Ainsi donc, l’Afrique fait de nouveau parler d’elle. Alors qu’un média français l’insulte avec une émission de télé réalité, un festival de danse contemporaine la met à l’honneur (« Les Hivernales d’Avignon »). Tandis que le site « Arrêts sur Images » faisait dernièrement le point sur le terrible problème d’image dont souffre ce continent, condamné à la fatalité des stéréotypes, l’éditorial (1) du directeur des Hivernales crée le malaise. Là où TF1 ridiculise les Africains à coup d’animaux dangereux et de danses tribales, Emmanuel Serafini l’enferme dans un discours consensuel: «… j’ai constaté que chaque fois que j’étais sensiblement touché, le chorégraphe et/ou interprète étaient d’origine africaine ». Je vous laisse le soin de poursuivre la lecture de cet « éditorial » où les clichés abondent. Comment ne pas faire le rapprochement entre leur « danse originale » « en pleine maîtrise de leur art » vantée par Emmanuel Serafini et l’agilité que l’on prête aux Africains sur un terrain de sport ! La rhétorique est exactement la même. Mais le plus extraordinaire est l’association pour le moins saugrenue faite entre l’Afrique décrite dans ce texte et certaines oeuvres programmées par les Hivernales. Ainsi, «Loin… » de Rachid Ouramdane (pièce à ne pas manquer) n’a rien à voir avec la danse africaine à moins que l’on ne veuille enfermer Rachid Ouramdane dans ses origines. En quoi le port de l’hidjab dénoncé par Héla Fattoumi et Eric Lamoureux dans « Manta » est-il lié à l’Afrique à moins de souhaiter réduire les musulmans à une couleur de peau ? Quand allons-nous pouvoir approcher ce continent, non à partir de ce que nous fantasmons, mais en fonction d’un projet politique, au sens noble du terme, fait du croisement de nos histoires, de nos valeurs et de nos ressources.
Oublions donc cet éditorial réducteur pour nous concentrer sur la programmation. À ne manquer sous aucun prétexte, la dernière création de Christophe Haleb, « liquide ». Nous avions vu une étape à Uzès Danse en 2009 où nous avions été impressionnés par la force du propos sur la question de l’amour. C’est à la Scène Nationale de Cavaillon et c’est un chef d’oeuvre.
On ira voir avec intérêt ce qu’est devenu le metteur en scène Thomas Ferrand que j’ai suivi à ses débuts ( !) : associé au chorégraphe Bernardo Montet, « Switch me off » est à coup sûr une curiosité.
Nous avions beaucoup aimé DeLaVallet Bidiefono alors qu’il jouait et dansait en 2009 dans « nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » de David Bobée. « Empreintes … on posera les mots après » est sa cinquième création qu’il présente aux Hivernales. On y va.
Hélène Iratchet est la chouchou des centres départementaux chorégraphiques. Nous avions beaucoup aimé « Jack in the box » en 2008. Cette année, « hommage d’un demi-dimanche à un Nicolas Poussin entier » promet sur « la complexité et la beauté des relations humaines ». J’ai confiance.
Que penser de « Manta » d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux vue lors du dernier Montpellier Danse ? La pièce porte sur le Hijab et permettra aux spectateurs de se faire une idée sur la question dans un contexte d’islamophobie grandissant. Je ne suis pas sûr que cette oeuvre serve Héla Fattoumi qui perd de son « geste artistique » au profit d’un exposé militant descendant et excluant. Mais à chacun de se faire une idée sur une prise de parole politique, après tout plutôt rare dans le milieu de la danse.
Revoilà donc Thierry Baë qui m’avait passablement énervé à deux reprises (une fois en 2006, une autre fois en 2007). Cette année, « tout ceci (n’) est (pas) vrai » va surement jouer avec mes nerfs. J’y reviens, à croire que je dois aimer ça.
Je me calmerais probablement avec la compagnie « Le rêve de la Soie », animée par Patrick Servius. La sensibilité de ce chorégraphe parviendra-t-elle à me toucher ? « Lespri Ko » est en tout cas un joli titre.
Ensuite ? Cela sera une totale découverte puisque la moitié de la programmation m’est totalement inconnue. La mission d’un festival est bien là : nous faire appréhender d’autres territoires chorégraphiques, au-delà des frontières.
Nul besoin d’éditorial pour se laisser tenter. À 32 ans, les Hivernales ont l’âge de jouer dans la cour des grands.
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Les hivernales d’Avignon » du 13 au 20 février 2010. Réservation au 04 32 700 107.
(1)D’ici et de là-bas?
Loin de Rachid Ouramdane, Vu de Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek, Poussière de sang de salia nï seydou, Manta de Héla Fattoumi & Eric Lamoureux… Après avoir vu beaucoup de pièces chorégraphiques, j’ai constaté que chaque fois que j’étais sensiblement touché, le chorégraphe et/ou l’interprète étaient d’origine africaine?
Le coeur de la création chorégraphique se serait-il déplacé vers le continent africain ? La force des oeuvres, l’inventivité de la danse, la présence des interprètes, leur maîtrise du langage de la danse contemporaine occidentale, troublent au point de le penser?
A travers une danse originale, portée par des interprètes virtuoses, en pleine maîtrise de leur art, les artistes africains nous font découvrir leur univers. Ils placent au coeur de leurs oeuvres les préoccupations de leur temps, de leurs pays. Les chorégraphes et danseurs africains persistent à se faire entendre. Ils tracent leur propre chemin en proposant leur perception du monde. Ils participent à la transmission d’un message universel. Maintes fois donné pour mort, ce continent résiste. Loin des traités et des accords internationaux, je vous propose cette année une nouvelle carte du Monde, recomposée avec la danse d’artistes africains nés là-bas travaillant ici, mais aussi à des artistes issus de l’immigration travaillant ici et montrant leur travail là-bas puisque, comme le disait Paul Virilio, … Les nouveaux sédentaires sont ceux qui sont partout chez eux…
Emmanuel Serafini
Directeur