Comment se rétablir du calamiteux « Casimir et Caroline » présenté à la Cour d’Honneur ? Comment échapper, le temps d’une soirée, à la nostalgie rampante qui envahit les rues d’Avignon à quelques jours de la clôture des festivités ? Direction Limoux, pour le festival « NAVA » (« nouveaux auteurs dans la vallée de l’Aude ») dont le projet vise à promouvoir des textes, mis en espace puis lus et joués par des acteurs. Ils n’ont généralement que quelques jours pour répéter. Trente ans après, je retrouve à « NAVA », l’auteur et metteur en scène François-Henri Soulié. A douze ans, je découvrais le théâtre alors qu’il produisait près de chez moi, « la vie est un songe » de Pedro Calderon. Retour aux origines.
A « NAVA », Jacques Lassalle propose une « lecture spectacle » d’«Une Nuit de Grenade » de François-Henri Soulié. Le résultat, troublant, finit par produire une onde de choc dans le cloître envoutant de Saint-Hilaire.
Nous sommes au coeur de la guerre civile qui ravage l’Espagne. Le poète Federico Garcia-Lorca vient d’être arrêté. Son ami musicien Manuel de Falla (Didier Sandre) rend visite au Gouverneur civil de Grenade (Wladimir Yordanoff) pour réclamer sa liberté. Dans ce combat, s’immisce un jeune phalangiste (Arnaud Denis), chargé d’assister le gouverneur dans le comptage des morts tandis qu’une danseuse de flamenco (Chloé Astor) cherche son frère emprisonné.
Ces acteurs magnifiques s’accrochent au texte comme à la vie. Leur fragilité finit par nous contaminer. Didier Sandre paraît coincé dans ce décor de pierre et de papier, pris en tenaille entre sa foi catholique et son amitié pour le poète. Arnaud Denis est époustouflant dans cet espace réduit à une chaise et une machine à écrire comme si son devoir militaire se fracassait dans le bruit des morts couchés sur le papier.
À mesure que l’intensité dramatique augmente, le texte ne cesse de résonner dans notre époque. Quelle place peut bien jouer l’art dans les barbaries d’aujourd’hui? Comment faire entendre la voix du poète dans une société obsédée par le rationalisme? Que faisons-nous pour défendre les singularités artistiques tout en préservant l’unicité que nous donne l’art? Avec humour et gravité, les mots de François-Henri Soulié percutent parce qu’ils sont ciselés pour traverser les générations d’acteurs et de spectateurs. Sauver le poète, c’est nous préserver de nos désirs de persécutions et protéger l’humanité contre tous les totalitarismes.
“Une nuit de Grenade” nous revient, grâce à NAVA. Nul doute que ce brûlot poursuivra sa route pour enflammer nos théâtres. Alors que le Festival d’Avignon vient de révéler l’absence cruelle d’auteurs, cherchons à la marge ce que les projecteurs médiatiques nous empêchent d’entendre.
Pascal Bély – www.festivalier.net
“Une nuit de Grenade” de François-Henri Soulié, mise en espace de Jacques Lassalle a été joué le 24 et 26 juillet 2009 dans le cadre du Festival NAVA.
Crédit photo: Jacqueline Chambord.