Après un cérémonial magnifique où des ouvriers entrent dans ce four crématoire dont ils ne sortiront jamais, un film est projeté où l’on voit un aumônier italien discourir sur la financiarisation de l’économie. Le discours est implacable. Le ton est donné. Pippo redescend sur scène pour accompagner la démonstration. Au cas où nous n’aurions pas compris. N’est-ce pas la fonction de l’artiste que de descendre dans la cage aux lions ? Habillé d’un costume cravate noir, d’une lampe de poche et d’un appareil photo numérique, il se transforme en Monsieur Loyal cynique, dénonçant « le système » tout en profitant de ses largesses. Il n’oublie pas de nous y inclure en nous mitraillant en permanence. Les flashs sont autant de preuves à charge. Nous en sommes. Malaise.
C’est ainsi que pendant plus d’une heure, la troupe va défiler pour nous faire vivre cette « maison de fous », notre maison commune. Le plus étonnant des paradoxes, c’est qu’avec Pippo Delbono, la folie est une parade émouvante de corps marqués, où le cabaret ressuscite les âmes damnées pour nous expliquer ce que nous savons déjà. Mais alors, pourquoi écrire cet article ? Qu’importe. Pipo Delbono poétise ce que Jan Fabre dégueulait la semaine dernière dans ce même lieu. C’est un système où l’on n’a de cesse d’amuser la galerie par une société du divertissement toujours plus omniprésente, prompte à répudier aussi sec ceux qu’elle a encensé. C’est un système où la seule sortie est d’emprunter le chemin qui mène vers ce trou noir. Qui plus est si vous êtes une femme où l’Eglise vous remet au placard. Ici, point de justice : une fois «inexploitable», vous disparaissez à moins que vous n’aboyiez avec les loups. Et encore. Le système aura toujours raison de votre audace et de vos lâchetés. Dans ce monde globalisé, les artistes tels des anges jouent au chat et à la souris (à l’image du Festival d’Avignon ?) mais finissent par entrer dans le rang parce que la culture a aussi son économie et son système d’exploitation. Tout ceci, Pippo Delbono le danse avec sa troupe inimitable de gueules cassées. Le ton monte souvent, effroyablement, comme s’il suffisait de gueuler pour se faire entendre : est-ce le signe d’impuissance de l’artiste ?
Il faut attendre l’arrivée de Bobo (qui a vécu plus de cinquante ans dans un hôpital psychiatrique) pour que cesse le vacarme. Il a l’expérience des fous et fini par ne plus les voir. Son analphabétisme est sa protection ! Il est la figure du sage et du sauveur. Après avoir vérifié que les morts sont aussi dans les placards, Bobo nous fait don d’une parade inoubliable et s’en va chercher Pippo, nu, à terre. En le priant de se rhabiller, il lui offre la possibilité de se relever alors que le père en son temps est resté à terre. En enfilant les habits du poète, ils s’avancent vers nous pour poétiser le monde. C’est leur vérité face au pouvoir berlusconien et sûrement la nôtre. Avons-nous le choix ?
Pascal Bély – Le Tadorne.
"La menzogna" de Pippo Delbono du 18 au 27 juillet 2009 dans le cadre du Festival d'Avignon. En tournée dans toute la France en 2010 (Marseille, Paris, Bayonne, Sérignan, Caen, Toulouse, Rennes, Strasbourg).