers ont enfilé tant de perles jusqu’à immobiliser le public médusé. Statufiés, rigidifiés, ils n’ont à aucun moment touché. Le vide s’est alors installé comme si notre démocratie était momifiée, prise dans le formol de logiques verticales descendantes où plus rien ne remonte. Terrifiant. Ils en appelent donc aux artistes pour leur donner une direction pour construire l’avenir ! Après avoir fragilisé bon nombre de créateurs, le politique se ressent si précaire qu’il ne pense plus. Il a fallu toute la finesse d’Hortense Archambault, co-directrice du Festival, pour créer une émotion dans la salle : un beau discours, engagé (où elle évoque la détresse des professionnels de la culture) tout en rappelant fort justement la fonction du spectacle vivant en ces temps troublés. Libérée, traversée par une vision, elle a avec élégance passée la parole à l’un des deux artistes associés, le Suisse Christof Marthaler. Avec gourmandise, il a rappelé le plaisir de partager cette fonction (« associé » « ascenseur », « assassin ») avec l’écrivain français Olivier Cadiot jusqu’à faire l’éloge de « l’andouillette ». Façon humoristique de signifier aux politiques qu’il n’est qu’un artiste, pas un théoricien. Olivier Cadiot a précisé fort justement qu’il n’était pas programmateur, mais qu’Hortense Archambault et Vincent Baudriller s’étaient immergés dans leurs imaginaires respectifs pour créer cette édition. Je conseille vivement à la Maire d’Avignon (Marie-José Roig) et à Michel Tamisier (Conseiller Général) de rejoindre les spectateurs cet été pour puiser les ressorts de leur politique qui feront (peut-être) reculer durablement le Front National dans ce département où il bat des records.
Qu’y trouveront-ils ? De la danse, beaucoup. Alors que Montpellier Danse tire sa révérence pour sa 30ème édition en regardant le passé, Avignon reprend le flambeau pour nous offrir un plateau rêvé : Alain Platel, Joseph Nadj, Anne Teresa de Keersmaeker, Pierre Rigal, Cindy Van Acker, Boris Charmatz (il sera l’artiste associé en 2011), Zimmermann et de Perrot. Certes, il n’y a aucune prise de risque, mais c’est la place prise par la danse qui me paraît significative. Pour le reste de la programmation, notons une tendance lourde à nous proposer des formes mineures dont on doute de la puissance visionnaire : Massimo Furlan qui revisite le concours de l’Eurovision de la chanson de 1973, Jean Lambert-Wild et sa chèvre de Monsieur Seguin dont elle ne ressortira pas vivante, Stanislas Nordey qui fera du Stanislas Nordey (qu’avons-nous fait pour mériter un tel acharnement ?), Gisèle Vienne qui risque une fois de plus de nous perdre dans sa pensée sinueuse et torturée. Mais le clou reste la « concession » faîte à la Maire UMP d’Avignon : l’organisation d’un grand bal populaire pour le 14 juillet confié à Rodolphe Burger ! Le pur divertissement s’invite dans la programmation pour calmer « ceux qui veulent changer le monde » ! Décourageant malgré tout le talent de Rodolphe Burger…
Pour le reste, j’ai lu l’avant-programme, mais je n’ai pas entendu de vision. Point de « traversée », mais des voyages dans le temps où la musique accompagnera le théâtre. On ressent un savant équilibre dans cette programmation pour englober le plus grand nombre et ne laisser aucun « courant » des arts vivants au bord de la route. Ce seront les spectateurs qui créeront la dynamique. Cela pourrait vous paraître une évidence, mais c’est bien la première fois que je ne sens pas de chemin tout tracé. J’ignore si nous puiserons dans cette édition une vision, mais les contrastes dans les propositions nous permettront peut-être de questionner notre lien à la culture pour ouvrir tous les « Politburo » qui plombent nos imaginaires et créent la déprime collective.
Pascal Bély– www.festivalier.net
Toute la programmation du festival est ici.